30 octobre 2008. Nîmes, ville antique, carrefour des cultures occitanes et romaines. Au-delà des arènes et des batailles épiques, une réalité contemporaine. Au local des Gladiators, point de Maximus et de Spartacus, l’histoire se montre bien plus chimérique, mais vingt-trois montpelliérains venus mettre à sac la permanence des ultra nîmois. Armés de battes de base-ball, les héraultais blesseront trois nîmois dans cette joute si équitable. Les vingt-six héros d’un soir, se retrouveront en garde à vue quelques heures plus tard, et n’assisteront pas à l’escarmouche du lendemain.
31 octobre 2008. Jour de match à Montpellier. Ce soir, La Mosson ne vibrera pas que pour ses Pailladins. Montpellier accueille Nîmes, son émule gardois. Une rencontre sportive aux allures d’héraut, d’étendard sportif de la région. Deux villes séparées par quelques douzaines de kilomètres qui alimentent ce même goût de la confrontation, de l’antagonisme et de la différence, et pourtant deux villes qui partagent historiquement un même amour du football. De ce Montpellier 1990-1991 qui tutoyait les sommets européens, d’un Laurent Blanc formaté et d’un Carlos Valderrama capillaire à souhait, de ce Nîmes des « sixties », éternel deuxième derrière l’inoubliable Stade de Reims.
20h20. La Mosson accueille son premier derby depuis huit ans. Au cœur de la tribune « Etang de Thau », les fervents, les abonnés : la Butte. Des chants, des clameurs, des applaudissements. Le speaker pailladin barytonne une « mentalité sudiste ». Un tifo, une bannière aérienne de la Butte, se déploie dans toute la largeur de la tribune. Le bleu et le orange, couleurs de la ville et du club, s’immiscent dans le kop héraultais. Une phrase sur la toile, une provocation : « Ce soir à la Mosson rayonne l’unique blason de la région ». Dans la partie haute de la tribune, au sein de la « Petite Camargue », une douceur, un blason entouré de feuilles dorées. En face, tribune Corbières, les Gladiators nîmois tentent la riposte. Un tifo plus modeste dans l’esthétique comme dans la dialectique : « Range ton blason, seul le nôtre illumine la région. Des feuilles dorées pour une mentalité fanée ». L’âme de la Butte s’indigne et siffle. Les insultes fusent. Au milieu, un terrain de football. Les joueurs ne sont pas encore sur la pelouse.
20h30. Coup d’envoi du match. Les Pailladins en rouge, les Crocos gardois en blanc. D’entrée de jeu, une reprise de volée de Lacombe, feu follet montpelliérain, est détournée par Puydebois, gardien de la citadelle nîmoise (4e). Seule véritable action de la première mi-temps. Au cœur de la Butte, les supporters entonnent un « nîmois, nîmois, on t’encule ». En face, les « Gladiators » répliquent. Le ton est enjoué, lyrique, d’une prose à faire rougir Paul Valéry, le natif : « Montpellier, public de merde ». A l’est, sur le terrain, rien de nouveau.
Mi-temps. Score vierge à la pause. La température ne dépasse pas les cinq degrés celsius. Les spectateurs, impotents, transis par le froid, assistent tranquillement à cette rencontre apathique, discutent, parfois commentent, mais rarement s’emportent. Dans les travées, un homme habile, sûrement mandaté par le Loulou local, s’essaye au lancer de chouchous. Il ne manque que rarement son coup. Nuls doutes, le spectacle ce soir, se déroule en dehors du terrain.
21H30. Les joueurs des deux équipes rentrent sur la pelouse pour la seconde période. Le gardien nîmois vient se placer devant la Butte. Les sifflets enflent. Des torches sont allumées. Trois sont lancées sur le terrain. A quelques mètres du portier gardois. Les fumées toxiques s’émancipent. Le match peut reprendre.
A l’heure de jeu, Lacombe toujours lui, est lancé en profondeur et file seul au but, avant d’être bousculé par Sankharé. L’action est litigieuse et il semble y avoir faute, mais M. Duhamel, arbitre de circonstance habitué au plus niveau, en décide autrement. La Butte explose. Un supporter, à la voix fluette, mais avec cet accent du sud qui chante, déchante : « Oh, l’arbitre, tu ne vaux pas une merde ! ».
21H52. Action nîmoise. Malm déborde sur le côté droit avant de centrer au deuxième poteau pour Kébé qui se jette et ouvre la marque (65e). Stupeur à La Mosson. La lanterne rouge, rivale et voisin régional, vient créer la surprise sur les terres pailladines. Dans les tribunes, comme sur le terrain, la tension monte et les esprits s’échauffent. Les tacles glissent, les cartons s’inclinent. Pris par l’euphorie de la victoire, les Gladiators envoient dans leurs chants « Courbis en prison ».
22h08. Egalisation pailladine. Fana centre parfaitement au deuxième poteau et Lacombe, du haut de ses 1.64 mètre, reprend de la tête et ajuste magnifiquement Puydebois (81e). La Butte se lève et exulte. Les supporters s’enlacent et se congratulent. Les chants reprennent : « Allez hey, allez oh, allez Paillade allez, allez faut rien lâcher ! ». S’ensuit rapidement : « Nous sommes l’armée de Montpellier. Rien ne pourra nous arrêter. Les nîmois, c’est des pédés ».
22h22. Fin du match. Le score reste de parité. Sifflets du public. Jamais un match nul n’aura aussi bien porté son nom.
14 avril 1996. Retour à Nîmes, Stade des Costières. Demi-finale de Coupe de France. Nîmes Olympique, alors en National 1, et délaissé dans les méandres du football sans panache, bâtit une nouvelle épopée qui captive les étoiles. Le nîmois Christian Pérez lâche ces mots, après la victoire 1-0 de ses coéquipiers sur le Montpellier Herault SC : « J’ai attendu trente-deux ans pour pleurer pour un match de foot. Ce soir, c’est fou, ils m’ont fait chialer ! ». Pourtant, en cette soirée illustre, les insultes jaillissent et piquent. Des banderoles virevoltent sans pudeur ni valeurs : « Nicollin ne ramasse que la merde. Montpellier en est la preuve », « Nîmes, la honte du Sud ». Mais à l’époque, le terrain, le football, celui qui passionne et soulève, avait endigué la honte, le déshonneur de l’autre football, celui qui abaisse et discrédite sans concessions la beauté de ce sport.