« La biture express », le nouveau phénomène

Pour faire face au nouveau phénomène de « biture express », l’hyper-alcoolisation des plus jeunes, le lycée Jules-Fil de Carcassonne fait tout pour sensibiliser élèves et parents à ce problème.

Aujourd’hui, « beaucoup recherchent l’ivresse. Et surtout, ils consomment de plus en plus jeunes. » Ce constat, tiré par Élizabeth Richard et Colette Maurete, profs de sciences et techniques sanitaire et sociale à Jules Fil, définit un nouveau phénomène qui touche les jeunes, la « biture expresse ». D’ailleurs, le proviseur, Jérôme Rallo, considère l’alcool comme un « problème à prendre à bras-le-corps ». Son adjointe, Marie-Thérèse Roque et l’infirmière Monique Dalenc encouragent la première phase, celle du constat. La deuxième, l’action, doit très vite intervenir.

Dès le matin, à 8 h quand les élèves rentrent dans l’établissement, il arrive que certains ne soient pas bien réveillés, en raison d’une fête qui s’est achevée tard la veille. Plusieurs pôles doivent vérifier l’état des jeunes. Le premier se trouve en cours, le second à l’infirmerie. Les lycéens y vont de leur plein gré ou y sont envoyés par un « adulte », qu’il soit surveillant, prof ou administratif. Hors de l’établissement, la scolarité entretient des relations régulières avec les conducteurs de bus du conseil général, en charge de transporter les élèves, là aussi pour établir son réseau. Marie-Thérèse Roque explique que certains de ses élèves sont « en danger », il est donc de son devoir « de responsabiliser les parents ». Evidemment, le discours diffère à chaque fois, selon les cas.

Pour la prochaine rentrée, « tous les adultes de l’établissement vont recevoir un sondage qui permettra d’élaborer une attitude commune » soutient Monique Dalenc. Ainsi, dès septembre, si le projet voit le jour, chaque adulte devra adopter une attitude commune. Ce sera la deuxième phase du projet, celle de l’action.

En attendant, les lycéens de première d’Élizabeth Richard et de Colette Maurete ont réalisé un sondage, distribué à plusieurs classes. Il confirme que les jeunes sont informés. Pour atteindre le plus grand nombre, les tableaux statistiques de l’enquête doivent être bientôt affichés au CDI de l’établissement. D’ailleurs, dans cette classe de sciences et technologies de la santé et du social où les trois quarts veulent devenir infirmière et beaucoup d’autres travailler dans le social, on commente allègrement les résultats. « On s’y attendait » souffle une d’elle. Les prémix, mélanges colorés d’alcool fort et de soda ou jus de fruits « se boivent comme du jus d’orange » ajoute un camarade. « Dans les fêtes de villages, des jeunes de 10-11 ans disent que c’est pour leur père » ajoute une autre.

En tout cas, une chose est sûre. Jules Fil n’est ni plus, ni moins touché que les autres lycées par les problèmes d’alcool chez les jeunes. Mais au moins, ici plus qu’ailleurs, on veut trouver des solutions au problème.

30 % des sondés boivent dix verres en soirées

Jérôme Rallo, proviseur du lycée Jules Fil, est très attaché à lutter contre l’alcool. Selon lui et son entourage pédagogique, son établissement est dans la « moyenne nationale » de la consommation d’alcool. En témoigne un sondage réalisé par la classe de première sciences et technologies de la santé et du social (ST2S, ex-SMS). Dans le cadre de leurs études, les élèves ont réalisé un questionnaire interne auprès de dix-sept classes. Les résultats indiquent entre autre que 90 % d’entre eux consomment de l’alcool, à intervalle plus ou moins régulier. Plus de quatre sur cinq déclarent boire occasionnellement. Élément surprenant, près d’un tiers avoue absorber plus de dix verres en soirée.

Juste quatre élèves sondés déclarent ne pas avoir reçu d’information concernant les risques liés à l’alcool. Un seul sondé avoue avoir déjà consommé en toute solitude et très peu sont accompagnés des parents. Deux ont déclaré avoir déjà bu dans l’enceinte du lycée. Ce dernier chiffre confirme ce que pensent professeurs et personnel administratif : les jeunes qui boivent aux abords de l’établissement n’y sont inscrits.

Témoignages de lycéens

En privé, certains élèves avouent boire parfois un peu trop. Quatre élèves de Jules Fil acceptent de témoigner, anonymement, de leur expérience avec l’alcool.

Une fois, cette première demoiselle a bu plus que de raison. Il semble que ça lui a servi de leçon. « Ce soir-là, j’étais proche du coma éthylique. Comme si je m’étais pris un mur de pleine face. Le soir, j’étais gelée et pour parler, c’était la galère. J’avais l’impression de bien parler, mais les autres ne comprenaient rien. Le lendemain matin, j’étais dans le brouillard total, je n’avais rien vu venir. Le lundi, en revenant au lycée, j’avais très honte, c’est rabaissant. » Maintenant, elle ne boit jamais plus d’un verre ou deux. Ce qu’elle ne veut pas, c’est « gâcher la soirée en finissant à l’hôpital, ni faire peur aux parents ». Puis son copain ne boit pas et il n’aime pas la voir dans de tels états.

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« Je n’ai jamais été ivre, je n’ai jamais vomi. Juste ce qu’on appelle joyeuse ». Le week-end, cette autre jeune fille boit un peu. « Certains disent qu’ils vont se saouler la g…… Et quand tu n’es pas joyeuse, tu ramasses les autres. L’autre soir, tout le monde était ivre. Moi, je n’avais bu qu’un seul verre, je me suis ennuyée toute la soirée. Quand je suis à cinq verres, j’ai chaud, je rigole, j’ai l’estomac en feu. » Elle-même, 17 ans, craint les mélanges entre l’alcool et le volant. « Une de mes copines a le permis. Un soir, elle retrouve des amies et revient saoule. On n’avait pas le choix que de rentrer avec elle. Maintenant, elle continue de boire et conduire, mais depuis, je refuse de monter avec elle. J’ai peur pour elle, elle prend beaucoup trop de risques. »

Un jeune homme déclare ne jamais boire au lycée. Si son éducation lui interdit, c’est aussi, et surtout, une question de respect pour les profs. « Ici, je suis là pour travailler ». Il a quand même un ami avec une grande maison dans un village. « En cinquième, le groupe (une petite vingtaine, avec pas mal de filles) amenait surtout de la bière, maintenant, c’est un peu de tout, whisky, vodka… Le but n’est pas d’être ivre, mais parfois on boit une dizaine de verres par soirée. Quand un d’entre nous va mal, les autres lui disent d’arrêter. » En tout cas, il n’est jamais question d’aller jusqu’au coma.

Enfin, cette élève-ci ne boit jamais. « Boire, ça ne me dit rien. Je ne sais même pas quel goût cela peut avoir. Enfin, on m’a dit que la bière avait un goût de rouille » ! Elle pense que le sondage est une bonne action mais qu’il faut plus intervenir auprès des secondes, car « beaucoup d’entre eux boivent déjà ». « Moi, je fais des soirées avec du thé. En tout cas sans alcool, je n’ai pas envie de me bousiller la santé. Puis j’ai peur des accidents de la route, de croiser quelqu’un qui a bu. »

La drogue, véritable fléau des établissements scolaires

En quelques années, les chiffres de la consommation de drogue ont explosé. Lors d’un déplacement houleux au lycée Paul-Bert, à Paris, François Fillon s’est exprimé sur ce fléau en milieu scolaire. Le Premier ministre a même présenté les principaux axes d’un plan d’action, prévu pour fin juin. Pour l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, l’établissement scolaire demeure le premier lieu où trouver du cannabis. Recueillis devant un grand lycée montpelliérain, des témoignages confirment cette tendance. Pourtant, dans la région, les actions de prévention se multiplient.

Des résultats au bac (82 %) en adéquation avec la moyenne nationale, une architecture moderne, un encadrement dynamique, des enseignants motivés. Ici, aussi bien qu’ailleurs, on étudie les maths ou la philo, mais aussi le cinéma, le théâtre, les arts plastiques. Jean-Monnet est un lycée qui a plutôt bonne réputation. Et pourtant… Devant l’établissement, la drogue circule au quotidien. En France, en milieu scolaire, c’est partout comme ça.

« Il n’y a jamais de problème pour trouver de l’herbe ou du shit… » Pour Sébastien, élève en première, le lycée montpelliérain ne déroge pas à la tendance nationale. Il affirme même que plusieurs revendeurs y sont scolarisés : « Des jeunes de l’extérieur et même des collégiens des alentours viennent se fournir devant le lycée. » En effet, ils sont nombreux, âgés entre 12 et 16 ans à grouiller sur le parking, à l’heure des sorties. « Les après-midis, on vient se poser à côté du lycée pour fumer », explique Nardre, 16 ans et non scolarisé. Si, selon Sébastien, il s’agit exclusivement de drogues douces, certains sont moins catégoriques. « Trois fois par jour, trois jeunes vendent de la drogue devant le lycée et notamment de la cocaïne », raconte Cyril, 17 ans.

Moins dramatiques ou plus naïfs, certains élèves comme Cédric et Paul nient la circulation de drogue dans leur institution : « Il n’y en a pas vraiment ou sinon, c’est seulement des drogues douces. Après, ça ne nous intéresse pas, donc on ne fait pas trop attention. » Mais si beaucoup consomment des stupéfiants, de nombreux adolescents témoignent avoir reçu la visite de policiers pour leur faire de la prévention.

Une approche des pouvoirs publics mal adaptée

« Tous les ans, le lycée nous fait remplir un QCM pour se rendre compte de notre consommation. L’an dernier, en seconde, un policier est venu nous parler des risques de la drogue », explique Emilie. « C’est une bonne chose. Cela permet de nous faire découvrir certains produits méconnus », se réjouit-elle. « Pour moi, ça ne sert à rien même s’il faut le faire. Il vaudrait mieux trouver des choses qui choquent », réplique Pierre.

Élève en terminale, Icham, 20 ans, pense que l’approche actuelle des pouvoirs publics n’est pas adaptée : « Faire venir un policier, cela ne sert à rien. Un jeune qui apporterait son témoignage d’ancien drogué sensibiliserait davantage les lycéens », estime-t-il.

Attendant sa fille à la sortie du lycée, Didier Valez ne semble pas préoccupé par le sujet : « Avec ma femme, nous ne nous sommes jamais véritablement posé la question. » Pour lui, la prévention dans les lycées apparaît nécessaire. Il avoue ne pas savoir comment aborder un tel problème : « Je touche du bois. Pour l’instant notre fille ne fume pas et ne boit pas. Mais, si elle s’y mettait, je ne sais absolument pas comment je réagirais. » Un témoignage qui illustre à merveille le flou qui règne aujourd’hui autour de la lutte contre la drogue.