La France est le pays des Droits de l’Homme. Pourtant, tous les jours, des citoyens sont victimes de propos racistes, de discriminations dans l’emploi, dans les logements, dans leurs recherches de stage. Pire, des élus de la République s’illustrent de plus en plus dans ce qu’on considère comme de simples dérapages, mais qui stigmatisent encore plus certaines populations. Et cela dans l’impunité totale.
Lilian Thuram était l’invité de Sauramps, jeudi 18 février 2010. Très attendu par les Montpelliérains venus en masse, le grand champion de 98 est venu présenter « Mes étoiles noires. De Lucy à Barack Obama », appel à la tolérance aux airs d’héritage pour les générations futures. Hautcourant est allé à la rencontre de cette étoile au grand cœur…
Pour tous, Lilian Thuram est celui qui a envoyé la France en finale lors de la Coupe du Monde de football 1998, avec ses deux buts contre la Croatie. Mais Thuram, c’est bien plus que cela. C’est une cause, un combat. Il mène depuis des années une lutte contre le racisme. Une lutte que l’on peut mener grâce à une meilleure éducation. Membre du Haut conseil à l’intégration, il est aussi membre et parrain du collectif « Devoirs de Mémoires ». Il créé une fondation à son nom, dont l’objectif est clair : pour lutter contre le racisme, il faut éduquer. Dans la lignée, il vient de publier Mes étoiles noires où il dresse le portrait d’une quarantaine d’hommes et de femmes noirs.
La lutte contre le racisme et la discrimination, une nécessité
Pourquoi ce combat ?
C’est l’histoire d’une vie. Né en en Guadeloupe, j’arrive dans la région parisienne à l’âge de 9 ans. Très rapidement, je constate que la simple couleur de ma peau pouvait être chargée d’une connotation négative. A l’époque, il y avait un dessin-animé qui s’appelait « La noiraude », l’histoire d’une vache. Certains de mes camarades m’appelaient « La noiraude ». Je me suis posé des questions : pourquoi ma couleur était chargée de façon négative ? Personne ne pouvait me répondre. J’ai donc essayé de comprendre le pourquoi des choses.
Un jour, à l’école, l’on m’a appris que l’histoire du peuple noir commençait par l’esclavage. Je me suis alors demandé ce qu’il faisait avant. Tout au long de mon cursus scolaire, je n’ai rencontré aucun autre personnage noir qui aurait pu casser cette image.
En grandissant, j’ai pu rencontrer des historiens, des sociologues, des égyptologues qui ont nourri ma curiosité et qui m’ont amené à connaître des personnalités noires. Ils m’ont appris à comprendre l’Histoire de façon différente. Par exemple, l’histoire de l’esclavage n’est pas une confrontation entre Noirs et Blancs, c’est un système économique où une minorité profite d’une grande majorité. Cela m’a permis de ne pas tomber dans une certaine victimisation. Il faut éviter cela. Si l’on se considère être victime d’une société, on cherche des coupables et on entre dans un cercle infernal, sans fin.
Pour lutter contre le racisme, il faut que l’on arrive à s’imaginer une classe où en apprenant Jean de la Fontaine, la maîtresse dit que ce dernier s’est inspiré d’Esope, un Noir nubien. Rien que dire cela, développe l’imaginaire des enfants qui va changer. Le racisme naît dans la question : comment je vais m’imaginer l’autre ?
Comment devient-on raciste ?
Personne ne naît raciste. On le devient. Dans nos sociétés, des messages sont véhiculés de façon inconsciente. Avec ma fondation, j’ai la chance d’aller dans les écoles rencontrer les enfants. Je m’amuse avec eux, je leur demande : « quelles races connaissez-vous ? » Ils me répondent : « la blanche, la noire, la jaune, la rouge ». Je leur demande alors, pour rigoler, s’ils n’ont pas oublié la verte ? Ensuite, je leur demande quelles sont les qualités des Noirs ? Ils me répondent qu’ils courent bien, qu’ils chantent bien, qu’ils dansent bien… On voit donc que dans l’imaginaire des enfants la problématique du racisme est de croire que les races existent. Je pense qu’en 2010, on devrait savoir qu’il n’y a qu’une seule espèce : l’homo sapiens. Or, les enfants déterminent les différentes races par la couleur de peau, comme le faisaient les scientifiques du XIX siècle.
Dans notre société, il y a un fort préjugé raciste : les Noirs sont les plus forts en sport. Naturellement, lorsque les enfants me voient ou regardent l’ensemble des sportifs, cela valide ce que pense l’inconscient collectif. Il faut alors leur donner des personnages qui casseraient cet imaginaire.
Pour la sortie de mon livre, j’ai fait faire un sondage. Il en ressort que pour 80% de la population, lorsqu’elle entend parler du peuple noir c’est par l’esclavage, la colonisation, l’apartheid. Donc, forcément, ça joue dans l’inconscient collectif. Il faut enrichir notre imagination par la connaissance qui va faire tomber les préjugés.
Comment combattre le racisme ?
Il faut sortir des prisons dans laquelle nous nous sommes enfermés. En 2010, on peut en parler tranquillement. On pense que parler de racisme, c’est tabou. S’il y a une minorité visible, cela veut dire qu’il y a une majorité invisible. On se voit comme les autres qui nous enferment dans une logique de couleur. C’est sur toutes ces thématiques qu’il faut réfléchir. Mais, sans culpabiliser personne. Avec mon livre, les gens me disent « j’ai honte, je ne connaissais pas cette histoire…« . Il ne faut pas avoir honte de ne pas connaître cette histoire, on n’a pas été éduqué à connaître cette histoire. L’importance, aujourd’hui, est d’apprendre cette histoire, de véhiculer cette histoire, pour savoir si elle peut faire tomber les préjugés. Nous sommes une génération qui doit réfléchir sur cette question.
La fondation Lilian Thuram : éducation contre le racisme
La fondation a une naissance un peu particulière. J’étais en Espagne, chez le Consul de Barcelone. J’étais assis à côté d’un monsieur qui me demande : « que voulez-vous faire après le football ? » En rigolant, je lui réponds : « changer le monde ». Alors, il me dit : « jeune homme, on ne change pas le monde ». Je lui explique vouloir travailler autour du racisme. Il me souhaite alors bon courage : « vous aurez du travail ! » Quinze jours après, je reçois un coup de téléphone. Ce monsieur me dit : « vous m’avez convaincu. Je pense que vous n’êtes pas si fou que ça. » Il me conseille de mettre en place une fondation. C’est ainsi qu’elle est née.
Quelles actions menez-vous ?
Sa première action : ce livre. Puis, actuellement, nous mettons en place un outil pédagogique pour la rentrée 2010. Il est destiné aux professeurs de CM1/CM2 et parle du racisme, de discrimination. De même, nous travaillons à une exposition avec le Quai Branly (ndlr, sur le thème « Exhibitions, zoos humains »). En 1931, s’est déroulée l’exposition universelle à Paris. Il faut savoir qu’à cette date, la majorité de la population française a connu les populations venant d’Afrique, d’Asie et d’Amérique, par le biais de zoos. Par exemple, la famille de Christian Karembeu était dans ces zoos, avec l’inscription « cannibales venant de Nouvelle Calédonie ». Par cette exposition, nous voulons comprendre comment s’est construit le regard sur l’autre.
Avec la fondation, nous essayons donc de travailler sur le regard de l’autre, et déconstruire nos imaginaires. Nous essayons d’apporter de la connaissance pour dépasser les croyances. Notre travail vise les plus jeunes. Ils sont plus réceptifs, moins conditionnés. Nous sommes tous conditionnés et il est difficile de s’échapper de sa propre éducation. J’espère que la fondation pourra faire son travail… Et, si l’on n’y arrive pas, on aura essayé.
Mes étoiles noires. De Lucy à Barack Obama.
Dans Mes étoiles noires, vous évoquez 45 figures. Pouvez-vous nous en présentez quelques-unes ? Commençons par deux étoiles haïtiennes : Toussaint-Louverture et Jean-Jacques Dessalines, pères de la lutte contre l’esclavage et héros de l’indépendance de ce pays…
Dans l’histoire d’Haïti, avec Toussaint-Louverture, c’est la première fois que des esclaves arrivent à renverser le système en place. De tout temps, il y avait du marronnage : l’esclave s’enfuyait et essayait de déstabiliser le pouvoir en place. Sans réussite. Toussaint-Louverture a réussi. Il a remis en cause tout un système esclavagiste, dirigé par les intérêts. Haïti en a payé le prix. Napoléon a tout fait pour réinstaurer l’esclavage. Toussaint-Louverture a été important pour moi, dans le sens où l’on considère ces personnages comme des personnes ayant lutté pour les Noirs, alors qu’ils ont simplement lutté pour la Justice. Toussaint-Louverture a fini sa vie en France, dans le Jura. Napoléon a fait en sorte qu’il ne reste pas cette lumière, ce phare pour la liberté. Dessalines a repris le flambeau, pour que Haïti soit libre.
Il existe une certaine méconnaissance de l’Histoire. Pendant le tremblement de terre et les jours qui ont suivi, la malédiction d’Haïti était sans cesse évoquée. Comme si les dieux tombaient sur l’île. Or, en règle générale, la malédiction de ces pays, c’est la pauvreté. Il faut savoir pourquoi Haïti est devenue pauvre. Pendant très longtemps, elle était la colonie qui rapportait le plus d’argent à la France. Mais, pour être indépendante, l’île a du payer une forte somme d’argent. C’est l’une des raisons pour lesquelles, elle n’a jamais pu avoir une certaine stabilité.
Après, il y a un certain nombre d’enjeux économiques derrière la misère des pays que l’on couvre. Par exemple, le Congo est un pays dont on n’entend pas trop parler. Pourtant, depuis plusieurs dizaines d’années, il y a des milliers de morts…
Vous évoquez la figure de Joseph Anténor Firmin, anthropologue, auteur de l’Égalité des Races. Pourquoi l’avoir choisi ?
Il a un rôle fondamental dans la réflexion sur le racisme scientifique. Tous les autres scientifiques autour de lui fondaient des hiérarchies de races, et établissaient que la race noire était inférieure. Et lui, haïtien, avec son ouvrage Égalité des Races, arrive. Il fait ainsi contre-pied à celui de Gobineau : Essai sur l’inégalité des races humaines. Il démontre qu’il n’y a pas d’inégalité des races, si race il y a. Il ne peut être juge et parti, et son livre passe inaperçu. Un ouvrage de l’Abbé Grégoire explique que le fait de dire que le Noir n’a pas d’âme est une bêtise.
Dans Mes étoiles noires, vous refusez l’opposition « violence/non violence » entre Malcom X et Martin Luther King et vous les incluez tous deux parmi vos étoiles. Pourquoi ?
J’ai une histoire particulière avec Malcom X. Je voulais appeler l’un de mes fils Malcom et ma famille m’a dit : « non, ce n’est pas possible, Malcom est un violent ». Ma maman surtout. Alors, mon fils ne s’appelle pas Malcom.
Plus sérieusement, nous avons tous une image de Malcom X comme quelqu’un de très violent. Né pendant la ségrégation, ce petit garçon a perdu ses oncles, et probablement son père, par le Ku Kux Klan. Sa mère tombe dans une certaine folie. C’est un départ dans la vie un peu difficile, pour ne pas tomber dans une certaine violence, dans un certain racisme envers la société qui l’opprime. Ce jeune garçon devient délinquant, finit en prison. Là, il y rencontre la lecture, la connaissance. Il s’apaise. Quand il sort de prison, il est avec les Black Muslims, un autre mouvement radical. Il continue cependant à s’éduquer. Un jour, lors d’un voyage hors des États-Unis, il voit qu’il existe d’autres choses ailleurs. En revenant, il se dit : « en fait, l’on peut travailler tous ensemble. Peu importe la couleur et la religion ». Il a compris que le vrai problème était l’injustice sociale. Ainsi, sur la fin de sa vie, Malcom X sort de la problématique des couleurs pour combattre l’injustice sociale. C’est pour cela que c’est l’une de mes étoiles. L’ensemble de mes personnages changent, à un moment de leur vie, parce qu’ils ont accès à la culture et à l’éducation.
Quel est votre rapport à Aimé Césaire ?
J’ai rencontré son livre, Discours sur le colonialisme, ses poèmes. C’est quelqu’un qui donne une réflexion intéressante sur le colonialisme, qui donne la parole aux colonisés. Évidemment, il a inventé cette notion de la négritude. Souvent, les gens s’arrêtent à « nègre » dans négritude. Alors que la négritude c’est : donner la parole aux opprimés.
J’ai eu la chance de pouvoir aller à l’enterrement d’Aimé Césaire. Pour me recueillir. C’était, pour moi, quelqu’un de très très important. Il nous fait avoir une autre vision des choses. Aimé Césaire me fait penser à quelqu’un est extrêmement important pour moi : Frantz Fanon. Ce dernier est celui qui arrive à expliquer la problématique des couleurs de peau. Il montre notamment comment la société antillaise a reproduit le racisme. On disait aux gens de la génération de ma maman qu’il était préférable de se marier avec un blanc pour que l’enfant soit plus clair de peau. On les appelait les « peaux chapées ». Fanon l’explique très bien, et ça j’en ai discuté avec maman, donc c’est vrai… Celui qui était plus clair de peau était mieux vu que celui qui était plus foncé, même au sein d’une famille. La société antillaise doit avoir une réflexion pour s’accepter. Par exemple, au niveau de la langue, le créole est dénigré. Dénigrer sa langue, c’est se dénigrer soi-même.
Nombreux sont vos personnages à être croyants, qu’est-ce que la religion pour vous ?
Je suis surpris que l’on n’accepte pas la religion de l’autre. Pour moi, la religion aide à accepter l’idée de la mort, à rendre la mort acceptable. On ne peut pas dire à quelqu’un : « ta façon d’accepter la mort n’est pas la bonne ». Comment rendre la mort acceptable ? Cette question est, pour moi, l’une des deux les plus fondamentales. La seconde étant : comment rendre la vie la plus vivable possible ? Et cela passe par la religion, et c’est pour cela qu’il faut respecter la religion de l’autre.
Il faut avoir une vraie réflexion sur : comment créer une société où il y a une plus grande fraternité ? C’est dépasser le problème racial. J’ai fait faire un sondage et il y a encore 55% des personnes en France pensent qu’il y a plusieurs races. Pour sortir de ces problématiques de couleur, il faut en parler tranquillement. Pourquoi multiculturel ? De nombreuses personnes ne comprennent pas que nos sociétés sont en mouvement. Nos identités sont en constante évolution. Cet appel, c’est créer une réflexion sur une société multiculturelle et post-raciale pour comprendre comment créer des liens pour que l’on puisse vivre ensemble. Il faut éduquer nos enfants à ouvrir leurs horizons et accepter l’autre.
Dans le cadre de la sortie de son nouveau livre, « L’assassinat raté de Georges Frêche » (Editions Singulières), Alain Rollat, ancien journaliste au Monde et fondateur de La Gazette de Sète, revient sur ce qu’il appelle un « cas d’école ». Deux ans après l’affaire dite des « sous-hommes », l’auteur décrypte les rouages de la machine médiatique qui selon lui se serait emballée contre le président de la région Languedoc Roussillon. Après le scandale des «Blacks de l’équipe de France», ce sont ces deux « affaires » qui l’ont « décidé à opérer sur Georges Frêche un arrêt sur image, (…), comprendre comment ce notable auréolé par ses œuvres montpelliéraines avait pu devenir ce despote taxé de racisme dont la plupart des médias véhiculaient l’image. »
A quelques jours de la sortie officielle de son ouvrage (prévue pour le 21 février 2008) que nous avons pu nous procurer, Alain Rollat nous a accordé un entretien exclusif.
Avant d’aborder le sujet du livre, Alain Rollat revient sur le rachat du groupe des Journaux du Midi et la responsabilité du Groupe Le Monde dans cette affaire. Alain Rollat a propos du Midi Libre
Hautcourant : Pourquoi ce livre ?
Alain Rollat : Pour opposer mon objection déontologique à l’équation aberrante selon laquelle Frêche serait assimilable à Le Pen. L’idée que je me fais du journalisme m’a conduit à démontrer l’absurdité de cette fausse symétrie. Je me suis attelé au décryptage de cette image mensongère parce que personne, visiblement, n’avait envie de le faire. J’ai cherché à comprendre pourquoi et j’ai démonté un mécanisme médiatique prouvant que l’addition de demi-vérités ne fait pas toujours une somme véridique.
Vous comparez le cas de Georges Frêche avec la vindicte roumaine, avec le massacre d’Ouvéa et les prisonniers israéliens. N’est-ce pas là une façon de créer de l’émotion avec Frêche que de comparer des scandales d’Etat, des prises d’otage, des exécutions sommaires de tyrans, des manipulations dramatiques, avec la vindicte dont est victime un seul homme et seulement pour des mots ?
Attention aux raccourcis trompeurs ! Le cas Frêche me paraît un cas d’école, en matière de traitement de l’information, parce qu’il prouve que l’addition de bouts de vérité ne fait pas toujours une vérité vraie. Quand je me réfère au syndrome de Timisoara je le fais pour renvoyer à un phénomène identifié : le refus, parfois observé chez les médias, de sortir de l’erreur collective consécutive à un emballement irrationnel. Quand je rappelle certaines des folles rumeurs colportées en Nouvelle-Calédonie dans la période où je « couvrais » ce sujet pour Le Monde, je le fais pour illustrer le complexe de Sem et Japhet exposé dans la Bible : le refus de voir la réalité en face comme les fils de Noé refusaient le spectacle de leur père ivre…Je ne recherche aucun effet émotionnel, je m’inscris dans une méthodologie qui m’oblige à préciser quels instruments j’utilise pour ma démonstration. Les comparaisons auxquelles je procède ont justement pour but de montrer qu’en politique le mot ne suffit pas à faire l’homme. Chez Frêche, l’emploi du mot « sous-hommes » présentait toutes les apparences du racisme mais cela n’autorisait pas à conclure que Frêche était raciste. Quand le journalisme se fait sommaire il n’est plus digne de ce nom.
Votre ouvrage paraît inattaquable sur le fond, vous démontez l’engrenage dans lequel Georges Frêche a été pris. Dans ce cas pensez-vous qu’il existe des vérités de fait absolues qui ne souffrent pas la contradiction ?
Les vérités de fait n’étant que des vérités « modestes », selon le qualificatif d’Hannah Arendt, elles ne sauraient être absolues. Les vérités journalistiques ne sont pas des vérités scientifiques. C’est justement pour cela que les règles déontologiques du journalisme préfèrent les notions d’intégrité et d’honnêteté intellectuelle au critère prétentieux de l’objectivité qui n’est que l’horizon à atteindre…
A propos de l’affaire des harkis, et sans avoir à préjuger de l’antiracisme de Frêche, est-il acceptable qu’un homme politique puisse utiliser en public de tels termes teintés de populisme ? Cela vaut aussi pour l’affaire des Blacks dans l’équipe de France ?
Non, aucun homme politique ne saurait être exonéré de ses écarts de langage. Populisme rime avec démagogie. Mais, en démocratie, c’est au citoyen qu’il appartient d’être vigilant. On a les élus qu’on mérite.
Avec cette affaire, Georges Frêche n’est-il pas dans la situation de l’arroseur arrosé et n’a-t-il pas suscité les réactions que l’on sait dans la mesure où, le matin même, à une inauguration du tramway, il avait justement déjà estimé que les harkis étaient « les cocus de l’UMP » ?
Oui, vous avez raison. A force de verser dans la violence verbale Georges Frêche a subi un retour de manivelle qui a coalisé contre lui, chez ses adversaires, comme chez certains de ses propres amis, ainsi que chez les journalistes locaux, tous ceux qui ne supportaient plus ses excès de langage. Ceux-là ont été ravis de le voir puni par là où il avait péché…De là à écrire « Frêche = Le Pen »… Les journalistes qui ont franchi ce pas ont manqué à toute retenue, et surtout à leur devoir d’information véridique.
A propos des malheurs de Frêche avec la Septimanie, l’An I de la gratuité, le Midi Libre se défendait des attaques du président de la région en arguant que le quotidien faisait son travail. Les articles étaient tous négatifs selon vous. Est-ce que Midi Libre avait un parti pris ou a fait preuve de négligence ?
Le rachat du groupe des Journaux du Midi, laisse à craindre, selon Alain Rollat un « appauvrissement du contenu rédactionnel« .
La défense de Midi Libre aurait été plus crédible si le quotidien régional s’était montré équitable. En montant en épingle tout ce qui apparaissait en négatif dans le bilan régional de Frêche, à l’automne 2005, sans publier en regard tout ce qui pouvait apparaître en positif, Midi Libre a donné le bâton pour se faire battre. Frêche y a vu une volonté de lui nuire, il a déclenché des représailles en privant le journal d’une partie de ses recettes publicitaires, puis ce contentieux a dégénéré quand l’affaire des « sous-hommes » a éclaté, en février 2006. A ce moment là Midi Libre a réglé ses comptes avec Frêche dans tous les sens du terme. Il a préféré la loi du talion à celle de l’information, ce n’était plus du journalisme mais une vulgaire empoignade.
Vous parlez des relations entre le président de la région et le Midi Libre qui sont houleuses. Le Midi Libre n’a-t-il que des torts ? Dans son rapport aux médias Frêche n’utilise-t-il pas des moyens de pression ?
Non, tous les torts ne sont pas du côté de Midi Libre. Georges Frêche a fait de ses rapports avec la presse des rapports de force et dans ce genre de situation la vie est difficile pour tout le monde. Le traitement de l’information en subit fatalement des conséquences et c’est dommage.
Dans la lutte des quotidiens régionaux ou locaux La Gazette est souvent taxée de « frêchiste ». Est-ce avéré ? Et cela n’est-il pas de nature à créer un système médiatique binaire ?
La Gazette de Montpellier s’est construite, depuis 1987, en opposition culturelle au contenu de Midi Libre qui était alors en situation de monopole. Et il vaut toujours mieux, où que ce soit, disposer de deux journaux plutôt que d’un seul. L’information des Montpelliérains y a trouvé son compte. Georges Frêche, dont les relations avec Midi Libre ont toujours été tumultueuses, a naturellement tiré profit de ce pluralisme mais le contenu de La Gazette a toujours été équilibré. Je veux dire que si son fondateur, Pierre Serre, ne fait pas mystère de ses convictions de gauche, ni de sa sympathie personnelle pour Georges Frêche, le contenu de son hebdomadaire n’est pas, pour autant, celui d’un journal militant ou celui d’un journal inféodé. Frêche n’y est pas épargné quand il mérite d’être épinglé. Le succès spectaculaire de La Gazette prouve, me semble-t-il, que, à Montpellier, les citoyens apprécient beaucoup la diversité que leur garantit ce système binaire en matière d’information, sans oublier la contribution satirique de « L’Agglo-rieuse »…
Après les deux livres de Delacroix et Maoudj votre ouvrage a-t-il vocation à servir de synthèse ou à faire pencher la balance ?
Mon livre n’est ni un pamphlet ni un dithyrambe. Je ne suis plus, depuis très longtemps, en recherche de vocation. Si ma démonstration pouvait faire réfléchir certains de mes jeunes confrères à la nécessité de l’humilité dans la pratique de notre métier – et parfois au devoir de dire « non » à son propre employeur- j’en serais le plus heureux des vieux crabes…
Frêche a-t-il encore un avenir politique (région ou ministère) ?
Il ne sera jamais ministre et il le sait. C’est trop tard. Quel chef de gouvernement prendrait d’ailleurs le risque de sa « grande gueule » ? Georges Frêche aspire à finir sa carrière au Sénat et à exercer un second mandat à la présidence de notre région. Je lui souhaite de sortir de la vie politique par cette grande porte car il mérite mieux que l’image qu’il donne trop souvent de lui-même.
Montpellier est-elle encore aujourd’hui une « surdouée » ?
Le fait d’avoir été surdouée ne l’empêche pas de vieillir mais je trouve que c’est une ville qui vieillit bien parce que sa population a conscience que c’est une chance de vivre à Montpellier.
Etes-vous devenu «frêchiste» ?
Le journalisme politique, tel que je le conçois, interdit la connivence. Il impose, au contraire, la prise de distance maximale vis-à-vis du « sujet » à observer. Mon regard est celui de l’entomologiste. Frêche m’intéresse parce qu’il est un « spécimen » peu commun dans le paysage politique. J’ai longtemps observé le fonctionnement de Georges Pompidou sans devenir pompidolien, puis celui de Valéry Giscard d’Estaing sans devenir giscardien, puis celui de François Mitterrand sans devenir mitterrandolâtre. Je suis allergique aux étiquettes. Je n’étais pas frêchiste et ne le suis pas devenu. Je tiens trop à ma liberté d’expression pour l’aliéner.