SEANCE DU JOUR #8 – Marvin ou la belle éducation, un bijou de sensibilité

Le dernier film d’Anne Fontaine (Les Innocentes ; Gemma Bovery ; Perfect Mothers …) est un film fort sur la difficulté d’être soi quand on sort de la norme.

Quand il faut fuir pour vivre : l’histoire de Marvin. A travers le parcours de ce garçon, le film aborde la question de l’identité. On plonge dans la douleur de ce que c’est que de ne pas pouvoir assumer qui l’on est. Mais aussi dans l’espoir de parvenir à se trouver.

Les plans sur Marvin, collégien de 13-14 ans (Jules Porier) et sur Marvin, étudiant en théâtre, (Finnegan Oldfield) alternent. Le petit Marvin Bijou vit dans un village des Vosges dans une famille d’origine populaire. Au collège, il est persécuté par des camarades, se fait traiter de « pédale » et de « PD ». Son attirance pour les garçons, il la sait, il la sent dans son corps, il comprend qu’il ressent des choses, mais qu’y peut-il ? Entre l’école et la maison, il n’est bien nulle part. Sa tristesse est frappante : le regard dans le vide, il semble ne plus avoir de joie. Le théâtre va devenir un moyen pour exprimer toute cette souffrance qu’il a en lui.

En parallèle, on suit Marvin grand, il s’appelle désormais Martin Clément et il va bientôt jouer la pièce qu’il a écrite. Une pièce sur son histoire, sur son enfance, sur ce que c’est que d’avoir été un garçon attiré par les garçons avec un père qui lui dit que « les PD c’est des dégénérés, des malades mentaux ». C’est une pièce « qui parle d’un mauvais départ » dira-t-il. Mais là encore Marvin est perdu. Par rapport à sa sexualité mais aussi par rapport à ses origines.

Ce film est l’histoire d’une fuite, de la nécessité de se sauver pour devenir quelqu’un d’autre. C’est le récit de beaucoup de garçons ou de filles, qui doivent cacher une partie d’eux et qui en souffrent, le récit d’enfances cabossées.

Pour le casting, Finnegan Oldfield, nommé au Meilleur espoir du César masculin pour Les Cowboys, est très juste dans son interprétation de Martin Clément. Jules Porier, en Marvin enfant, est lui aussi particulièrement convaincant pour son premier rôle. La réalisatrice explique que l’acteur de Marvin enfant a été choisi par rapport à sa ressemblance avec l’acteur de Marvin jeune adulte, et «il y a eu ensuite un travail sur le physique du jeune comédien pour que la ressemblance soit encore plus voyante » précise-t-elle. On retrouve l’actrice Isabelle Huppert qui joue son propre rôle dans le film, elle aidera Marvin à assumer ce qu’il est au fond de lui.

Marvin ou la belle éducation est la seizième réalisation d’Anne Fontaine. Un film qu’elle ne voulait pas forcément militant et surtout pas didactique, mais qu’elle espère être tonique. Il sortira le 22 novembre 2017 dans les salles.

PORTRAIT DU JOUR #7 – Sofia Djama, « il y a encore quelque chose à construire en Algérie »

Sofia Djama est la réalisatrice de Les Bienheureux, sélectionné en compétition longs métrages de ce 39e Cinemed. L’histoire d’un conflit générationnel dans une Algérie post- guerre civile.

Exaltée. Telle est Sofia Djama, surtout lorsqu’elle parle de son premier long métrage, Les Bienheureux. La réalisatrice algérienne de 38 ans présente son film en compétition officielle au Cinemed, après qu’il ait raflé le Prix de la meilleure actrice, pour Lyna Khoudri, à la Mostra de Venise.

Née à Oran, Sofia Djama s’installe à Alger en 2000 pour suivre des études de lettres et de langue étrangère. Elle travaille d’abord dans la publicité, mais passionnée d’écriture, elle publie un recueil de nouvelles. Des nouvelles qu’elle adaptera ensuite au cinéma. « J’adore écrire mais le cinéma c’est plus facile », plaisante-t-elle avant de préciser « j’avais besoin de transcrire mes nouvelles en image et en son ». Ecrire un scénario a alors été une évidence pour elle.

Sofia Djama réalise d’abord des courts métrages, dont Mollement, un samedi matin, l’histoire de Myassa, victime d’un violeur en panne d’érection. Elle s’attaque ensuite au long métrage, avec Les Bienheureux. « Alger c’est le personnage central du film », la cinéaste dépeint une société algérienne, post-guerre civile, en crise à travers un conflit générationnel. « J’ai eu besoin de raconter ce qui m’a traversé, ce que j’ai vécu », explique Sofia Djama. Elle qui a grandi en Kabylie, région épargnée par le conflit algérien des années 1990, a vécu un moment de sidération lorsqu’elle a constaté la situation algéroise.

A l’écran, un couple de quadra qui se déchire, et une jeunesse en perdition, le tout dans l’atmosphère étouffante d’Alger. Ce couple, des ex-quatre vingt huitard comme elle les appelle, « une minorité que j’ai voulu raconter », qui n’est plus en phase avec la société algérienne. Une jeunesse qui se tourne vers la religion, « pour emmerder les parents ». Ce conflit générationnel, Sofia Djama l’a ressenti, « j’en voulais à mon père et à ma sœur qui disaient que je faisais partie d’une génération sacrifiée, alors qu’ils nous ont laissé un héritage lourd de la révolution ».

Pour autant, Sofia Djama se dit agnostique, mais elle s’intéresse à la spiritualité . Elle dénonce « une religion stalinienne et dogmatique » pratiquée en Algérie, qui occulte l’individualisme.

Aujourd’hui, la réalisatrice vit entre Alger et Paris. Mais contrairement à certains de ses personnages, Sofia Djama pense qu’il y a encore « quelque chose à construire à Alger ». Et notamment du cinéma. Sofia Djama compte parmi la jeune garde de réalisateurs qui tente de faire revivre le cinéma algérien. Une femme parmi des hommes. Une situation qui semble lui poser davantage de problème en France qu’en Algérie, « En France c’est difficile pour les femmes réalisatrices, il y a encore certains archaïsmes, le cinéma est un milieu assez macho. En Algérie, la question du genre ne se pose pas, c’est créer qui est compliqué ». Un obstacle qu’elle a su surmonter.

VIDÉO – Haut Courant filme le Cinemed #8

Entretien avec Laëtitia Eïdo, actrice du film Holy Air.
Durant le festival du cinéma méditerranéen, l’équipe de Hautcourant vous propose une série de vidéos sur les rapports hommes/femmes dans le septième art. De courtes interviews en lien avec l’actualité de l’affaire Weinstein.

SÉANCE DU JOUR #7 : Luna , en lice pour l’Antigone d’Or

En compétition officielle longs métrages de cette 39e édition du Cinemed, Luna (2017) de Elsa Diringer pourrait remporter l’un des sept prix, dont le prestigieux Antigone d’Or. Zoom sur la séance du jour.

Luna c’est le film de toutes les premières fois : premier long métrage pour la réalisatrice, première mondiale du film et première fois qu’un film tourné à Montpellier est en compétition officielle du Cinemed. L’équipe est presque au complet sur scène et l’émotion est palpable. Laetitia Clément, interprète de Luna, se montre aussi naturelle et lumineuse que dans le film. Issue d’un casting sauvage au sein de son lycée, elle raconte être passée « du délire de potes au rêve ». Elsa Diringer a trouvé en Laetitia « une femme de caractère, qui vibre à l’intérieur » et n’a pas hésité une seconde à la choisir. Ces personnages ne constituent en rien des caricatures. Ils apportent un réalisme et une vérité au film.

La première scène de Luna montre deux amies qui clament sur un scooter « Montpellier, Montpellier, à tout jamais ». Luna est belle, drôle et elle dévore la vie. Elle est amoureuse de Ruben et serait prête à tout pour lui. Jusqu’au jour où tout bascule, l’alcool, l’ivresse d’une jeunesse incontrôlable, en proie à une liberté dangereuse. Ces jeunes vont victimiser un homme « pour rire ». La force du nombre va jouer contre lui, impuissant et désarmé. Luna n’est pas insouciante, elle travaille dans une coopérative et vient d’obtenir son CAP. Tous ces jeunes représentent le miroir d’une jeunesse intermédiaire, ni des beaux quartiers, ni des banlieues, mais de la périphérie. Ils sont confrontés à des réalités difficiles mais les abordent sur un ton léger. Luna est intransigeante envers elle-même, elle ne doit jamais perdre la face. Elle incarne une génération de femmes partagées entre désir de plaire et émancipation. Elle n’assume pas tout ce qu’elle fait mais s’assume telle qu’elle est.

Luna c’est une ode à la liberté, à la vie et à l’amour. Les paysages montpelliérains se révèlent au son entêtant des fanfares. Luna grandit et change d’apparence pour aller à la rencontre d’elle-même. Elle accepte l’amour simple, s’ouvre à la musique et abandonne sa méfiance. Ces jeunes ne sont finalement pas si durs, ils ont besoin de se sentir libres et d’échapper à leur quotidien.

À la fin du film, l’humiliation change de camp, le rire se transforme en larmes et la haine en amour, la boucle se referme.

Après la projection, Elsa Diringer revient sur cette violence, thème principal du film. Elle en a fait l’expérience lorsqu’elle travaillait en collège et voulait témoigner sur « comment la violence peut-elle éclore de manière inexplicable et comment y faire face  ». Mais la légèreté reprend le dessus quand le Coco Fanfare Club, présent dans le film, inonde la salle de ses costumes colorés et de son rythme entraînant. La jeunesse battante laisse place à la « battle » de fanfares.

GRAND ENTRETIEN : Toledano et Nakache, pour le meilleur et pour le rire

Le succès de leurs comédies ne les a pas rendus Intouchables. Rencontre avec les « patrons » du cinéma populaire, toujours soucieux de se renouveler.

Ces deux-là n’ont que deux ans d’écart et une relation très forte. Olivier Nakache, 44 ans, précise qu’il est le cadet à qui Eric Toledano demande « de ranger sa chambre ». Leurs comédies sont remplies d’humour mais ils portent aussi en eux la joie de vivre et le désir de rire de tout. Ils sont complices et complémentaires. Leur rencontre – insolite – en colonies de vacances a donné le ton à leurs comédies. Elles sont éprises d’une vision optimiste d’un vivre ensemble mais surtout basées sur des aventures humaines. Les petits boulots et les expériences vécus ensemble inspirent tous leurs films.

Eric Toledano revient sur leurs débuts et leur volonté de « s’attaquer comme des alpinistes à ce monde du cinéma qui (leur) était totalement étranger ». Leurs parents auraient alors préféré les voir dans un travail « plus classique », pas sûr qu’ils aient toujours la même opinion à ce sujet après les nombreuses réussites. Leur duo est une force et leur permet de « vivre ces moments en synergie ». Olivier Nakache appuie sur l’importance de travailler en binôme : « C’est très motivant de trouver un alter ego dans l’écriture. Chacun est le public de l’autre ». Ils ne cessent d’ailleurs de se remettre en question et ne prennent jamais le succès pour acquis.

De l’art d’être humble et de relever de nouveaux défis

En 1999, ils avaient présenté leur premier court métrage Les Petits souliers au Cinemed et s’étaient confrontés au rire du public pour la première fois. Cette année, ils reviennent avec une rétrospective de leur oeuvre. L’occasion de voir tout le trajet parcouru. Mais ils assument l’étiquette de réalisateurs depuis peu de temps. Eric Toledano en témoigne par une phrase qu’il avait dite à Omar Sy lors de leur première rencontre : « Si tu n’es pas acteur, on est pas plus réalisateurs ». Leur humilité n’est en rien de la fausse modestie puisqu’ils n’ont pas pris la grosse tête après tous ces succès. Jusqu’à un certain nombre de films réalisés, les deux acolytes se disaient « plus spectateurs que réalisateurs ». Les deux hommes ont d’ailleurs fait preuve d’un effacement médiatique face à un Omar qui « est solaire et a pris beaucoup de lumière » mais ils se réjouissent de cette situation. Et même, s’ils ont maintenant plus d’expérience et de confiance en leur travail, Eric Toledano affirme : « au bout de six films (il a) encore le sentiment d’apprendre énormément sur les fonctions que peuvent avoir les dialogues… et sur (eux)-mêmes aussi puisque en même temps (ils) se dévoilent, c’est automatique ».

Olivier Nakache révèle les bénéfices de cette pression perpétuelle : « C’est elle qui nous tient éveillés et nous montre que rien n’est gagné, qu’on est pas encore arrivés ». Eric Toledano approuve : « Ces succès ne vous garantissent rien sur la suite ». Dans Le Sens de la fête, Jean-Pierre Bacri, interprétant Max le traiteur, clame : « Je joue ma vie à chaque soirée », eux jouent leur vie et leur carrière à chaque film. Après les 19,5 millions d’entrées pour Intouchables, ils ont ensuite eu plus de liberté dans le choix des thématiques de films. Mais Olivier Nakache se souvient qu’ils ont reçu « cette vague gigantesque sur la gueule » et même s’ils en ont profité un temps, ils ont continué à avancer et à se mettre en danger.

Ils ne recherchent pas la facilité, bien au contraire, Eric Toledano rappelle cette phrase « l’art naît de contraintes et meurt de liberté » (André Gide, ndlr) et précise que « parfois, même de façon masochiste, certains recherchent la difficulté ». Les contraintes permettent de révéler leur créativité lorsqu’ils font face à des défis.

Le Sens de la fête ou la métaphore de « la France au travail »

Leur nouveau film, Le Sens de la fête, est d’ailleurs une métaphore d’un plateau de cinéma et des difficultés rencontrées par une équipe de tournage. Eric Toledano insiste sur leur volonté de montrer les techniciens et organisateurs derrière les mariages et de braquer la caméra de « l’autre côté du miroir ». Au-delà du contexte du mariage, c’est surtout « un film sur la France au travail, sur comment on avance aujourd’hui en équipe dans un monde un peu anxiogène, pleins de difficultés et de violences mais aussi de réseaux sociaux et de changements technologiques ». Finalement, c’est le récit de l’adaptation à un monde en changements. Ils ont désiré dresser « une petite radiographie de la France telle qu’on la perçoit aujourd’hui ».

Les deux réalisateurs ont pour habitude d’évoquer dans leurs comédies des thèmes, pour la plupart graves tels que la tétraplégie ou l’immigration, sur un ton léger. Ce sont deux personnes engagées dans la vie. Ils révèlent les grandes lignes de leur prochain film, en écho à leur engagement qui dure depuis 20 ans. En effet, ils sont « investis dans des associations qui s’occupent de jeunes adultes et d’enfants autistes. Et, il est possible que (leur) prochain film traite d’une histoire dans ce contexte-là ». Ils mettraient ainsi la lumière sur les encadrants, dont on ne parle pas souvent, oeuvrant pour intégrer ces individus dans la société. Olivier Nakache précise « qu’il n’y a pas beaucoup de place pour les gens un peu différents ». Ils souhaitent continuer « d’essayer de faire rire les gens avec des sujets sociaux ».

Du rejet des étiquettes et d’une volonté d’être « populaire »

Souvent appelés les « patrons de la comédie populaire », les deux réalisateurs rejettent cette habitude de toujours coller des étiquettes. Eric Toledano se souvient : « à l’époque quand on était les ‘champions du box office’, le lendemain on pouvait aussi être ‘les champions de ceux qui se plantent’, si le film n’était pas réussi. On est pas fan des gens qui nous réduisent. On aurait pu être réduits à « box office » après Intouchables. Alors qu’on a réalisé Samba, un film sur les sans-papiers, on nous a dit ‘alors maintenant vous êtes politiques’ » s’agace Toledano. « Mais patrons, je veux bien après tout » plaisante-t-il.
Les réalisateurs préfèrent se concentrer sur leur métier et leurs films populaires. « Populaire à ne pas prendre au sens péjoratif » précise Toledano. Leur but est d’être vu, de s’adresser à tous et de toucher un maximum de personnes.

Les cinéastes parfois comparés au réalisateur Robert Altman sont flattés par cette analogie. « Elle est très valorisante » admet Toledano. Pour lui, la ressemblance entre leurs deux manières de faire du cinéma peut être la « façon d’écrire beaucoup de personnages sans jamais les abandonner en milieu de route ». Eric Toledano revendique l’idée de ne pas ouvrir une porte « sans se demander où (il) emmène le spectateur ». Ils s’entourent souvent de la même bande de potes avec Omar Sy, Jean-Paul Rouve, Joséphine de Meaux, Hélène Vincent, Jean Benguigui, Vincent Elbaz, ou Lionel Abelansky. Mais ces choix sont humains et, même si les affinités comptent, tout dépend des rôles. Olivier Nakache confie avoir « envie de découvrir d’autres acteurs, des gens (qu’ils ont) adorés dans d’autres films pour élargir encore plus la famille ».

Billy Wilder : « La comédie c’est de la tristesse déguisée »

Ils reviennent à la comédie populaire avec leur nouveau film, Le Sens de la fête. Ce retour aux sources rappelle leurs premiers courts et longs métrages Les Petits souliers ou encore Nos jours heureux. Après avoir réalisé des films « graves », ils ont eu la volonté et le besoin d’un film « pour rire ». « On veut détendre les gens, on pense qu’ils en ont besoin. Et nous-mêmes on avait besoin de se détendre » confesse Toledano. À l’instar de Billy Wilder, réalisant une comédie lorsqu’il était triste, il perçoit dans la comédie « une tristesse déguisée ». Eric Toledano explique que « derrière le rire, il y a le pleur », puis précise « qu’on a vécu des années très difficiles en France et en Europe, qu’on les vit encore, avec un climat anxiogène avec la montée des populismes, les attentats… Est-ce que ce n’est pas l’humour qui va nous sauver ? L’humour c’est la relativisation par excellence, la dédramatisation ». Dans Le Sens de la fête, cette phrase de Beaumarchais : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer », résume bien l’état d’esprit des deux réalisateurs. Dans leurs films, rires et pleurs coexistent toujours. Eric Toledano insiste sur « comment le rire peut nous sauver de certaines situations ». Eux-même sont partis « se réfugier dans la comédie pour avaler ce moment qui était dur à digérer ». Bref, rire pour garder le sens de la fête.

VIDÉO – Haut Courant filme le Cinemed #7

Entretien avec Elsa Diringer, réalisatrice du film Luna et Laëtitia Clément, actrice du film.
Durant le festival du cinéma méditerranéen, l’équipe de Hautcourant vous propose une série de vidéos sur les rapports hommes/femmes dans le septième art. De courtes interviews en lien avec l’actualité de l’affaire Weinstein.

PORTRAIT DU JOUR #6 Lucas Mouzas : « Une équipe de documentaire c’est comme une équipe de rugby »

Lucas Mouzas est le réalisateur de Chroniques d’Ovalie, sélectionné pour ce 39e Cinemed dans la catégorie Regards d’Occitanie. Un documentaire en immersion dans une école de rugby familiale où la compétition va soudain bouleverser le plaisir du jeu.

« Chaque documentaire est une expérience unique », relève Lucas Mouzas, parisien de naissance qui vit aujourd’hui dans l’Hérault. Le réalisateur de 59 ans vient présenter à l’occasion du 39e Cinemed Chroniques d’Ovalie, sa dernière œuvre. Sans bagage universitaire « à une époque où l’on pouvait encore se former sur le tas » Lucas Mouzas commence à travailler comme photo-journaliste pour une agence parisienne en Amérique Latine avant de basculer rapidement vers la vidéo. « J’ai rencontré des cinéastes canadiens là-bas qui m’ont formé sur un tournage » raconte-t-il. Passé par le reportage télévisé, il réalise « trois films » dans cette partie du globe où il s’intéresse plus particulièrement aux populations amérindiennes. Après son retour en France, Lucas Mouzas préfère poursuivre dans le docu plutôt que de s’essayer au long métrage. « Le réel dépasse bien souvent la fiction » confie-t-il.
Repéré par le Cinemed, il vient y présenter à quatre reprises ses productions, comme A Choeur et à Cri (1999), Sur le sentier de l’école (2006), Le Mystère Toledo (2008)… Cette reconnaissance consacre une œuvre marquée par un fil conducteur: « la transmission, l’éducation que cela soit par l’art ou l’enseignement  » .

Avec Chroniques d’Ovalie, Lucas Mouzas s’immerge dans la mêlée du club de rugby du Pic Saint Loup à la politique atypique. Ici, on préfère, par exemple, parler « d’éducateurs » plutôt que d’entraîneurs. Ses trois enfants y ont joué. Le réalisateur a souhaité montrer comment un club pouvait résister à la tentation de la compétition pour valoriser l’enfant. « C’était intéressant de voir jusque où le club laisse l’enfant s’épanouir sans fixer la compétition comme objectif » relate-t-il. Travail au très long cours, ce documentaire aura demandé plus de deux ans de travail, « le temps d’obtenir la confiance des adolescents pour qu’il puisse se confier véritablement ».
« J’ai voulu faire un film sur l’humain, sur l’enfant et son passage à la vie d’adulte » explique Lucas Mouzas. Une manière de dénoncer aussi « l’individualisme » de la société face aux valeurs fraternelles du rugby. Des valeurs de solidarité, de partage que le réalisateur apprécie et fait partager à l’écran. Il fait le parallèle « une équipe de documentaire c’est comme une équipe de rugby, il faut un travail d’équipe pour que cela soit bien réalisé » relève le réalisateur héraultais.

Un travail d’équipe presque artisanal qu’il apprécie particulièrement :« ce que j’aime dans le documentaire c’est qu’on peut bricoler, analyse Lucas Mouzas, et que l’on à une certaine marge de liberté pour s’exprimer ». Cet « amoureux de la région » souhaite désormais travailler avec de jeunes réalisateurs.Pour transmettre, toujours.

VIDÉO – Haut Courant filme le Cinemed #6

Entretien avec Aure Atika, actrice et présidente du jury du Cinemed.
Durant le festival du cinéma méditerranéen, l’équipe de Hautcourant vous propose une série de vidéos sur les rapports hommes/femmes dans le septième art. De courtes interviews en lien avec l’actualité de l’affaire Weinstein.

SEANCE DU JOUR #6 – Cinq ans après la guerre, une plongée dans le monde coloré de Tim

Cinq ans après la guerre, un court métrage haut en couleur et plein d’humour.

Confortablement installé dans son canapé, la cigarette aux lèvres, Tim nous parle de son père. Comme tous ses super-héros préférés (Harry Potter, Luke Skywalker, Batman…), il ne l’a pas connu. Il ne sait que ce que sa mère, une juive omniprésente, a bien voulu lui dire : c’est un réfugié irakien, musulman, qui se prénomme Jaffar. Dès lors, pendant son enfance, il associe son géniteur au méchant du film d’Aladdin qui a effrayé toute sa génération et au djihadiste Oussama ben Laden. Entre les deux religions de ses parents, Tim est perdu. Comment trouver sa place dans la société? Une fois adulte, il rencontre son père. Une étape importante pour le jeune homme.

Avec ce court métrage, il est difficile de rester insensible à la beauté des dessins. La salle est plongée dans l’univers coloré et complexe de Tim. L’animation 2D et 3D très réussie permet aux spectateurs d’intégrer le monde intérieur du protagoniste, avec ses interrogations et ses doutes. La performance des deux acteurs Timothée Dray et Jaffar Abdalla qui interprètent respectivement, Tim et son père, Jaffar, est réussie. Ce film est également le fruit du travail collaboratif de trois réalisateurs de talent.

Martin Wiklund, membre du collectif Quart Avant Poing, est connu pour avoir signé en 2015 la musique de Décibels de Léo Vernier pour la collection Dessine toujours ! de Canal +. Ulysse Lefort, réalise actuellement Toutoutoutou, une animation courte. Quant à Samuel Albaric, réalisateur et scénariste, il travaille actuellement sur une adaptation de l’Odyssée avec des migrants.
Ils réussissent, à travers le personnage de Tim, à transcrire les bouleversements culturels de la société. Avec simplicité et humour, les spectateurs saisissent toute la difficulté du raisonnement du jeune homme pendant les seize minutes que dure le film.

Cinq ans après la guerre a déjà reçu le Prix Unifrance au Festival Off-Courts de Trouville 2017 et le Grand Prix au Festival International de Lille 2017. Et ce n’est qu’un début. Ce film n’a pas fini de récolter tous les lauriers.

SEANCE DU JOUR #5 – Radio Kobanî, une réalité qu’on aimerait fiction

Une ville détruite, des corps décomposés, ensevelis, la libération, la reconstruction, c’est tout cela et bien plus encore que raconte le docu-fiction Radio Kobanî. Pas de longues explications, ni d’interviews formelles, c’est la voix de Dilovan, jeune journaliste de 20 ans, qui nous guide parmi les ruines.

Le documentaire, projeté au festival du cinéma de Montpellier, revient sur l’histoire récente de Kobané. Ville emblématique du Kurdistan syrien, à la frontière avec la Turquie, théâtre de terribles combats entre l’Etat Islamique et les combattants kurdes entre 2014 et 2015.

La voix mélodieuse de Dilovan Kiko nous prend par la main dès le début du film. Elle parle à l’enfant, qu’elle espère avoir un jour : « Je vais te raconter l’histoire de ma ville, Kobané. La mienne et celle d’une centaine d’autres ». Une histoire de personnes déchirées, brisées, qui tentent de reconstruire à la fois leurs vies et leur ville. Les plans aériens sont formels : il a plu des bombes sur Kobané. Les pelleteuse à la recherche des cadavres décomposés sont là pour le rappeler.

Mais la jeune journaliste kurde est déterminée à reconstruire. Son émission de radio, « Bonjour Kobané! », fait parler les habitants de la guerre, de la vie, de leurs projets, de l’avenir. On la suit dans ses entretiens : réfugiés, combattantes kurdes du YPJ (Unités populaires de défense des femmes), amies, journalistes et artistes répondent à ses questions. Ils se livrent, transmettent leurs cauchemars et leurs espoirs à cette jeune femme, qui a vécu les mêmes horreurs.

Ce documentaire met des images, des sons, des visages, des prénoms, sur une guerre médiatisée mais lointaine. Pourtant Dilovan est loin de nous être étrangère. Elle utilise Facebook, aime flirter avec les garçons, traîner avec ses copines … Mais son vécu stoppe net toute comparaison. Sa meilleure amie est morte, pendue par l’Etat Islamique.

Radio Kobanî du réalisateur Reber Dosky, c’est trois ans de travail, une rétrospective au cœur de cette « sale et violente guerre  ». Et la guerre, « les deux cotés la perdent toujours », confie Dilo’.