« Nous avons entendu crier. Il était presque 23 h. Nous sommes descendues et sommes tombées nez à nez avec notre voisin, subissant les coups de poing de sa femme. Il était déjà griffé et rougi sur les bras, le torse, le dos, des traces de morsures étaient visibles sur ses bras, son crâne saignait et il avait d’anciennes cicatrices », témoigne Margault, étudiante en géopolitique et vivant en région parisienne. Son voisin est l’un des 80 000 hommes battus chaque année dont on parle peu.
« La violence n’a pas de sexe »
Pour Elodie Cingal, psychologue psychothérapeute, si on en parle peu, c’est parce qu’il y a des « clichés et des idées reçues ». Pourtant, elle affirme que « la violence n’a pas de sexe » et qu’il faut d’abord penser victime et auteur de violence. Pour Manon Dumand, assistante sociale, c’est surtout dû aux « représentations de l’homme fort qui ne peut pas être soumis à une femme, au mythe de l’homme viril » qui existent encore aujourd’hui.
Outre cela, la question des blessures se pose. Elodie Cingal explique : « Quand les hommes arrivent et qu’ils montrent leurs bras, leur dos ou leurs joues griffés, ça laisse les gens insensibles ». Pourtant, un coup reste un coup.
Ces jugements de valeurs ou cette ignorance s’ajoutent à la société que décrit Elodie Cingal, où on « emprisonne [les hommes] dans le patriarcat », surtout suite au récent mouvement #MeToo. Elle confie : « Tant qu’on sera sur la pensée que les hommes sont tous des salauds et des prédateurs, comment voulez-vous qu’un homme vienne dans une institution quelconque dire : je suis frappé. Un, on n’est pas formé à ça. Deux, ça peut pas être possible parce que si c’est lui qui est frappé, ça veut dire qu’elle est violente et on ne peut pas encaisser l’idée qu’une femme est violente. »
Un pas à franchir
Pour ces deux spécialistes, la première étape est la même : identifier les violences dont ces hommes sont victimes. Manon Dumand explique : « Avant d’en parler, il faut s’en rendre compte, se l’avouer, en parler à ses proches, aller voir une association : il y a du chemin ». Elodie Cingal confirme : « ils ne se disent pas qu’ils sont victimes de violence. Les seuls hommes qui parlent réellement de la violence qu’ils subissent c’est ceux qui ont vraiment des lèvres ouvertes, des cocards, etc. » Mais pour Manon Dumand, cette étape est rendue difficile par « l’emprise du conjoint, souvent très importante ». « Comme toute personne maltraitée, c’est un travail lent pour sortir de l’emprise » confirme la psychothérapeute. Et cela l’est d’autant plus pour celle-ci, que « les hommes sont très isolés ».
Plus qu’isolés, ils sont souvent seuls dans leur démarche. Pour Elodie Cingal, les mécanismes liés à un homme battu sont les mêmes que ceux d’une femme battue, mais ce qui change « c’est qu’ils n’ont le soutien de personne : aucune organisation, aucune loi pour eux, aucun organisme. » Pour Manon Dumand, c’est une difficulté de plus : celle de « se dire que l’on est concernés par ces mesures ».
Sans soutien et sans accompagnement, il devient plus difficile d’entreprendre les démarches. Pour Elodie Cingal il y a d’abord cette tentative de dissuasion de la part de certaines institutions, puisque « quand les hommes viennent déposer plainte, c’est très rare qu’on prenne leur plainte ». Mais également parce que, comme Manon Dumand l’explique : « quand on est victime de violence, on a honte ». Plus encore, « pour un homme c’est doublement la honte, parce qu’il n’a pas su maîtriser sa femme » affirme Elodie Cingal.
« J’ai honte, je suis désolé » sont des mots que Margault a entendu dans la bouche de son voisin ce soir-là. « La police a demandé à sa femme de quitter les lieux. Ils ont expliqué à notre voisin qu’il pouvait porter plainte, plusieurs fois. Pour “ne pas vouloir de problème”, il n’a pas souhaité porter plainte. » Comme les 76 000 hommes qui, chaque année, décident de ne pas porter pas plainte.
Informations utiles et conseils 39 19 — numéro d’écoute pour les victimes de violences conjugales. Du lundi au vendredi, de 9 h à 22 h. Le samedi et le dimanche de 9 h à 18 h. Ce n’est pas un numéro d’urgence ! En cas d’urgence, le numéro à composer en priorité reste le 17 (ou le 112). Ils se chargeront d’envoyer les secours si cela est nécessaire et demandé. Elodie Cingal conseille : « Préparez votre dossier : faites des mains courantes, écrivez un maximum de SMS et de mail à des amis, parlez un maximum autour de vous de ce que vous subissez, ne vous isolez pas. […] Comme ça passe par internet, il y aura les dates qu’on pourra corroborer par d’autres preuves. »