Gender marketing : des clichés sous le sapin

Un garçon peut-il jouer à la poupée ? A l’approche de Noël, la question est brûlante. D’après la sociologue Mona Zegaï, les stéréotypes de genre véhiculés dans les magasins et catalogues de jouets n’ont pas diminué. Petit tour d’horizon.

A gauche, un rayon rose, à droite, un rayon bleu. Dans le rayon jouets du Géant de l’Avenue du Mas d’Argelliers à Montpellier, la vision est frappante. En s’approchant de plus près, on observe de façon très nette la distinction entre le côté « fille » et le côté « garçon »… à ne pas confondre. Deux enfants d’environs cinq ans s’approchent des poupées, accompagnés de leur maman. « Oh une Barbie ! Regarde ! », s’exclame la petite à son frère. « C’est pour les filles, j’aime pas ! », répond le bambin. Le ton est donné. La petite, désarçonnée, observe la poupée rose. De son côté, la maman s’enthousiasme auprès de sa fille, « regarde ma chérie, elle a tous les accessoires », mais c’est trop tard, la petite, n’en veut plus.

Sur les étagères, les Barbies sont entourées d’autres jouets « pour filles » : coiffeuse, kit de manucure, coffret de perles… Dans le rayon a priori destiné aux garçons, on trouve des jeux de stratégie aux couleurs très sombres, mais aussi et surtout les fameux jeux de voitures, avec les couleurs rouge, vert, noir, parfois orange… mais jamais rose.

Cette différenciation de genre dans le commerce a un nom : le « gender marketing » [marketing de genre, ndlr]. Il s’agit de différencier les stratégies marketing et les produits commercialisés en fonction du genre. Tel ou tel produit sera destiné aux femmes ou aux hommes. Cette pratique est décriée par les féministes, qui condamnent entre autre une certaine forme de machisme et la perpétuation d’une société patriarcale, où l’homme a le pouvoir sur la femme.
Ainsi, dans les rayons de la grande surface de Montpellier, il est aisé de comprendre quel produit est destiné à quel sexe. Dans cette stratégie marketing de différenciation, un exemple est particulièrement criant : la couleur. Le rose, le bleu.

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Selon la sociologue Mona Zegaï, qui a travaillé sur les discours dans le monde du jouet et leur transformation dans le temps, ces différenciations sont de plus en plus marquantes sur les jouets destinés à un jeune public de plus de trois ans. Dans son travail de recherche, la doctorante explique que ces stigmates de couleurs se sont largement accentués à partir des années 1990. On assistait alors à la naissance d’une mise en scène des différences de sexe.

 

L’Allée des Héros

Dans le magasin de jouets La Grande Récré au Polygone de Montpellier, la chef de mise en rayon explique : « Ici, nous ne classons pas les jouets en fonction du genre, mais par thématique. Il est vrai que certains jouets sont plus destinés à un jeune public masculin, avec les figurines de super héros comme Avengers ou Spiderman. On a appelé ce rayon ‘l’allée des héros’ ». Mona Zegai explique en effet qu’au fil des années, les stéréotypes n’ont pas diminué, ils ont simplement changé dans leur mise en scène textuelle. « Par exemple, dans les catalogues, on ne verra plus la rubrique garçon/fille, mais des rubriques ‘héros’ et ‘princesses’ », explique-t-elle.
De son côté, la responsable de mise en rayon de La Grande Récré se défend : « nous ne sommes pas responsables de la couleur des paquets, ce n’est pas de notre faute si les jouets sont soit bleus, soit roses, si tel jouet est plutôt adressé à tel ou tel sexe. Il faudrait se tourner vers les fabricants de ces jouets ». Soit.

Autre élément, la représentation des filles et des garçons à travers la publicité faite autour du jouet. Par exemple, « dans les catalogues ou sur les packaging des châteaux, les filles vont être assimilées à l’intérieur [détail de l’intérieur du château de princesse, ndlr], et les garçons à l’extérieur [détail de l’extérieur du château fort, ndlr] », détaille Mona Zegai. Chez l’enseigne Jouet Club, ce constat peut se faire. En ouvrant le catalogue de l’enseigne, on retrouve la fameuse photo d’une petite fille passant l’aspirateur. « Dans les publicités pour déguisements par exemple, on peut voir souvent des petites filles déguisées en super héros ou en pirate. Mais on ne voit jamais de garçon déguisé en princesse », constate Mona Zegai. Son hypothèse d’explication : « le masculin est peut-être plus valorisé que le féminin ».

De son côté, un responsable marketing de Smoby, grande entreprise française et européenne de fabrication de jouets pour enfants, donne la vision de la marque : « Chez Smoby on reste encore assez traditionnel. On part du principe que les poupées, c’est pour les filles. On ne va pas investir lourdement dans une campagne de publicité montrant des garçons jouant à la poupée, ça ne sera pas rentable ». Cela a le mérite d’être clair.

« Il y a une certaine évolution aujourd’hui », explique Mona Zegai, «certains fabricants de jouets tentent de remettre en cause ces stéréotypes ». En déambulant dans les rayons du même Géant, on peut en effet apercevoir la fameuse dinette. Mais cette fois-ci, le packaging est très neutre, avec des couleurs vertes, jaunes, bleues. Sur la photo du paquet, un garçon et fille s’exerçant tous deux à la cuisine. En 2015, l’enseigne Super U avait aussi défrayé la chronique en affichant une campagne publicitaire neutre pour les jouets.

Alors, révolution en marche ? « Il faut comprendre que lorsque les enfants effectuent leur liste de cadeaux de Noël, ils peuvent être amené à une certaine forme d’autocensure, soit parce que le cadeau qu’ils désirent se trouve dans une rubrique du catalogue qui ne leur est pas destiné a priori, soit parce que les parents eux-mêmes exercent une forme de pression sur leur enfant », rappelle la sociologue. Révolution ou évolution… la réponse se trouvera peut-être dans la liste pour le papa Noël.

Vos enfants sont plutôt Petshop ou boîte à musique ?

A un mois de Noël, les Montpelliérains commencent déjà à préparer leurs cadeaux. Le jouet arrive en première place sur leurs listes. Ce, à tout âge. Où choisir « le » jeu qui fera plaisir ? Que l’on soit amateur de voitures miniatures ou de dinettes en porcelaine, tous les goûts sont servis. Zoom sur deux enseignes incontournables de Montpellier, et pourtant bien différentes.

Au détour des rues de Montpellier, la magie de Noël s’opère. Les magasins de jouets ne désemplissent pas. Toutes les générations se pressent devant les vitrines de commerces atypiques : du Sanctuaire de la Miniature à la boutique manga Ikoku, en passant par le monde virtuel des jeux-vidéos chez Micromania. Tous les goûts sont servis. Répondre aux envies de chacun, c’est le pari qu’ont fait deux établissements montpelliérains : Pomme de Reinette et Pomme d’Api et la Grande Récré. D’un côté, une petite échoppe regorgeant de merveilles, installée à Montpellier depuis près de quarante ans. Maisons de poupées et vaisseaux spatiaux, toupies et automates, boîtes à musique et autres trésors s’alignent sur les étagères. Sans oublier, à l’étage, le petit Musée du Jouet dévoilant la magnifique collection du propriétaire. De l’autre, une grande chaîne nationale, soit cent-vingt magasins de 1000 m² en moyenne, représentant près de 10% des parts du marché français. Sur les rayonnages, une offre quelque peu différente : les derniers jeux à la mode, aux couleurs vives et à la pointe de la technologie.

Les deux boutiques touchent une clientèle éclectique, de tous âges, de tous styles. Néanmoins, quelques dissemblances sont perceptibles. Fabrice Depardieu, chef d’équipe à la Grande Récré, parle d’un acheteur « moyen-haut de gamme » dont « le budget moyen par enfant à l’époque de Noël est de trente euros ». Plus attaché à un acquéreur qualitatif, fidèle de générations en générations, Alain Simon, gérant de Pomme de Reinette et Pomme d’Api affirme, avec un petit sourire, que sa clientèle est composée de « tous ceux qui rêvent encore et qui ont besoin de faire rêver ». Ce, à « tous les budgets. Vous pouvez même trouver des articles à 1 euro. ».

Chacune des deux enseignes s’est préparée à l’invasion de Noël. Alain Simon effectue ses commandes un an à l’avance. Ses choix sont guidés par l’instinct mais aussi par quarante années d’expérience professionnelle. Il reçoit ses livraisons au mois d’octobre et peut alors exposer son stock pour les fêtes de fin d’année. Ses jouets viennent d’un peu « partout dans le monde. Notamment l’Allemagne ». La Grande Récré réceptionne également ses articles en octobre. Cette fois, le stock est géré par une centrale d’achats dont le siège est à Paris. Fabrice Depardieu et ses collègues, n’ont donc qu’une petite marche de manœuvre quant au choix de leurs produits. Ce sont des stratégies commerciales, sur fond d’accords, qui sont à la base de la mise en avant de produits phare. Par exemple, pour la seconde année consécutive, la chaîne promeut la figure d’Arthur. Un partenariat a été réalisé entre le réalisateur Luc Besson et la direction de La Grande Récré.

En plus de gérer les commandes, les deux boutiques doivent embaucher du personnel supplémentaire pour cette période de l’année. « Pour le mois de décembre, nous engageons deux personnes en plus au niveau des caisses et deux personnes en plus pour emballer les cadeaux. Ce sont des contrats de 27h par semaine » informe Fabrice Depardieu.

Préparer Noël, c’est aussi envisager les tendances, mettre en avant les classiques. Différents selon l’enseigne. Côté Pomme de Reinette et Pomme d’Api, cette année, les produits phares sont : « les maisons de poupées pour les filles. Ça correspond à la mode du cocooning. Pour les garçons, ce sont les chevaliers, les forts qui sont sollicités ». Selon Alain Simon, la boite à musique reste le jouet indémodable. Autre monde, autres tendances du côté de la grande consommation : « Depuis quatre ans, les petites filles sont demandeuses de Petshop. C’est un créneau très fort. Les garçons, quant à eux, apprécient tout ce qui est super-héros : Spiderman, Batman, Wolverine… La série Gormiti fait également fureur ! Cela suit l’évolution connue par les Pokémon. » Pour Fabrice Depardieu, les grands classiques restent le Monopoly, tout ce qui est Playmobil, le Mille-bornes : « La marque Playmobil marche de mieux en mieux. Cette enseigne a une très bonne stratégie commerciale. Elle sait réactualiser des anciennes collections. Par exemple, cette année, elle a décliné le thème Egypte, thème qui date d’il y a 15 ans mais très bien recontextualisé ». La démarche des grandes enseignes est donc très marketing. Ces dernières cherchent à répondre aux besoins du client, à suivre la mode. Suite, aux problèmes qu’il y a eu l’an passé avec les jouets importés de Chine, la clientèle demande de plus en plus des articles made in France. De petites entreprises françaises sont donc sollicitées. Jeujura, fabricant de jouets en bois, et Ecoiffier, spécialisé dans les jeux pour les tout petits. De même, avec la mouvance écologique, les produits « nature » sont très demandés. Une gamme en bambou a notamment été lancée.

La crise ne semble donc pas toucher ce secteur. Chacun est d’ailleurs unanime : « la crise, connais pas ! » D’un côté, « le cœur est toujours là. Ce sont juste les budgets qui s’adaptent » souligne Alain Simon. Autre argument de poids : « les gens achètent toujours autant de jeux. Ça leur remonte le moral, leur fait oublier leur quotidien » affirme Fabrice Depardieu. Langue de bois ? En tout cas, le constat est clair : les magasins sont pleins de monde « même si cette année la saison a commencé un peu plus tard ».

Stratégies commerciales, tendances, effets de mode, … Malgré tout, l’esprit de Noël perdure… Les enfants ont les yeux pleins d’étoiles en regardant les vitrines, et les parents sont prêts à tout pour satisfaire leurs bambins. A commencer par contacter le Père Noël et ses petits lutins !