«Un vrai journal». Voilà ce qu’affirme l’ancien dirigeant de Reporters sans frontières à propos de son JDB, le journal de Béziers. Ce journalisme, Robert Ménard veut en faire rentrer les standards dans le crâne du Biterrois lambda : mise en page aux caractères criards, litanie dénonciatrice, termes soulignés, surlignés, colorés en rouge. L’objectif est, selon le maire élu avec le soutien du Front National, «d’attirer le regard», en clair faire le buzz. Et ça marche, évidemment. Pourtant, son «vrai» journal plonge parfois dans la désinformation, voire le bidonnage.
Dernier exemple en date, la fameuse photo de migrants de l’Agence France Presse (AFP) concoctée à la sauce Ménard, c’est-à-dire retouchée pour diffuser des messages politiques. Résultat, l’AFP a attaqué la ville en justice. «Ils n’ont que ça à faire !», tempête Ménard. Pour l’édile, c’est «sûrement un effet d’annonce du gouvernement qui a dû leur dire qu’il ne fallait pas laisser passer». Au milieu coule le droit d’auteur et la déontologie… «Si on avait utilisé la photo avec le titre ‘Vive les immigrés’, à coup sûr, ils n’auraient pas hurlé.»
La vérité s’il ment, mieux vaut également être raccord avec l’opinion du maire au risque de subir la vindicte publique : le président de l’agglomération, les élus de l’opposition, les journalistes de Midi Libre ou la Ligue des Droits de l’Homme, tous y ont été confrontés. A Béziers c’est sûr, le journal institutionnel gage de neutralité des institutions publiques, n’est plus. Qu’importe, la com’ institutionnelle, le maire le cri haut et fort, il s’en «bat l’œil».
La neutralité selon Robert Ménard
Le JDB est écrit et réalisé par les collaborateurs de cabinet du maire (parmi eux, André-Yves Beck, ancien membre des groupuscules d’extrême droite radicale Troisième voie et Nouvelle résistance, ndlr) et par le service communication. A la surface de sujets polémiques émergent souvent des formules chocs et partisanes. Quid du devoir de réserve des fonctionnaires ? Pas de problème pour le maire, les agents «se régalent» car, rebelote, ils font «un vrai journal». Les rédacteurs suivent donc le nouveau slogan de la ville que l’on peut lire à chaque coin de rue : «Béziers libère la parole !» Agressivité, atteinte à la dignité de la personne, au fil des numéros c’est un florilège tapageur : la Ligue des Droits de l’Homme se prend, photo à l’appui, une «fessée judiciaire», on redéfinit le terme «manifestants» par «groupuscule d’extrémistes», un élu qui émet des remarques lors du débat sur le budget est un «nul», un journaliste de Midi Libre est qualifié de «chien de la rédaction»…
Une image du Christ en couverture ? «Et alors ? C’était pour illustrer que la féria s’ouvre avec une messe», se défend le saint édile, certain que les Biterrois boivent ses paroles : «on n’a jamais eu un journal aussi demandé», prêche-t-il. Regard complice avec sa responsable de la communication, sourire aux lèvres, Robert Ménard renchérit : «Si on pouvait le sortir toutes les semaines, on le ferait. Quand Midi Libre aura disparu, on pourra prendre leur place.» Car Midi Libre, ennemi numéro un, est qualifié de «journal de combat contre la municipalité», de «journal d’opinion, menteur et militant». La mairie, elle, «ne fait que se défendre», persifle le maire.
Si le manque de neutralité supposée du quotidien régional taraude l’édile, celle du JDB ne semble lui poser aucun problème. «On fait un journal qui ne rentre pas dans les codes, je le concède, mais c’est un compliment !», argumente-t-il. Et il dézingue à tout-va : «Les professionnels de la com’, qu’ils aillent se faire braire !». Le canard de Ménard est pourtant bien rédigé par ces mêmes professionnels qui maîtrisent parfaitement leur communication politique.
Un contre journal municipal rédigé par et pour les citoyens
Face à ce qu’ils estiment être de la propagande politique et nauséabonde, des citoyens se sont regroupés au sein d’une association qui propose un contre journal municipal : «Nous avions envie de parler autrement de Béziers», explique Marie-Claude, rédactrice. Exclusivement diffusé sur internet, Envie à Béziers (du nom de l’association) a démarré quasi immédiatement après la parution du premier journal municipal de l’ère Ménard. «Nous avons eu une réaction épidermique et nous nous sommes vite rendu compte que nous jouions le jeu du maire», avoue John, également rédacteur, pour qui En vie à Béziers était au départ «un moteur de révolte».
Pour ne plus être un journal d’opposition pur et dur, les rédacteurs ont choisi de faire évoluer la ligne éditoriale. En vie à Béziers propose aujourd’hui des sujets de fond, des articles humoristiques ou des dessins satiriques tout en gardant les notions de décryptage et de rassemblement : «Nous sommes sur une ligne d’ouverture et antidiscriminatoire», précise Marie-Claude, excédée par les diatribes du JDB. Pour John, la rédaction est aussi «un processus de réunion, d’échange, de partage pour faire émerger un travail collaboratif.»
La trentaine de rédacteurs qui se compose de profs, d’ouvriers, de citoyens lambda «permet d’avoir des visions différentes sur le bien-vivre à Béziers», se félicite John. Pour Marie-Claude, le melting pot rédactionnel met en exergue «l’engagement citoyen» naît du besoin d’expression des Biterrois. La rédactrice précise qu’En vie à Béziers n’est pas un journal politique, «nous faisons bien le distinguo entre engagement politique et réflexion citoyenne». Selon John, le but est «d’informer tous les Biterrois de manière citoyenne et participative» et pour lui, «c’est la définition même de l’éducation populaire».
La dictature du vrai
Le JDB, «un vrai journal» ? Les deux rédacteurs restent dubitatifs. John soupire et lance : «On est dans la dictature du vrai prôné par le Front National, c’est leur crédo, créer une dichotomie pour se donner la légitimité du vrai.» Marie-Claude, elle, réagit sur les attaques ad hominem, «on ne peut pas laisser passer ça». John, lui, rebondit sur la notion de ressenti : «Attaquer systématiquement revient à ne jamais se lancer dans un débat de fond. Un ressenti, une opinion, lorsque c’est écrit à la façon du JDB, ça n’appelle pas à être contredit.» La critique, John n’est pas contre, mais selon lui, celle émise dans le JDB «est faite avec des opinions propres et non sur le fond».
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