« Il existe un décalage entre le discours de la Turquie et la réalité de ses relations avec Israël »

Barah Mikaïl, spécialiste du Moyen Orient est chercheur à l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques). Il revient sur les récentes critiques émises par la Turquie contre l’offensive de Gaza menée par Israël, son allié dans la région, en décembre 2008. Le Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a par ailleurs créé l’évènement lors du dernier forum économique de Davos de janvier 2009. Ce dernier avait alors dénoncé l’attitude de l’Etat hébreu en présence de Shimon Peres, Président d’Israël.

Les violentes critiques du Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, à l’encontre d’Israël marquent-elles un tournant dans les relations israélo-turques, réputées bonnes jusqu’à présent? Barah Mikaïl, chercheur à l'IRIS et spécialiste du Moyen Orient

Concrètement rien n’a changé. Les relations entre les deux pays se maintiennent tant sur un plan économique, politique que militaire. Il existe un décalage entre le discours turc et la réalité de ses relations avec Israël. Ce n’est pas en outre, la première fois qu’un dirigeant turc utilise un ton osé envers Israël. En 2004, alors que l’Etat Hébreu avait engagé une opération musclée contre les Palestiniens, la réaction de la Turquie avait été très violente. La tonalité des récentes déclarations s’inscrit donc dans la continuité du discours des officiels turcs.

Comment expliquez-vous la position d’Erdogan ?

Il paraît évident que le Premier Ministre est en phase avec son opinion publique. De là à affirmer qu’il agit à des fins électoralistes, puisque des élections municipales doivent avoir lieu en mars 2009, je n’en suis pas certain. Il faut comprendre que cette guerre a eu un impact émotionnel très fort en Turquie, comme dans tout le Moyen Orient d’ailleurs. Les images diffusées à la télévision, notamment par Al Jazeera, ont beaucoup choqué. Erdogan peut donc adopter une posture morale avec un discours virulent, car la situation a Gaza est jugée par tous inacceptable.

Le point de vue d’Erdogan est donc partagé en Turquie ?

Il existe un consensus contre l’offensive israélienne parmi l’opinion et dans la classe politique turque. L’attitude du Premier Ministre a ainsi été saluée par l’opposition et parmi elle le MHP, parti d’action nationaliste. Cependant l’armée a son mot à dire en Turquie. Or celle-ci a refusé la levée de la coopération militaire avec Israël comme l’exigeaient certains politiques turcs. Les propos d’Erdogan aussi virulents soient-ils, n’engagent que le pouvoir civil, en aucun cas les militaires.

Comment furent accueillies les déclarations du Premier Ministre turc en Israël ?

Les propos d’Erdogan ont provoqué de violentes réactions. Certains membres du gouvernement n’ont pas hésité à déclarer qu’Israël ne resterait pas les bras croisés. Mais au-delà de la rhétorique, l’Etat hébreu n’a pas intérêt à aller aussi loin. Les relations entretenues avec la Turquie, notamment la coopération militaire, demeurent essentielles. C’est d’ailleurs pour quoi les Israéliens commencent à s’en méfier. Ils se sont ainsi félicités d’avoir refusé un accord avec les Turcs qui aurait pu constituer un moyen de pression contre Israël durant l’offensive. En effet, cet accord aurait permis à la Turquie de pourvoir le pays en conteneurs d’eau douce.

Recep Tayyip Erdogan, Premier Ministre turc (à gauche), quitte avec fracas le débat sur la situation à Gaza lors du forum économique de Davos le 29 janvier 2009. Il a notamment reproché à l'organisateur du débat d'avoir laissé plus de temps de parole à  Shimon Peres, Président d'Israël (à droite).

Les élections israéliennes se sont achevées sans qu’un parti n’ait obtenu la majorité. Les leaders des deux grans partis israéliens, Tzipi Livni pour Kadima (centre), et Benjamin Netanyahu pour le Likoud (droite), ont chacun revendiqué la victoire et cherchent à former une coalition. Existe-il- une différence de vues entre les deux candidats sur l’avenir des relations israélo-turques ?

Ni l’un ni l’autre ne montrent une attitude hostile à la consolidation des relations entre les deux pays. Je ne pense pas qu’un véritable changement interviendra. Quant au conflit israélo-palestinien, les Turcs préféreraient voir arriver au pouvoir Tzipi Livni. De leur point de vue, elle semble plus ouverte aux suggestions turques et moins idéologue que Benjamin Netanyahu. Elle se dit en outre favorable à l’ouverture de négociations avec les Palestiniens, ce qui est positif pour les Turcs.

La sortie du Premier Ministre turc à Davos lors du débat sur la situation de Gaza le 29 janvier 2009

« La seule chose qui intéresse le Hamas, c’est de garder le pouvoir »

Ces derniers mois, l’Égypte a réaffirmé son rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien. En décembre dernier, Gaza était le cœur de violents affrontements entre le Hamas et l’armée israélienne. Hosni Moubarak – le Président égyptien – a mené de front des négociations houleuses. Il est à l’origine d’un plan de paix, notamment soutenu par Nicolas Sarkozy. Le Consul Général d’Égypte en France, Hoda Naguib, a accepté de nous éclairer sur la position de l’Égypte, dans ce conflit vieux de plus de 60 ans.

Pourquoi l’Égypte s’investit-elle autant dans le conflit israélo-palestinien?

Hoda Naguib : Il y a un lien historique entre l’Égypte et la Palestine. Nous avons été en guerre contre Israël à quatre reprises. Plus de 100 000 martyrs y ont laissé leur vie. Et nous avons été le premier pays arabe à signer un Traité de Paix avec cet État[[La Jordanie a emboîté le pas à l’Égypte, en 1994, en signant un Traité de paix avec Israël. A ce jour, ce sont les deux seuls États arabes à l’avoir fait.]], en 1979. Ce conflit n’est pas vraiment israélo-palestinien, mais plutôt israélo-arabe. C’est pourquoi l’Égypte joue ce rôle depuis très longtemps.

Dimanche 25 janvier, les pourparlers organisés au Caire ont conduit à une trêve entre les deux parties. Elle est encore en négociation, mais elle semble déjà fragile. Aujourd’hui, les bombardements continuent. Que penser du cessez-le-feu ?

H. N. : L’Égypte travaille des deux côtés pour les inciter à cesser les bombardements. La situation s’aggrave. Mais il y a des conditions à respecter pour une paix durable. Il faut qu’Israël se retire de Gaza, que les passages frontaliers rouvrent leurs portes, il faut supprimer le blocus, et le Hamas doit également arrêter de tirer ses roquettes… Si l’une de ces conditions n’est pas respectée, le cessez-le-feu se fragilise.

Vous êtes optimiste ?

Oui. Je suis toujours optimiste. Sinon on ne peut plus avancer. Et puis je pense à l’histoire. A l’époque où l’Égypte était en guerre contre Israël, on n’aurait jamais cru que nos pays signeraient un Traité de paix. Il faut maintenir les relations. Ne pas rester dans son coin.

Hosni Moubarak a été accusé d’avoir pris connaissance de l’opération « Plomb durci »[[« Plomb durci » est le nom de l’offensive israélienne qui s’est déroulée du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009, dans la bande de Gaza.]], deux jours avant qu’elle ne soit lancée, lors de sa rencontre avec Tzipi Livni, ministre des affaires étrangères israélienne. Qu’en est-il ?

L’Égypte a vu la situation se dégrader à Gaza. On a donc appelé la ministre des affaires étrangères israélienne pour en discuter. Israël a annoncé qu’elle se rendrait au Caire, je crois que c’était pour le jeudi qui suivait… Pendant ce temps, le Hamas s’est mis à tirer toujours plus de roquettes vers Israël. La situation a empiré.

Cette réunion a été organisée pour calmer le jeu. Et pour que les dirigeants israéliens fassent preuve de retenue. En réalité, l’Égypte a simplement assumé son rôle vis à vis des palestiniens. Et Hosni Moubarak n’a jamais été au courant de l’opération qui se tramait. De toute façon, les pays ne dévoilent jamais ce genre de chose, cela ne se fait pas.

Comprenez-vous les suspicions du Hamas ?

Pour moi, ceux qui critiquent cette réunion sont dans la surenchère, et ne font rien pour aider le peuple palestinien. La seule chose qui intéresse le Hamas, c’est de garder le pouvoir, de créer un État avec ses idées et ses principes. Mais ce n’est pas le bien de la population palestinienne.

Lors de l’opération « Plomb durci », l’Égypte a fermé ses frontières pour éviter le passage d’armes de contrebande en Palestine. La population s’est retrouvée bloquée…

Non, l’Égypte n’a pas fermé ses frontières avec Gaza, mais l’aide humanitaire était prioritaire. Il faut savoir que cette frontière ne représente que 14km. Il y a beaucoup d’autres passages. De notre côté, nous avons laissé passer un grand nombre d’ambulances et de voitures de médecins. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais tout cela est répertorié… De plus, des centaines de blessés palestiniens sont venus se faire soigner dans des hôpitaux égyptiens. Il y a eu 800 personnes, ou quelque chose comme ça, sans compter les accompagnants.

En marge du Sommet économique arabe, au Koweït, les dirigeants égyptiens et saoudiens ont rencontrés leurs homologues du Qatar et de Syrie. Il était question de réconciliation[[Dans le monde musulman, des divergences politico-religieuses séparent les pays dits « modérés » (Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite…), des « radicaux » (Syrie, Qatar, Iran…), plus proches des convictions du Hamas.]]. Quels sont « ces arrangements convenus entre les quatre dirigeants » dont parlait le Premier ministre qatari ?

Effectivement, il y a eu beaucoup de divergences de points de vue entre nous. Le sommet économique a ouvert la porte à une réconciliation entre nos pays. Il a été question de la reconstruction de Gaza. Là bas, toutes les infrastructures sont détruites. D’ailleurs, le Qatar et l’Arabie Saoudite ont déjà débloqué des fonds. Ces questions seront approfondies lors de la Conférence Internationale pour la reconstruction de Gaza, le 2 mars au Caire. Elle regroupera des ministres des affaires étrangères de plusieurs pays et des donateurs.

Le Qatar et la Syrie seront représentés ?

Je ne sais pas. Les participants ne se sont pas encore déclarés. Mais je crois que tous les ministres ont été invités.

Le Hamas a des liens avec les Frères Musulmans, dont se méfie le gouvernement égyptien. Peut-on dire que l’Égypte s’investit autant dans ce conflit car elle craint que ces groupes radicaux ne prennent de l’ampleur ?

Oui il y a de ça, je suis d’accord. Mais ce n’est pas la première des priorités.

L’Égypte n’intervient pas dans une lutte idéologique contre le Hamas. A Gaza, et en Cisjordanie, ce sont des élections qui mettent au pouvoir tel ou tel dirigeant. Nous travaillons seulement pour une réconciliation inter-palestinienne[[Le Fatah, fondé par Yasser Arafat (1929-2004), dirige encore l’Autorité Palestinienne en la personne de Mahmoud Abbas. Mais la victoire du Hamas aux législatives de janvier 2006 a remis en cause son autorité. Après une guerre de leadership, en juin 2007, le Président et son parti se sont retranchés en Cisjordanie. Mahmoud Abbas a alors dissolu le gouvernement d’union nationale. Depuis, le Hamas contrôle Gaza. Et les deux partis ne parviennent toujours pas à se rapprocher. Lundi 12 janvier, Mahmoud Abbas a appelé à reconstruire un gouvernement « d’entente nationale » pour organiser des législatives et des présidentielles simultanées.]].

Dès le départ, l’Égypte s’est prononcée pour la création de deux États ; l’un israélien, l’autre palestinien. Mais aujourd’hui, les palestiniens se battent entre eux. Les rapprocher, c’est l’essentiel.

Les échéances électorales ont une part de responsabilité dans l’intensité des derniers affrontements…

Je pense qu’Israël a très bien profité de cette période. La popularité de Ehud Barak (ndlr: ministre israélien de la Défense) est en hausse, et Ehud Olmert (ndlr: Premier ministre israélien) a voulu quitter son poste en vainqueur aux yeux de la population israélienne.

Du côté palestinien également. Mahmoud Abbas était censé terminer son mandat le 9 janvier 2009. Qu’en sera-t-il ?

Mahmoud Abbas, lui, se trouve dans une situation différente. Selon la Constitution palestinienne les élections présidentielles et législatives doivent se dérouler en même temps[[Mahmoud Abbas a été élu à la présidence de l’Autorité Palestinienne en janvier 2005, pour 4 ans. Son mandat est arrivé à terme. Mais il souhaite des élections législatives et présidentielles simultanées, comme le stipule leur Constitution. Jusqu’à présent, le Hamas les refusait. Les deux dernières élections avaient été décalées d’une année. Étant élus depuis 2006, ses députés peuvent donc siéger jusqu’au mois de janvier 2010. La Constitution le leur permet aussi.]]. Mahmoud Abbas va donc rester à la tête de l’Autorité palestinienne. Il souhaite reformer une Autorité d’Union Nationale. Mais cela reste complexe. La situation n’est pas très favorable.

Une formation à distance pour les Palestiniens

Universitaires palestiniens et européens travaillent actuellement sur un programme de formation destinés aux étudiants qui ne peuvent pas se déplacer à cause du conflit. Un véritable défi pour tous afin de faire perdurer l’enseignement dans les territoires occupés.

Comment continuer ses études malgré un contexte politique difficile et de surcroît dans des territoires occupés ? Tel est le message lancé par André Moisan, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris et qui coordonne depuis septembre 2005 un projet de formation à distance avec des collègues palestiniens de cinq universités et des collègues européens issus de quatre universités dont celles de Bruxelles et de Bilbao. Le nom du projet : RUFO (qui signifie Réseau Inter- Universitaire pour la Formation Ouverte et à distance). Dans le cadre du projet TEMPUS-MEDA, il est soutenu et financé par la Direction Générale de l’Éducation et de la Culture de Commission Européenne.

«Fiers du projet »

Pour ces universitaires palestiniens, cet échange est surtout un moyen de communiquer autour d’un programme qu’ils souhaitent faire perdurer dans le temps. Malgré le conflit israélo-palestinien, ils ont désiré être présents pour exprimer leur gratitude face à l’aide technique apportée par les professeurs européens. Musser Arafat, l’un des professeurs rencontré s’exprime sur le sujet : « la mise en place d’un réseau inter-universitaire en Palestine permet ainsi aux étudiants de poursuivre leur enseignement malgré les nombreux check points qui empêchent de se déplacer». Emu, un professeur de Naplouse, vit sous l’occupation israélienne et espère retrouver un jour la paix avec ce peuple sans terre. « J’apprends le français depuis 1 an et les premiers mots qui me viennent sont à l’image du drapeau qui flotte devant mes yeux : « Liberté, Egalité, Fraternité » ».

La meilleure façon d’apprendre, c’est de faire

Afin d’accompagner au mieux les universités palestiniennes dans ce projet, leurs homologues européens ont développé le programme autour de 5 axes : la remédiation, les Nouvelles Technologies, la formation maintenance automobile et l’initiation informatique.
Il faut savoir que le niveau de l’éducation est très élevé dans les territoires palestiniens malgré le fait que les diplômes ne soient pas reconnus en Israël. D’où l’importance de faire vivre les universités sur place, explique André Moisan, « il ne faut pas seulement considérer les Palestiniens comme des terroristes ou des victimes ».
Ce dernier, breton d’origine et pas peu fier de cet état, assume un statut de rebelle, comme il le dit si bien lui-même. Ce dernier se rend tous les 2 mois environ sur place afin d’améliorer la coopération entre les partenaires locaux et faire vivre le projet. « Le partenariat local est fondamental afin de remédier en partie au problème palestinien de manière à ce qu’ils ne soient pas exclus et surtout qu’ils soient plus que jamais autonomes en ces temps difficiles » conclut André Moisan.
Fin 2008, la Commission Européenne a cessé le financement de ce projet prévu pour 3 ans. Un nouveau cycle s’amorce donc avec l’obligation de reconquérir de nouvelles aides financières pour que l’enseignement perdure malgré tout.