Étienne Davodeau : « Même si « Les Ignorants » est terminé, l’expérience continue »

Auteur de bandes dessinées, Étienne Davodeau s’est immergé pendant un an chez le vigneron Richard Leroy. Dans ce domaine de l’Anjou, il a appris le métier de son ami et lui a fait découvrir la bande dessinée. « Les Ignorants » est le récit de cette rencontre. Rééditée 15 fois depuis sa publication il y a 6 ans, cette bande dessinée est un phénomène de librairie. Retour sur cette « initiation croisée » avec Étienne Davodeau.

Sorti en 2011, vendu à 200 000 exemplaires, Les Ignorants est toujours un succès de librairie. Comment l’expliquer ?

C’est compliqué après coup d’expliquer le succès d’un livre. Quand j’en ai eu l’idée, c’était quelque chose d’expérimental. J’ai mis en place un cadre pour cette expérience, c’était de raconter cet échange en temps réel avec beaucoup d’improvisation. J’ai été très surpris par la façon dont les gens s’en sont emparés. Je pense qu’ils aiment le côté optimiste, mais aussi le postulat qui est la vertu de l’ignorance, et donc de la découverte.

Il n’y a quasiment aucune mention de l’année et de l’actualité dans le livre. On sait qu’on se trouve en 2010 et à quelle saison de l’année, mais ce n’est pas important pour le récit. Est-ce que c’est une volonté délibérée pour donner un aspect intemporel à l’histoire ?

Absolument. Dans cette expérience, le cadre est ma relation avec Richard Leroy et son travail. Ce qui est hors cadre a été défini avec Richard : il n’y a pas de mention d’argent, de sa famille ni d’actualité parce que ce n’est pas le sujet. La question du livre, c’est pourquoi et pour qui on fait du vin ou de la BD.

« Tout est subjectif dans le vin », comme dans la BD.

Le sous-titre du livre dit « récit d’une initiation croisée », mais le vin occupe plus de pages que la BD. Est-ce un choix délibéré ?

Bien sûr, dans le récit, on voit plus la vigne car c’est ce que je voulais raconter et dessiner. C’est plus intéressant graphiquement qu’un type qui dessine sur sa planche. Mais je ne crois pas que le vin prime sur la BD, car ce livre est déjà une bande dessinée. On y voit même l’éditeur, la fabrication de l’ouvrage, ce qui est assez rare. Et c’est ça l’expérience, c’est une bande dessinée qui parle de vin et de bande dessinée, une méta-BD en quelque sorte. Ce livre se situe dans ce que j’ai envie de faire et la direction où je veux voir la BD aller, notamment l’improvisation. Une bande dessinée c’est souvent un processus complexe, où il faut écrire un scénario, etc. Là, j’ai pu aller voir mon éditeur, lui présenter simplement mon idée des initiations croisées et lui dire que je n’ai pas la moindre idée de ce que je vais raconter, puisque ça ne s’est pas encore passé. L’improvisation a été très importante.

« Je n’étais plus auteur de bandes dessinées, j’étais ouvrier agricole. »

Est-ce que vous faisiez des croquis sur place, ou dessiniez-vous d’après photos ?

Quand j’étais avec Richard Leroy, j’étais ouvrier agricole, je n’étais plus auteur de bandes dessinées. Je faisais mes 8h de travail donc je ne dessinais pas. Je travaillais et je discutais avec lui, sur son travail, sur les BD que je l’ai forcé à lire. J’avais un appareil photo dans ma poche si besoin, pour pallier ma mémoire, mais je ne dessinais quasiment jamais sur place. Je dessinais dans mon atelier le soir. Ce livre m’a pris presque deux ans.

Pourquoi ce choix du noir et blanc ?

Ce livre est en lavis parce que j’aime bien le travailler, mais aussi parce que c’est plus rapide. La mise en couleurs prend très longtemps en BD. Je supposais dès le début qu’il allait avoir une pagination importante [219 pages, ndlr]. Si j’avais dû le mettre en couleurs, ça m’aurait pris un an de plus.

« Richard Leroy était curieux car ignorant. »

Dans le vin, la couleur est importante. Ce choix est-il une occasion manquée de dessiner et raconter cet aspect du vin ?

La couleur m’a manqué à quelques moments, notamment pour la couleur des vins. Il y a aussi eu des moments d’orage au-dessus de la vigne où il y avait de très belles couleurs qui m’ont causé un petit regret. Mais j’ai fait un choix de départ, et je m’y suis tenu.

La couverture aurait pu être en couleur.

J’ai préféré m’en tenir au choix du lavis. Puisque le livre est en noir et blanc, je préfère que la couverture ne laisse pas penser autre chose. C’est un choix que je fais en tant que lecteur et en tant qu’auteur.

Dans le livre, Richard Leroy s’exclame : « Tout est subjectif dans le vin ». On pourrait dire la même chose de la BD.

Bien sur. Ce livre est autant un éloge de la perception que de la finesse, du travail de vigneron. J’ai été très étonné des compétences, de l’analyse et de la science nécessaires pour faire ce vin. Tout en sachant que tout ça sera finalement confronté à la subjectivité de celui qui va le goûter. Le vin pourrait être simplement du jus de raisin fermenté qu’on vend pour gagner sa vie. J’ai voulu mettre en scène la complexité qui vient avant ce moment. Avec Richard, quand une bande dessinée lui plaisait particulièrement, j’ai voulu qu’il rencontre l’auteur pour chercher la personne derrière l’objet, pour lui donner chair. Il était curieux car ignorant. Ce livre a permis de se rencontrer, de poser des questions et de se raconter.

« La question du livre, c’est pourquoi et pour qui on fait du vin ou de la BD. »

« Le travail de vigneron a des points communs avec celui d’auteur de bandes dessinées. »

Ce livre est aussi l’histoire d’une rencontre, dont la BD et le vin sont de bons prétextes.

Oui, à l’origine de l’idée, j’entendais Richard parler de rapports avec les marchands, de sa conception du travail de vigneron et j’ai eu l’impression qu’il y avait des points communs avec la BD. Je me suis dit que ce serait intéressant de voir nos deux conceptions du métier.

À la fin des Ignorants, une liste regroupe les vins goûtés et les bandes dessinées citées. Est-ce qu’on vous parle toujours de cette liste ?

Pour les vins, c’est compliqué car certains sont chers ou difficiles à trouver. Heureusement les BD n’ont pas trop ce problème. Des gens me disent encore qu’ils s’en servent comme recommandation de lecture. Je l’ai même vue affichée par des libraires. C’est une bonne façon de poursuivre la lecture.

Plusieurs années après, Richard Leroy lit toujours ?

Il lit toujours des bandes dessinées, et il en achète. Je continue à lui en prêter et on continue à boire du vin. Même si le livre est terminé, l’expérience continue.

Largo Winch II : entre Jean Van Hamme et Michael Bay, il faut choisir

En 2008, Jérôme Salle a réussi un coup de maitre : imposer son Largo Winch sur les écrans. Un pari gagnant qui lui donne envie de récidiver deux ans plus tard. Décryptage d’une suite de tous les dangers, sortie le 16 février 2011.

20th Century Boys : une adaptation sans tuerie

Présentée en avant première mondiale à Paris le 30 Août 2008, l’adaptation du manga de Naoki Urasawa a fait une entrée timide le 14 Janvier dans les quelques salles obscures de l’Hexagone qui ont bien voulu s’y risquer. Bien qu’il échoue à se détacher du manga éponyme, plagiant jusqu’au style de son auteur, 20th Century Boys n’en est pas moins incontournable pour tout mordu de scénario alambiqué jusqu’à la lie et un délicieux apéritif avant la seconde itération, prévue pour 2010.

Ils ne dépassent pas le mètre vingt, ne connaissent du sexe que ce qu’ils en voient dans les revues érotiques chipées à un paternel peu regardant, et pourtant ils s’y croient. Du fin fond de leur cabane en herbe qu’un transistor à piles emplit d’un rock qui n’en est qu’à ses débuts, ils en ont l’intime conviction : sauver le monde, ils y parviendront. On est en 1969, dans un Japon encore en reconstruction, et cette bande de copains de 10 ans y croit dur comme fer : plus tard ils tiendront le destin de la planète entre leurs mains. Du scénario dont ils seraient les héros ils en ont fait « le cahier des prédictions ». Un vulgaire cahier à spirales bardé de fautes d’orthographes d’élèves de CM1. Presque 30 ans ont passé, et l’humanité n’a pas fait appel à leurs services. Le temps, lui, a fait son œuvre. Les voilà devenus des monsieur tout le monde, de parfaits lambdas dans la mégalopole nippone. Kenji, meneur et grande gueule, tient un combini, une supérette japonaise. Autant dire pas grand-chose. Le petit gros pleurnichard qu’était Maruo s’extasie désormais devant les clientes pubères de sa papèterie pour étudiantes. Quant aux autres, ils n’ont pas mieux réussi. Avec 99 le monde voit l’ère du changement se pointer, les disparitions se multiplier. San Francisco, Londres, les épidémies mortelles suivent à l’identique l’antique cahier de prédiction. L’un des leurs se le serait approprié pour faire d’un délire de casse cous un projet mégalo. On l’appelle « Ami », on le prétend capable de tout, et il veut jouer à la fin du monde.

20th Century Boys est en 2009 le porte étendard du cinéma contemporain de l'Archipel. Un septième art à la fois complexe, esthétique, et grand public.

« Un réalisateur frileux »

A l’origine, 20th Century Boys est un manga sophistiqué et adulte comme aime les faire le désormais célèbre mangaka, Naoki Urasawa, déjà connu pour l’excellent Monster. Yukihiko Tsutsumi, lui, ne compte que trois longs métrages à son actif en qualité de réalisateur. Aucun n’avait atteint la rive occidentale. Des trois 20th Century Boys qu’il réalisera, ce premier jet long de 2heures et vingt minutes transpose à l’écran les six premiers tomes du manga papier. Une adaptation soignée, peut-être trop. Trop souvent soporifique, trop banal, le cadrage vient surcharger un récit captivant. Alliant la prise de face et le gros plan, Yukihiko Tsutsumi se montre frileux dans tous les aspects de sa mise en scène. Soucieux de ne pas déroger à l’œuvre originale, le réalisateur maintient le même tempo sans jamais sans éloigner. Comme Naoki Urasawa découpait son action à même le papier, il applique la mécanique du flash back à outrance. Des va et vient pas forcément indispensables quand ils ne sont pas tout bonnement inutiles. Seule la dernière demi-heure, dans un Tokyo embrasé, proie d’un robot titanesque, se donne les moyens d’étonner le spectateur. Qu’il s’agisse de la caméra ou des effets spéciaux, ni kitch ni tape à l’œil le face à face est monumental. Au point qu’à la sortie de la salle, les pupilles bien dilatées, on ne parle que de ça. Le suspens, insoutenable, l’envie d’en savoir plus, d’en voir davantage.

Le doigt tendu, autrefois l'emblème des fiers à bras, aujourd'hui celui d'Ami et de son parti de l'amitié. La propagande peut commencer.

« Un casting irréprochable »

Gamins comme adultes, le casting de 20th Century Boys est voulu irréprochable. Et sans conteste, il l’est. Rien qu’à leur visage, leur premier geste à peine esquissé, le lecteur du manga reconnaîtra les personnages qu’il a soutenus tout au long des 24 volumes d’une épopée qui part de 1969 à 2015. Sans compter de véritable tête d’affiche, le film doit énormément à l’interprétation des 9 copains devenus selon les cas guerriers de fortune en chemise à carreaux ou costumes trois pièces.

20th century boys, le film, est une adaptation fidèle, ni transcendante ni mauvaise, juste décevante. Mais à la différence du travail de réécriture effectué sur d’autres mangas comme Death Note, le cinéphile risque de se perdre s’il n’est pas un minimum familiarisé avec les aventures de Kenji et ses amis. Quand bien même, le film de Yukihiko Tsutsumi reste une mise en bouche appétissante avant le second épisode et les autres adaptations de poids lourds du manga à prévoir cette année. A savoir Dragon Ball en avril et Astroboy en Octobre, rien que ça!

«Vous offririez bien un verre à un vieux Mousquetaire?»

La dernière BD en date de Jason, le Norvégien qui vit désormais à Montpellier, faisait partie de la sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême.

le_dernier_mousquetaire_dernier_mousquetaire_le_1_bd_type4.jpg
Jason et son « Dernier Mousquetaire » faisaient partie de la sélection pour le prix du meilleur album de Bande Dessinée au Festival d’Angoulême qui se déroule depuis le 24 janvier, et jusqu’au 29. Il rentrera bredouille. Il ne figure pas au palmarès rendu samedi 26 janvier.

Surréaliste est surement un adjectif un peu faible pour qualifier « Le Dernier Mousquetaire« . Dans cet aventure, un vieux mousquetaire alcoolique (pas le plus médiatisé de tous) rencontrera un roi sans divertissement, un général pleutre ou encore une princesse effrontée. Il nouera des amitiés avec un robot simplet, et un camarade de cellule à l’occasion d’une première cigarette (quoi de plus politiquement incorrect aujourd’hui?). Il se confrontera à son pire ennemi, tentant d’être plus efficace que le président et Madame le Maire pour sauver la France.

Avec un trait simple, clair, et des couleurs vives, le dessin de Jason peut paraître simpliste. Il n’en est rien. Son art réside au contraire dans la capacité à rendre terriblement expressifs ces personnages animalisés, uniquement par le contexte, la direction d’un regard, ou une légère courbure d’échine.

Si l’action se situe entre Montpellier et Mars, Jason nous emporte bien plus loin. De ses premières œuvres sombres et cyniques (« Attends« [[paru aux éditions atrabile]]) qui reflétaient l’ennui, la solitude dans une société industrialisée, Jason a conservé le flegme tout scandinave de son dessin et des dialogues à l’économie. Il a aussi conservé ses personnages, ou en tout cas son personnage, qui tel un acteur, change de rôle à chaque album. Depuis « Hemingway« [[paru aux éditions Carabas]], son univers s’est agrandit, et semble aujourd’hui sans limite.

L’auteur Norvégien de naissance, et Montpellierain d’adoption avait déjà été sélectionné pour le prix du meilleur album en 2003 pour « Chhht!« [[paru aux éditions Atrabile]], ainsi qu’en 2006 pour le prix du meilleur scénario avec « Hemingway« . Espérons que la nouvelle déconvenue ne découragera pas cet artiste inclassable.

Mancha Chevalier Errant

Pour sa deuxième Bande Déssinée, le jeune auteur s’attaque au mythe maudit de Don Quichotte

titecouvman.jpg
Paru en novembre 2007, à l’occasion du 22ème anniversaire de CMax, « Mancha Chevalier Errant » propose une variation sur le thème de l’ouvrage de Cervantes.

L’ambition peut paraître colossale. Le livre d’origine est dense. Les tentatives d’adaptation cinématographique par les géants Orson Welles puis Terry Gilliam furent des echecs.

Le jeune auteur a donc décidé de prendre a rebours l’univers incompressible de l’oeuvre originelle. Il tire partie de l’aspect universel et intemporel de l’histoire de Don Quichotte, pour la calquer à une douloureuse actualité.

Ici le héro, prénommé « Mancha », est une jeune Rwandais Tutsie réfugié au Mali qui ne fait rien de sa vie. Il peint comme Jean-Michel Basquiat, cite Brel, écoute Noir Desir. Ce ne sont pas les excés de littérature picaresque qui altère sa perception de la réalité, mais ses absortions de substances hallucinogènes. Sancho est un sympathique garagiste glouton, Dulcinée une michetonneuse sans classe de Pigalle.

Au delà de la quête, de l’errance, CMax pose également le problème des migrations internationales, et du choc des civilisations.

C’est de ce point de vue là que l’opus pèche un peu par naïveté. Ces questions complexes y sont traitées de façon trop manichéenne, trop simpliste.

Peu importe. Ce livre n’a pas la prétention d’être un traité de politique internationale.

Le dessin de CMax est original, et pour le coup, tout à fait mature. Alternant aquarelle et applâts, traits sobres et abstractions psychédéliques, Il crée une atmosphère chaude et vivante, et n’ennuie jamais le lecteur.

Un défi assez brillament relevé donc, et un jeune auteur à suivre dans les années à venir.