Le débat autour de la pilule troisième et quatrième génération s’amplifie, les médias s’emballent. De leur côté, les autorités publiques et sanitaires temporisent la polémique, craignant une diabolisation de la pilule.
Bernard Hédon, président du Collège National des gynécologues-obstétriciens français, explique…
Haut Courant : La polémique autour des pilules de troisième et quatrième génération ne cesse d’enfler depuis la plainte de Marion Larat à l’encontre du Laboratoire Bayer. Que pensez-vous de ce débat ?
Bernard Hédon : C’est un débat qui est justifié. Il est important qu’il y ait une réflexion sur le fait que tout médicament, quel qu’il soit, est susceptible d’avoir des effets secondaires dangereux.
Quand il s’agit de contraceptif, c’est d’autant plus important que la patiente n’est pas malade et que c’est une médication qui est censée apporter un plus dans la vie quotidienne. Il faut faire une recherche toujours plus importante vers le plus faible nombre d’effets secondaires.
Il est maintenant clairement montré qu’il y a un peu plus de thrombose[[ Un caillot de sang dans la jambe, pouvant migrer vers le poumon et donc potentiellement dangereux]] avec les pilules troisième et quatrième génération par rapport à celle de deuxième génération. On ne s’attendait pas à ce type de résultat.
H.C : Quels sont les avantages de ces pilules et, si leur prescription est nécessaire, dans quel cadre faut-il les prescrire ?
B.H : Il faut rappeler d’où vient la contraception hormonale. Elle vient des premières pilules qui étaient fortement dosées. Aujourd’hui, plus personne n’accepterait d’utiliser une pilule avec un tel dosage hormonal.
Rapidement, on s’est aperçu que ces pilules entraînaient un important risque de thrombose.
L’histoire de la contraception n’a eu de cesse de chercher à réduire le dosage hormonal mis dans les pilules. Et d’ailleurs avec un grand succès, au moins initialement, puisqu’il y a eu une très forte diminution des risques.
Lorsqu’on est passé des pilules dites de deuxième génération aux pilules de troisième génération, il était tout à fait légitime de penser que ça allait apporter une diminution supplémentaire du risque de thrombose. Pour diverses raisons : réduction du dosage d’œstrogène[[Hormone sécrétée par l’ovaire et dont le taux sanguin, en augmentant, joue un rôle dans l’ovulation. Présents naturellement dans l’organisme, les œstrogènes sont aussi synthétisés et utilisés comme médicaments]] et amélioration de la partie progestative[[Substance naturelle ou synthétique qui produit sur l’organisme des effets comparables à ceux de la progestérone, l’hormone féminine sécrétée pendant la seconde phase du cycle menstruel et la grossesse. Les progestatifs, naturellement présents chez la femme sous forme de progestérone, sont également utilisés comme médicaments, naturels ou de synthèse]] avec moins d’effets secondaires de type androgéniques[[Hormones stéroïdes mâles sécrétées par les testicules, les ovaires et les glandes surrénales]].
C’est, donc, légitimement qu’on s’est mis à prescrire ces pilules en pensant que c’était bénéfique pour les patientes. Et maintenant, aux vues des statistiques, il faut se rendre à l’évidence. Ces pilules ont un effet inverse, elles augmentent la fréquence de thrombose. Ce qui nous oblige à réviser les habitudes de prescriptions.
H.C : Les effets anti-androgènes[[Les anti-androgènes sont des molécules diminuant l’activité des hormones androgènes. Ils aident à lutter contre l’acné, la pousse de poil, etc]] de ces pilules ont-ils amené une demande des patientes ?
B.H : Oui, les patientes continuent à avoir la même demande : bénéficier d’une contraception efficace, bien tolérée et sans effets secondaires. Si la contraception peut améliorer la qualité de la peau, elles ne demandent pas mieux.
Tous ces effets autres que contraceptifs et potentiellement bénéfiques, il s’avère que toutes les pilules l’ont peu ou prou. On n’a pas pu démontrer que les pilules de nouvelles générations avaient une efficacité supérieure à celle de deuxième génération sur ces aspects là.
Maintenant qu’on a les données, on peut faire l’analyse du service médical. Les effets bénéfiques similaires et le risque supérieur de thrombose fait que le service médical rendu est plutôt négatif. D’où la décision gouvernementale d’aller vers le déremboursement de ces contraceptifs.
H.C : Que pensez-vous de cette proposition d’avancer le déremboursement ?
B.H : En tant que professionnel, on attire toujours l’attention sur le fait que la contraception doit rester accessible de manière facile. Je rajouterais, volontiers, gratuite, de façon à ce que ça puisse concerner le plus grand nombre.
Sur la foi d’un service médical rendu insuffisant, le gouvernement a pris la décision d’un déremboursement, annoncé initialement pour septembre, puis avancé à avril.
Pour en savoir plus sur la polémique
Le 14 décembre dernier, Marion Larat, 25 ans, dépose une plainte à l’encontre du groupe pharmaceutique Bayer. Elle l’accuse d’être à l’origine de son accident vasculaire cérébral du 13 juin 2006, qui l’a laissée lourdement handicapée. À l’époque, la jeune fille prenait la pilule troisième génération, Méliane, depuis quatre mois.
Depuis, une trentaine de femmes a entrepris des démarches auprès de la justice, contre plusieurs laboratoires délivrant des pilules troisième et quatrième génération.
La polémique faisant rage durant les fêtes de fin d’année, le gouvernement s’est emparé de l’affaire. Ainsi, le 2 janvier, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, annonçait la fin du déremboursement de la pilule troisième génération dès le 31 mars 2013. Déremboursement initialement prévu pour septembre.
Enfin, le 11 janvier, la ministre a ajouté, sur les conseils de l’Agence nationale de sécurité du médicament, la mise en place d’un dispositif visant à limiter la prescription des pilules troisième génération. Grâce à ces mesures, le gouvernement veut avoir un discours rassurant et éviter la diabolisation de la pilule.