« C’est qui le patron ? » : une brique de lait devient l’égérie d’un nouveau mode de consommation positif

Lassés de subir les pressions des multinationales et la chute constante du prix du lait, 51 entrepreneurs ont choisi de reprendre le contrôle de leur production. Avec l’aide des consommateurs ils créent la brique « c’est qui le patron ? ».

La crise du lait se poursuit en France et les producteurs peinent à faire entendre leurs revendications auprès des grandes multinationales. Après l’affaire Lactalis qui refusait de payer les entrepreneurs au juste prix en août dernier, Nicolas Chabanne décide de prendre le taureau par les cornes. Président du collectif « Les Gueules Cassées » qui milite contre le gaspillage alimentaire depuis sa création en 2014, il crée la marque « c’est qui le patron ? ». Un deuxième volet d’action qui entend tourner le dos aux grandes firmes alimentaires pour redonner le pouvoir aux producteurs et aux consommateurs.

La brique de lait, chef de file de la marque

La brique de lait « c’est qui le patron » est le premier produit de la marque. En août dernier, plus de 6000 consommateurs ont répondu à un questionnaire en ligne afin d’établir son cahier des charges. Ils ont ainsi voté pour un produit d’origine 100% française, garantissant une traçabilité optimale, sans OGM et issu de vaches élevées en pâturage 3 à 6 mois dans l’année. Chaque critère correspondant à un coût fixe, les consommateurs ont également défini le prix de vente de la brique.

Commercialisée à 99 centimes, les consommateurs semblent disposés à payer un peu plus cher leur brique de lait afin de soutenir les producteurs et assurer la pérennité de leur activité.

« #cestquilepatron ? Ça vaut le coup de mettre quelques centimes de plus pour avoir un produit de qualité, dont on connaît tout et qui ne floue pas les producteurs. Belle initiative ! », utilisateur de Twitter.

Rémunérés au juste prix, les entrepreneurs toucheront désormais 39 centimes par litre de lait vendu contre les 25 ou 26 qu’ils perçoivent actuellement de la part des multinationales. Une situation alarmante qui contraint les producteurs à travailler à perte.

« #lamarqueduconsommateur : et si c’était ça l’avenir ? #cestquilepatron ? Pour Moi c’est une réelle révolution qui devra guider nos achats ! », utilisateur de Twitter.

Disponible dans les Carrefour de Paris et de la région Rhône-Alpes depuis le lundi 17 octobre, la brique sera vendue dans tous les Carrefour de France à partir du 2 novembre 2016.

Après le lait, la marque souhaite soumettre d’autres produits aux votes des consommateurs. Prochainement, les français pourront se rendre sur le site afin d’établir le cahier des charges d’un jus de fruit ou encore d’une pizza.

La brique de lait s’invite sur les plateaux politiques

Le lait « c’est qui le patron ? » a fait irruption dans l’Émission politique du jeudi 21 octobre grâce à l’intervention d’Alexandre Jardin, fondateur du mouvement citoyen collaboratif « Bleu Blanc Zèbre ». Une promotion inattendue et bienvenue pour la marque qui privilégie une communication de réseaux afin de faire des économies sur le prix de vente du produit.

Invité de l’émission, Alexandre Jardin critique le programme politique du candidat à la primaire, Bruno Le Maire. Un texte de 1012 pages qu’il juge incompréhensible pour la plupart des français. « Vous avez écrit une brique, je vous en apporte une autre », a-t-il lancé en dégainant la fameuse brique de lait.

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Tandis que Bruno Le Maire se targue d’être proche des français, Alexandre Jardin prend le parfait contre-pied. Il dénonce l’élitisme du candidat et son incapacité à répondre aux problèmes du peuple. Désormais ce sont les « citoyens qui fabriquent les solutions » comme le démontre la création de la brique de lait « c’est qui le patron ? ».

« Les français ont des compétences. Cette France qui existe, elle veut compter, elle n’en a plus rien à foutre qu’une élite écrive 1012 pages pour penser à sa place », Alexandre Jardin.

Plus qu’un mode de consommation alternatif, la marque « c’est qui le patron ? » est le fruit d’une action politique, citoyenne et concrète, contre l’inactivité des puissances dirigeantes.

Extrait de l’Émission politique diffusée sur France 2, le jeudi 21 octobre 2016. Débat entre Alexandre Jardin et le candidat à la primaire de la droite et du centre, Bruno Le Maire :

Des consommateurs à la découverte du premier « drive-fermier » en Gironde

Le 13 octobre dernier, le tout premier « drive-fermier » a ouvert ses portes à Eysines, dans la banlieue bordelaise. Original, le concept propose aux consommateurs de faire de l’e-commerce avec des produits agricoles exclusivement girondins.

Vendredi, 14h55, Véronique, jeune femme d’une quarantaine d’années, arrête sa voiture devant un hangar drive-fermier à Eysines, dans la banlieue bordelaise. À 15 heures pétantes, elle repart avec le sourire et le coffre plein. Cinq minutes, c’est le temps record qu’il lui a fallu pour faire son marché. Deux jours avant, elle avait commandé et payé ses produits agricoles sur internet. Nombreux sont ceux qui, comme Véronique, ont été séduits par cette nouvelle forme de cybermarché version agricole.
Ce concept, le drive-fermier, initié en partie par la Chambre d’Agriculture de la Gironde, permet de simplifier la corvée des courses pour le consommateur qui connait désormais l’origine de ses achats.

«C’est un énorme gain de temps»

Plus besoin de passer des heures en grande surface, d’aller chercher sa côte de bœuf chez Dédé le boucher, de faire une escale chez le viticulteur de la bourgade voisine pour acheter sa bouteille de rouge, puis de finir par quelques kilomètres supplémentaires pour acheter ses légumes au marché. Avec le drive-fermier, le marché se fait dorénavant en ligne, la production locale est relancée et en prime, cela permet de faire une action écologique en diminuant les transports de distribution. Faire ses courses sur le web et venir récupérer ses marchandises à la façon du MacDrive en plus sain, c’est selon Véronique «très pratique, car on peut passer commande à n’importe quelle heure, à minuit si on veut, et ça ne coûte pas plus cher qu’à la ferme». Chaque semaine, les clients ont jusqu’au mercredi minuit pour passer leur commande en ligne. Ils peuvent ensuite venir récupérer leurs marchandises directement acheminées par les producteurs concernés le vendredi après-midi entre 14h et 19h à la Sica maraîchère d’Eysines[[La Sica maraîchère bordelaise est une coopérative de producteurs. Adresse : 44 rue du 19 Mars 1962, 33320 Eysines]], ou prochainement au château des Iris à Lormont. «C’est un énorme gain de temps ! On arrive, on se gare, les producteurs chargent les coffres de voiture avec les cagettes déjà prêtes, et le tour est joué!», rapporte Bernadette, une cliente très enjouée. « Et comme on achète directement aux agriculteurs, les prix sont moins chers qu’en grande surface».
Avec une vingtaine de producteurs partenaires, le choix des produits est très large et plutôt original. En plus des fromages olfactivement corsés mais très savoureux, des conserves de foie gras, des vins bordelais et des légumes, le consommateur peut aussi acheter des produits atypiques tels que des physalis [[Plante de la famille des Solanacées, dont une espèce, acclimatée en France, donne un fruit jaune. On l’appelle aussi « amour en cage »]], du safran ou encore du civet de chevreau.
Clients satisfaits, ambiance champêtre et chaleureuse, les vendredis sont aussi l’occasion d’échanger avec les producteurs. Au final, chacun y trouve son compte, avec d’un côté, le client qui «fait une bonne affaire en mangeant sain et en faisant travailler l’économie locale», selon Véronique, et le producteur qui adapte ses quantités à la demande. «Cela nous permet de limiter les invendus», explique Marlène Serrano, productrice de fromages de chèvres. Lassée des visites de journalistes dans sa petite ferme pourtant encore inconnue il y a quelques mois, elle accepte tout de même de nous présenter les véritables productrices de ses fromages – ses chèvres – et de nous parler de sa démarche. «C’est une autre clientèle que l’on touche. Si sur les marchés la majorité de nos clients sont des ruraux, il s’agit plutôt de citadins avec le drive-fermier.» Maintenant, grâce au drive-fermier, Véronique, qui admet acheter régulièrement des surgelés, n’a plus d’excuse pour ne pas consommer local.

http://www.drive-fermier.fr/33/

Une autre télévision est possible, oui mais laquelle ?

Après l’annonce du 8 janvier dernier concernant la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, les réactions ont été nombreuses. Souvent le fait des professionnels de l’audiovisuel. Deux chercheurs ont accepté d’imaginer ce que pourrait être la « télévision de qualité » que Nicolas Sarkozy appelle de ses voeux.

Philippe Meirieu est l’auteur d’« Une autre télévision est possible », Chronique Sociale, Lyon, octobre 2007.
Professeur en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon 2, il est aussi responsable pédagogique de la chaîne de télévision pour l’éducation et la connaissance, Cap Canal

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Philippe Meirieu
Vous qui dénoncez la course à l’audience que se livrent les chaînes de télévision tout en reconnaissant que l’immense majorité d’entre elles ne peut vivre que grâce aux revenus de la publicité , que pensez-vous de l’annonce de Nicolas Sarkozy concernant la suppression de la publicité pour le financement des chaînes publiques ?

Je suis très réservé sur cette annonce. La question de la publicité a été traitée sous l’angle du marché et non pas sous l’angle du statut de la publicité en général.
Je n’appelle pas à une augmentation ou à une diminution de la publicité, mais à une réflexion globale sur le rôle et la place de la publicité à la télévision. Il faudrait réfléchir à l’ensemble des choses qui perturbent la gestion de l’espace public audiovisuel. Toutes chaînes confondues. Par exemple, moi, au titre de la protection de l’enfance, je suis favorable à une suppression de la publicité un quart d’heure avant et un quart d’heure après chaque émission de jeunesse.
D’autres moyens de financement existent. Par exemple le partenariat. On pourrait imaginer des partenariats avec l’éducation nationale, le ministère de la santé etc… Une forme de partenariat ciblé pourrait être entrepris avec les collectivités territoriales. Par ailleurs, je ne suis pas hostile à une augmentation de la redevance qui est en France l’une des plus basse d’Europe.

Que serait pour vous une télévision de qualité ?

Une télévision qui se passionnerait pour la chose publique, aussi bien pour la médecine, que pour l’éducation… Il y a eu des réussites dans ce domaine qui pourraient être reprises.
Une télévision qui prend les gens pour des gens intelligents, ce qui ne veut pas dire de ne pas les distraire. Mais une télévision qui n’est pas un caractère hypnotiquo-magique, qui refuse un certain nombre de trucages, systématiques dans le talk-show.
Une télévision qui donne une place essentielle à l’image de création. Il y a le documentaire mais également quelque chose qui en France aurait un fort potentiel : le cinéma d’animation. Ce n’est pas forcément élitiste. Beaucoup de personnes apprécient le documentaire touristique ou animalier. Le docu-fiction quant à lui peut aider à faire comprendre des choses. Ce qui serait par exemple intéressant, ce serait de faire des scénarios qui présenteraient ce qui se passerait si ceci ou si cela…. Les créateurs ne sont pas suffisamment mis à contribution. De plus il faudrait que ça fonctionne par appel d’offre et pas par copinage.
Une télévision qui prend des risques. Il faudrait avoir du courage pour supprimer le matin les émissions de jeunesse, type dessins animés, qui ont une influence très nocive en terme d’attention à l’école. Par ailleurs, nous sommes dans des formes archi éculées, le 13 /26/52 mn pour le documentaire. Il y a d’autres formes possibles ! Promo et copinages sont devenus le carburant de la télévision. C’est insupportable ! Ce sont toujours les mêmes émissions critiques, même les moins traditionnelles, c’est encore de la promo et du copinage !
Pour que la télévision se fasse culturelle, il faut qu’elle se fasse créatrice de forme. La télévision a été créatrice à ses débuts. Aujourd’hui, c’est l’âge de la télé réalité, qui a été très astucieux en termes d’inventivité. Le problème est qu’il modélise les autres émissions. On tombe dans le paradigme voyeurisme, exhibition, narcissisme.

Yves Soulé est formateur lettre à l’IUFM de Montpellier. Il est associé au laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique éducation et formation (LIRDEF)

Yves Soulé

Comment réagissez-vous à l’annonce de Nicolas Sarkozy concernant la suppression de la publicité sur les chaînes publiques?

J’éprouve beaucoup de soupçons par rapport à un gouvernement qui décide, sans concertation, de dissoudre le lien consubstantiel de la télévision publique et de la publicité .
Je ne crois pas aux idées de partenariat pour financer la télévision sans les logiques d’audimat et donc de publicité. Pourquoi ne pas plutôt imaginer une sorte de carte bancaire télévisuelle qui permettrait une consommation à la carte ? Les téléspectateurs paieraient ainsi leur consommation effective. C’est une solution qui risque néanmoins d’être plus chère que ne l’est la redevance aujourd’hui.
Je me méfie de cette volonté de retour en arrière, vers un passé idéalisé . Y-a-t-il déjà eu une télévision de qualité ? Il faudrait s’intéresser aux discours de la presse sur la télévision dans les années 60…

Que serait une télévision de qualité?

Mon rôle en tant que formateur n’est pas d’imaginer ce que la télévision devrait être. En tant que téléspectateur, j’ai une opinion sur la question. Pour commencer, il faut se méfier lorsque qu’on parle de « la » télévision. Elle est aujourd’hui hybride .
S’il est question des chaînes publiques hertziennes, une télévision de qualité serait un télévision qui n’aurai pas de compte à rendre en terme de rentabilité immédiate . Une télévision qui se poserait la question de l’interactivité avec le téléspectateur.
La télévision conserve un rôle majeur dans la production. On a besoin de l’écriture télévisuelle à côté de l’image figée et presque laborieuse de la lecture en ligne. La télévision a un impact spécifique . Il y a une proximité à l’objet. Elle a été accusée de ruiner la veillée . Aujourd’hui, elle s’oppose à la consommation individuelle, privée, voire égoïste d’Internet.
Toutefois, il faut penser ces deux outils dans leur complémentarité. Un outil comme You Tube offre un formidable catalogue. On ne peut nier les problèmes que son utilisation implique, mais ça appelle une réflexion plus large : pourquoi l’offre de l’Institut National de l’Audiovisuel est si chère ?
Il faudrait un intérêt accru de la télévision pour des publics spécifiques, tels que les ados par exemple. Leur parole dérange. Il faudrait se préoccuper de ce public comme le font certaines radios et non pas en fonction de l’intérêt que pourraient y trouver leurs parents.
Contrairement à Philippe Meirieu quant il parle de sidération, je préfère parler de considération. Cela suppose un certain respect dans le professionnalisme des gens de la télévision. On ne peut pas critiquer a priori. Il y a comme une difficulté à penser la télévision. Elle fait peur . Le pouvoir d’aliénation qu’on lui prête est tel qu’on en vient à la considérer comme l’«autre».
La télévision nécessite un apprentissage, sur quatre points essentiels : le contenu, le traitement, les intentions et l’impact. Le téléspectateur peut choisir d’avoir une position critique face à la télévision, mais soyons honnête, la télévision est aussi bien souvent une fenêtre d’oubli de la réalité, de décalage par rapport à ses obligations journalières. Elle constitue une soupape. Il serait aberrant de demander au téléspectateur qu’il se comporte comme les chercheurs aimeraient qu’il le fasse.

Le réalisateur, le producteur et le diffuseur

Ils sont trois acteurs principaux du scénario de la création audiovisuelle. Condamnés à évoluer de concert, leur entente est parfois proche de celle décrite par Sergio Leone dans The Good, The Bad and The Ugly. Un documentariste, un producteur et un diffuseur ont accepté d’expliciter leur rôle et de réagir aux annonces de Nicolas Sarkozy .

Laure Pradal est documentariste

Elle a travaillé pour l’émission Strip-Tease et réalisé de nombreux documentaires diffusés sur Arte, France 2 et France 3.
Ce sont « des documentaires d’auteur, avec une écriture orientée vers la fiction. J’ai réalisé surtout des films personnels, seulement cinq commandes, c’est alors moi qui écris le scénario . Le diffuseur ou le producteur commande uniquement le sujet ». Elle explique que dans son travail, le repérage est très important. Pour un documentaire de 13 minutes, il peut prendre 6 mois. Il faut obtenir toutes les autorisations. Le réalisateur doit donc savoir « mener plusieurs projets en parallèle ». Laure Pradal confie « le plus déplaisant est peut-être l’incertitude liée à ce métier, le statut d’intermittent est un atout en France, par rapport à d’autres pays, mais il est toujours menacé ».
Pour elle « le producteur idéal est celui qui a une culture documentaire importante, qui connaît parfaitement le travail de l’auteur pour pouvoir séduire les diffuseurs. Il doit avoir un regard extérieur pour juger le travail de l’auteur, tout en lui laissant une grande liberté créative ». Interrogée sur les phénomènes de concentration dans la production, elle répond « Il y a bien sûr de grosses productions qui ont le monopole mais les diffuseurs veillent à travailler avec des boîtes plus petites et en province. Ils travaillent souvent davantage avec des réalisateurs qui se sont fait un nom qu’avec des inconnus ». Laure Pradal veut gagner plus d’indépendance «je vais travailler avec la production de mon frère: Manuel Pradal, cela deviendra une structure familiale. Des réalisateurs comme Agnès Varda ont depuis très longtemps leur propre production».
Au sujet de l’annonce concernant la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, elle réagit : « Ce qui est en danger est tout ce qui touche à la culture, l’espace de création va être de plus en plus limité, l’intermittent de plus en plus marginalisé ».
La qualité de la télévision publique en France ? « Seules quelques cases, très tard le soir ». Laure Pradal est d’accord avec l’idée que les grosses productions peuvent servir de vitrines « si elle entraînent le spectateur dans une curiosité vers le genre documentaire. Mais cela peut avoir un effet pervers, le spectateur peut devenir accroc à ce genre de films avec des artifices permanents. Son mode de pensée ne lui permettra alors plus d’accéder à des films plus austères ».

Laure pradal

Marie-France Dewast travaille pour ADL Production

Cette société est implantée à Montpellier. Marie-France Dewast l’a rejoint il y a quatre ans. Elle en est la productrice déléguée. ADL produit des documentaires de création.
Une dizaine d’auteurs lui ont soumis leur projet. Elle en a produit trois (deux étant diffusés à la télévision, un troisième en circuit associatif). Lorsqu’on l’interroge sur sa profession à travers une citation de Catherine Humblot « la plupart des sociétés de production fonctionnent sur un mode artisanal… les producteurs sont des gens passionnés, susceptibles et en perpétuel danger financièrement » sa réponse est laconique « je suis d’accord avec elle » .
Didier Mauro [[Le documentaire, Cinéma et télévision, Dixit, Paris, 2003]] remarque que les sociétés de production spécialisées en documentaire sont dix fois plus nombreuses (650) qu’il y a vingt ans. Ce sont souvent de petites structures qui prennent des risques financiers. « L’apport de la Société de production dans le montage financier d’un film varie de 5 à 20 %, en industrie le plus souvent » explique Marie-France Dewast . La recherche de financements est une partie importante du travail des producteurs. Marie-France Dewast rajoute « mais pas la seule, car ce travail ne se fait que si on adhère au projet d’un auteur et qu’on décide de s’y investir à fond – et souvent à fonds perdus ! » . Il commence par la réécriture du sujet très souvent, et par des conseils à l’auteur. Il continue avec la recherche d’accords avec un diffuseur. «Les chaînes publiques sont des partenaires recherchés mais très convoités» .
Interrogée sur les ventes à l’étranger, elle explique « les ventes à l’étranger sont rares et chères : d’abord il faut faire traduire les dialogues, les sous-titres en langue étrangères sont assez coûteux ; les démarches également, car il faut se rendre sur les marchés, type festival en France et à l’étranger… on pratique plus fréquemment les ventes aux chaînes du câble ou à des locales ».
Consultée sur son ressenti après l’annonce de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, Marie-France Dewast s’interroge « tout est lié aux compensations qui seront garanties, et, qui paiera ? » elle ajoute « mais, je ne suis pas contre une chaîne publique sans publicité ».
Sa définition d’une télévision de qualité ? « diversité et chance aux nouveaux venus en préservant les auteurs plus expérimentés qui ont des choses à nous apprendre ».

L'asile du droit. Documentaire produit par Marie-France Dewast

Tiziana Cramerotti est la responsable de l’antenne et des programmes de France 3 Sud

Tiziana Cramerotti explique que sur les 200 à 250 projets qu’elle reçoit chaque année, une vingtaine sont retenus. Lorsqu’on lui pose la question des critères, elle précise « il s’agit de documentaires ancrés dans la région, tous les thèmes sont ouverts, ils sont parfois liés à un événement. Par exemple, l’année dernière, à l’occasion du mondial de rugby, trois documentaires ont été diffusés. Dans ce cas précis, 18 mois d’anticipation ont été nécessaires ».
Si le nombre de projets qui lui parviennent est suffisamment important pour permettre une offre diversifiée, il arrive à Tiziana Cramerotti de proposer des sujets. Ayant une formation de linguiste, elle a un jour trouvé intéressant de chercher à « identifier quels étaient les gens qui, à travers le temps, avaient forgé l’accent du Sud Ouest ». Elle ajoute « dans ce cas précis, cela s’est fait de façon très informelle, j’ai eu l’occasion d’en parler autour de moi, et, d’un intérêt commun avec un réalisateur est né la documentaire Drôle d’accent».
Concernant le goût du public, il n’y a pas d’enquête d’opinion . Tiziana Cramerotti explique que « les retours que font sur le site Internet les téléspectateurs sont le plus souvent encourageants et enjoignent à continuer ainsi ».
France 3 Sud s’inscrit dans le projet du documentaire dès le départ, par un contrat de coproduction. « La chaîne participe à un échange éditorial avec le producteur et le réalisateur » renchérit Tiziana Cramerotti, avant de préciser que la part de la chaîne dans le budget total du film est de l’ordre de 25% en moyenne.
Interrogée sur les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy concernant le financement des chaînes publiques, elle répond qu’« en attendant plus de précisions, rien ne change » . Quant à sa conception de ce que doit être une télévision de qualité, elle affirme « une télévision attentive à la vie des citoyens dans leur quotidien, aussi bien dans leurs affaires de travail, de famille, d’amour, de connaissance mais aussi de repos et de loisirs. Une télévision qui sait prendre l’individu dans toutes ses composantes et qui est rigoureuse dans son travail ».

Graine d'espoir. Documentaire diffusé sur FR3

Documentaire et chaînes publiques

Si un « genre » de l’audiovisuel français peut s’interroger sur les nouveaux dispositifs en matière de financement des télévisions publiques, c’est le documentaire.

Olivier Mille, président de la commission d’aide à la création télévision Procirep, rappelle «le secteur public finance une part importante de la fiction et de l’animation et la totalité du documentaire» [[ Ecran Total n° 678, oct 2007]] L’apport des chaînes publiques dans le documentaire s’élève à 99,8 millions d’euros en 2006, soit un taux de financement de l’ordre de 45,2% [[Chiffres CNC]]
Le budget d’un documentaire de 52 minutes destiné à une chaîne hertzienne coûte en moyenne 150 000 euros . Dans ce budget, plusieurs acteurs interviennent selon un scénario très précis.
Scénario qui met en lumière la dépendance du documentaire envers la manne des chaînes publiques.
Pour financer un documentaire, trois acteurs sont indispensables : un diffuseur (dans ce cas les chaînes publiques), un producteur, et l’Etat (via le Cosip/CNC, compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels) . Le Cosip, crée en 1986, est selon Didier Mauro, auteur de « Le documentaire, Cinéma et Télévision »[[ Le documentaire, Cinéma et télévision, éditions Dixit, Paris, 2003]] « le principal bailleur de fonds du documentaire » . Il est alimenté par une taxe sur la redevance et les recettes publicitaires des chaînes publiques et privées ainsi que sur les abonnements.

Un scénario précis

Lorsque qu’un documentariste a un projet destiné à être diffusé à la télévision, il peut espérer obtenir des aides à l’écriture via le CNC Centre National de la Cinématographie, la SCAM Société Civile des Auteurs Multimédias, les régions … .
Une fois ces aides obtenues (ou non, les dossiers sont nombreux), il doit trouver une société de production prête à s’investir afin de réunir les moyens nécessaires à la réalisation du film. Le producteur prépare alors avec l’auteur le dossier de présentation du projet .
Ce dossier est proposé aux chaînes de télévision en vue d’établir un contrat de diffusion ou de coproduction. Il sert ensuite à demander des financements aux institutions (Cosip, Procirep…). Le projet n’est éligible qu’une fois contractualisées les relations entre la société de production et la chaîne de télévision .
Les démarches visant à rechercher des financements complémentaires (aides de l’Union européenne, des collectivités territoriales, des ministères et musées, instituts de recherche, prévente de droits de diffusion etc.) ne seront elles déclenchées, qu’une fois établis les rapports entre le Cosip et la société de production.

Les règles du scénario

Les règles qui régissent ce scénario sont nombreuses . Elles portent sur le statut de l’œuvre audiovisuelle, sa définition, sa production, sa diffusion (les chaînes publiques ont une obligation de diffusion de 40 % d’oeuvres françaises et 60 % d’œuvres européennes). Certaines de ces règles sont aujourd’hui remises en question.
La commission Copé sur la « nouvelle télévision publique » a pour but de réfléchir à quatre grandes thématiques : le financement, les nouvelles technologies, la définition du futur contrat de service public et enfin la gouvernance d’entreprise, c’est-à-dire les rapports entre France Télévision et l’Etat. Une façon de mettre en route «l’une des plus grandes réformes accomplies» durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Sauf que la réforme de l’audiovisuel était, bien avant ces effets d’annonces, déjà en chemin.
En octobre dernier, le gouvernement reculait sur la procédure d’adoption du décret visant au renforcement des obligations d’investissement des diffuseurs dans les œuvres audiovisuelles. Ce décret, voté par le Parlement, précisait la notion d’oeuvre et le pourcentage des quotas leur revenant.
A peu près au même moment, Christine Albanel confiait une mission de concertation à David Kessler et Dominique Richard ayant pour but de réfléchir à l’évolution des décrets Tasca, au motif qu’ils seraient désormais inadaptés «à l’ère du numérique ». Décrets qui contraignent les chaînes à investir 16% de leur chiffre d’affaire dans la production audiovisuelle .
Ces discussions ont contribué à augmenter les tensions entre producteurs et diffuseurs.
Désaccords vites aplanis après l’intervention du 8 janvier de Nicolas Sarkozy . Muriel Roze, directrice des magazines et documentaires sur FR3, a résumé l’état actuel des choses, en commentant le projet de suppression de la publicité sur les chaînes publiques « Les producteurs sont forcément un peu inquiets, c’est évident, leur sort est très largement lié au nôtre ».

Quels scénarios pour la création audiovisuelle ?

Suite à l’annonce de Nicolas Sarkozy relative à la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, les appréhensions des professionnels de la création sont nombreuses.



« Nous sommes inquiets » confiait Jacques Peskine, délégué général de l’union syndicale des producteurs audiovisuels (USPA), lors du festival international des programmes audiovisuels (FIPA) à Biarritz.
Un sentiment que la création de la commission instituée par Nicolas Sarkozy pour réfléchir à un nouvel audiovisuel public, n’est pas parvenue à éliminer. Jean-François Copé, son président, a été apostrophé le 20 février dernier sur France inter, au sujet des effets collatéraux de cette annonce. L’auditeur : un scénariste de téléfilm, lui précise «sachez que nous les créateurs, ressentons déjà les conséquences de cette déclaration (fuite de certains annonceurs). Dans quelle mesure pouvez-vous nous garantir la pérennité du financement ?». Dans sa réponse, Jean-François Copé s’est reporté aux propos de Nicolas Sarkozy selon lesquels il y aurait une compensation à l’euro près des pertes liées à la suppression de la publicité . «Une promesse qui n’engage que ceux qui y croient» commente le même jour à la radio Catherine Tasca, ancienne ministre de la culture et de la communication «nous connaissons l’état actuel des finances publiques, je ne crois pas un instant en la capacité d’installer durablement un volume équivalent».

La popularité de Nicolas Sarkozy est en berne. Les français semblent plus confiants en l’action de son premier ministre. C’est d’ailleurs à lui qu’a été adressé, le 23 janvier dernier, un courrier commun des organisations de l’audiovisuel et du cinéma.
Dans cette lettre, les auteurs admettent que « la philosophie (du projet de suppression) pourrait aller dans le bon sens » mais soulignent « le flou » des contours sur la compensation des ressources. Ils ajoutent « le service public joue un rôle essentiel dans la diversité et le dynamisme de la production française de fiction, de documentaire, d’animation et de spectacles vivants. Nous nous trouvons donc à un instant décisif de l’avenir de France Télévision et de la création audiovisuelle française ».

Qu’est-ce que cela signifie ?

Qu’en est-il des mécanismes qui rendent la création directement dépendante de la télévision publique ? Quel est le quotidien des professionnels de la création audiovisuelle ? Que pensent les spectateurs de cette réforme ? Qu’en pensent certains spécialistes ?

Une série d’articles pour répondre à ces questions

Les premiers, à travers l’exemple du documentaire, s’attacheront à présenter les étapes à suivre pour le financement de ce « genre » particulier (Documentaire et chaînes publiques) ainsi que le quotidien des acteurs stratégiques du film documentaire (Le documentariste, le producteur et le réalisateur).
Puis, une interrogation sur l’exception culturelle française servira d’introduction aux articles consacrés aux attentes du public (Télévision Publique, qu’en pense le public ?) ainsi qu’à celles de spécialistes ayant réfléchi dans leurs travaux à la télévision (Une autre télévision est possible, oui mais laquelle ?).