Mal-inscription sur listes électorales, procurations : le bug démocratique

Au premier tour de ces élections régionales, environ 50% des Français se sont abstenus. Des citoyens qui pour certains, auraient voté si la procédure n’était pas si lourde et complexe. Retour sur un parcours semé d’embûches jusqu’aux urnes.

Inscriptions sur listes électorales, procurations. Des termes administratifs repoussoirs qui feraient fuir Thomas Thévenoud, laissant présager une masse de paperasse et des heures d’attente. Mais essentiels pour qui veut voter.

En France, 44,6 millions de personnes sont amenées à voter pour ces élections régionales. 3 millions ne sont pas inscrites sur les listes électorales, l’équivalent des populations de Paris, Lyon et Marseille réunies. Sans compter les 6,5 millions de mal-inscrits – ceux qui sont inscrits au mauvais endroit – surtout des jeunes et personnes peu diplômées. Les mêmes qui font gonfler les chiffres de l’abstention, dont je fais partie. Pourtant, pouvoir voter au premier tour de ces élections régionales était pour moi une évidence.

Le parcours du combattant jusqu’aux urnes

Tout a commencé le 30 septembre dernier, quand au dernier moment je réalise qu’il ne me reste que quelques heures pour m’inscrire sur les listes électorales à Montpellier – étant inscrite dans ma Normandie natale. Pas de panique me dis-je, j’ai entendu qu’on pouvait s’inscrire sur internet. Montpelliéraine depuis un an, je baigne dans la « french tech » de la nouvelle métropole prônant l’innovation numérique. Quelle a donc été ma surprise quand je me suis aperçue qu’il était impossible de s’inscrire en ligne à Montpellier, alors que ce service existe dans la plupart des mairies. Lyon, Rouen, Bordeaux et même Le Triadou, 400 habitants à une demi-heure de « Montpellier la french tech ».
Prête à me déplacer je cherche un bureau de proximité près de chez moi. Sur le site internet de la mairie on apprend que « les mairies annexes et de proximité ne pourront pas effectuer les inscriptions électorales pour des raisons techniques ». Je me rends donc dans notre mairie – accessoirement située à dix kilomètres du quartier de la Mosson – qui a par ailleurs comptabilisé 70% d’abstention au premier tour. Après une petite heure d’attente, observant patiemment ceux qui viennent et repartent, manque de temps ou de patience, je me présente fièrement munie de toute la paperasse nécessaire. Mais mes justificatifs de domiciles sont jugés insuffisants par la personne en charge de mon dossier. Je repars bredouille et déçue comme d’autres étudiants ce jour-là.

Mercredi 2 décembre, commissariat de la Place de la comédie, 14h. Déterminée à voter je viens faire procuration à quatre jours du scrutin. J’atterris dans une file d’attente qui n’avance pas remplie de Français fraichement Montpelliérains ou indisponible dimanche. Beaucoup d’étudiants, de commerçants et personnels médicaux qui travailleront dimanche. Après deux heures d’attente, un policier lance « on ne pourra pas prendre tout le monde pour la procuration ».
Chanceuse, je rentre dans le commissariat juste avant qu’on ne ferme la porte aux trente autres personnes derrière moi. Après avoir recopié trois fois le petit formulaire (suite à une petite rature) en compagnie de mes concitoyens, tous fiers d’être venus à bout de ce pèlerinage administratif. Un policier recopie à la main sur un cahier les informations du dit formulaire. Il le glisse ensuite dans une enveloppe qui partira porter mon vote vers les contrées normandes.

Dimanche. 16H. Ma mère, détentrice du savoir secret de mon vote, m’appelle embarrassée. Ma procuration n’est pas arrivée à la mairie. Je me retrouve donc à devenir une de ces abstentionnistes qu’on dira peu intéressée par la politique, désengagée ou encore contestataire. Je fais partie de ces 6,5 millions de français mal-inscrits, qui ne votent pas par contrainte et lourdeur administrative.

L’omerta de la mairie

Durant ce long parcours semé d’embûches administratives j’ai posé la question à cinq représentants de la mairie, tous embarrassés par la question. La responsable des inscriptions sur les listes électorales de la mairie n’était « pas disposée » à me répondre. Le policier à l’entrée du commissariat qui a renvoyé trente personnes m’a répondu que de toute façon « c’est pas ici qu’on vote ». La chargée du service communication de la mairie m’a renvoyé vers la directrice du service élections qui ne pouvait me répondre sans « l’accord » du service communication qui lui-même m’a pas pu me répondre. Je me suis donc directement adressée à l’adjointe de M. Saurel déléguée à la communication, qui elle aussi, ne m’a pas répondu.

Vite, dernier jour pour vous inscrire sur les listes électorales !

Du 6 au 13 décembre prochains auront lieu les élections régionales. Du fait de la date exceptionnelle qui a été annoncée par le gouvernement en mars dernier, vous pouvez vous inscrire jusqu’au 30 septembre conformément à la loi du 13 juillet 2015. (loi 2015-852)

  • Où ? Hôtel de ville de Montpellier uniquement, Service population
  • Quand ? à 24h de la fermeture officielle des inscriptions sur les listes électorales, ce mercredi 30 septembre
  • Comment ? Carte d’identité et justificatif de domicile en main

Manque d’information ou procrastination habituelle, vous avez complètement oublié de vous inscrire ? Pas de panique, il vous reste 24 heures. Armez-vous de votre carte d’identité ou de votre passeport, d’un justificatif de domicile datant de moins de trois mois et d’une patience sans bornes pour vous rendre à l’Hôtel de ville de Montpellier avant demain 17h30.

Vous auriez pu envoyer tout ça par courrier, mais il est trop tard il va falloir vous déplacer. Si vous n’habitez pas tout près de l’Hôtel de ville, manque de chance, les mairies annexes et de proximité « ne pourront pas effectuer les inscriptions électorales pour des raisons techniques » apprend-t-on sur le site de la mairie.

J’ai testé pour vous : m’inscrire sur les listes électorales de Montpellier au dernier moment

Ambiance tendue cet après-midi au Service population de l’Hôtel de ville de Montpellier. Apparemment je ne suis pas la seule à m’être réveillée à la dernière minute, beaucoup de jeunes entre dix-huit et vingt-cinq ans, de jeunes couples, des retraités, tout le monde attend plus ou moins patiemment son tour, armé de son petit ticket magique qui annonce le compte à rebours. Je me précipite sur la borne numérique pour retirer un ticket quand une jeune mère de famille en poussette, visiblement en colère, m’interpelle me tendant son ticket : « Ils sont fadas, je vais pas attendre tout ça pour voter ! Tenez ! » Sur ledit ticket on lit « Il y a 30 personnes devant vous. » Il n’y a que deux guichets d’ouverts sur sept. Maxime, étudiant de vingt ans qui attend à côté de moi, repart bredouille, il lui manque la carte d’identité de sa mère chez qui il vit, il reviendra demain, peut-être…

Après plus de quarante minutes d’attente, le numéro 273 enfin, s’affiche faisant de moi l’heureuse élue du moment. Euphorie passagère, mes papiers ne vont pas. Vivant en colocation les factures ne sont pas à mon nom, je me suis donc procurée l’attestation de sécurité sociale, comme préconisé sur le site de la mairie de Montpellier mais ça ne suffit pas, il manque d’autres papiers qui sont évidemment restés chez moi. Comme mon prédécesseur, je peux revenir demain… Je repars déconcertée en même temps que Denis et Joëlle, un couple de jeunes retraités venus de Moselle où, me disent-ils, on peut s’inscrire sur internet.

L’inscription en ligne, le télé service pratique qui n’existe pas à Montpellier

Désormais, des communes telles que Lyon, Aix-les-Bains, Rouen, Strasbourg ou encore Le Triadou, petite commune de 410 habitants située à une demi-heure de Montpellier, sont reliées au dispositif d’inscription en ligne accessible sur http://mon.service-public.fr . C’est gratuit, sécurisé et rapide, le site prévoit environ 15 minutes, de chez vous, pour vous inscrire.

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https://mdel.mon.service-public.fr/inscription-listes-electorales.html

Armelle, vingt-et-un ans, originaire de Normandie et étudiante à Lyon depuis deux ans, n’a pas pu voter dans sa commune aux départementales d’avril dernier, faisant partie des nombreux étudiants mal inscrits sur les listes électorales.

Elle s’est inscrite en ligne aujourd’hui, dix minutes après avoir appris la date de l’échéance, rappelant le manque de communication concernant les campagnes d’inscriptions : « Je ne pense pas que je me serais inscrite s’il avait fallu se déplacer, j’ai appris que j’avais jusqu’à demain seulement ce midi au JT de 13h, tellement la communication autour des élections est médiocre. Donc ça me laissait peu de temps pour m’organiser. »

Armelle vante le système d’inscription en ligne, sans lequel elle ne se serait pas inscrite : « Je me suis inscrite en ligne car c’est rapide, je n’ai pas besoin de me déplacer, je n’ai pas les contraintes horaires d’ouverture de mairie, et puis je suis sûre de n’oublier aucun papier et d’avoir tout sous la main puisque je suis chez moi ! J’ai reçu la confirmation de la prise en charge de mon dossier peu de temps après l’envoie, c’est simple et efficace! »

On se demande donc pourquoi une ville comme Montpellier, recensée ville la plus jeune de France par l’INSEE, avec un apport migratoire (afflux de population, ndlr) de 58% (contre 13% dans les autres agglomérations), ne dispose-t-elle pas de ce système désormais très répandu.

À Montpellier donc, il n’y a aucun bureau de proximité pour s’inscrire, par exemple à la Mosson composée d’environ 20 000 habitants et on ne peut pas s’inscrire en ligne. Lorsqu’on pose la question aux agents de la mairie, on ne veut pas répondre, on n’a pas le temps. Lorsqu’on sait qu’aux élections départementales d’avril dernier Montpellier a eu un taux d’abstention de 45,65% (source Ouest France), on se demande pourquoi le remède internet n’est-il pas dispensé ici.

Mais ne nous laissons pas abattre par les contraintes administratives, il est encore temps de vous rendre à l’Hôtel de ville, même s’il est loin de chez vous, même si vous allez attendre, ce sera l’occasion pour vous de visiter ce petit bijou d’architecture que le New York Times vante pour son innovation. Et surtout ce sera l’occasion pour vous dans trois mois, d’accomplir le plus vieux et bel acte citoyen qui soit : voter.