Montpellier : une ville pour les jeunes…précaires

Selon les chiffres Insee, au troisième semestre 2011 le taux de chômage en France a atteint les 9,7% de la population active. Une augmentation sensible est relevée pour la tranche d’âge 25-49 ans, ainsi que pour les femmes entre 15 et 24 ans, les plus de cinquante ans ne sont pas non plus épargnés. Dans l’Hérault la situation est bien pire : plus du 13% des personnes actives sont à la recherche d’un travail. Alors que les CDI semblent aujourd’hui hors de portée, les Jobs étudiants, l’intérim, et les CDD apparaissent désormais comme un luxe pour les jeunes.

Amina a 28 ans et un diplôme en psychologie. Depuis quelque mois elle va régulièrement à la Maison des chômeurs et des citoyens solidaires pour recevoir un soutien dans sa recherche d’emploi. Elle a une expérience de quatre ans avec les personnes âgées et les handicapés, mais actuellement elle n’arrive plus à trouver un poste. La concurrence est trop forte : « j’ai envoyé plus de 40 CV et lettres de motivations, mais personne m’a rappelé . Il y a beaucoup de gens qui postulent pour les mêmes offres et moi je n’ai pas encore validé mes années de travail. Je suis en train de faire les démarches pour obtenir un VAE(Validation des Acquis de l’Expérience –ndlr), mais pour l’instant c’est la galère. Heureusement que j’ai une amie qui peut m’héberger.» Les salariés du secteur des services à la personne représentent près de 6% des salariés de l’Hérault, mais seulement un quart d’entre eux a moins de 35 ans. Ce chiffre semble encore plus préoccupant si l’on confronte la moyenne du temps de travail hebdomadaire (11,6 h) avec la proportion des personnes rétribuées en dessous de 1,2 Smic horaires brut (61%). Certes, dans le secteur les jeunes ne se réjouissent pas.

Diplômés et étudiants oui, mais pas privilégiés

Laurence, 29 ans, débarque à Montpellier en septembre après avoir quitté Paris. Elle possède plusieurs expériences de travail, un Master 1 et une formation comme institutrice. Pourtant, elle est toujours dans une situation précaire: « Je ne demande pas grande chose, je voudrais juste gagner ma vie. J’ai travaillé à l’usine, dans un chantier, dans un supermarché, mais rien qui ait abouti à un contrat, explique-elle. Je viens de trouver un logement, après plusieurs mois passés chez une pote, mais je ne sais pas si j’arriverai à payer le loyer le mois prochain

Des difficultés partagées par les étudiants. Plusieurs d’entre eux n’arrivent plus à financer leurs études et à assurer leur indépendance. Les petits jobs sont rares, mal payés, et souvent même pas déclarés. Beaucoup de jeunes sont dans l’obligation de renoncer à leurs droits pour aspirer à un poste : ils savent qu’ils peuvent être virés à tout moment. Comme Juan, étudiant et employé «au black» dans un bar montpelliérain, qui a été licencié il y a deux semaines «Un jour je suis arrivé au travail et le patron m’a dit que j’étais viré parce qu’il n’avait pas de quoi me payer. Il s’est même énervé contre moi. Je me suis senti exploité !».

Dans l’hôtellerie-restauration la précarisation est à son point le plus haut. Parmi les 17 000 saisonniers travaillant en région pendant l’été, un sur cinq entre septembre et novembre est allé s’inscrire à Pôle Emploi, un sur trois parmi les 25-40 ans. La crise et les mauvais investissements ont laissé beaucoup de caisses vides, et l’argent qui reste ne circule pas forcement par des voies légales. Le job étudiant devient alors un privilège, le contrat un luxe.

Le paradoxe du dynamisme

Il y a trois ans, une étude de l’Insee montrait que le Languedoc Roussillon au cours de la période 1993-2006 était la première région en France pour la création d’entreprises. En revanche, la même étude expliquait que 8 entreprises crées sur 10 ne comptaient aucun salarié, et notamment à Montpellier. Un chiffre qui explose en 2010 en atteignant la barre des 96%. Il s’agit pour la plupart de sociétés spécialisées dans les services, moteur de la région et première source d’emploi dans l’Hérault. Les seules qui n’ont pas été touchées par la crise.

Voici la contradiction : les nouveaux acteurs d’un secteur en plein développement sont ceux qui génèrent le moins d’emploi.

Le discours ne vaut pas pour les activités financières et d’assurance, qui augmentent leurs effectifs (+1500) en bénéficiant du soutien public apporté aux banques. En revanche, dans les autres secteurs ce sont les travaux intérimaires et les contrats à durée déterminée qui augmentent de manière significative. Autant que le chômage.

Le chômage n’est pas que dans les chiffres

« Il y a plus de jeunes qui viennent. Souvent ils sont diplômés et ils cherchent n’importe quel travail» affirme Marc Vinet, bénévole pour le Comité pour une répartition équitable de l’emploi et des revenus (Crée), qui a son siège à la Maison des chômeurs et des précaires. «Le taux de chômage est bien plus haut que 13%, il y a beaucoup de cas qui ne figurent dans les chiffres. En ville on est au moins à 20%, et dans le quartier de la Paillade à 40-45%.»

Mais même toucher une allocation chômage peut devenir une odyssée. « Les procédures sont toujours plus complexes, les gens sont désorientés. En outre, à Pole Emploi il y a une volonté bien précise de faire baisser les chiffres à travers un durcissement dans la sélection des dossier», continue monsieur Vinet.

La précarité devient le reflet des inégalités sociales. A Montpellier comme ailleurs, ce sont ceux qui ont les moyens qui s’en sortent le mieux. Pour le reste, la «sur-cotation » de la ville ressemble plutôt à un chapeau trop grand qui oblige les jeunes à faire le dos rond. Ce qu’aujourd’hui on appelle la révérence du travail gratuit ou mal payé.

Les boursiers prennent leur mal en patience

Alors que l’on se rapproche de la fin du mois de novembre, le Crous de Montpellier n’a toujours pas versé les crédits des étudiants boursiers. Une situation inquiétante pour le syndicat étudiant Unef, mais l’organisme se veut rassurant. Qui croire ?

Les fêtes de fin d’année et sa traditionnelle boulimie de consommation approchent à grands pas. Un évènement dont bon nombre d’étudiants sont aujourd’hui exclus. Le versement de la bourse du mois de novembre n’a toujours pas eu lieu à Montpellier. C’est le cas de Sarah, étudiante en deuxième année de Master en science politique. « Je suis boursière échelon 5, mais je n’ai toujours pas reçu mon virement. Ça devient urgent, il faut que je paye mon loyer et mes factures d’électricité. »

L’angoisse domine, en cette période de crise et de rigueur annoncée. Les caisses du Crous, l’organisme responsable du versement des bourses scolaires, seraient vides. Si bien que certains évoquent même le non versement pour le mois de novembre et de décembre. Des allégations infondées selon Laurine Chauchard, directrice du service communication du Crous de Montpellier, qui veut ainsi tordre le coup aux rumeurs. « Il n’y a aucun problème de financement. Le retard est dû aux paiements rétroactifs des étudiants qui ont rempli leur dossier après le délai prévu. Tous les versements auront lieu dans le mois, mais de manière échelonnée. Certains ont déjà eu lieu. Il n’y pas de souci non plus à se faire pour la bourse de décembre, les budgets sont garantis. »

20% des 18-25 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté

Toutefois ce n’est pas le même son de cloche pour Diane Imbert, vice-présidente étudiante du Crous de Montpellier. « La réalité c’est qu’il n’y avait plus d’argent. Le Crous dépend en grande partie pour son financement du ministère de l’éducation. Chaque mois, il reçoit une enveloppe de l’Etat. Mais la fin d’année est difficile. Le paiement a eu lieu très tard et en plusieurs fois. Cela est dû à la mise en place du dixième mois, une annonce politique mal budgétée. Les paiements ont commencé mais certains ne recevront leur bourse que le 6 décembre. Pour le mois prochain, aucune idée, on est dans l’incertitude».

Un nouveau coup dur pour les étudiants, déjà très touchés par la hausse du prix de l’immobilier et du chômage. Rappelons que les jeunes sont la catégorie de la population la plus touchée par la précarité, selon l’Insee, 20% des 18-25 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté. Sur Montpellier, près de 30 000 étudiants bénéficient de la bourse, un nombre en constante augmentation. Le versement de cette aide est souvent le seul ou le principal revenu pour nombre d’entre eux, une contribution indispensable qui joue le rôle de dernier rempart contre la misère. On ne peut qu’imaginer la catastrophe sociale s’il advenait qu’elle ne puisse plus être distribuée.

La précarité étudiante : une réalité tabou

Avec un budget moyen de 582 € par mois (dont 190 € pour la nourriture et 131 € pour le logement) la plupart des étudiants ont du mal à boucler les fins de mois. A Montpellier, près de 5 % des inscrits (soit 3 000 sur 60 000) n’auraient même pas les ressources nécessaires pour vivre décemment. Entre gène, pudeur et optimisme, portraits croisés de ces jeunes qui tentent de trouver des solutions pour s’en sortir.

Manger : « la » préoccupation de tous les jours

Premier poste de dépenses des étudiants, l’alimentation reste « la » préoccupation quotidienne. Une réalité difficile à gérer pour les plus précaires. Néanmoins, entre système D, solidarité et associations de soutien, chacun trouve, à sa manière, un moyen de s’en sortir.

pano-2.jpgLa solution de Teddy, en reprise d’études : le déstockage alimentaire. Il se rend pour la première fois dans un magasin de ce genre à Vendargues. «Ce ne sont pas les produits que j’achète habituellement, mais c’est pratique pour acheter en gros», explique-t-il. Avec ses 500 € mensuels, à partager entre logement et nourriture, «aucun extra évidemment, pas de loisirs ni de sorties». Il compte à l’euro près.

Pour M’baye, un sénégalais de 22 ans en première année d’économie, «le budget pour manger est de 30 € par mois. De quoi acheter un grand sac de riz de 10 kg, mais jamais dans les grandes enseignes. Bien trop chères.» En revanche, il peut appeler ses amis, qui lui viennent en aide en cas de besoin. L’un d’eux, Mustafa, Sénégalais comme M’baye, raconte qu’à son arrivée en France il y a cinq ans, «c’était semoule ramenée du Sénégal avec un peu d’eau chaude». Ce fut son seul repas pendant plusieurs mois. Maintenant, il apporte son soutien à ceux qui arrivent en France comme lui, démunis.

Reste le cas de Brahim et Anouar, étudiants de Master. Tous deux ont été dirigés vers le Secours populaire par les services du Crous. «J’avais prévu un budget pour cette année, mais il est déjà épuisé», explique Brahim. Arrivé d’Algérie au début de l’année, il s’est contenté de vivre avec 15 € par mois pendant près de six mois. «Si je viens au Secours populaire, c’est que je n’ai plus d’autres solutions», avoue-t-il pudiquement. C’est sa première visite.

Anouar, de son côté, aborde sa situation avec philosophie. «De toute façon, c’est la crise». Installé en France depuis deux ans, il a travaillé pour financer ses études mais cette année, «il n’y a plus de boulot». Avec 300 € de budget mensuel, l’aide alimentaire du Secours populaire lui permet d’envisager son quotidien avec plus de sérénité.

Le logement, autre soucis du quotidien

La ville de Montpellier totalise 7 000 logements sur le parc locatif universitaire, pour 60 000 étudiants issus des trois campus. Le loyer moyen d’un studio dans le privé se situe entre 360 €, et 400 €. Des prix onéreux pour la plupart des étudiants qui connaissent parfois des difficultés à se loger.

r1156768294.jpgA 22 ans, M’baye, Sénégalais en première année d’économie, en sait quelque chose. «Je vis avec un ami qui possède une chambre en résidence universitaire. Un petit 18m2 pour deux, c’est mieux que rien.»
Pour un étranger, accéder à un logement universitaire, «c’est la galère». Pas d’accession en « cité U » avant le Master et de nombreux papiers à fournir pour justifier de la solvabilité de l’étudiant : titre de séjour en règle, justificatifs des comptes avec au minimum 472 € de revenus par mois…

Les étudiants étrangers ne sont pas les seuls à pâtir d’une situation financière précaire. Pour Teddy, étudiant français de 27 ans en reprise d’études – il passe un diplôme d’accès aux études universitaires, le quotidien n’est pas simple non plus. «Je suis en fin de droit pour les indemnités chômage.» Il vit en couple, ce qui le sauve. Son propriétaire ne connaît pas sa situation. «Il ne m’aurait pas loué le logement. En plus, je n’ai pas de garants. Mes parents connaissent des difficultés pires que les miennes».

Rencontré également au détour de la fac, Max, un squatteur. «Depuis quelque temps, nous logeons à plusieurs dans un squat. Pour ne pas nous faire expulser le 15 mars, à la fin de la trêve hivernale, nous avons pris un abonnement EDF.» Max s’oppose pourtant à montrer «sa piaule». «Nous préférons rester discrets. On court toujours le risque de voir débarquer les flics.»