En Afrique du sud, la page de l’apartheid est loin d’être tournée. Tout juste auréolée d’un nouveau titre de Championne du Monde, l’équipe nationale de rugby est au centre d’une polémique. Ou plutôt le célèbre logo qui orne ses maillots vert et or : une petite antilope (springbok), symbole fort de l’apartheid.
Durant l’apartheid, le springbok était l’emblème de toutes les équipes nationales de l’Afrique de Sud. A partir de 1992, la fleur nationale, la protea, vient remplacer l’antilope sur le maillot des équipes. Le rugby est le seul sport à conserver l’animal sur ses tenues. En 1995, l’équipe des Sprinboks remporte chez elle la coupe du Monde de rugby et Nelson Mandela, fièrement vêtu du maillot du XV d’Afrique du Sud, remet la coupe au capitaine (blanc) François Piennar. Sur fond de slogan « une équipe, une nation », cette victoire sonne alors comme la réconciliation d’une nation déchirée. A l’époque, l’équipe ne compte qu’un seul joueur noir dans ses rangs et n’est pas du tout représentative de la société post-apartheid. Sur 48 millions d’habitants, seul 8 millions sont blancs. Le rugby, sport des blancs par excellence en Afrique du Sud, représente l’un des derniers bastions de l’apartheid. Il se trouve ainsi souvent au centre de polémiques plus politiques que sportives.
Les effets de l’apartheid encore présents
Avant la dernière coupe du monde, la préparation de l’équipe nationale a été perturbée par la question de savoir s’il fallait emmener la meilleure équipe possible pour gagner la compétition ou bien l’équipe la plus représentative de la nouvelle société ? Le rugby reste encore un sport de riches auquel les noirs ont difficilement accès. Les effets de l’apartheid se font toujours ressentir. Sam Ramsamy, actuel représentant de l’Afrique du Sud au Comité Exécutif du CIO, estime que «le milieu du rugby apparait toujours comme des plus conservateurs, maintenant son sport dans un exercice racial inégalitaire». En effet, les écoles à majorité noire ne possèdent pas de terrains de rugby, freinant ainsi l’accession de ceux-ci au plus haut niveau. La plupart des joueurs professionnels sont issus de vieilles écoles prestigieuses. En 2006, Zola Yeye, devient le premier manager noir des Springboks. Il déplore que la composition actuelle de l’équipe soit « l’héritage direct de 50 ans de régime discriminatoire ». Sur les trente boks victorieux en France en octobre 2007, seuls six étaient noirs ou métis.
Discrimination positive
Face à cela, le gouvernement s’impatiente. Faisant la part belle à toutes les polémiques, il va jusqu’à imposer des quotas de joueurs noirs dans les équipes régionales et nationales et menace également de changer le nom des Springboks pour celui des Proteas. L’objectif étant d’arriver à une équipe nationale aux deux-tiers noire d’ici 2009. Ceci implique plusieurs questions. Tout d’abord, la discrimination positive est-elle la solution au problème ? Pour Russell Carelse, manager de l’académie de Rugby de Stellenbosh, « le gouvernement concentre trop son attention sur les équipes professionnelles au détriment d’une politique de terrain à même d’apporter de réels débouchés à des joueurs noirs ». La solution serait d’initier les enfants au rugby dès le plus jeune âge. Pour cela, il faut doter les écoles d’infrastructures de qualité afin que tout le monde soit sur un pied d’égalité.
L’autre question est économique. La « marque » Springbok génère chaque année plus de 12 millions de dollars. Une somme non négligeable, lorsque l’on sait que le rugby en Afrique du Sud, comme dans beaucoup de pays, a besoin d’argent. S’il faut régler le problème à la source, le gouvernement aura besoin de moyens.
Un rugby au centre de toutes les tensions entre noirs et blancs, une antilope qui pourrait bien se sauver du maillot, mais deux titres de champion du monde en aucun cas usurpés.