Jean-Michel Bissonnet condamné à 30 ans de prison

Après plus d’un mois de débats à la Cour d’assises de Montpellier, le procès de Jean-Michel Bissonnet vient de toucher à sa fin. Accusé d’avoir commandité le meurtre de sa femme en mars 2008, il est condamné à 30 ans de prison. Retour sur une affaire qui a déchaîné les passions.

Le scénario de cette affaire est digne des meilleurs romans policiers. Un couple de notables, une belle résidence, une victime innocente et trois assassins présumés.

Le mari, Jean-Michel Bissonnet, 62 ans, aurait commandité le meurtre de sa femme, Bernadette. Le jardinier du couple, Meziane Belkacem, aurait tué cette dernière avec un fusil contre une promesse de 30 000€. Et le vicomte Armaury d’Harcourt, ami du couple, aurait donné des conseils sur la façon de procéder puis fait disparaître l’arme dans le Lez pour « protéger son ami ».

Au fil du procès, le vicomte et le jardinier ont avoué ce qui leur était reproché mais ont remis toute la responsabilité sur M. Bissonnet, désigné comme seul commanditaire. Pourtant, le mari clame son innocence depuis le début et accuse Armaury d’Harcourt d’avoir tout organisé avec l’aide de M. Belkacem.
Alors quel a été le rôle de chacun ? Et surtout, quel était le motif ?

« Un des accusés ne dit pas la vérité »

La vérité a toujours semblé très compliquée à établir. Les déclarations ne concordent pas avec les faits et chaque aveu est resté partiel. « Un des accusés ne dit pas la vérité », a déploré d’ailleurs un avocat de la défense face aux versions contradictoires de chacun.

Les différents témoins entendus à la barre n’ont pas plus été capables d’éclairer la situation. Aujourd’hui encore, beaucoup de zones d’ombre persistent et trop de questions restent sans réponses malgré le rendu du verdict.

Bissonnet, décidé à ne pas capituler

Au début du procès, assis sur le banc des accusés, Jean-Michel Bissonnet a pu parfois sembler étonnamment calme, presque indifférent à ce qui était dit. Pourtant, il lui est arrivé de s’emporter, de plus en plus avec le temps.

Lors de la troisième semaine d’audience par exemple, fatigué d’être traité en coupable, il se met à hurler : « Je suis innocent ! Je suis la deuxième victime de cette affaire. Trente ans de couple, je sais ce que c’est. Je sais ce que j’ai fait. » Puis pointant Meziane Belkacem du doigt, il affirme : « Pour moi l’homme que vous poussez à condamner n’est pas coupable. »

Ces trois derniers jours, il a même décidé de ne plus se présenter au procès, exaspéré par ce qu’il qualifie de « mensonges » au sein d’une « enquête à charge depuis le début ». Stéphanie Archambault, experte psychologique qui l’a rencontré, affirme d’ailleurs qu’il « passait sans transition d’un état émotionnel à un autre. »

Malgré tout, beaucoup de personnes le pensent innocent, certaines allant même jusqu’à créer une « Association de soutien à Jean-Michel Bissonnet« .
Aujourd’hui, de retour dans la salle, il a encore réaffirmé son innocence lors de sa dernière déclaration.

Un jugement très attendu

Mardi 8 février, l’avocat général, Me Denier, a requis la prison à perpétuité contre Jean-Michel Bissonnet, 25 ans contre M. Belkacem et 10 ans contre le vicomte d’Harcourt.

Pour cette dernière journée, la grande salle du Tribunal de Montpellier est comble et la tension palpable. Les deux hommes qui avaient avoué leur implication dans le meurtre ont exprimé des regrets. Mais Bissonnet ne les a pas acceptés.

Après plus de cinq heures de délibération, la justice a tranché : 30 ans de réclusion pour Jean-Michel Bissonnet, qui s’est évanoui à l’annonce du verdict. Belkacem a été condamné à 20 ans de prison et Amaury d’Harcourt à 8 ans. Aujourd’hui, même si les jurés ont fait leur choix, il est probable que face au manque évident de preuves le doute persiste dans beaucoup de têtes.

L’affaire Grégory: de l’information à la fiction. Autopsie d’un mystère médiatique.

C’est l’une des affaires judiciaires les plus tragiques et les plus médiatisées de ces trente dernières années. Le 16 Octobre 1984, trois ans après l’abolition de la peine de mort, l’assassinat de Gregory Villemin, 4 ans, déchaîne une opinion publique sensible aux crimes d’infanticide. Aussitôt, la presse se passionne pour l’histoire extraordinaire de cette famille ordinaire de Lépanges-sur-Vologne.

Au début des années 80, il faut dire que l’entrée de capitaux privés à la télévision et sur les ondes poussent à la concurrence et encouragent parfois un journalisme sensationnaliste. Si la presse écrite n’est pas en reste, c’est parce que ce fait divers catalyse tous les ingrédients d’une énigme fascinante : une famille divisée, un mystérieux corbeau qui annonce le meurtre deux années avant son exécution, des jalousies exacerbées… le tout, dans un décor de campagne peu hospitalière.

Retour sur les dérapages de la presse, à l’heure où l’enquête est relancée par les analyses ADN.


La ruée vers la Vologne : des journalistes envoyés traiter l’ « affaire »

leFigaro.fr

Dès la découverte du corps de l’enfant dans la Vologne, le correspondant de RTL Jean-Michel Bezzina, comprend la portée de cet évènement funeste : « C’était l’affaire. On était sûrs que c’était le grand fait divers ».
C’est ainsi que des dizaines de journalistes vont se précipiter dans le petit village des Vosges.
Dès les débuts de l’enquête, la presse talonne la gendarmerie, comme l’illustre le cliché du cadavre de Gregory, retrouvé le soir même du meurtre.
Et c’est justement cette course au scoop et à l’image qui va entretenir une chasse au corbeau obsessionnelle.

Europe 1, qui vient de se faire doubler par RTL, envoie Laurence Lacour interviewer les parents endeuillés. Pourtant, à la vue du corbillard du petit garçon, la journaliste stoppe net : « on est obligé de s’aligner sur la concurrence. RTL était déjà passé par là. Moi, j’ai reculé. » Peu de confrères auront les mêmes scrupules, Bezzina en tête. Ce dernier toque bel et bien à la porte des Villemin, réussit à obtenir le témoignage du père et, fort de ce scoop, s’empresse d’envoyer la bande sensationnaliste sur les ondes. Il le revendique alors clairement: « A un moment, Jean Marie Villemin désigne certains coupables. Je laisse tourner le magnéto. Je sais à ce moment que les accusations sont terribles, mais il fallait les diffuser. »

Il faut avouer que la spectacularisation de l’affaire est tentante car l’opinion publique est friande d’informations. Ainsi, dans quelle mesure peut –on reprocher aux journalistes de répondre aux attentes du public ? Si l’on peut bien admettre que la nuée de reporters s’immerge dans la Vologne par professionnalisme, il est cependant difficile de légitimer les dérapages qui s’enchaînent au cours des mois d’enquête.

Quand la sur-médiatisation engendre des monstres

thinesclaude.com

Tout d’abord, on assiste à la spectacularisation du crime. Celle-ci s’opère dans des articles puisant dans les champs lexicaux de l’horreur et de la dramatisation. Mais aussi, à travers des photographies bouleversantes : afin de titrer sur le premier Noël sans Gregory, des journalistes immortalisent des paquets cadeaux vides sur la tombe de l’enfant alors qu’un photographe jette une couronne mortuaire dans la Vologne afin de faire « une bonne image ».
Pire, le jour même des obsèques de Grégory, alors que les gendarmes avaient empêché les caméras et les photographes de pénétrer dans l’enceinte du cimetière, un caméraman de TF1 profite d’un moment d’inattention pour franchir la limite et s’approcher afin de filmer Christine Villemin évanouie. Sous couvert d’information, les médias s’adonnent à un voyeurisme quasi-scénarisé. Dans ce fait divers qui est devenu un véritable feuilleton pour les Français, l’émotion est omniprésente et toujours instrumentalisée.
Ainsi, dans la petite bourgade insignifiante de l’Est de la France, il y a des conférences de presse quotidiennes. Les journalistes suivent les gendarmes, échangent souvent avec eux, ce qui agace considérablement Etienne Sesmat, premier capitaine de gendarmerie à être chargé de l’enquête : « les journalistes savaient des choses qu’ils n’auraient pas dû connaître. Ils étaient trop bien informés ».

En effet, si l’enquête suit tant bien que mal son cours, l’opinion publique trépigne. Le corbeau de mauvais augure est dans les esprits de chacun. De ce fait, la justice travaille sous la loupe des journalistes sur place. Parmi eux, certains vont également prendre part aux recherches, confondant le devoir et le droit d’informer. Cette incompatibilité va rapidement engendrer le pire. Ainsi, Jean Ker, grand-reporter pour Paris Match commence sa propre enquête, au mépris de l’instruction. C’est lui qui va faire écouter à Jean-Marie Villemin la déposition de Murielle Bolle, 15 ans, accusant Bernard Laroche. Il reconnaîtra, trop tard, avoir franchi la limite : « A partir de là, je ne maîtrisais plus rien ». Car, dans les semaines qui suivent, Jean-Marie abat son cousin.

Surtout, devant une presse surexcitée, le jeune juge Lambert chargé de l’instruction ne fait pas le poids et cède souvent à la pression médiatique. Il est prolixe, se laisse aller volontier à des confidences partiales et superflues. Pris dans un engrenage infernal, c’est lui par exemple, qui a organisé une conférence de presse afin de révéler l’identité du témoin N°1, la jeune Murielle, avant de la relâcher dans sa famille et que cette dernière ne se rétracte, à jamais.
Dans cette affaire, les magistrats sont harcelés et aucun rapport d’expertise ne garde le sceau du secret. D’ailleurs, à plusieurs reprises, la presse va doubler la justice et outrepasser son rôle de spectateur objectif, d’aiguillon critique : les journalistes deviennent de véritables acteurs de l’instruction. Ils n’écoutent plus les voix de la raison juste celle des passions.

L’« affaire » vire au fantasme

Photo archives Serge Réalini

Si l’assassinat de Bernard Laroche fait prendre conscience à certains journalistes qu’ils sont allés trop loin dans l’instrumentalisation, l’accalmie médiatique est de courte durée. En effet, la nuit qui précède son enterrement, des photographes dorment dans le cimetière, afin de s’assurer un cliché le moment venu. Dès ce jour, des confrères étrangers déferlent à Lépanges-sur-Vologne.
D’autre part, le fait divers va prendre une tournure de mythe grec lorsque les yeux se tournent vers la mère de Grégory. Jean-Michel Bezzina, proche des avocats de Laroche, matraque d’ailleurs allègrement la thèse de l’infanticide sur RTL et dans huit autres médias nationaux pour lesquels il écrit sous pseudonyme. Dès lors, le fantasme de la mère meurtrière embrase les esprits.

Dans Libération, Marguerite Duras ira même jusqu’à publier un éditorial exalté accréditant l’infanticide : « Christine V., sublime, forcément sublime… ».
Cette transe autour de Christine Villemin, résulte en partie d’une médiatisation à outrance de la mère de Grégory. Selon Denis Robert, alors jeune pigiste, c’est Me Garaud, le propre défenseur de Christine Villemin qui aurait agit contre les intérêts de sa cliente dans un but mercantile :
« Pour toucher des droits photos ou des honoraires sur des pseudo- révélations, il a fabriqué une Christine Villemin de papier glacé qui n’avait rien à voir avec la vraie (… ) Il a participé grandement à la détestation collective autour de Christine et incidemment à la fabrication de cette rumeur sur la mère criminelle « .
Les Villemin ont souvent été accusés de vedettariat car, pour honorer leurs frais exorbitants d’avocat, ils signaient des exclusivités avec de grands hebdomadaires nationaux. La machine infernale enclenchée, impossible pour le couple Villemin de l’arrêter. Ainsi, les pires rumeurs circulent dans la presse et il faudra attendre 1993, pour que la mère soit innocentée. Pour la première fois dans une affaire judiciaire de cet ordre, une inculpée était devenue un véritable « produit », et était exploitée comme une marchandise, par le jeu de contrats d’édition ou d’exclusivités journalistiques, avant d’en devenir victime.

L’affaire Gregory est non seulement l’œuvre d’un corbeau qui revendique son crime, mais aussi celle d’un déchaînement médiatique sans précédent. Autour de ce fait divers, il y a eu cristallisation intellectuelle. C’est dans un halo brumeux de « faux mystère et de divagations de dingues », que la fiction a pris le pas sur le réel. Vingt-cinq ans après le début de l’instruction, les ouvrages et fictions réalisés sur ce fait divers sont légion. Parce que le mystère reste entier, l’ « affaire » continue de susciter les passions.

Trois jours après la mort de Grégory, le capitaine Sesmat faisait une déclaration prophétique aux journalistes « C’est une histoire absolument extraordinaire, mais elle est sans doute encore plus effrayante que vous ne pouvez l’imaginer. Vous verrez quand vous connaîtrez le dénouement ».

Aujourd’hui, les expertises ADN relancent l’enquête et permettront peut-être enfin, de faire la lumière sur une affaire dont le délai de prescription est désormais prolongé jusqu’en 2018.