Jean Moulin, une mémoire en héritage

A l’occasion du 70e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940 lancé par le Général de Gaulle sur les ondes de la BBC, Hautcourant est allé à la rencontre de Cécile Benoit, petite-nièce de Jean Moulin, et de son époux Gilbert. Ils nous racontent le riche héritage que leur célèbre aïeul a laissé à la France. L’héritage de celui qui incarne aujourd’hui, aux yeux de tous, la Résistance française.

C’est avec beaucoup d’humilité, mêlée à une certaine fierté, que Cécile Benoît évoque la mémoire de son illustre ancêtre. Plusieurs générations la séparent de la destinée de Jean Moulin, son arrière-grand-oncle qui a joué un rôle considérable dans l’unification des mouvements de Résistance et dans la création, en 1943, du Conseil National de la Résistance. C’est d’ailleurs principalement pour rappeler l’importance des mesures prises par cet organe pour l’avenir de la France que Cécile et Gilbert Benoît acceptent de témoigner.

Comment avez-vous appris à connaître Jean Moulin ?

Cécile : Mes tantes m’en ont beaucoup parlé… Elles ont gardé de lui des souvenirs d’enfance qui, en fait, ne correspondent pas à son engagement dans la Résistance : la mémoire de promenades en vélo par exemple… De sa période de résistant, elles n’ont le souvenir que de petits épisodes.

Gilbert : Vu de l’extérieur, c’est un personnage qui a compté et qui compte beaucoup dans la famille. De nombreux documents, photographies, ont été conservés. Le père de Jean Moulin, homme politique et homme d’art, était un intellectuel qui a conservé beaucoup de souvenirs.

Cécile : Je l’ai donc découvert à travers tous ces souvenirs… Nous avons aussi gardé la maison de Saint-Andiol où Jean Moulin a passé de nombreuses vacances.

Il avait des racines dans la région…

Gilbert : Il était né à Béziers un peu par hasard, à cause des obligations professionnelles de ses parents. Il a ensuite fait son Droit à Montpellier et a travaillé à la préfecture. Mais, le berceau familial du côté de sa mère était surtout la Provence et Saint-Andiol. Il avait un attachement très fort pour cette région.

Parlez-vous souvent de lui en famille ?

Cécile : Pas tant que cela. Nous en parlons surtout au moment des commémorations. Notamment celle du 27 mai, qui rappelle la première réunion du Conseil nationale de la Résistance (CNR), et qui a lieu chaque année au Mémorial régional de Salon de Provence.

Pourquoi le commémorer ce jour-là particulièrement ?

Cécile : C’est une date importante pour tout ce qu’il représente, l’acte principal qui l’a fait connaître. C’est à Moulin que l’on doit l’idée de réunir au sein d’une même entité les résistants, les partis politiques d’avant 39, les syndicats, pour préparer la France d’après-guerre.

Gilbert : Chose qui n’a pas été facile vu que les anciens partis politiques étaient considérés par les mouvements de résistance comme les responsables de la Défaite. Moulin incarne alors l’unité de la Résistance, et c’est pour cela qu’il restera célèbre tout de suite après le conflit. C’est grâce au CNR et à cette action-là que la France, à la fin de la guerre, n’a pas été mise sous la tutelle des Américains ou des Anglais.

A-t-il entendu l’appel du 18 juin 1940 ?

Gilbert : Non. Son premier acte de résistance a eu lieu la veille, le 17 juin. A l’arrivée des Allemands, il était préfet de Chartres. Ces derniers ont voulu lui faire signer un document dans lequel il était dit que l’armée française, et en particulier les tirailleurs sénégalais, avait commis des atrocités. Il a refusé. On l’a alors enfermé avec des corps de femmes mutilés. De peur de devoir signer sous la contrainte, il a tenté de se suicider. Après quelques mois, il a été révoqué par le gouvernement de Vichy. Il s’est alors retiré en Provence… et à commencer à agir.

Pourquoi a-t-il rejoint le général de Gaulle à Londres s’il n’a pas entendu l’appel ?

Gilbert : Il en a eu connaissance après. Et surtout parce que le Général de Gaulle a été vite perçu comme un rassembleur.

Pensez-vous que Montpellier, ou la région, s’impliquent suffisamment dans l’entretien de la mémoire de Moulin ?

Cécile : A Montpellier, non. Alors-même que la photo qui a fait la légende de Jean Moulin, avec l’écharpe et le chapeau, a été prise ici, aux Arceaux…

Gilbert : Dans la région, le musée des Beaux-Arts de Béziers conserve ses dessins et des œuvres qu’il avait acheté. Elles ont été données par sa sœur. D’autres villes comme Bordeaux et Paris ont des mémoriaux. Montpellier s’en tient à deux plaques, posées sur les murs de la ville, qui rappellent qu’il y a vécu.

A titre personnel, vous impliquez-vous dans son souvenir ?

Cécile : Mes tantes ont beaucoup représenté notre famille aux différentes manifestations. Avec le temps, nous nous sommes investis davantage, notamment avec le comité Jean Moulin de Salon de Provence. Depuis quelques années, on a prit conscience qu’il fallait perpétuer le souvenir de son action au sein du CNR. C’est devenu une nécessité. Sa sœur Laure, elle, lui a consacré sa vie entière. D’abord à le rechercher, puis à entretenir son souvenir.

La France d’aujourd’hui a-t-elle une reconnaissance suffisante à l’égard des résistants ?

Cécile : En dehors des commémorations, finalement, on parle assez peu d’eux. A l’école, l’Histoire permet aux jeunes de comprendre l’importance de leurs engagements. Le concours de la Résistance, proposé au collège, a une vraie valeur pédagogique, hors de toute considération politique.

En 2004, plusieurs résistants, dont les Aubrac, ont lancé un appel pour les générations futures, pour que l’héritage qu’ils ont laissé ne disparaisse pas. Pensez-vous que Jean Moulin aurait signé cet appel ?

Cécile : C’est certain. Tout l’héritage du CNR est en train de partir en déliquescence. Il faut le faire connaître.

Gilbert : Cet appel est passé inaperçu. Pour nous, le plus important est que l’on se souvienne de l’héritage du CNR, de tout ce que l’on doit à Jean Moulin, en matière sociale notamment.

L’hommage aux Justes de France est venu assez tardivement, parce que beaucoup de ceux qui auraient pu témoigner étaient restés dans la pudeur. La Seconde Guerre Mondiale a-t-elle encore des héros oubliés ?

Cécile : Le mémorial Jean Moulin à Paris a rendu hommage, pour la dernière journée de la femme, aux résistantes, avec un colloque sur le rôle des femmes dans la Résistance. Trop longtemps, leur importance était restée sous silence.

Seriez-vous prêts à vous impliquer davantage dans le souvenir de Moulin ?

Gilbert : Nous refusons de trop entrer dans l’historique, parce que nous n’en avons pas les capacités et que nous laissons ça aux spécialistes. Nous parlons avec nos enfants du rôle si fort qu’il a eu, et du fait qu’il ait saisi le sens de son devoir.

Cécile : Si nous étions plus sollicités, peut-être que nous interviendrions plus. Mais nous tenons absolument à rester dans la discrétion, pour que le souvenir de Jean Moulin ne soit lié à personne.

Recueilli par Alexis Cuvillier et Julie Derache

Triste anniversaire pour l’amoureux des mers

Alors que le 11 juin 2010 nous allons fêter les cent ans de la naissance du Commandant Cousteau, les États-Unis connaissent aujourd’hui la plus dramatique catastrophe écologique de leur histoire. Une fois de plus, l’Or noir pollue la Belle Bleue. En dépit de l’avenir… et de la vie.

Le monde à Berlin en mémoire de la chute du Mur

Lundi soir, 9 novembre, la fête de la liberté, point d’orgue du vingtième anniversaire de la chute du Mur, a attiré des milliers de personnes. Instants choisis.

Désireuse de faire de cette révolte populaire un espoir pour les opprimés, la ville de Berlin a souhaité faire de cet anniversaire une fête de la liberté, « freiheit » en allemand.

La fête de la Liberté

Le parterre des officiels était à la hauteur de l’évènement : le président français Nicolas Sarkozy, le premier ministre britannique Gordon Brown, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton,le chef d’Etat russe Dmitri Medvedev comptaient parmi les hôtes de la chancelière allemande Angela Merkel. Chacun a rendu hommage, dans son discours, à la volonté des Berlinois. N’oublions pas les invités d’honneur, le dernier maître de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev, et l’ancien président polonais Lech Walesa.

Un ensemble de mille dominos géants décorés par des associations, des artistes, s’est écroulé en plusieurs temps, symbolisant la chute du Mur.

De la fête oui, de l’émotion un peu moins. Envahies par les touristes venant du monde entier, les festivités ont perdu de leur sens historique. Restait la joie d’être là, malgré la pluie battante.

La fête avant tout

Après deux heures et demi de festivités, Berlinois, Allemands et autres visiteurs, se sont quittés dans une explosion de couleurs, quelque peu embrumée

Texte et légendes : Alexis Cuvillier /
Enregistrement son : Laura Flores /
Images et vidéos : Julie Derache

Du Mur de la honte à la liberté

1989-2009, voilà 20 ans que le Mur de Berlin est tombé. Un souvenir marquant que les Berlinois vont commémorer avec liesse ces prochains jours. Hautcourant.com se rend sur place pour couvrir l’évènement et mieux comprendre ce tournant de l’Histoire. Dès dimanche, retrouvez notre dossier spécial anniversaire de la chute du Mur.

Bon anniversaire Claude Lévi-Strauss

L’anthropologue français Claude Lévi-Strauss a 100 ans. A cette occasion, retour sur l’un des plus grands penseurs du XXe siècle, sur un humaniste qui a su apporter les clefs théoriques pour une compréhension de la vie sociale

Il y a de ces êtres humains qui sortent de l’ordinaire. Il y a des ces penseurs qui marquent une époque. Il y a de ces génies qui n’accèdent à la reconnaissance qu’une fois décédés. Trop peu sont ceux qui peuvent être discutés de leur vivant, honorés ou déshonorés pour leurs travaux. Claude Lévi-Strauss est de ceux là, il a aujourd’hui 100 ans.

Une vie pour comprendre

Claude Lévi-Strauss est avant tout un homme qui aime l’être humain. Un siècle d’existence dont une bonne partie consacrée à l’analyse de ses congénères résidant au fin fond de la forêt amazonienne. Anthropologue de génie, il a apporté aux sciences humaines une vision nouvelle sur ces peuplades du bout du monde trop souvent qualifiées de « barbares » par les explorateurs qui ont pu danser avec l’amazone. « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie » leur répondait-il. De toute manière, ces voyages et ces explorateurs, il les haïssaient, reprise du célèbre incipit de son best seller « Tristes Tropiques » paru en 1955. « Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité ». Une haine de ces voyages qui ne parvenaient qu’à saisir du bout du doigt ces cultures, sans jamais réussir à rentrer en profondeur dans leur constitution et leur fonctionnement. Des explorateurs qui colonisaient plus qu’ils apprenaient. Des explorateurs qui ne pouvaient se détacher de leur culture propre pour comprendre le différent.
Le différent, c’était sa raison de vivre, c’était son métier. « L’anthropologie est une discipline dont le but premier, sinon le seul, est d’analyser et d’interpréter les différences ». C’est en ces termes qu’il qualifiait sa science dans « Race et Histoire ». Faire des « barbares » des individus, étudier la « pensée sauvage » plutôt que la « mentalité primitive » qui, renvoyait selon lui, à une domination colonialiste savante. Il a fait de ces sociétés lointaines, un objet de compréhension du monde, un laboratoire d’étude de l’analyse de la vie sociale.

Reconnaissance unanime

Ses études, ses réflexions ont donné naissance à des publications, de nombreux livres, un courant issu de la linguistique : le structuralisme. Ce courant anthropologique suppose que la structure sociale génère des pratiques et des croyances propres aux individus qui en dépendent, de manière inconsciente. Elémentaire et pertinente, elle inspira entre autres Deleuze, Foucault ou encore Bourdieu.
Des travaux qui restent unanimement reconnus pour leur rigueur et leur précision. Décoré de la Grand-croix de la légion d’honneur, il fut également nommé commandeur des arts et des lettres. En 2008, ses écrits font leur entrée dans la prestigieuse collection de la bibliothèque de la Pléiade, à côté de ceux de Malraux, Gide ou Yourcenar.
Une récompense dont il ne se soucie guère, préférant dénoncer les dérives actuelles de nos civilisations.

Triste monde

Fuyant la France pour New York pendant la guerre, il assista aux prémices de la folie des hommes, il dénonça la transformation du monde. « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. » Phrase bien contemporaine. Elle a en vérité plus de cinquante ans. Ce monde qu’il aime tant semble au fur et à mesure se gangrené, ses terrains d’études favoris disparaître. « Vue du dehors, la forêt amazonienne semble un amas de bulles figées, un entassement vertical de boursouflures vertes, on dirait qu’un trouble pathologique a uniformément affligé le paysage fluvial ». Une maladie crée par l’homme qui finira par rendre ses tropiques bien tristes.

Un hommage à sa mesure

L’académicien est aujourd’hui centenaire. L’hommage qui lui sera rendu sera vraisemblablement à la hauteur de son œuvre, de sa carrière. Le quai Branly à Paris lui consacrera une journée le 28 novembre en proposant chaque heure une visite guidée à travers les 1500 objets qu’il a ramené de ses périples. Des films choisis par l’écrivaine Catherine Clément retraçant sa vie seront également diffusés tout au long de cette journée. Les nombreuses photographies qu’il a rapportées seront exposées.
Un hommage à sa mesure, humble, loin des strass et des paillettes, qu’il a toujours fuies.