« Tous vulnérables aux violences conjugales »

Pour la Journée des femmes, Hautcourant est allé à la rencontre de Lucie Goderniaux, diplômée en anthropologie de la communication, et auteure d’un mémoire intitulé « La violence conjugale, un apprentissage trans-générationnel ?» qui lui a valu le premier Prix de l’Université des Femmes en 2009.

Ce lundi 8 mars, l’amélioration de la condition des femmes était mise à l’honneur. A cette occasion, Hautcourant a pris particulièrement à cœur son entretien avec Lucie Goderniaux, jeune antropologue belge, à propos d’une pratique sociale et sexuée qui cause rien qu’en France, chaque année, plus d’une centaine de décès (156 en 2008).

Comment avez-vous été amenée à vous interroger sur un phénomène de transmission des violences conjugales à travers les générations ?

Au départ, j’ai été sensibilisée au phénomène par mon entourage et bien sûr, par ma condition de femme. Je suis partie du postulat suivant : tout système de violence est un langage de domination. La violence conjugale est le langage de la domination masculine. Une domination inscrite et véhiculée par et dans l’ensemble de la société à travers des représentations stéréotypées.

Je me suis donc intéressée à la transmission entre femmes de différentes générations de ce qui pourrait s’apparenter à un apprentissage de la domination masculine et, par conséquent, de la violence conjugale.
Autrement dit, j’ai cherché à déterminer comment on apprend, non pas la violence aux hommes, mais l’acceptation ou l’incapacité de réaction à cette même violence, aux femmes.

Quel est la problématique de votre mémoire ?

Les femmes transmettent-elles, entre elles et de générations en générations, des schèmes de pensées et d’actions qui d’une manière ou d’une autre, représentent un apprentissage de la violence conjugale ?

À partir de cette problématique, comment avez-vous mené vos recherches ?

J’ai débuté mes recherches par un stage d’observation au refuge du Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE) à Liège. La particularité de cette structure étant de permettre aux femmes de venir avec leurs enfants, ce fut l’idéal pour étudier sur le terrain, et la transmission d’éléments qui corroborent la domination masculine. J’ai recueilli ainsi des témoignages de plusieurs points de vues : victimes, enfants, professionnels du métier (ndlr, travailleurs sociaux)…

Quelles conclusions en tirez vous ?

C’est par la transmission d’éléments qui corroborent la domination masculine que l’on permet à la violence conjugale de se produire et reproduire. A partir du moment où l’on intègre la logique de domination masculine, et on l’intègre tous, on est vulnérable à la violence conjugale, que ce soit en tant qu’acteur, spectateur ou transmetteur.

Cette transmission a non seulement lieu entre hommes, mais aussi entre femmes, de manière quasi invisible et inconsciente. Voilà l’une des forces premières de la violence conjugale : son fondement. L’infériorité de la femme par rapport à l’homme, est si profondément ancrée dans l’inconscient collectif qu’elle passe pour naturelle.

Quels remèdes donc pour éviter cette transmission et empêcher les violences conjugales de se produire et reproduire ?

D’une façon générale, il faut prendre conscience du fait que nous sommes remplis de stéréotypes et de préjugés. Ce sont toutes ces représentations qui permettent aux violences conjugales de se produire et se reproduire en quasi-impunité.

Mon mémoire met en exergue la manière dont les femmes elles-mêmes participent, inconsciemment, à leur propre domination. Je pense donc qu’il est primordial que les femmes entreprennent un véritable travail d’introspection et de remise en question afin de se libérer au maximum des stéréotypes dont elles sont à la fois victimes et messagères.

Comment les travailleurs sociaux doivent-ils traiter ce problème ?

Il faut qu’ils s’intéressent à la violence conjugale en tant que phénomène social et non plus comme une pathologie individuelle. On se focalise sur la psychologie alors qu’il s’agit d’une pratique sociale et sexuée. Non pas que la psychologie soit inapte à étudier la problématique mais simplement insuffisante, l’approche idéale étant interdisciplinaire.

En outre, je pense que les institutions mêmes qui sont chargées de prendre ce problème à bras le corps et d’y mettre un terme, doivent elles aussi se remettre en question à de multiples niveaux et tenter d’approcher cette réalité à travers les humains qui la composent et non plus seulement à travers les schémas et autres concepts réducteurs dont ils disposent. Ces notions aident, il est vrai, bien des professionnels du milieu mais empêchent souvent certaines victimes d’être prises en compte en raison de la non-adéquation de leur vécu des violences conjugales avec la théorie.

Votre diplôme en poche, qu’avez-vous fait ?

J’occupe actuellement le poste de maître-assistante en sociologie et politique de l’éducation à la Haute École Albert Jacquard de Namur tout en intervenant de diverses manières dans l’information et la prévention des violences conjugales (conférences, colloques, activités, articles).

Propos recueillis par Emeline Devauchelle

Chomsky, sociologue critique sur fond criticable

Offert par le duo Azem et Mermet de la bande « là bas si j’y suis» de France inter, « Chomsky et cie » est une belle leçon de pensée libre et rebelle de l’intellectuel américain le plus controversé Noam Chomsky. Ce documentaire à la sauce Michael Mooresque est très intéressant sur le fond, un peu moins sur la forme, mais il a le mérite d’exister !

Chomsky est un penseur qui n’a pas sa langue dans la poche, un américain qui critique la politique et les médias de son pays. Le tout, sans aucun complexe. Théorie à l’appui, Noam Chomsky mène une croisade, depuis une trentaine d’années, contre l’instrumentalisation des relations publiques et le système de propagandes médiatiques.

De Paris à Boston, de Montréal à Toronto, Olivier Azem a réalisé ce long métrage en mai 2008. Le documentaire est un méli-mélo d’entretiens avec Chomsky et ses camarades de pensée, ainsi que des flashs-back historiques. Mermet et Azem offrent un espace simple et simpliste à Chomsky pour opposer trois principes qui lui sont chers : l’autodéfense intellectuelle, le libre arbitre et la liberté d’expression « la plus absolue SVP ! ».

Le militant, en effet, défend le principe de la liberté d’opinion… Même quand il n’approuve pas les messages qu’elle véhicule. D’ailleurs, le documentaire revient sur l’affaire Faurisson [[Robert Faurisson, un révisionniste qui provoqué une polémique en reniant l’existence de la Shoah]]. Chomsky justifie sa position au nom de la liberté d’expression. Un point de vue très critiqué par certains intellectuels français. Mais Chomsky nous pousse à poser la question suivante : Peut-on tout dire au nom de la liberté d’expression ? En France de nombreux journalistes et sociologues s’interrogent sur le sujet. Certains d’entre eux mettent des garde- fous, d’autres préfèrent « se la jouer philosophe », mais personne n’a de réponse définitive.

Notre cher Chomsky aurait bien fait de se pencher sur le sujet au lieu d’assassiner la bonne foi de l’information. Le critique « accrédité » des médias américains ne dissocie pas les medias et la presse. D’autant plus que ce sont deux concepts et phénomènes différents.

A ce propos le journaliste Edwy Plenel nous confie « Chomsky est certes un grand linguiste mais en tant que sociologue des medias, sa critique n’est pas vraiment pertinente. Il ne se remet pas en question. De plus, Il opte pour une sociologie critique alors qu’il n y a pas mieux qu’une sociologie compréhensive pour comprendre les medias ».
Or, dans le documentaire, l’intellectuel donne sa version de sa sociologie « Je ne veux pas amener les gens à me croire, pas plus que je voudrais qu’ils suivent la ligne du parti, ce que je dénonce : autorités universitaires, médias propagandistes avoués de l’état, ou autres .Par la parole comme l’écrit». Certes, les travaux de Noam Chomsky sont une référence en France notamment dans le domaine de la linguistique, mais ses théories sur la critique des medias ne peuvent pas être appliquées en Europe ou en France car chaque société médiatique possède ses propres enjeux et ses dynamiques d’action. Patricia Jullia, enseignante et chercheuse à l’université Montpellier 3 pense que le modèle de critique que propose Chomsky est exclusif à la société médiatique américaine, car les medias français ne fonctionnent pas de la même manière. Bref, il n y a pas de comparaison possible.

Enfin, Chomsky et cie sont des amis qui nous veulent du bien puisqu’ils nous conseillent un cours d’autodéfense intellectuelle. Leçon n°1 : choisissons nos sources. Leçon n°2 : comparons-les et leçon n°3 : faisons notre propre opinion ! C’est le meilleur antidote contre toute manipulation médiatique ou idéologique… du public.

Toujours à l’affiche à l’Utopia (Montpellier)

Bon anniversaire Claude Lévi-Strauss

L’anthropologue français Claude Lévi-Strauss a 100 ans. A cette occasion, retour sur l’un des plus grands penseurs du XXe siècle, sur un humaniste qui a su apporter les clefs théoriques pour une compréhension de la vie sociale

Il y a de ces êtres humains qui sortent de l’ordinaire. Il y a des ces penseurs qui marquent une époque. Il y a de ces génies qui n’accèdent à la reconnaissance qu’une fois décédés. Trop peu sont ceux qui peuvent être discutés de leur vivant, honorés ou déshonorés pour leurs travaux. Claude Lévi-Strauss est de ceux là, il a aujourd’hui 100 ans.

Une vie pour comprendre

Claude Lévi-Strauss est avant tout un homme qui aime l’être humain. Un siècle d’existence dont une bonne partie consacrée à l’analyse de ses congénères résidant au fin fond de la forêt amazonienne. Anthropologue de génie, il a apporté aux sciences humaines une vision nouvelle sur ces peuplades du bout du monde trop souvent qualifiées de « barbares » par les explorateurs qui ont pu danser avec l’amazone. « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie » leur répondait-il. De toute manière, ces voyages et ces explorateurs, il les haïssaient, reprise du célèbre incipit de son best seller « Tristes Tropiques » paru en 1955. « Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité ». Une haine de ces voyages qui ne parvenaient qu’à saisir du bout du doigt ces cultures, sans jamais réussir à rentrer en profondeur dans leur constitution et leur fonctionnement. Des explorateurs qui colonisaient plus qu’ils apprenaient. Des explorateurs qui ne pouvaient se détacher de leur culture propre pour comprendre le différent.
Le différent, c’était sa raison de vivre, c’était son métier. « L’anthropologie est une discipline dont le but premier, sinon le seul, est d’analyser et d’interpréter les différences ». C’est en ces termes qu’il qualifiait sa science dans « Race et Histoire ». Faire des « barbares » des individus, étudier la « pensée sauvage » plutôt que la « mentalité primitive » qui, renvoyait selon lui, à une domination colonialiste savante. Il a fait de ces sociétés lointaines, un objet de compréhension du monde, un laboratoire d’étude de l’analyse de la vie sociale.

Reconnaissance unanime

Ses études, ses réflexions ont donné naissance à des publications, de nombreux livres, un courant issu de la linguistique : le structuralisme. Ce courant anthropologique suppose que la structure sociale génère des pratiques et des croyances propres aux individus qui en dépendent, de manière inconsciente. Elémentaire et pertinente, elle inspira entre autres Deleuze, Foucault ou encore Bourdieu.
Des travaux qui restent unanimement reconnus pour leur rigueur et leur précision. Décoré de la Grand-croix de la légion d’honneur, il fut également nommé commandeur des arts et des lettres. En 2008, ses écrits font leur entrée dans la prestigieuse collection de la bibliothèque de la Pléiade, à côté de ceux de Malraux, Gide ou Yourcenar.
Une récompense dont il ne se soucie guère, préférant dénoncer les dérives actuelles de nos civilisations.

Triste monde

Fuyant la France pour New York pendant la guerre, il assista aux prémices de la folie des hommes, il dénonça la transformation du monde. « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. » Phrase bien contemporaine. Elle a en vérité plus de cinquante ans. Ce monde qu’il aime tant semble au fur et à mesure se gangrené, ses terrains d’études favoris disparaître. « Vue du dehors, la forêt amazonienne semble un amas de bulles figées, un entassement vertical de boursouflures vertes, on dirait qu’un trouble pathologique a uniformément affligé le paysage fluvial ». Une maladie crée par l’homme qui finira par rendre ses tropiques bien tristes.

Un hommage à sa mesure

L’académicien est aujourd’hui centenaire. L’hommage qui lui sera rendu sera vraisemblablement à la hauteur de son œuvre, de sa carrière. Le quai Branly à Paris lui consacrera une journée le 28 novembre en proposant chaque heure une visite guidée à travers les 1500 objets qu’il a ramené de ses périples. Des films choisis par l’écrivaine Catherine Clément retraçant sa vie seront également diffusés tout au long de cette journée. Les nombreuses photographies qu’il a rapportées seront exposées.
Un hommage à sa mesure, humble, loin des strass et des paillettes, qu’il a toujours fuies.