Une moissonneuse, un sécateur, une cisaille… bref, un boucher du football. Digne des plus grands, (Materazzi, Heinze, Rool), Francis Llacer aura touché des crampons bien plus de chevilles que de ballons dans sa carrière. Un accro de la biscotte, du « ptit jaune » : un Mozart du tacle.
Un sourire narquois et moqueur. Le natif de Lagny-sur-Marne vient de prendre un carton. C’est sa spécialité. 90 minutes sur le terrain, connaît pas. Quand Llacer est titulaire, il voit rouge avant le coup de sifflet final. Quand il rentre dans les arrêts de jeu, il finit en jaune. Exemplaire, intemporel, nonchalant et sans style, c’est un pied carré de haut vol. Pourtant ce terroriste des terrains laisse un palmarès envié, achevé par un Ballon de Plomb, antithèse du Ballon d’Or, « trophée le moins prestigieux du football européen » pour lequel les internautes votent sur « les choix de carrière ridicules, la nullité intrinsèque et l’attitude personnelle déplorable ».
Il les accumule. Aujourd’hui renommé officieusement « Trophée Francis Llacer », le Ballon de plomb des Cahiers du Foot synthétise dans ses critères aussi bien l’homme que le joueur.
Des choix de carrière énigmatiques
Le petit blond de la banlieue parisienne naît avec un handicap majeur pour qui rêve de devenir joueur de football professionnel : il veut jouer au Paris-Saint-Germain. A force d’abnégation, de sacrifices et d’heures à peaufiner ses tacles haut dans son jardin, « Cisco » entre brillamment au centre de formation du club de la capitale. Résultat, il est promu capitaine de la réserve et sélectionné en équipe de France espoir. 1991, un aboutissement. Le boucher de Lagny devient pro. Un miracle surgit de nulle part en 1993 : aussi improbable qu’un nouveau trophée pour l’OM, Francis marque un but de génie. Non pas un tacle en pleine lucarne mais bel et bien une reprise de volée zidanesque de trente mètres en plein dans la lucarne opposée d’un Richard Dutruel déconcerté.
La suite de sa carrière sera grotesque. Quand son mentor Luis Fernandez, adepte des kamikazes du rectangle vert, quitte le PSG. Llacer est orphelin d’un homme qui l’a toujours compris. Désœuvré, il part se blesser à Strasbourg puis revient à Paris où les plus bourrins des ultras sont aux anges de revoir les chef-d’œuvres de Maître Llacer. Deux ans sous les couleurs parisiennes, puis l’envie de faire découvrir son art à d’autres contrées l’envoie, inexplicablement, à Saint-Étienne. Sa réputation le précède, il connaît l’euphorie d’être pris en grippe par les hommes en noir. Il s’exile en D2, direction Montpellier. Luis attaque et rapplique. Un ptit tour en TGV et retour au Parc des Princes. Nouvelle énigme. Pourquoi rapatrier le blondinet quand on a Heinze et Pochetinno ? La concurrence au niveau de la « rigueur » défensive atteint un niveau rarement égalé. Mais son histoire d’amour à Paris s’achève brutalement. Une finale de coupe perdue contre Auxerre, en grande partie à cause de lui. Un Fernandez plus en odeur de sainteté et des magouilles financières l’entraînent. Licencié pour faute grave, c’est ça la légende Llacer. Une retraite en queue de poisson pour ce mangeur invétéré de biscottes.
La nullité intrinsèque
C’est bien simple, de la technique, Francis Llacer n’en a pas. Un pur produit de la formation « made in Camps des Loges ». Pour lui, un contrôle s’effectue avec le tibia, une passe, avec une péripatéticienne. Hormis son but « d’anthologie » contre Dutruel, le football « franciscain » se jouait parallèle au sol, la gueule dans l’herbe et les crampons dans l’adversaire. Sa palette technique défensive large (intox’, coups de coude, tacles par derrière, tacles décollés, hauts, à la gorge, jeu dangereux …), très tôt détectée, a été vite récompensée par ses entraîneurs parisiens (tous élevés au culte de Schumacher – et du tacle « hauteur du visage » sur Batiston- que le petit Francis tente de copier). Il a pu étaler sa classe sur pas moins de treize « clasicos » contre l’OM, à l’époque où foot et pugilat se mélangeaient dans les travées du Vélodrome ou du Parc des Princes. Tout en poésie. Aussi surprenant soit-il : Cisco ne s’est jamais fait exclure d’une seule de ces rencontres.
Statistiquement, sa plus belle saison restera sa saison montpelliéraine (2000/2001) : 19 matches joués, 10 cartons jaunes, 2 cartons rouges. On n’est pas loin de chiffres à la Cyril Rool, dieu du ramassage de cartons. Comment parler de la nullité intrinsèque de ce latéral droit sans mentionner sa spécialité balle au pied : le but contre son camp. Elevé au rang d’art tout autant que le carton rouge ou la blessure du joueur adverse. Poétique on vous dit.
Viré du PSG pour usage de faux
Au cours de sa dernière saison pro, Llacer fait de rares apparitions, toujours dans les cinq dernières minutes. Le temps de taillader un tibia, prendre son carton et faire plaisir aux ultras. Parallèlement, son club de toujours connait quelques soucis financiers et judiciaires. Ni une ni deux. Paris a son bouc-émissaire : licenciement pour faute grave, accusé de faux et d’usage de faux. L’homme, si prompt à assumer ses attentats sur le terrain, réagit en seigneur. Pour seule et unique réponse à des questions plutôt embarrassantes, Cisco montre son postérieur à la sortie du Camps des Loges ! Quelle répartie.
C’est bien cela, la légende, violente, saugrenue et caricaturale de Francis Llacer.
Llacer parmi ses compères de l’Ordre des Bouchers