Se convertir au bio, de la vigne à la bouteille

Surveillance accrue du vignoble, intrants réglementés et coûts supplémentaires… voyage dans le quotidien des vignerons confrontés aux contraintes de la production bio.

« En conversion, on est contrôlé dans les vignes et dans la cave par un organisme de certification une à deux fois par an » assure Armelle Quartironi, propriétaire du Domaine viticole des Pradels à Saint-Chinian, dans l’Hérault. Tel un artisan, le vigneron doit façonner le vin à son image, tout en respectant scrupuleusement le règlement européen (203/2012) sur la vinification bio entré en vigueur le 1er août 2012. De la viticulture à la mise en bouteille, c’est tout le processus de production qui est soumis à certification. Charge de travail conséquente, tâches davantage mécaniques… produire du vin bio n’est pas sans conséquence sur la méthodologie de travail de ces artisans de la vigne. Sur ses terres à arpenter le vignoble ou dans la cave pour accompagner le vin à maturité, quel quotidien pour le vigneron converti au bio ?

« Nous devons en permanence être à l’écoute de la vigne »

Les désherbants en viticulture bio tout comme les OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) en agriculture biologique ne sont pas autorisés ! Pour pallier cette interdiction, les vignerons n’ont pas d’autre choix que de « passer plus de temps dans les vignes », confesse la vigneronne du domaine des Pradels. photo_intercep_rotatif.jpgLa solution pour entretenir les vignobles est uniquement « mécanique », précise-t-elle. À la main quand « il faut tailler, arracher » ou à l’aide d’outils comme les interceps montés sur tracteur pour se « débarrasser des ronces » explique Armelle Quartironi, tout en précisant : « La vigilance est de mise pour ne pas abîmer les pieds de vigne. »

Pour entretenir la fertilité de la vigne « on utilise des engrais organiques naturels achetés à des fournisseurs et conformes à la réglementation européenne bio » précise la vigneronne. Mais pas seulement. D’autres pratiques existent et sont utilisées au domaine des Pradels : l’ébourgeonnage et l’épamprage (lire encadré). Méthodes efficaces pour réguler les rendements et se prémunir des maladies en supprimant les pousses indésirables. Elles évitent les moisissures. photo_decavaillonneuse.jpg Ces techniques requièrent une grande expérience et maîtrise de la part du vigneron, car « il ne faut pas une vigueur excessive pour les vignes » prévient Armelle Quartironi. Produire du vin bio, c’est arpenter le vignoble sans compter les heures passées, guettant le moindre signe de déséquilibre ou d’infection. Rien ne doit échapper à l’œil averti du vigneron sous peine de compromettre sa récolte. « Nous devons en permanence être à l’écoute de la vigne, contrôler la météo quotidiennement. Le travail de prévention est beaucoup plus conséquent que dans le conventionnel » atteste Jocelyn Saby, œnologue au Domaine Bort à Saint-Christol, dans l’Hérault.
« C’est un investissement humain partagé par toute l’équipe. Nous devons être qualitatif dans notre travail, aérer la vigne pour se prémunir des maladies c’est aussi couper manuellement les grappes de raisin qui se touchent pour limiter les risques de contamination » souligne François Collard, propriétaire du domaine château Mourgues du Grès à Beaucaire, dans le Gard. Le vigneron doit avant tout avoir une parfaite connaissance de son vignoble pour « avoir une vision d’ensemble des parcelles pour un travail d’anticipation efficace » souligne Séverine Lemoine du Domaine La Rocalière à Tavel, dans le Gard.

Bien sûr, le vignoble en bio est tout aussi sensible aux maladies, voire davantage. Les plus fréquentes et les plus connues : le mildiou et l’oïdium. Même si « la région Languedoc-Roussillon est peu exposée à ces maladies » nuance la propriétaire du Domaine des Pradels. Toutefois, car les vignerons ne sont jamais vraiment à l’abri d’une infection bactérienne ou parasitaire, le sulfate de cuivre et le souffre sont autorisés, mais les doses maximales sont réglementées et limitées. Il est donc nécessaire d’utiliser ces produits phytosanitaires « à bon escient et en dernier recours pour ne pas consommer inutilement toute la quantité annuelle autorisée » clarifie l’œnologue ou de « démarrer assez tôt l’utilisation du cuivre et à faible dose, une première application de 200g/ha sans jamais dépasser 4kg/ha sur toute la campagne de protection phytosanitaire » comme le recommande Séverine Lemoine. Pour la vigneronne de Tavel, produire du vin bio c’est « faire du sur mesure dans nos parcelles, un vrai travail artisanal ».

Ultime étape avant la vinification, la récolte du raisin. Et là, aucune différence entre le conventionnel et le bio. En effet, « il n’y a pas de règles imposées, mais dans notre vignoble, nous pratiquons les vendanges à la main ce qui est devenu très rare ! » s’enorgueillit la vigneronne.

« Un vin bio n’est pas un vin sans sulfites »

La vinification en bio demande rigueur et attention : « Le quotidien dans la cave nécessite plus de réactivité, de soins, d’hygiène pour travailler le plus naturellement possible », atteste le vigneron de Beaucaire, même si certains intrants (additifs non présents naturellement dans la culture du raisin) sont autorisés. Le dioxyde de soufre (SO2) ou sulfite est un intrant aux propriétés antibactériennes et antioxydantes. Il est utilisé comme conservateur dans la production du vin. En vinification biologique, le nombre d’intrants est contrôlé et moins important qu’en conventionnel. « Tous les intrants doivent respecter le cahier des charges de l’agriculture biologique », précise l’œnologue Jocelyn Saby. Bien que la dose maximale en sulfites soit réglementée, ce n’est pas très contraignant pour les vignerons : « un vin bio n’est pas un vin sans sulfites. Sur nos anciennes mesures, les doses de sulfites relevées étaient déjà bien inférieures à celles autorisées bien que nous n’étions pas encore en cours de certification bio », rassure Armelle Quartironi. L’œnologue du Domaine Bort tient des propos similaires : « En sulfites, on est deux fois inférieur à la dose limite autorisée et cela ne pose aucun problème pour la conservation du vin. Nos vins se conservent parfaitement bien jusqu’à dix ans. Une dose infime de SO2 suffit amplement ! » Le travail en cave demande surtout « un peu de sulfites à l’encuvage et un travail d’accompagnement tout au long de la vinification pour faire mûrir le vin » relève Séverine Lemoine.

Il est même possible d’aller plus loin et de « produire un vin sans sulfites » certifie Armelle Quartironi, mais la vigneronne de Saint-Chinian « n’est pas techniquement en mesure de le faire ». Et puis dans ce cas « on ne parle plus de vins bio, mais de vins nature et ce n’est pas tout à fait la même chose », déclare-t-elle.

« Produire du vin bio a un coût »

Pour répondre aux exigences de la réglementation européenne bio, les vignerons s’organisent afin de limiter les coûts de production. « La main d’œuvre n’est pas forcément plus conséquente. C’est le temps passé dans les vignes qui l’est », confirme Jocelyn Saby. Et d’ajouter : « On a externalisé certains postes en faisant appel à des entreprises extérieures. » L’investissement dans le matériel est à prendre en compte : « on s’est équipé en outils interceps. Il y a également une certaine forme de suréquipement liée à la nature des sols plus ou moins usants selon qu’ils sont caillouteux ou non » mentionne le vigneron du Domaine des Mourgues du Grès. Armelle Quartironi insiste : « Produire du vin bio a un coût surtout en termes de temps et de bureaucratie, les intrants achetés à des fournisseurs coûtent plus cher également comparés au conventionnel, mais hors de question d’augmenter le prix de la bouteille ! » Le profit ? La rentabilité ? La vigneronne n’en a que faire : « Je n’ai aucune idée du temps que cela va prendre pour amortir les coûts supplémentaires. Je le vois plutôt en termes de préservation de l’environnement et d’image et c’est pour cette raison qu’on a fait les démarches administratives pour la certification bio en 2012. » Et ce n’est pas l’œnologue du Domaine Bort qui va la contredire : « Notre démarche est avant tout écologique. Le label bio, c’est pour l’image et la confiance du consommateur. Ce dernier est rassuré de savoir que notre travail est encadré par des règles strictes et c’est un avantage certain à l’heure des scandales liés à l’agroalimentaire. »
Bio ou conventionnel, pour le passionné et passionnant François Collard c’est toujours « la qualité du raisin qui fait le bon vin ».

Vin bio : une croissance à faire tourner la tête

Rouge ou blanc, le vin bio voit la vie en rose. Un consommateur sur trois en boit régulièrement, et ce n’est qu’un début. Démonstration en tableaux et en témoignages.

frequence_de_consommation_du_vin_bio.jpg Le vin bio n’est plus un marché de niche. Sa vente représente désormais plus de 10 % de celle de l’ensemble des produits alimentaires biologiques en France. Un succès qui repose sur trois facteurs clés, selon une étude menée par Ipsos en 2013 (voir tableau ci-dessous) : la préservation de l’environnement, la notoriété de l’AOC et l’origine (région ou pays de production du vin).

motivation_des_acheteurs.jpg Le critère du prix n’arrive qu’en quatrième position pour le vin bio alors qu’il se situe à la deuxième place pour les vins conventionnels. Le prix du vin bio est, en moyenne, supérieur de 20 % au vin conventionnel (voir tableau ci-dessous). Les Français dépensent généralement un peu plus cher pour une bouteille de vin bio que pour une bouteille de vin conventionnel, que ce soit pour leur propre consommation (8,70 € pour un vin bio contre 6,90 € pour un vin conventionnel) ou pour offrir (15,20 € contre 14 €).

Combien dépensez-vous en moyenne pour l’achat d’une bouteille de vin ?

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Un prix sensiblement plus élevé qui ne décourage pas pour autant les acheteurs, comme ces adeptes du tout biologique. « On trouve notre compte avec les vins bio. On achète des bouteilles à un prix raisonnable, avoisinant les 10 euros. Et nous nous donnons bonne conscience en respectant l’environnement. Il faut noter que la qualité s’est élevée de manière significative depuis quelques années. On peut y boire de très bons coups quand même », assure Éric Martin, 47 ans, chef d’entreprise. « Il est vrai que la qualité générale des premiers vins bio il y a presque dix ans pouvait parfois laisser à désirer », tempère sa femme Christine, 42 ans, employée dans une banque. L’autre raison souvent évoquée est l’attachement à la filière biologique. « Le choix du bio, c’est juste propre à la volonté de chacun. Je vois ça comme quelque chose de louable », souligne Stéphane Chauvin, artisan de 37 ans.

Une demande en hausse

L’engouement pour le vin bio est réel mais rappelons que ces vins se vendent encore assez peu en comparaison aux vins conventionnels. En 2012, la part de consommation des vins bio dans la consommation totale de vins en volume n’était que de 3 %. En pleine croissance, les vins bio bénéficient néanmoins d’une bonne image et sont désormais disponibles dans les grandes surfaces ou à la carte des restaurants.

Amateur éclairé, Philippe Blanchard, 51 ans, cadre commercial, livre son opinion : « Ils ne sont pas meilleurs ou plus mauvais que les autres. Les vins biologiques sont encore méconnus du grand public, même si j’en vois de plus en plus sur les tables des restaurants. Personnellement, si je perçois un bon potentiel pour un vin bio, je suis prêt à mettre le prix. » Mais le vin bio est aussi très prisé par les jeunes et les femmes. Sensible aux arguments écologiques et à la proximité géographique, Quentin Barbot, 21 ans, étudiant en histoire, se sent « proche du terroir. Je perçois le bio comme un sens de partage avec la communauté. J’ai l’impression de me sentir engagé pour défendre une noble cause comme le respect de l’environnement ».

Les femmes représentent aujourd’hui 44 % des consommateurs de vin bio et 62 % d’entre elles déclarent en acheter régulièrement. Des taux bien supérieurs à ceux rencontrés pour le vin classique (du simple au double). Juliette Caillot, 34 ans, assistante administrative, est attachée « au goût d’une terre bien traitée et aux arômes fruités ». « Ces vins se gardent bien et sont présents dans les grandes enseignes. Quand on a plus de choix, on a évidemment plus de facilité à en trouver un bon. Et le bio, c’est un art de vivre », ajoute son amie Sophie Fabre, 31 ans, secrétaire médicale et consommatrice occasionnelle.

Mais le vin bio trouve aussi de farouches réfractaires. « Ce n’est parce que c’est bio que c’est bon. Tout le monde vous dira que c’est surtout le travail du vigneron qui fait un bon vin. Un vin avec des défauts est un vin qui a été mal réalisé », affirme Christophe Da Silva, 44 ans, ouvrier dans le bâtiment. « On n’en fera jamais de grand cru. Je n’éprouve pas de plaisir à en boire. Je dirai même qu’ils sont infâmes », surenchérit Gérard Dupuis, 63 ans, consommateur régulier de vin conventionnel depuis maintenant quarante ans et ancien agriculteur, aujourd’hui à la retraite. « De là à penser que, comme c’est bio, c’est toujours bon pour la santé, je suis perplexe. Il ne faut pas que les gens soient dupes quand même. Les personnes qui consomment du bio ont peut-être une hygiène de vie plus saine mais boivent du vin de piètre qualité », explique Marie-Josée Monnier, 57 ans, actuellement sans emploi.

Vin bio : Et vous, vous faites la différence ?

Comment distinguer un vin bio d’un vin conventionnel à la dégustation ? Pas évident, en dépit de méthodes de cultures pourtant distinctes… Cinq professionnels de la vigne livrent leur verdict. Edifiant.

Il s’invite de plus en plus souvent dans les verres et grignote des parts de marché au vin conventionnel. En jouant la carte nature, le vin biologique cherche à se démarquer des vins traditionnels… Mais les stéréotypes qui collent à la peau de ce breuvage naturel sont nombreux. Une étude réalisée en 2006 par le programme Orwine*, chargé de formuler des propositions pour une règlementation européenne du vin bio, révèle que ce dernier souffre d’une image négative en termes de qualités gustatives, même si cette tendance décroît. Le produit est en revanche perçu comme pur, sain et naturel. Des assertions justifiées ou simple préjugé ? Le vin bio a-t-il vraiment un goût, une saveur particulière ?

« J’ai eu l’impression de retrouver le goût du terroir« 

Philippe Labro, gérant du site de vente en ligne de vin bio « Vin Singulier », se souvient de son appréhension lors des premières dégustations. « Quand j’ai découvert le vin bio, je me suis demandé s’il n’était pas moins bon que le vin traditionnel ». Un a priori qu’il a réussi à dépasser au fil de ses initiations. « Avec le temps, on arrive à déceler un goût particulier, assez typé, mais c’est difficile de mettre un mot dessus. J’ai eu l’impression de retrouver le goût du terroir. C’est ce que j’appelle un vin vrai, par opposition au vin conventionnel stéréotypé, dans le sens où on peut trouver une différence de goût, au contraire des grands domaines où tous les vins ont le même goût ».

« Le cuivre utilisé pour le traitement peut se déposer sur le raisin »

Ancien œnologue, Virgile Joly se montre plus mesuré. Reconverti depuis 2000 dans la culture de vigne bio après avoir créé son propre domaine à Saint-Saturnin-de-Lucian (Hérault), il pose un double regard sur cette supposée différence de goût. « Dans l’absolu, il n’y a aucune raison, même s’il y a des différences liées à des choix d’itinéraire technique. Un vigneron bio va ainsi privilégier un itinéraire avec moins d’interventions. Le vin est typé mais le raisin est le même, insiste le vigneron. Mais en réalité, il y a bien une différence dans le sens où le cuivre utilisé pour le traitement peut se déposer sur le raisin bio et influencer sa fermentation. » En revanche, à techniques identiques, pas de différences notables, selon Virgile Joly : « S’il y a les mêmes raisins et le même processus de vinification, non ce n’est pas décelable. »

« En bouche, il est possible d’évaluer la teneur d’un vin en sulfites« 

Vigneron bio depuis 1984, Jean-Claude Daumond dresse un constat similaire. Pour cet adepte de la première heure, le taux de sulfites, cet addictif chimique à base de soufre utilisé comme conservateur, est un des facteurs susceptible d’influer sur le goût d’un vin. « C’est une question de doses. En conventionnel, la dose légale pour le vin rouge est de 150 mg par litre. En bio elle est à 100, moi j’en mets 50. Les sulfites n’altèrent pas le goût mais peuvent altérer la santé » prévient le sexagénaire. Barre sur le front, brûlures à l’estomac, des maux bien connus des buveurs. En bouche, il est possible d’évaluer la teneur d’un vin en sulfites. Mais pas au point de distinguer un vin bio d’un vin conventionnel. « Dans une dégustation à l’aveugle, je reconnaitrais les sulfites mais pas un vin bio » confesse le viticulteur, basé au Domaine Folle Avoine à Vendargues (Hérault). Une distinction d’autant plus difficile à apprécier que les méthodes de production ont parfois tendance à se rejoindre entre biologique et conventionnel. « Il y a aussi des vignerons non bio qui travaillent avec très peu de sulfites. Difficile de s’y retrouver lors de la dégustation. »

« Un autre phénomène paradoxal : l’utilisation des levures pour la fermentation« 

Philippe Torquebiau, sommelier au restaurant gastronomique « La Maison de la Lozère » à Montpellier, abonde en ce sens. « Un de nos fournisseurs, le Domaine Léon Barral, vinifie sans soufre et là on a vraiment une différence par rapport à un vin conventionnel. Mais la différence de goût, je ne saurais pas la reconnaître. Elle n’est pas vraiment perceptible sauf si on se dirige sur des vins qui respectent davantage de règles de vinification » analyse le sommelier, qui a sous sa responsabilité une cave de 3 000 bouteilles, dont environ 15 % sont exclusivement biologiques. En somme, moins le vigneron intervient, plus le goût s’en ressent. Philippe Torquebiau soulève d’ailleurs un autre phénomène paradoxal : l’utilisation des levures pour la fermentation. « Certains vignerons utilisent celles qui se trouvent directement sur les raisins, mais on peut faire du bio et rajouter des levures fabriquées en laboratoire et uniformisées. » De quoi accentuer la complexité d’un univers déjà marqué par une pluralité de techniques de production.

« Les échantillons analysés avaient une acidité plus élevée que les vins conventionnels« 

Ingénieure agronome, Valérie Pladeau apporte un éclairage bienvenu. Conseillère en œnologie pour l’organisation interprofessionnelle Sud Vin Bio, elle a participé à une étude sur l’aspect gustatif du vin bio dans le Languedoc-Roussillon, en lien avec le programme « Orwine ». Financé par la Commission Européenne, le programme fournit un point de vue analytique sur la saveur effective du breuvage. « A partir d’analyses de laboratoires, on avait noté que les échantillons analysés avaient une acidité plus élevée que les vins conventionnels. » L’acidité, voilà la différence. Mais le consommateur a peu de chances de déceler cette caractéristique car pour le reste, il n’y a pas de convention. Le goût d’un vin bio reste aléatoire, comme le confie Valérie Pladeau : « Tout dépend du processus de vinification que vous allez suivre. Il n’y a pas un style de vin bio et un style conventionnel car il existe beaucoup de possibilités de vinifier. Cette multitude de pratiques va avoir un impact sur la saveur. D’autant plus qu’en bio, certains poussent les pratiques assez loin en bannissant levures ajoutées et sulfites. »

Pas de différence gustative dans la bouche

Le constat est bien que les saveurs du vin bio sont aussi nombreuses que les méthodes de production. Autant dire que la différence n’est pas perceptible dans le verre. D’autant plus que l’appréciation subjective des consommateurs peut faire varier les perceptions. Tous les interlocuteurs contactés ont d’ailleurs confié leur incapacité à reconnaître un vin biologique lors d’une dégustation à l’aveugle. Pour Valérie Pladeau, la question du goût ne se pose même plus. « Aujourd’hui, les vignerons bio sont capables de faire des produits qui gagnent des médailles dans des concours sans distinction de catégorie. » Autre preuve de cette banalisation du bio, sur la carte des vins de la Maison de la Lozère, les vins bio sont mélangés aux autres sans même que leur particularité ne soit mentionnée. Le vin bio, un vin comme un autre ? Plutôt une question d’éthique qu’une affaire de goût.

Jean-Claude, 30 ans de culture bio et toujours la foi

Victime d’une intoxication du foie en 1984, Jean-Claude s’est reconverti dans la culture biologique. À 67 ans, c’est sous l’appellation Folle Avoine qu’il continue, avec son fils, de cultiver ses terres en alliant respect de la nature et tradition. Portrait d’un homme de terroir influencé par le décroissant Pierre Rabhi, entre ascensions du Mont Ventoux à vélo et langage occitan.

« Le fait de tomber malade, ça a été l’élément déclencheur »

À proximité de la départementale 167 qui rallie la bourgade de Vendargues à Montpellier, une cave est taillée dans la pierre et ornée d’un drapeau occitan. À l’intérieur, situé non loin de la cheminée artisanale, un pied de vigne âgé de près de 100 ans. Bienvenue dans la propriété de Jean-Claude, vigneron de 67 ans, qui ne vend que du vin bio depuis 1984. La raison de cette reconversion alors avant-gardiste ? Une intoxication du foie qui a failli lui coûter la vie. « Le fait de tomber malade, ça a été l’élément déclencheur. C’était un produit de la famille des organophosphorés, un insecticide. À l’époque, c’était un produit banal avec lequel on traitait les plantes, c’était normal. Avant de me mettre au bio, j’avais des problèmes aux articulations, des crises d’asthme. Depuis, ma santé s’est améliorée » assure Jean-Claude. Ce fan de Bernard Hinault prépare d’ailleurs sa trentième ascension du Mont Ventoux. « Je fais du vélo depuis 30 ans, environ 5000 kilomètres par an. »

« Je préfère boire mon vin que celui de mes collègues »

Voilà une trentaine d’années, le jeune vigneron nourrissait des interrogations. « À chaque fois que j’utilisais des pesticides, je me demandais comment était-ce possible qu’il faille employer des produits meurtriers pour donner la vie. Quand j’ai voulu franchir le pas du bio, j’ai rencontré quelqu’un de Béziers qui en faisait depuis 1967. J’ai été à des réunions, plusieurs conférences. » Des rencontres qui vont l’inciter à passer en bio. Pour sa santé d’abord, mais aussi pour défendre une idéologie de partage et de respect de la nature. « Si vous voulez, le bio pur n’existe pas. Ne serait-ce qu’avec la pollution de l’air. Seulement, moi je préfère boire mon vin que celui de mes collègues. L’environnement, on ne peut pas le maîtriser. Je pourrais me dire, c’est bon, les nappes sont polluées, l’air est pollué, autant faire comme les autres. Mais non, non, ça ne marche pas comme ça. Si chacun contribuait à faire un peu pour l’environnement, on arriverait à quelque chose. »

« Cela m’a demandé beaucoup de travail, il faut avoir la foi »

Guidé par l’humaniste Pierre Rabhi, Jean-Claude ne produit donc plus que du vin bio, et voudrait même faire apparaître la notion « agriculture non-violente » sur ses bouteilles. Avec son fils, qui s’occupe du démarchage, le vigneron approvisionne avant tout les commerces de proximité, à Montpellier, mais aussi dans l’Aveyron et l’Ardèche. « C’est rare de voir plusieurs générations travailler au même endroit. Je vois tous les collègues de mon âge, ils ont dit à leurs enfants : « ne reste pas dans la vigne, tu ne gagneras pas bien ta vie ». Mais c’est parce qu’ils n’ont pas la passion. Je crois qu’à Vendargues, je dois être le seul dont le fils est resté. »

Une passion qui se caractérise par certains rituels qu’il prend soin de faire perdurer. « Indéniablement, le passage au bio demande trois fois plus de travail. Je me lève à 6 heures, je prends mes tartines, mon café comme tout le monde. Et à 9 heures, je casse la croûte, je prends un verre de vin avec un bout de fromage » raconte Jean-Claude, non sans une pointe d’amertume. « Avant, tous les paysans faisaient ça. Maintenant, certains vignerons sont devenus des fonctionnaires de la vigne ». Entre deux gorgées de son millésime blanc 2013, il se rappelle : « Cela m’a demandé beaucoup de travail, il faut avoir la foi. » Mais de la foi, il en retrouve aussi chaque année pour grimper à vélo le Ventoux, ce géant de Provence.

Étienne Fort, pétillant comme son vin

Issu d’une famille de viticulteurs de l’Aude, Étienne Fort s’est lancé dans la production bio de blanquette et de crémant de Limoux, deux appellations de son terroir. « Pour le respect de mes terres et de ma clientèle », affirme ce vigneron de 26 ans. Portrait.

« C’est quelque chose qui fait partie de ma responsabilité »

« Pour moi, être en bio, c’est le minimum ». Tout a commencé il y a 3 ans, quand Étienne Fort, fils et petit-fils de vigneron, reprend une partie des terres de son père, toujours en activité. En 2011, le néo-viticulteur hérite de 13 hectares, qu’il s’applique à façonner en respectant le cahier des charges de la culture biologique. Une véritable conviction pour celui qui produit essentiellement de la blanquette et du crémant de Limoux. « Cela a sonné comme une suite logique. Mon père voulait se lancer dans le bio afin de respecter l’environnement, mais il avait une surface très importante, c’était compliqué. En revanche, sur treize hectares, c’est gérable ».

Sa volonté première : respecter l’environnement. « C’est quelque chose de normal qui répond à une volonté écologique. J’en ai discuté avec mon père, il était intéressé. Mais quoi qu’il en soit, j’étais de toute façon parti pour faire du bio. » Pour ce vigneron, qui définit lui-même ses produits comme des denrées alimentaires de qualité, c’est l’assurance de respecter sa clientèle. « Dans mes bouteilles, il y a certains produits qui n’ont pas leur place, j’estime que ça fait partie de ma responsabilité » avance-t-il.

« Pendant les deux premières années de conversion, j’ai eu moins de raisins »

Son passage du conventionnel au bio ne s’est pas fait en un coup de sécateur. Comme la plupart de ses amis vignerons, l’Audois a dû faire face aux difficultés qu’engendre un tel changement. « Pendant les deux premières années de reconversion, les récoltes ont été affectées ». Sans oublier la question du financement. « Dès que je me suis installé, j’ai arrêté les produits de synthèse et le désherbant. Alors oui, ça coûte cher, notamment au niveau du matériel. En plus, pour faire une blanquette, il faut attendre deux ans. La Cave coopérative m’a bien aidé, mais pendant les deux premières années de conversion, j’ai eu un peu moins de raisins que si j’étais resté en conventionnel. »

Une baisse de rendement causée en partie par les nouvelles méthodes de travail à effectuer sur ses terres. « On va travailler le sol près des souches, et donc on casse beaucoup de racines, on agit en profondeur. » Une façon d’opérer qui demande deux fois plus de travail. Pas facile pour une exploitation comme celle d’Étienne Fort, qui ne compte qu’un seul et unique employé à plein temps. Même s’il est vrai que de nouveaux outils lui ont facilité la tâche. « Il existe beaucoup plus de machines qui s’occupent du désherbage, les constructeurs se sont développés. C’est beaucoup plus sophistiqué qu’avant. Après de notre côté, beaucoup de tâches s’effectuent à la main », précise celui qui assure aujourd’hui avoir un rendement à nouveau stable.

Une production basée à 80% sur l’export

À ce jour, la blanquette et le crémant de Limoux d’Étienne Fort ne sont pas encore labellisés bio. Les règles de certification actuelles ne lui permettent pas. Un détail pour le vigneron, qui ne désire pas faire du bio son argument de vente. À travers l’association de vignerons « Changer l’Aude en vin », le viticulteur s’est déjà positionné sur les nouveaux marchés étrangers. « Grâce à cette association, j’ai eu la chance d’être invité sur certains salons. C’est ce qui m’a permis de rencontrer beaucoup d’acteurs commerciaux ».

Après s’être introduit en Allemagne, en Suisse et en Belgique, le jeune vigneron, dont la production est basée à 80% sur l’export, s’est projeté à l’échelle mondiale, au Canada puis au Japon. « Le Japon, c’est un marché bien établi. Il y a deux fois plus de restaurants étoilés à Tokyo qu’à Paris. Il y a une culture du goût qui est très développée » explique Étienne Fort, qui négocie actuellement avec la Corée du Sud.

Une première étape pour celui qui a pour ambition de devenir indépendant. « Pour l’instant, j’ai la moitié de ma production en cave particulière, la mienne, et une autre en cave coopérative. À terme, j’espère pouvoir passer l’intégralité de mes parcelles en cave particulière ». À 26 ans, ce viticulteur précoce a le temps d’atteindre ses objectifs. Et toute la vigne devant lui !

Concours de vins bio : quel revers de la médaille ?

Des milliers de vins obtiennent chaque année des médailles dans des concours toujours plus nombreux. Mais les jolis macarons apposés sur les bouteilles sont-ils vraiment un gage de qualité ou une affaire de marketing et de communication pour les consommateurs néophytes des supermarchés? Au « challenge Millésime Bio », les avis sont partagés.

1250 vins en compétition, 11 pays représentés, 220 jurés (cavistes, sommeliers, œnologues et journalistes …) et… 400 médailles à la clé. Bienvenue au concours international « Challenge Millésime Bio » qui précède de trois mois le fameux salon montpelliérain « Millésime Bio ».

Dans l’immense salle du Mas de Saporta à Lattes (Hérault), 62 jurys de trois à quatre personnes dégustent « à l’aveugle » les échantillons classés par catégories (rouges, rosés, blancs, liquoreux ou effervescents). Les lauréats présenteront ensuite leurs vins aux professionnels du salon où un emplacement leur sera réservé.
La participation est ouverte à tous les producteurs à condition qu’ils s’acquittent des frais d’inscription fixés à une soixantaine d’euros par échantillon. Ils devront aussi, si leur vin est primé, acheter les macarons qui seront apposés sur les bouteilles. Chaque vigneron peut présenter autant d’échantillons qu’il le désire, certains d’entre eux en présentent jusqu’à 25 !

Mais qu’est-ce qui fait courir les viticulteurs, les importateurs et autres négociants après ces récompenses ?
Jacques Frelin, négociant en vins biologiques et vice-président de Sudvinbio, a son explication : « Remporter une médaille est un bon outil de communication. Tout le monde y est sensible, cela amène nécessairement du prestige, de la notoriété ».
Durant le Salon Millésime Bio, les vins médaillés seront mis en avant avec un espace dégustation où seront présentés les vins des lauréats. Cette distinction booste les ventes du producteur au salon et met en lumière, outre le vin primé, l’ensemble des vins de son domaine. « Pour nous, les ventes ont nettement augmenté, on a du mal à faire face aux commandes. Sur le salon, ça nous a permis de trouver de nouveaux clients, on a de nouveaux marchés en Angleterre, aux États-Unis et au Japon », confirme Franck Léonor du domaine La Rouviole dans le Minervois qui a remporté une mention spéciale l’an dernier.
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Jusqu’à 33 % de vins médaillés

Les médailles sont donc un bon coup de pouce pour le producteur mais elles sont souvent bien trop nombreuses comme l’explique Paul Chartrand, un importateur américain : « Il y a trop de concours, trop de médailles, ça aide les professionnels mais ça ne joue plus beaucoup auprès des consommateurs. Le pourcentage de hausse des ventes avec une médaille n’est pas très impressionnant. »
C’est aussi l’avis de nombreux membres du jury interrogés à la fin de la dégustation. Beaucoup jugent les concours trop peu sélectifs. « Ça sert à la promotion de masse, généraliste », commente un œnologue de la région. « Les concours sont banalisés, ça marche avec la grande distribution. Le concours n’est qu’une petite pierre apportée à l’édifice du vigneron ». Lors de ces concours, jusqu’à 33% des vins peuvent être primés… De manière générale, à Lattes, entre 25% et 30% de vins seront médaillés. Imaginez un Mondial de football où dix équipes se partageraient la coupe !

À titre indicatif, le Millésime Bio a décerné en 2013, 339 médailles, dont 5 « Mentions spéciales ». Très courantes dans les concours afin d’apporter une distinction prestigieuse supplémentaire, les mentions spéciales ont été supprimées depuis cette année par la direction générale de la répression des fraudes, soupçonnées d’induire le consommateur en erreur. D’autre part, le milieu professionnel accorde peu de valeur à la médaille de bronze et beaucoup de vignerons choisissent de ne pas l’apposer sur leurs bouteilles. Certains ne mettent même aucune des médailles remportées car ils n’y voient pas de retombées commerciales. Emmanuel Baron, « Mention spéciale » l’an dernier avec un AOP Condrieu, n’a pas mis le macaron sur ses bouteilles : « Je suis sur un vin cher, 15 euros, et sur des commandes de petits volumes, donc la médaille n’aurait rien changé. Ce vin ne se vend pas plus que les autres. C’est pour situer personnellement mon vin que je me présente à ce concours ». Ce que confirme un membre de la société OENOTEC : « Les concours permettent surtout aux participants de s’étalonner entre eux ».

Quel impact sur le consommateur ?

Au bout de la chaîne, il y a le consommateur, forcément désorienté dans cette forêt de bouteilles, d’étiquettes, d’AOC, vin de pays, médailles et autres mentions toutes plus tentantes les unes que les autres. Selon une étude mandatée par l’association Sudvinbio et réalisée par IPSOS en 2013, la médaille n’arrive qu’en 4ème position dans les critères de choix de l’acheteur, après l’origine du vin, le prix et la mention AOC (19% seulement des acheteurs accordent une importance à cette distinction pour l’achat d’un vin biologique).

Et la démarche est différente selon que l’achat se fait chez un caviste ou en grande surface. Chez les cavistes indépendants, l’offre est moins abondante et bien souvent il est rare d’y trouver un vin médaillé. « Il n’y a aucune médaille chez nous, on demande aux vignerons de ne pas les mettre. La plupart des médailles n’ont pas de valeur », affirme le caviste de « Aux grands vins de France » à Montpellier. Même son de cloche chez d’autres cavistes que nous avons rencontrés : la médaille dans l’acte d’achat ne semble pas être primordiale : « Jamais un client ne nous demande un vin médaillé mais ça a sans doute une influence sur le dernier geste d’achat. Les médailles visent indiscutablement la grande distribution… » explique ce caviste de la rue Saint Guilhem. Le caviste est un professionnel et son conseil est à lui seul l’assurance de la qualité d’un vin.

En somme, les médailles n’auraient de raison d’être que pour les vins vendus en grande distribution. Devant une offre surabondante, le consommateur choisit souvent son vin en moins d’une minute. La médaille est là pour le rassurer sur la qualité d’un vin qui a fait ses preuves auprès des connaisseurs. « Si je suis invitée, comme je ne connais pas grand chose en vin, je choisis d’abord un vin bio de la région et je préfère un vin qui a obtenu une distinction, ça fait plus sérieux, plus cadeau… » confie Nathalie, 36 ans, rencontrée au rayon des vins chez Inno, à Montpellier.

Reste que pour tous les professionnels interrogés, les papilles auront toujours le dernier mot : « Le meilleur juge en matière de vin, c’est celui qui le boit et si le goût d’un vin vous plaît, alors ne cherchez plus, il est bon ! Avec ou sans médailles ! »
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« Le bio doit être une agriculture de conviction, pas d’opportunistes »

Dans l’Hérault, 6 000 hectares de vignes ont été converties au bio ces dernières années. Préservation de l’environnement, raisons de santé, mais aussi motivations plus philosophiques… Paroles de vignerons pour qui le bio est un choix de vie.

« Ou on fait du bio, ou on fait de la chimie ». Les mots de Jean-Claude Daumond se distillent dans chaque cuve biologique du bassin montpelliérain. Au domaine Folle Avoine à Vendargues, la vigne macère de raisons sanitaires quand au domaine Clavel à Assas elle se bonifie d’ écologie. Mais partout, la grappe biologique se vinifie à partir de principes plus profonds.

Au tournant de cette conversion, divers éléments décisifs rentrent en compte. Les motivations du passage au bio sont hétéroclites mais les vignerons se retrouvent sur des fondamentaux ou autour des enjeux sanitaires et environnementaux, ainsi que sur des convictions d’ordre plus philosophique.

Les vignerons bio de l’Hérault que nous avons rencontrés ont le verbe fort. Ils dénoncent une viticulture conventionnelle « violente et industrielle ». Et pointent des risques majeurs pour la santé comme pour les ressources du terroir. D’où leur volonté d’en revenir aux sources authentiques de la viticulture traditionnelle.

Un enjeu de santé publique

« J’ai commencé dans la culture biologique à cause d’une intoxication à un produit chimique  », explique Jean-Claude Daumond, vigneron bio depuis trente ans, tombé malade en inhalant un insecticide. Viticulteur à Vendargues, il se souvient de sa conversion au bio : « Avant 1984, ça commençait un peu à me trotter dans la tête. Et puis j’ai eu pleins de problèmes de santé et ça a été le facteur déclenchant. » Il atteste avoir souffert de problèmes de foie, de peau, d’articulation, d’allergies « à tour de bras » et d’asthme.

En cause dans son cas, l’organophosphoré, un produit phytosanitaire utilisé fréquemment dans la viticulture dite conventionnelle. Selon l’enquête « Apache » de l’association Générations Futures de 2013, ce pesticide présente des effets sur la santé, et notamment sur les personnes qui les emploient telles que les vignerons. Mais, pendant des années, une omerta régnait autour de ce problème sanitaire. À l’époque de la maladie de Jean-Claude, la responsabilité de ces produits sur le plan médical n’était pas reconnue : « On ne parlait pas du danger des pesticides, on supposait seulement. » Chez lui, la pratique de la viticulture biologique s’inscrit dans une démarche sanitaire et soulève un véritable enjeu de santé publique : « Autant pour l’utilisateur que le consommateur, ça peut altérer la santé.  »

Moins catégorique, Virgile Joly, viticulteur du domaine éponyme de Saint-Saturnin-de-Lucian, affirme à son tour que la santé « est un facteur déterminant dans la conversion au bio, sans en être la raison première ». Il poursuit son raisonnement : « Le bio est moins nocif. Il en va de la sécurité du consommateur et de la mienne, car je suis le premier exposé. C’est une mesure de prévention. »

Préserver les ressources du sol

« Il s’agit de la santé des consommateurs, de ma santé personnelle et de celle de mon terroir  », renchérit Francis Bouys, vigneron de Saint Vincent de Barbeyrargues. Selon lui, diminuer les risques sanitaires et préserver l’environnement vont de pair. Son profond attachement à la terre constitue un élément fondamental de sa conversion. Il dit s’être mis à l’agriculture biologique « par amour du terroir qu’on nous a laissé et qu’on essaie de continuer à entretenir avec une bonne morale ». À Assas, Pierre Clavel ne parle pas de terroir mais de territoire : « Il faut être fort pour préserver les territoires viticoles des villes qui grignotent petit à petit. » Jean-Claude Daumond évoque plutôt un « état d’esprit » : « Il y a eu une prise de conscience et je suis en accord avec mes idées (…) sinon tu n’as plus de liens avec la terre. » Ce rapport au sol revêt une éthique environnementale certaine chez ces vignerons.

Au domaine Clavel, les motivations de la conversion au bio ont été « essentiellement environnementales ». « Avant 2007 (année de la certification Ecocert, ndlr), nos pratiques étaient déjà proches du bio » assure Pierre Clavel. Pour ce vigneron du Pic Saint-Loup, l’agriculture biologique permet de préserver les ressources et le potentiel des sols vivants, « et non pas les sols chimiques qui sont l’apanage de l’agri-industrie  ». Son refus d’employer des produits de synthèse pour traiter ses vignes tend à contribuer à la pérennisation de la biodiversité. Avec ce bémol que souligne Jean-Claude Daumond : « Le bio pur, ça n’existe pas. L’environnement extérieur, je ne peux pas le maîtriser. »

« Une agriculture de conviction »

Opter pour la viticulture biologique ne se réduit pas au simple rejet des pesticides : elle s’accompagne de pratiques plus larges. Pierre Clavel a par exemple équipé son domaine de panneaux photovoltaïques. Les bouchons en liège qu’il utilise proviennent de forêts gérées durablement. « Il s’agit de toute une démarche dans laquelle on s’est inscrit depuis des années » précise-t-il, « nous avons ça vissé au fond de nos tripes !  » Il martèle : « On revient à des choses simples, des compréhensions des cycles de la vie, des cycles lunaires…  » Au domaine Folle Avoine de Vendargues, la vigne est cultivée de manière traditionnelle. Le désherbage est mécanique voire manuel, et le compost a remplacé depuis trente ans les produits chimiques.

Au-delà de la technique bio, ces vignerons sont d’abord habités par une philosophie et un mode de vie. Jean-Claude Daumond accuse ainsi  : « Je voudrais mettre sur mes étiquettes « agriculture non violente », car aujourd’hui l’agriculture est violente. Je me disais « comment est-ce possible qu’il faille employer des produits de mort pour donner la vie ?  », car la terre c’est la vie.  » Et il confie : « moi, je ne suis pas rentré dans le système !  » Pierre Clavel refuse quant à lui de travailler pour ce qu’il appelle « l’agri-industrie ». Il hausse le ton et trouve « énervant de devoir indiquer sur les étiquettes qu’ [il est] bio, ça devrait être la norme, c’est fondamental  ». Cet agriculteur de 55 ans rétorque enfin : « Le bio doit être une vraie agriculture de conviction et pas d’opportunistes. »

« On n’est pas des ayatollah du bio »

Alors finalement, sa conversion au bio, Jean-Claude la définit comme « un retour à une culture sans artifices, artisanale (…) comme on le faisait avant en fait, il y a cent ans  ». L’agriculture biologique, prétendument nouvelle et à la mode, ne serait autre qu’un retour en arrière, un « retour aux sources  » selon le vigneron vendarguois. Au domaine Cour Saint Vincent, Francis Bouys stipule que « dans le bio, il y a des choses qu’on ne fait plus par philosophie. On en revient automatiquement à des racines authentiques ». Quelques décennies aupravant, le bio était la norme et non pas l’exception comme aujourd’hui. «Cette période de chimistes n’a que 50 ans. On peut en revenir à des choses simples» espère Pierre Clavel. Les partisans de la viticulture biologique ne seraient donc pas des puristes-écolos, mais de simples vignerons, comme le scandent Jean-Claude et ses pairs. «C’est un mode de vie. On vit simplement, on n’est pas des ayatollah du bio.»

Le boom du vin bio fait tourner la tête de l’interprofession

Forte d’une nouvelle organisation et d’un puissant réseau d’associations régionales, la filière française du vin bio a soif de conquêtes. Au delà de la promotion des produits et du lobbying auprès des pouvoirs publics, elle vise le doublement du vignoble bio d’ici à 2020.

Les Français ont pris goût aux produits bio. Et parmi eux, le vin connaît une croissance sans modération ! Ce dynamisme du secteur se traduit par ces chiffres révélateurs : en 2013, 8,2% du vignoble français était bio selon les données recueillies par l’Agence Bio. Mais, entre 2012 et 2013 les surfaces certifiées bio ont progressé de 22%.
Le poids grandissant pris par la filière oblige les acteurs à s’unir et se structurer davantage. Avec toujours ce même objectif de participer à la promotion et au développement de la viticulture biologique.

Depuis 2012, la Fédération nationale des vins de l’agriculture biologique (FNIVAB) a été remplacée par France Vin Bio, réunissant producteurs et négociants. Appuyée par un important réseau d’associations professionnelles d’Aquitaine, du Languedoc-Roussillon, du Val de Loire et de la Champagne-Ardenne, la nouvelle fédération nationale, présidée par Richard Doughty, agit au nom de l’ensemble des acteurs de la profession.
France Vin Bio vise à « représenter les acteurs de la filière du vin bio autour d’une coordination nationale », selon son président. « Aujourd’hui, le vin biologique correspond à environ 10% du vignoble français. Il nous faut réussir le pari de la promotion du vin biologique dans les années qui viennent, tout en assurant la structuration de la filière » prévient-il.

L’ardeur de la viticulture bio soulève de nouveaux enjeux pour la profession. Avec en premier lieu l’arrivée des caves coopératives sur ce marché : elle a eu comme conséquence de générer des échanges plus importants avec le risque pour le producteur de voir les prix de vente chuter. Autre mission pour la fédération : mieux accompagner les vignerons en processus de conversion. Enfin, elle doit aussi veiller sur la distribution pour agir comme un organe de régulation et de médiation entre producteurs et négociants.

Une interprofession solidement ancrée sur le plan régional

Pour poursuivre son développement, le secteur viticole bio se repose sur un large réseau d’associations interprofessionnelles régionales. Pour Sud Vin Bio, qui regroupe les professionnels du premier vignoble biologique français installés dans le Languedoc-Roussillon, « la volonté était d’unifier les groupes régionaux pour faire porter nos revendications à l’échelle nationale. Plus nous serons représentatifs, plus nous pourrons promouvoir et faire porter notre message ». L’influence sur la structuration nationale s’explique par la vitalité de la production viticole sur ces territoires.

Le dynamisme du secteur viticole dans l’agriculture biologique française depuis quelques années est à mettre en corrélation avec l’essor du nombre de surface en conversion depuis 2006. Il a été multiplié par plus de trois en huit ans selon les données du groupement d’intérêt public, Agence Bio. Bien que le long processus – au moins 3 ans – de conversion au bio soit coûteux, il continue de faire des émules chez les viticulteurs.
Si Richard Doughty déplore le manque d’aide en faveur de la promotion du vin bio pour la fédération qu’il préside, il explique que « des subventions intéressantes pour les processus de conversion existent » à destination des viticulteurs souhaitant franchir le cap. Tout un dispositif d’aide au passage à la viticulture biologique a été créé notamment sur l’investissement, la certification et l’accompagnement post-conversion.
Malgré tout, France Vin Bio s’expose à une réalité bien plus délicate. Elle se place comme une organisation aux moyens très réduits limitant les objectifs coûteux de promotion. « Notre budget est très limité. En 2013, il s’élevait à environ 10 000 euros. La filière fait des bénéfices mais nous n’avons pas d’argent pour la promotion », prévient son président.

Un marché colossal pourvoyeur d’emploi

Évolution de la valeur des ventes de vin biologique depuis 2005 L’effet de mode du bio révolu, la consommation de ces produits respectueux de l’environnement et de la santé a pris un poids sans précédent dans les habitudes des Français. Aujourd’hui, près d’un sur deux prétend consommer régulièrement des produits issus de l’agriculture biologique (baromètre CSA / Agence Bio – 2013).
En 2013, la valeur des ventes en France de vins biologiques a représenté environ 503 millions d’euros, soit une augmentation de 22% par rapport à l’année précédente. Face à ce marché colossal, l’interprofession ambitionne de s’installer comme un agent de promotion auprès du grand public. « Le bio est un gage de qualité auprès du consommateur » selon le président de France Vin Bio, qui rappelle la nécessité d’informer et expliquer les bienfaits de la viticulture biologique. « La progression de la viticulture biologique en France est liée à la demande des consommateurs » rappelle-t-il.

Outre les points positifs sur la protection de l’environnement et de la santé, le secteur du vin bio est bénéfique pour l’économie en terme d’emploi. Selon les données du recensement agricole datant de 2010, ce mode de viticulture est le secteur le plus pourvoyeur d’emplois. Il nécessite presque deux fois plus de main-d’œuvre que la viticulture conventionnelle.

Répartition de la valeur des ventes de vin bio par secteur de vente en 2013 L’essor de la viticulture biologique connaît cependant quelques freins. Comme avec la grande distribution encore trop réticente face au vin bio. Un phénomène que regrette Richard Doughty : « Le monde de la grande distribution est ringard. Ils n’ont pas compris la demande du consommateur, l’offre en vin biologique est trop limitée. » Une situation que la nouvelle organisation interprofessionnelle souhaite changer. « C’est à nous de sensibiliser la grande distribution sur ces questions » dit-il. À ce jour, l’Agence Bio relève que seuls 18,5% des vins biologiques vendus le sont en grandes surfaces alimentaires, contre 38,4% en vente directe et 43,1% de commerçants spécialisés ou non.

Forte de perspectives encourageantes, l’interprofession affirme haut et fort ses ambitions via le président de France Vin Bio : « D’ici 20 ans, nous visons à ce que 50% de la surface viticole soit certifiée bio. »

« Aujourd’hui, le vin bio n’est plus un effet de mode »

Il est depuis plus de vingt ans un acteur majeur de l’aventure du vin bio en Languedoc-Roussillon. Production, santé, consommation, concurrence… A l’occasion du salon « Millésime Bio » qui se tient du 26 au 28 janvier 2015 au Parc des Expositions de Montpellier, Jacques Frelin vide son verre avec Haut Courant. Bonne dégustation.

Haut courant : C’est la 22e édition du salon. Expliquez-nous son histoire, sa genèse…

Jacques Frelin : À l’époque, il y avait peu de producteurs en bio dans le paysage viticole. L’idée était de rassembler ces quelques producteurs, une vingtaine, au mois de janvier, pour qu’ils nous présentent le nouveau millésime. Pour arrêter de courir un petit peu partout dans le vignoble du Languedoc.
Dans ce cadre, le Mas de Saporta, à Lattes, a mis une salle à notre disposition. Qui est devenue une salle de dégustation pour que les viticulteurs nous présentent leurs vins. Vu que c’est au moment du nouveau millésime, on a appelé ça simplement « Millésime Bio ». Ce nom est resté depuis la première édition.

Quelle a été la réaction des collectivités au moment de la création du salon ?

À l’époque, tout le monde s’en foutait ! C’était marginal, personne ne savait que ça existait voire, dans le meilleur des cas, le négligeait ou le snobait. On n’avait pas de subvention et on n’en avait pas besoin. Ça ne coûtait rien, on avait juste besoin d’une salle. On nous l’offrait quand même. Ce sont les syndicats du cru qui possèdent le Mas de Saporta.

Finalement, qui vous a aidé au début, à part les organisations professionnelles ?

L’association, c’est-à-dire l’AIVB (Association interprofessionnelle des vins biologiques, ancien nom de SudVinBio), gérée par Jacques Rousseau en ce temps-là. Il était quasi bénévole, seulement payé par le CIVAM (Centre d’initiative pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) bio. C’est peut-être là qu’était la contribution des pouvoirs publics si on peut dire. Mais globalement, c’était surtout l’entraide.

Aujourd’hui, le salon est institutionnalisé et connaît le succès. Quel est le budget pour l’édition 2015 ?

Il faut composer avec la hausse de la fréquentation : entre 2013 et 2014, on a connu une hausse de 20 %. Avec 800 exposants, 4 000 visiteurs et un budget d’1,5M€ sur l’association, la différence est frappante par rapport aux premiers pas où on n’avait pour ainsi dire aucun budget. On gère une grosse machine, une machine de guerre presque ! La Région participe également à hauteur d’environ 250 à 300 000 €. Cela nous sert surtout à faire des opérations de communication, notamment sur les vins de la région, des opérations annexes ou bien à inviter des groupes de journalistes. Le reste est consacré à l’organisation du salon et à sa logistique : location du Parc des Expositions, sécurité, restauration, décoration, nettoyage, lavage des verres…

Comment est effectuée la sélection des exposants ?

Tous les vins sont vérifiés, les producteurs doivent être certifiés par l’agriculture biologique. Il y a des contrôles inopinés Ecocert pendant le salon. Une participation financière est requise de l’ordre de 2 000 € environ, pour une table de trois jours. Par contre, les membres de SudVinBio et les producteurs de la région paient un peu moins cher.

Existe-t-il d’autres salons de ce type en France, dans le monde ?

Il existe un petit salon dans le bordelais au moment de VinExpo. En Espagne également où l’on compte 100-120 exposants. Mais « Millésime Bio » est reconnu au niveau mondial comme la référence. Avec 800 tables, on est loin devant les autres.

« Un salon fait pour des professionnels »


Souhaitez-vous à terme ouvrir le salon au grand public ?

On en discute. Maintenant, ça n’a pas été validé. Pas pour cette année en tout cas. À mon avis, ce n’est pas nécessaire. Je ne suis pas certain que cela amène grand-chose, à part des curieux. Dans ma position de négociant, je n’ai aucun intérêt à ce que des particuliers viennent goûter des vins parce que je n’aurai pas de retombées.

Mais vous ne trouvez pas que ça peut attirer des consommateurs ?

Oui, mais je ne pense pas que ce soit quand même parfaitement le bon endroit pour ça. C’est vraiment un salon qui est fait pour des professionnels et pas pour des particuliers.

Depuis quand le salon est-il ouvert aux producteurs étrangers ?

C’est une bonne question ! Je n’ai pas ça en tête, mais ça date au moins d’une quinzaine d’années. Depuis les années 2000.

Les producteurs français ont-ils peur de la concurrence étrangère ?

Peur ? Bien sûr qu’ils ont peur, tout le monde a peur de la concurrence mais dans le cadre du salon, elle est bonne et nécessaire. Elle a permis quand on a fait cette ouverture de faire venir aussi des acheteurs qui rencontrent des producteurs de différents continents et donc de créer un événement.

Et dans le cadre du salon, la cohabitation entre français et étrangers se déroule bien ?

Très bien. Le salon est un domaine d’échange, de rencontre, de découverte d’autres modes de production, d’autres types de vins. Il n’y a pas de méfiance. Il y a une concurrence, il ne faut pas se leurrer. Mais beaucoup sont contents de se revoir.

Quelle est la représentation des marchés émergents sur le salon ?

Pour la production, il y a un petit peu d’hémisphère Sud : Nouvelle-Zélande, Australie, Afrique du Sud, Chili, Argentine. Donc ce n’est pas énorme, c’est dix-douze producteurs au total sur l’hémisphère Sud. Sur 800 exposants du salon, c’est un très faible pourcentage.
La consommation, quant à elle, se concentre sur des pays d’Asie et du Pacifique.

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L’an dernier, le thème du salon était l’Europe centrale. Chaque année, un thème différent est-il mis en évidence ?

Oui, on essaie d’en trouver un chaque année depuis deux ou trois ans. En 2013 par exemple, c’était les pionniers de la viticulture biologique car on fêtait les vingt ans du salon.

Quelles sont les animations prévues cette année ?

De nombreuses conférences vont rythmer ces trois jours. Sud de France organise aussi un Forum international d’affaires (FIA) des vins de la région. Et le prix du concours « Challenge » dégustation sera remis à ce moment.

Plus globalement, quelles sont les tendances actuelles du marché du vin bio ?

Ça dépend un peu des marchés et du public ciblé. On trouve beaucoup de vins de cépage, du vin aromatisé pour attirer un public plus féminin. Ce sont des choses plus faciles d’accès.

Comment peut-on expliquer la stagnation de la production cette année ?

On constate une certaine stabilisation qui va durer à peu près de deux à cinq ans. Elle est due au processus de conversion (trois ans) avant certainement une reprise d’ici quelques années. Cela augmente moins qu’avant et c’est tout à fait normal.

« La santé est un argument majeur dans la conversion des viticulteurs au bio »

Pour vous, consommer bio est-il un effet de mode ?

Alors, je suis très clair là-dessus : on n’est plus sur un effet de mode du bio. Aujourd’hui, ce n’est même plus un marché de niche, mais un marché émergent. On se trouve vraiment dans une catégorie de vins spécifiques. 10 % de la production, ce n’est pas rien. L’objectif c’est 12 %, c’est un objectif signé. Ça veut dire que la conversion qui est en route aujourd’hui va amener à 12 % dans le Languedoc-Roussillon. En France, c’est environ 8 %.
Il n’y aura aucune marche en arrière du marché bio. Le pourcentage ne baissera pas car on ne reviendra pas en arrière sur l’environnement, la santé, la pertinence de l’agriculture biologique, la dangerosité des produits chimiques. Ce n’est pas possible. Le marché des produits bio a augmenté de 20 % en 2013. À titre de comparaison, l’alimentaire stagne plutôt. Même dans la crise, les gens trouvent les moyens pour acheter leur santé (sic), l’environnement et l’avenir de la planète dans le secteur bio.

Vous évoquez les moyens, les producteurs arrivent-ils à vivre du bio ?

Il faudrait leur demander ! Globalement, il y a des gens qui gagnent bien leur vie grâce au bio, d’autres moins. D’une manière générale, les prix bio permettent à un producteur qui sait produire des volumes suffisants et réguliers de bien gagner sa vie. Voilà ce qu’en dit un négociant. On peut gagner de l’argent en produisant du bio, bien sûr ! Avec un marché équilibré, géré par l’offre et la demande, et sans intervention de l’État.
Après, comme tous les viticulteurs, nous sommes tributaires de la météo et encore plus qu’eux. On a moins de moyens de lutter contre les maladies ou contre des problèmes sanitaires.

Le secteur du vin bio est-il un secteur qui embauche ?

Évidemment. On y trouve des emplois sûrs et durables. Une exploitation viticole en bio emploie deux fois plus de salariés qu’une exploitation viticole conventionnelle. C’est clairement une voie pour réduire le chômage. L’agriculture biologique a aussi un côté humain important, ce n’est pas que le côté technique.

Qu’est-ce qui pousse un viticulteur à se convertir au bio ?

Il y a plusieurs arguments principaux. Au début, l’argument économique n’existait pas car c’était très marginal. Un des arguments à mettre en avant, c’est celui de la santé. Le producteur est le premier à se rendre compte de la dangerosité des produits qu’il utilise pour traiter sa vigne. Donc sa propre santé, celle de ses enfants, celle de la planète. Ensuite, l’argument économique est maintenant évident. Enfin, des gens le font pour des arguments éthiques. Ils croient à cette idée qu’est l’agriculture biologique. La préservation de la santé, l’environnement, la nécessité d’avoir un autre avenir pour la planète.

À ce propos, quels sont les enjeux de santé ?

Ça concerne en général l’agriculture biologique. C’est-à-dire une culture sans produits chimiques de synthèse, qui préserve l’environnement, l’eau, la terre. On constate moins de résidus de produits chimiques sur ces éléments là et sur ce qu’on mange, ce qu’on boit, dans l’alimentation en général. C’est important pour le consommateur.

Justement, selon plusieurs études, certains vins bio contiendraient un degré de pesticides et de molécules nocives qui seraient nuisibles à la qualité…

Le vin bio n’a pas d’objectif de résultat. Il peut être pollué par son voisinage, par la terre, par le vent. Toutes les analyses qui ont été effectuées à grande échelle comme celle de Que choisir en septembre 2013 sont positives. Bien sûr, il y a un petit peu de pollution dans certains cas mais ça reste une petite minorité. Mais comparé aux taux contenus dans les vins non biologiques, c’est minime. Personne n’est parfait. Ça arrange certains de chercher la petite bête.

Les viticulteurs bio sont-ils mal vus par les viticulteurs conventionnels ?

Il y en a certainement quelques-uns. Si vous trouvez, vous cherchez. Mais ce n’est pas le milieu du bio qui va chercher des noises au milieu conventionnel. Pourquoi ? Car les viticulteurs bio sont des anciens viticulteurs conventionnels. Il n’y a pas aujourd’hui de vraie opposition, ni d’antagonisme. Bien au contraire.

Quel avenir imaginez-vous pour le salon « Millésime Bio » ?

Un avenir sans aucune limite. On est aujourd’hui au début du processus. On peut changer dans les dix, vingt prochaines années et connaître un développement aussi important. Je suis très optimiste.

Propos recueillis par Steve Rivière pour Haut Courant