Franz-Olivier Giesbert, entre amour courtois et querelle journalistique

Invité par la librairie Sauramps, en association avec le Club de la Presse de Montpellier, Franz-Olivier Giesbert est venu présenter son dernier roman « Un très grand amour », lundi 15 février. S’en est suivi un débat animé par le journaliste Didier Thomas-Radux.

L’amour en question : altérité et absolu

« Il ne faut jamais dire qu’on a un cancer » lui avait affirmé le Pr Debré : « le cancer fait le vide autour de vous.  » Franz-Olivier Giesbert a pris le conseil de son médecin à contre-pied pour engendrer Un très grand amour, récit dans lequel il dédramatise sa maladie. Il y raconte l’histoire d’un homme atteint d’un cancer de la prostate, depuis le diagnostic jusqu’à la rémission. Si le cancer est bel et bien présent dans cette biographie romancée, « la maladie n’est qu’un personnage secondaire. C’est avant tout une histoire d’amour. »

L’amour, c’est d’ailleurs l’un des sujets favoris de Franz-Olivier Giesbert : « j’ai voulu partager une expérience sur l’amour. Le chagrin d’amour m’a démoli, pas la maladie« . Donc, résolument optimiste, il s’est même abandonné à quelques envolées lyriques : « les femmes avec qui l’on veut vivre ne sont pas forcément celles pour qui l’on peut mourir« , « il m’a fallu soixante ans pour découvrir les vertus de la fidélité » ou encore « j’ai divorcé de femmes absolument remarquables : la preuve je les avais épousées. » Le titre de son roman n’a pas été choisi au hasard. Référence explicite est faite à Spinoza : le très grand amour est celui qui constitue un « accroissement de soi-même. » Bref, pour Giesbert, cette quête de l’amour absolu nous rappelle un peu la course de Perceval vers le célèbre Saint Graal. On apercevrait presque Blanchefleur… L’amour courtois en somme.

De l’éthique journalistique

Si Franz-Olivier Giesbert est romantique, une partie de l’assemblée l’est un peu moins. En effet, le journaliste Pierre Carles [ Journaliste et documentariste, il développe à travers ses films une critique de l’espace médiatique, dont il dénonce les connivences croisées. Il est l’un des membres fondateur du journal de critique des médias Pour lire pas lu (PLPL), devenu Le Plan B au printemps 2006.]] est très en forme : « pourquoi le Club de la Presse a-t-il invité Franz-Olivier Giesbert en tant que journaliste, alors que ce n’est qu’un imposteur ? » D’une pirouette, le directeur du Point rétorque : « quand on réussit, on a beaucoup d’ennemis. Les caniches aboient, la caravane passe. » Le créateur du [Plan B lui reproche une hypocrisie apparente lorsqu’il affirme, dans l’émission « Huit journalistes en colère« , que « le vrai patron du journal, c’est le lecteur« , l’accusant de connivences. Il n’hésite pas non plus de le taxer de « calamité du journalisme« . Devant une audience agacée, F.O.G. affirme : « je suis l’ennemi à abattre pour les journalistes qui pensent qu’ils peuvent faire leur journal sans se fier au lecteur. Il faut établir un pacte de confiance. Si l’on fait des titres exclusivement racoleurs, le lecteur se lasse. Il faut trouver un juste équilibre entre la loi du marché et les attentes du lecteur. » Selon Giesbert, si certains journaux vont mal, c’est parce qu’ils négligent ce paramètre là. Et de rajouter : »alors, ces journaux tendent la main à l’État. Je suis contre ces aides. Le Point n’en reçoit pas. D’ailleurs nous ne sommes même pas allés aux États Généraux de la Presse. »

Imperturbable, Franz-Olivier Giesbert n’est pas non plus désarçonné lorsqu’une personne de l’assemblée lui demande comment un journaliste de son état, profession prenante, trouve le temps d’écrire nombre de fictions ? Prolifique, il l’est depuis sa jeunesse. Il avoue avoir rêvé de devenir écrivain et être devenu journaliste par nécessité :  » entre 12 et 20 ans, je rédigeais environ deux romans par an. » La fiction est donc un échappatoire qui lui est cher : « le journalisme, c’est un métier absorbant, ça vous dévore, il faut aussi faire autre chose… »

Franz-Olivier Giesbert : « Ne soyons pas hypocrites : les gratuits sont bénéfiques à la presse »

A l’occasion d’un débat avec Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, et Jean-François Kahn, ex-directeur de Marianne, samedi 31 mai, à Montpellier, le directeur du Point Franz-Olivier Giesbert est revenu sur le rôle de la presse gratuite dans la crise de la presse écrite. A contre-courant de ses confrères et de l’opinion générale qui règne au sein du microcosme médiatique, FOG approuve l’existence des gratuits, soutient même le rôle bénéfique de cette « concurrence » à la presse payante. Témoignage à rebrousse-poil d’un journaliste rarement là où on l’attend…

Franz-Olivier Giesbert s’exprime sur la presse gratuite et la crise de la presse.

« Défendre la liberté de la presse, sans enjeux partisans »

Dans le cadre de la Comedie du livre, à Montpellier, les trois capitaines Edwy Plenel, Jean-François Kahn, et Franz-Olivier Giesbert se sont interrogés sur le naufrage possible de la presse papier.

Un casting de choix, et un décor sublime, malheureusement assez peu adapté aux causeries, celui de l’Opéra Comédie. Philippe Lapousterle pose aux trois géants de la presse française que sont Jean-François Kahn [[fondateur des hebdomadaires L’évenement du Jeudi et Marianne]], Franz-Olivier Giesbert [[directeur du magazine Le Point, et animateur de l’émission Chez FOG sur France 5]], et Edwy Plenel [[Directeur de publication du journal en ligne Mediapart et ancien directeur de la rédaction du quotidien Le Monde]], la question : Peut-on éviter le naufrage de la presse papier ?

Mais, la question est-elle mal posée, ou les intervenants mal choisis ? En effet, Jean-François Kahn le rappelle : « Les trois patrons que nous sommes sont des exceptions dans le panorama de la presse française, puisque nos titres gagnent de l’argent, ou du moins n’en perdent pas ». Edwy Plenel, quant à lui, recentre rapidement le thème du débat. Pour lui, la question n’est pas d’éviter la naufrage de la presse papier, mais de sauver une presse indépendante des pouvoirs politiques et économiques. Une presse qui défende « Les vérités de faits qui, comme l’écrit Hannah Arendt dans la crise de la culture, seront toujours en danger face aux vérités d’opinions. »

Jean-François Kahn : « Dans une vraie économie de marché, il n'y aurait plus de journaux du tout en France »
À cette presse indépendante s’oppose la publicité en premier lieu. Celle-ci dispose d’un pouvoir de séduction sur le public, puisqu’elle peut rendre l’objet journal gratuit. Pour Jean-François Kahn, c’est une situation aberrante. « Imaginez une seule seconde que, devant une boulangerie, quelqu’un s’installe et se mette à distribuer du pain gratuit, aussi bon que celui du boulanger, payé par la publicité. Qui accepterait cela ? La loi elle-même interdit au nom de la concurrence ce genre de situation. Si la presse se trouvait dans une vraie économie de marché, il n’y aurait plus de journaux du tout en France ! »

De l’interprétation du libéralisme

Franz-Olivier Giesbert semble moins inquiet : « Il ne s’agit pas d’un naufrage, mais la presse traverse une crise. Et ce, partout en Europe ». L’analyse qu’il présente est peu ou prou celle qu’a défendu l’institut Montaigne dans son rapport de 2006 pour « Sauver la presse quotidienne d’information ». Pour lui, les gratuits ne peuvent pas être tenus pour responsables de la crise de la presse. D’une part parce qu’il s’agit « d’ersatz » de journaux, d’autre part parce qu’« une situation de concurrence dope les ventes » et enfin parce que « les gratuits amènent vers le papier un public qui ne lisait pas auparavant ». Les principales causes de la crise sont à chercher ailleurs : dans le coût de fabrication des journaux ; dans le manque de points de distribution ; dans la dépendance des entreprises de presse aux aides de l’Etat ; et dans le manque de concurrence.
Franz-Olivier Giesbert : « La concurrence dope les ventes »

Pour Edwy Plenel aussi, l’une des raisons de la crise de la presse est un manque de libéralisme. Mais pas de libéralisme économique, de libéralisme politique : « Il y a un problème démocratique. Comment pouvons nous accepter une situation comme celle de la conférence de presse présidentielle de janvier ? 600 journalistes, 15 questions, aucun droit de réponse, et plus grave encore : la profession entière qui rit de voir le président se moquer de l’un des leurs[[ Laurent Joffrin de Libération]]. Et pour finir, on applaudit le président ; on applaudit l’acteur. »

Jean-François Kahn abonde dans le sens d’Edwy Plenel : « Le public voit une connivence entre les journalistes, et se méfie de la presse. Au point d’aller exactement à l’inverse de ce que défendent les journaux, comme on a pu le voir avec la constitution européenne. Il faut repenser la façon d’écrire ». Pour lui, cette connivence va de paire avec le fait que la plupart des entreprises de presse appartiennent à des groupes qui vivent de commandes publiques comme Lagardère, Dassault et Bouygues.

Edwy Plenel : « Il y a un problème démocratique »

Contre toute attente, Franz-Olivier Giesbert lui-même va s’émouvoir de l’absence de sens critique de la profession à l’égard de la communication politique : « Ce n’est pas grave que les politiques critiquent les journalistes, c’est le jeu. Or, le conformisme est la clef de tout. En France, on étouffe les débats, la presse refuse la contradiction. La presse vit en dehors du monde ».

Jean François Kahn va conclure ce trop court débat : « Il faut défendre cette idée d’une presse libre, mais sans enjeux partisans. Il faut condamner les atteintes à la liberté, même quand les situations qui sont générées nous arrangent ».