La globalisation de la surveillance: aux origines de l’ordre sécuritaire ». Mardi 22 janvier, la librairie Sauramps a organisé à l’auditorium du Musée Fabre une conférence avec le sociologue Armand Mattelart et le magistrat Gilles Sainati à l’occasion de la sortie de leurs ouvrages respectifs.
Annoncé comme un débat, les points de vues des deux invités ont plutôt tendu à la convergence. L’animateur du débat Jean-Jacques Gandini, avocat, ne portera pas non plus la casquette de contradicteur. L’ambiance est à la « résistance ».
Armand Mateelart est sociologue, professeur en science de l’information et de la communication. Il est à la tête d’une production bibliographique pléthorique sur la question, entamée dés 1974. Le titre de la conférence de ce soir est celui de son dernier livre: « La globalisation de la surveillance: aux origines de l’ordre sécuritaire » [[paru aux éditions La Découverte]]. Son ouvrage «le plus biographique».
A ses cotés, se trouve Gilles Sainati, magistrat, secrétaire du Syndicat de la Magistrature, et Juge d’application des peines à Montpellier de 1991 à 2003. Il présente ce soir « La Décadence sécuritaire »[[paru aux éditions La Fabrique]], son dernier ouvrage co-écrit avec Ulrich Schalchli.
Armand Mattelart ouvre le bal. Sa pensée est foisonnante, son expression vive. A tel point que par moment l’exposé en devient un brin confus. Sa réflexion part, dit-il d’une intuition. Pour lui, «ce nouvel ordre juridique» qu’est la surveillance globalisée, prend ses sources dans la doctrine de surveillance du communisme dès 1947. Ce que d’autres appellent «dérive sécuritaire», il le nomme «aberration des doctrines de sécurité nationale». Les mots ont un sens. En particulier pour un universitaire qui a voué sa vie à l’étude de la communication.
Au cœur même, d’une doctrine de sécurité nationale, se trouve la notion «d’ennemi intérieur». Rampant sous ce terme, se cache une réalité plus effrayante: celle de la suspicion généralisée.
Pour lui, les doctrines de sécurités nationales sont à inscrire dans l’histoire longue des états. On ne peut les comprendre qu’aux travers des séquelles laissées dans l’histoire par les « États d’exceptions », c’est à dire en temps de guerre, ou de situations totalitaires.
Ainsi, le « Patriot Act »[[Loi voté le 26 octobre 2001 par le congrès américain. Ce texte renforce les pouvoirs des différentes agences de sécurité nationale afin de prévenir les actes terroristes. Cette loi suscité beaucoup de polémique, du fait de son aspect liberticide]] reprend la doctrine de sécurité nationale américaine là où le MacCarthysme l’avait laissée.
Armand Mattelard conclut son exposé en évoquant «une mondialisation des normes sécuritaires». Les thèmes, doctrines et méthodologies de surveillance produites dans des situations particulières circulent librement. Ce fût le cas pour les doctrines sécuritaires élaborées aux États-Unis après le 11 septembre, ou encore en Israël. Entre les lignes Mattelard trace un lien de filiation entre le Patriot Act, et l’imposition du thème de la sécurité dans la campagne électorale française de 2002.
Le Pénal se substitue au Social
Le Magistrat Gilles Sainati poursuit. Son discours est plus structuré. La thèse de l’ouvrage qu’il défend, «La Décadence sécuritaire» traite de la déliquescence des principes fondamentaux du droit pénal.
Nous sommes passés, nous dit-il, de la notion de sureté, inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à la notion de sécurité. D’un droit individuel, la notion s’est transférée continue t-il vers un droit de l’État. Là encore, la sémantique est importante. Cette substitution annihile proprement la conception d’État de Droit. Dans un État de Droit, le citoyen est libre, et il est protégé des dérives de l’État par un certains nombre de règles pré-établies. Si la sécurité nationale prime, alors les droits du citoyens ne sont plus supérieurs à ceux de l’État.
En tant que Juge d’application des peines, Gilles Sainati a vu s’effondrer la prévention au profit de la sécurité. Il a vu la police remplacer les associations. Il a vu le pouvoir du procureur augmenter et celui des juges se réduire. Il a vu l’apparition de «l’incivilité» dans le contentieux pénal. Il a vu les procédures se dédouaner d’un certain nombre de contraintes, et la compétence disparaître sous couvert de rationalité administrative.
Dans une surenchère sécuritaire, ont été créés des listings informatique (le fameux STIC) où sont recensés les coupables, mais aussi les victimes, et tous les individus qui ont été entendus dans le cadre d’une affaire pénale. Coupable ou non. Ces fichiers au départ destinés aux crimes sexuels se sont généralisés à toutes les affaires pénales. Ils sont depuis 2002 consultables par les administrations.
Pour Gilles Sainati, on est en train de développer le comportementaliste. L’objectif, qui semble relever de la science fiction, est d’empêcher l’individu de commettre un crime avant qu’il ne songe à le commettre. Par l’établissement de types comportementaux sur différents critères familiaux, économique, sociaux. Puis à ces fichiers on a adjoint les empreintes génétiques des coupables.
Dans la logique du «Qui vole un œuf, vole un bœuf». Toute condamnation passée, quelle qu’elle soit. apparaîtra comme circonstance aggravante. Ce qui est la négation de l’aspect réparateur de la sanction judiciaire.
L’accueil de l’audience sera mitigé. Après tout, bien nombreux sont les satisfaits des nouvelles mesures prises par les aéroports, et personne ne voudrait voir un pédophile ou un violeur en liberté. Pourtant, Gilles Sainati le rappelle: «Le chiffre officiel des récidives en cas de libération conditionnelle est de 1%. La vie en société est un risque, on l’assume ou pas. On ne pourra pas aboutir à une société de risque zéro à mon sens. A moins de faire le choix d’une société où la notion de liberté est très limitée
»