Lecteur exigeant cherche nouveautés à son goût

741 sorties littéraires pour la rentrée 2010 : un labyrinthe de papier qui donne le tournis. Malgré son appétit insatiable pour la nouveauté, le lecteur n’a pas envie de se perdre. Sauramps, l’une des plus grandes librairies indépendantes de France, se plie en quatre pour guider sa clientèle montpelliéraine. Visite d’une enseigne pas comme les autres.

Les livres de la hotte de Noël 2009

Avec l’arrivée du Père Noël, la librairie Sauramps remplit ses rayonnages. Située au coeur du quartier commerçant de Montpellier, le célèbre bouquiniste prend le parti de surprendre ses clients par une kyrielle d’ouvrages aspirant à satisfaire petits et grands. Passage en revue.

En tête de gondole, ils trônent. Stratégie commerciale oblige, les prix littéraires et best-sellers attirent l’œil du chaland dès son entrée chez Sauramps. Pour Alain, responsable commercial, « le dernier prix Goncourt, Trois femmes puissantes de Marie N’Diaye, est une valeur sûre en terme de vente », même s’il précise  » que ce n’est pas pourtant pas le meilleur ouvrage » de l’écrivaine. Et de renchérir, « une femme, noire, qui parle du problème des femmes ça marche toujours ». Pourtant ses anciens livres sont particulièrement prisés en ce moment.

Cette tendance est à l’image de Mylène, enseignante trentenaire, qui achète « par principe tous les prix littéraires ». Et la rentrée littéraire ? « Mis à part les livres primés, je ne me sens pas plus que ça influencée par les nouveautés ». Enfin elle reconnaît tout de même acquérir les derniers Marc Levy et autre Anna Gavalda, « des livres un peu cul-cul pour les vacances et la plage. C’est juste pour le divertissement » dit-elle avec une pointe de confession.

Des nouveautés comme celui d’Hubert Haddad avec Palestine suscitent aussi l’intérêt du public. Le Goncourt des lycéens, Le club des incorrigibles optimistes de de Jean-Michel Guenassia demeure également un prix qui attire les lecteurs. Alain ajoute que « le livre de Jacques Chirac, qui n’est pas une œuvre littéraire « , se vend bien auprès de clients souvent âgés de plus de quarante ans. Les romans étrangers ont peu de succès par rapport aux nouveautés de la littérature française « même si les romans français sont plus littéraires, plus auto-centrés avec l’autofiction ».

Au rayon poche, Lucile, la libraire, dévoile une couverture en ajoutant d’un air gêné : « Ce livre marche particulièrement bien en raison de son titre ». Il s’agit du Festival de la couille de Chuck Palahniuk. Selon elle, « le rayon des livres de poche est moins affecté par la crise économique. Au contraire, s’il est privilégié c’est bien en raison des prix plus abordables ».En période de Noël, les nouveautés littéraires sont des cadeaux favoris. Les lecteurs acquièrent même plusieurs livres aiguillés par un bandeau-conseil écrit par les libraires.

Du côté des jeunes, Ilana, collégienne de 13 ans, préfère les mangas. « J’ai mes séries préférées et je les achète au fil des sorties ». En revanche, les nouveautés littéraires, elle ne les connaît pas. Pas étonnant au vu des statistiques d’Alain. D’après lui, « ce sont plus généralement les femmes qui achètent, environ 60 % ». Il est vrai qu’au premier abord, la population est largement féminine.

La bande dessinée, un domaine débordant

En cette période de fêtes, un flot de bandes dessinées surabonde les rayons de Sauramps. Une palette de couleurs et de personnages fantasques s’anime sur les couvertures cartonnées.Au comptoir, derrière un rempart d’ouvrages menaçant de s’effondrer, Michael, le vendeur nous explique qu’il reçoit, toute l’année en moyenne, une quinzaine de nouveaux titres par semaine. « Le mois de décembre, c’est la trêve des confiseurs, les éditeurs ont déjà sorti la grande cavalerie avant Noël. »
Sous le sapin, les trois tendances de cette années devraient confirmer le succès des séries populaires : Astérix – L’anniversaire d’Astérix et Obélix : Le livre d’or, Blake et Mortimer tome 19 – La malédiction des trente deniers et De Cape et de Crocs Tome 9 – Revers de fortune

Pour choisir les best-sellers qui feront les meilleures ventes de cette fin d’année 2009, il faut faire le tri parmi les nombreux albums publiés par les maisons d’édition. « Quand un représentant nous propose tel ou tel produit, on doit choisir certains qui nous semble bien mais parfois on peut se tromper. Du coup, on se retrouve avec un stock sur les bras, pour faire baisser les piles on les met en tête de gondole mais ce n’est pas cela qu’on va conseiller », avoue le responsable du rayon.
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Les coups de cœur du libraire ne s’affichent pas toujours sur les devants des rayonnages. « C’est le genre d’albums que j’arrive mieux à vendre en parlant qu’en les montrant » reconnaît-il. Et pour cause, il nous propose un choix qui se veut plutôt hétéroclite : Le premier de la série « Encyclomerveille d’un tueur », L’Orphelin, aux éditions Delcourt, qui signe le retour de Thierry Ségur aux crayons dans un univers fantastique très riche en graphisme.
Et le tome 2 d’ « Auto bio » de Cyril Pedrosa, des éditions Fluide Glacial, un recueil de gags « auto-bio-graphiques » mettant en scène avec humeur les contradictions du mode de vie bobo-écolo.

La BD est dans l’air du temps. Et de plus en plus les professeurs viennent puiser dans les collections de bande dessinée pour les étudier à l’école. C’est un véritable phénomène de société qui prend de l’ampleur et où l’on voit apparaître de nouveaux éditeurs chaque année. Pour preuve à Sauramps, l’espace réservé à la BD et aux mangas ne cesse de grignoter sur celui des autres genres littéraires.

Quant aux mangas, un nouveau lectorat se développe, à coté des plus passionnés, estime Michael, « ils s’interrogent et demandent ce qu’il y a de mieux ». Les différents types de mangas permettent de concerner un large public et non plus seulement des enfants. Ils connaissent aujourd’hui un public divers et apporte un nouveau regard et d’innovants sujets à cette expression majeure du dessin.

Amis lecteurs, c’est le moment de s’offrir une échappée culturelle, le nez dans les pages !

La rentrée des bonnes feuilles

Quelles sont les tendances de la rentrée littéraire? Les choix des lecteurs un mois avant les fêtes de fin d’année? Rencontre improvisée à Sauramps.

Jour de la désignation du prix Fémina, et à la librairie Sauramps en ce lundi matin, quelques badauds se promènent autour des rayons garnis. « C’est une bonne rentrée littéraire avec plus de 700 nouveaux ouvrages dont 450 français » explique Sandrine, responsable du secteur littérature générale qui lit en moyenne une centaine d’ouvrages durant cette période. « La clientèle reste parfois trop portée sur l’image médiatique de quelques auteurs incontournables », déplorent cependant les libraires, parfois frustrés du manque de curiosité des lecteurs.

En avant, le Nobel

Ces derniers qui pourtant franchissent l’entrée de la librairie, s’agglutinent autour des ouvrages de Jean-Marie Gustave Le Clézio. En témoigne, ce couple d’Allemands qui venu acheter un de ses romans connaissait au préalable l’attribution du Nobel à l’écrivain français. « Il y a un petit côté cocorico, on ne pouvait ne pas le mettre en première ligne du magasin », ajoute Yann, employé. De même, au lendemain de notre première visite, le Fémina attribué, une vieille dame se rue sur l’ouvrage de Jean-Paul Fournier, Où on va papa ?. En compagne de son amie qui en a apprécié la lecture, elle reprend les commentaires médiatiques entendus çà et là sur cet ouvrage: « C’est l’histoire d’un père qui élève ses deux enfants handicapés, le narrateur raconte avec beaucoup d’humour malgré le tragique de la situation».

Si les prix semblent effectivement attirer les foules, ils ne font cependant pas tout à en croire les lecteurs. Nombre d’entre eux se refuse à réduire leur choix aux seules récompenses et à la rentrée littéraire. Mirène, s’insurgeant même : « Je connaissais le Clézio au préalable, je viens de terminer Ritournelles de la faim mais je l’ai acheté avant qu’il soit nobelisé ». Pourtant elle est venue chercher Sextus Politicus, ouvrage humoristique sur les hommes politiques avouant : « J’ai entendu plusieurs critiques positives à la radio ». Drôle de paradoxe qui se retrouve chez de nombreuses personnes interrogées. Rares sont celles qui ne s’arrêtent pas à l’entrée du magasin face aux nouveautés de cette rentrée. Il n’y aurait donc pas d’achat anodin.

Une envie de découverte

Un médecin habitué de Sauramps se pose néanmoins en porte à faux avec cette attitude: « Je refuse le principe du marketing autour du livre mais il y a des découvertes intéressantes. La rentrée littéraire n’est finalement qu’un prétexte. Bien sûr, il y a de très bons romans mais aussi des très mauvais, souvent d’ailleurs les deuxièmes romans ». « Nous, on essaie d’avoir nos propres codes concernant l’achat de nos ouvrages : l’accroche du titre, la qualité du papier, et touche d’originalité, lire la vingt-cinquième page». Leur coup de cœur respectif : Dans les veines en fleuve d’argent de Dario Franceschini ». « Un récit qui se déroule le long du Pô, c’est un vrai bonbon dont on ne se lasse pas ». Une déception ? Jason Meek avec Nous commençons notre descente. « Ce livre ne m’apporte rien personnellement » conclut-il.

Plus que la couverture médiatique, le bouche à oreille fait encore son effet. Autre habitué de la librairie, un étudiant dont la pile de poches trahit son engouement pour la lecture explique ainsi : « Je suis plutôt indifférent à l’actualité littéraire et préfère suivre les recommandations de mes proches ».

Dans ce contexte, le public suit-il encore les préceptes des libraires ? Sandrine, notre employée revient à la charge : « Nous, on a conseillé le premier livre d’un auteur montpelliérain Jean-Baptiste Del Amo avec Une éducation libertine ainsi que Syngaré Sahour d’Ahiq Ratimi, un écrivain afghan (d’ailleurs Gisèle achètera ce livre « J’ai lu un article sur ce dernier. Précédemment, j’ai acquis Terres et cendres du même auteur) ou encore Là où les singes sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès (qui à l’heure où s’écrivent ces lignes a obtenu le Prix Médicis)».

Ces orientations semblent avoir porté leurs fruits au vu du nombre de ventes mais encore faut-il se rendre régulièrement en librairie. Un couple de quadragénaires, Marc et Emmanuelle, explique : « Nous ne sommes pas rentrés dans une librairie depuis deux ans, ce jour-ci, c’est l’exception ». Leurs préférences se tourneront vers L’art de la méditation de Matthieu Ricard, moine bouddhiste venu à Lodève cet été au côté du Dalaï Lama vu à « Thé ou Café » quelques jours auparavant. Souvent décriée la floraison de commentaires autour de la rentrée littéraire a aussi du bon.

« Force est de constater que la lecture-loisirs se porte bien avec des secteurs forts : la Bande Dessinée, la Science Fiction et la littérature générale sont en plein essor, la diversité de l’offre en nombre et en genre, garantissant un public large. » entérine Yann, le libraire. Prochain grand rendez-vous de l’année, Noël et une première inquiétude, la crise aura-t-elle un impact sur les traditionnels achats en cette période ?

Alice Ferney se livre

Out of Africa est son film préféré. Elle compare Truffaut à Spielberg, cite avec aisance Nietzsche et Michel Butor. Alice Ferney est une auteure sans complexe, venue présenter son nouveau roman, Paradis Conjugal, sorti aux éditions Albin Michel, à la librairie Sauramps.

Jeudi 13 novembre, à 18h30, l’ambiance est à la complicité et l’intimité féminine au café Bermuda-Clafoutis. Quelques hommes tout de même, la cinquantaine avancée, s’attardent sur chacune de ses paroles. Entre deux confidences, elle qui tapisse son bureau avec des mots et regarde The Hours quand son moral est à zéro, Alice Ferney écoute. A côté d’elle, une jeune femme, Ilène Grange de la Compagnie de l’âtre, lit d’un ton haut perché des extraits de son dernier roman.

L’histoire d’Elsa Platte, délaissée par son mari, qui oublie sa solitude devant le téléviseur. Au programme, encore et encore, Chaînes conjugales, le film mythique de Joseph Mankiewicz, réalisé en 1949. Alice Ferney décortique les sentiments amoureux, la perte de l’autre, le manque.
Parmi la trentaine de personnes rassemblée, curieux ou fidèles, certains hochent la tête, sourient, se reconnaissent dans les paroles de l’auteure.

Bandeau orange sur la tête, look hippie et veste léopard posée sur la chaise, Alice Ferney cumule les livres, les paradoxes et les identités. D’ailleurs Alice est en fait Cécile. Et Ferney, Gavriloff. Car « celui qui écrit n’est pas celui qui vit ». Soucieuse de séparer sa vie de son œuvre, son pseudonyme lui permet d’établir une distance entre sa vie d’écrivaine et son travail de professeur d’économie à l’université d’Orléans. Alice, prénom choisi en référence au conte d’Alice au pays des Merveilles.

« Quand on lit, on se dit c’est ça, c’est ce que je vis ! »

D’ailleurs, Alice finit son verre. Tout en maniant son stylo, elle embrasse d’un regard la salle, et se tait. Ilène Grange, la lectrice, entame un morceau du roman où les enfants d’Elsa Platte l’espionnent pendant un énième visionnage de Chaînes Conjugales. On reconnaît dans l’assemblée les mères de famille avec leurs sourires en coin. Du déjà vécu, assurément ! D’ailleurs Martine, 57 ans, blonde vêtue élégamment d’un long manteau rouge, avoue se reconnaître dans l’état de vérité : « Quand on lit, on se dit c’est ça, c’est ce que je vis ! »

Pour Jocelyne, il n’est pas question de projection dans les personnages mais plutôt de parcourir des yeux un roman bien construit, guidée par « la magie des mots ». Alice, quant à elle, a du mal à tourner la page : « Je suis dans un moment où je déteste mon livre ! A chaque fois j’essaye de l’oublier. La fin d’un livre, c’est un peu comme un deuil »

Dans toute sa bibliographie, qui compte aujourd’hui sept romans, à chaque fois un éternel absent : l’homme. Certains de ses lecteurs lui reprochent d’ailleurs ce manque. Elle réplique que l’homme est toujours présent dans ses ouvrages, mais mis à distance. Et s’il y en a bien un qui a pris le large, c’est le mari d’Elsa Platte. Il a laissé derrière lui un simple post-it : « Prépare-toi à dormir seule ».

Il est 19h30, le public quitte les chaises pour rejoindre l’auteure autour d’une séance de dédicace. Certains achètent même Paradis Conjugal, tout alléchés qu’ils sont. Comme le lapin blanc pressé par sa trotteuse, Alice se lève enfile sa veste léopard et s’en va, laissant derrière elle une pile de livre pour autant de merveilles…

«La vie en Société est un risque, on l’assume ou pas»

La globalisation de la surveillance: aux origines de l’ordre sécuritaire ». Mardi 22 janvier, la librairie Sauramps a organisé à l’auditorium du Musée Fabre une conférence avec le sociologue Armand Mattelart et le magistrat Gilles Sainati à l’occasion de la sortie de leurs ouvrages respectifs.

Annoncé comme un débat, les points de vues des deux invités ont plutôt tendu à la convergence. L’animateur du débat Jean-Jacques Gandini, avocat, ne portera pas non plus la casquette de contradicteur. L’ambiance est à la « résistance ».

Armand Mateelart est sociologue, professeur en science de l’information et de la communication. Il est à la tête d’une production bibliographique pléthorique sur la question, entamée dés 1974. Le titre de la conférence de ce soir est celui de son dernier livre: « La globalisation de la surveillance: aux origines de l’ordre sécuritaire » [[paru aux éditions La Découverte]]. Son ouvrage «le plus biographique».

A ses cotés, se trouve Gilles Sainati, magistrat, secrétaire du Syndicat de la Magistrature, et Juge d’application des peines à Montpellier de 1991 à 2003. Il présente ce soir « La Décadence sécuritaire »[[paru aux éditions La Fabrique]], son dernier ouvrage co-écrit avec Ulrich Schalchli.

Armand Mattelard, Jean-Jacques Gandini et Gilles Sainati

Armand Mattelart ouvre le bal. Sa pensée est foisonnante, son expression vive. A tel point que par moment l’exposé en devient un brin confus. Sa réflexion part, dit-il d’une intuition. Pour lui, «ce nouvel ordre juridique» qu’est la surveillance globalisée, prend ses sources dans la doctrine de surveillance du communisme dès 1947. Ce que d’autres appellent «dérive sécuritaire», il le nomme «aberration des doctrines de sécurité nationale». Les mots ont un sens. En particulier pour un universitaire qui a voué sa vie à l’étude de la communication.

Au cœur même, d’une doctrine de sécurité nationale, se trouve la notion «d’ennemi intérieur». Rampant sous ce terme, se cache une réalité plus effrayante: celle de la suspicion généralisée.

Pour lui, les doctrines de sécurités nationales sont à inscrire dans l’histoire longue des états. On ne peut les comprendre qu’aux travers des séquelles laissées dans l’histoire par les « États d’exceptions », c’est à dire en temps de guerre, ou de situations totalitaires.

Ainsi, le « Patriot Act »[[Loi voté le 26 octobre 2001 par le congrès américain. Ce texte renforce les pouvoirs des différentes agences de sécurité nationale afin de prévenir les actes terroristes. Cette loi suscité beaucoup de polémique, du fait de son aspect liberticide]] reprend la doctrine de sécurité nationale américaine là où le MacCarthysme l’avait laissée.


Armand Mattelard conclut son exposé en évoquant «une mondialisation des normes sécuritaires». Les thèmes, doctrines et méthodologies de surveillance produites dans des situations particulières circulent librement. Ce fût le cas pour les doctrines sécuritaires élaborées aux États-Unis après le 11 septembre, ou encore en Israël. Entre les lignes Mattelard trace un lien de filiation entre le Patriot Act, et l’imposition du thème de la sécurité dans la campagne électorale française de 2002.

Le Pénal se substitue au Social

Le Magistrat Gilles Sainati poursuit. Son discours est plus structuré. La thèse de l’ouvrage qu’il défend, «La Décadence sécuritaire» traite de la déliquescence des principes fondamentaux du droit pénal.

Nous sommes passés, nous dit-il, de la notion de sureté, inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à la notion de sécurité. D’un droit individuel, la notion s’est transférée continue t-il vers un droit de l’État. Là encore, la sémantique est importante. Cette substitution annihile proprement la conception d’État de Droit. Dans un État de Droit, le citoyen est libre, et il est protégé des dérives de l’État par un certains nombre de règles pré-établies. Si la sécurité nationale prime, alors les droits du citoyens ne sont plus supérieurs à ceux de l’État.

En tant que Juge d’application des peines, Gilles Sainati a vu s’effondrer la prévention au profit de la sécurité. Il a vu la police remplacer les associations. Il a vu le pouvoir du procureur augmenter et celui des juges se réduire. Il a vu l’apparition de «l’incivilité» dans le contentieux pénal. Il a vu les procédures se dédouaner d’un certain nombre de contraintes, et la compétence disparaître sous couvert de rationalité administrative.


Dans une surenchère sécuritaire, ont été créés des listings informatique (le fameux STIC) où sont recensés les coupables, mais aussi les victimes, et tous les individus qui ont été entendus dans le cadre d’une affaire pénale. Coupable ou non. Ces fichiers au départ destinés aux crimes sexuels se sont généralisés à toutes les affaires pénales. Ils sont depuis 2002 consultables par les administrations.

Pour Gilles Sainati, on est en train de développer le comportementaliste. L’objectif, qui semble relever de la science fiction, est d’empêcher l’individu de commettre un crime avant qu’il ne songe à le commettre. Par l’établissement de types comportementaux sur différents critères familiaux, économique, sociaux. Puis à ces fichiers on a adjoint les empreintes génétiques des coupables.

Dans la logique du «Qui vole un œuf, vole un bœuf». Toute condamnation passée, quelle qu’elle soit. apparaîtra comme circonstance aggravante. Ce qui est la négation de l’aspect réparateur de la sanction judiciaire.

L’accueil de l’audience sera mitigé. Après tout, bien nombreux sont les satisfaits des nouvelles mesures prises par les aéroports, et personne ne voudrait voir un pédophile ou un violeur en liberté. Pourtant, Gilles Sainati le rappelle: «Le chiffre officiel des récidives en cas de libération conditionnelle est de 1%. La vie en société est un risque, on l’assume ou pas. On ne pourra pas aboutir à une société de risque zéro à mon sens. A moins de faire le choix d’une société où la notion de liberté est très limitée
»