Jean Stern : « Les chaînes d’info ? Des perroquets du conformisme qui reprennent en boucle des niaiseries »

Jean Stern est journaliste. Issu du CFJ, il participe en 1979 à la création de Gai Pied sous l’égide de Michel Foucault puis devient reporter international. Passé par Libération, La Tribune ou le Nouvel Économiste, il est actuellement consultant et directeur pédagogique de l’École des métiers de l’information. En octobre 2012, il publie un pamphlet virulent Les patrons de la presse nationale : tous mauvais, aux éditions La Fabrique. L’occasion pour lui de revenir sur l’évolution des patrons de presse depuis 1945, de la domination des « 3H » (Hersant, Havas et Hachette) à des figures emblématiques comme Jean-Marie Colombani ou Serge July. Plus qu’un simple historique, l’auteur s’est fixé un but précis : démontrer que les patrons de presse actuels, qui sont aussi des patrons du CAC 40 (comme l’a si bien montré Les Nouveaux Chiens de Garde), sont responsables de la perte d’indépendance des rédactions comme de leur appauvrissement. L’ouvrage est complet, fruit d’enquêtes minutieuses et révélateur d’une crise profonde. Pourtant, il a été peu médiatisé. Rencontre avec un homme qui dit tout haut ce que certains pensent certainement tout bas.

Votre ouvrage met directement en cause les patrons de presse dans la crise actuelle subie par la presse. À partir de quand estimez-vous que le patron de presse a commencé à nuire à son entreprise ?

Je ne peux pas dire les choses comme cela. Il faut en effet distinguer les périodes. Mon livre raconte la perte d’indépendance de deux titres, Libération et Le Monde, qui étaient la propriété de leurs équipes, au profit de milliardaires, et la prise de contrôle d’autres titres par d’autres milliardaires. De ce point de vue, c’est un processus qui date des 20 dernières années. C’est donc assez récent. Mais, en même temps, c’est aussi le fruit d’erreurs plus anciennes qui, elles, remontent à l’absence de définition d’un cadre clair pour la presse française à la Libération. La sous-capitalisation des titres en 1944-1945 et l’endettement auprès des banques nationalisées à partir de l’expansion des années 50, l’étroite imbrication de l’État dans les affaires de presse, à commencer par le contrôle de l’AFP et les innombrables aides, ont encore aggravé l’économie artificielle de ce secteur. La nuisance est en tout cas subtile, mais le contrôle est réel. Vu comme ça, le « conflit d’intérêts », en vogue ces temps-ci, peut s’appliquer à la presse nationale depuis une bonne décennie.

Pourquoi en vouloir autant à ceux que vous appelez les « journalistes-managers » (Jean-Marie Colombani et Serge July), dont les projets d’expansion auraient pu être, au finale, des réussites ?

les-patrons-de-la-presse-nationale-tous-mauvais.jpgTout cela a un double sens. Le fond, c’est que le projet de Serge July comme celui de Jean-Marie Colombani était autant idéologique qu’économique. Il fallait faire avaler le marché au lecteur et par conséquent, aux journalistes. Le Monde et Libé ont été, chacun à leur manière, de très grands journaux, de très bons journaux aussi. July et Colombani ont eu ce projet normatif, accompagné de folie de grandeurs, parce que le problème était moins les projets d’expansion que leur financement, peu ou mal assuré. Ils se sont trompés d’échelle : d’abord sur le plan industriel, avec Libé 3 pour Libé et l’imprimerie d’Ivry puis la croissance externe à marches forcés pour Le Monde. Cela a fait couler l’indépendance des titres, et aussi tuer un rêve hélas mal construit, celui de journaux contrôlés par les journalistes. De ce point de vue, il y a quand même un point commun entre Serge July, Jean-Marie Colombani et leurs rédactions : leur incapacité à affronter correctement le pouvoir de l’argent.
Maintenant, il n’y a pas que Libé et Le Monde. Je parle aussi de la fin de La Tribune ou de France Soir, de la ruine de l’ex-empire Hersant, des Échos, du Figaro, des errements du groupe Lagardère. Les patrons propriétaires ont accumulé les erreurs ces 20 dernières années, mais le résultat est le même partout : des rédactions avec moins de moyens, soumises, un conformisme et un esprit moutonnier propre à la presse française.

On accuse souvent Internet et la presse gratuite d’avoir amené la crise de la presse. Pour vous, ils en ont surtout pointé les faiblesses. C’est le travail journalistique qui est devenu mauvais, trop conformiste, trop formaté ?

les_ncdg_journalistes.jpgLe travail journalistique n’est pas toujours mauvais, loin s’en faut. Beaucoup travaillent dans des conditions très difficiles, doivent faire plusieurs papiers par jour, n’ont plus le temps d’enquêter sur le long terme et de se concentrer sur l’écriture. Une collègue de Libération me disait l’autre jour qu’il était difficile de travailler dans une rédaction que le propriétaire du journal [ndlr : Édouard de Rothschild], ou plutôt le soi-disant propriétaire car il ne contrôle plus que 26% du capital, déteste. Et que déteste aussi le directeur de la rédaction [ndlr : Nicolas Demorand] : il a rassemblé sur une récente motion de défiance 94% des suffrages exprimés contre lui. D’autres que moi ont très bien traité le problème du formatage, de la pensée unique, probablement aggravée ces dernières années par la montée en puissance des chaînes d’infos, où l’on voit à longueur de soirée les perroquets du conformisme reprendre en boucle leurs niaiseries.
Mais ces éditorialistes vedettes à la petite semaine ne représentent pas tous les journalistes. Les autres, beaucoup d’autres, aimeraient travailler mieux, il leur faut donc réinventer des modèles. Les différents plans sociaux ont coûté leurs jobs à plusieurs milliers de salariés de la presse ces dernières années – rédacteurs mais pas seulement, aussi toutes celles et ceux, photographes, iconographes, graphistes, documentalistes etc. qui contribuaient à la qualité et souvent à la pertinence de l’info. Difficile de faire mieux à moins et avec moins.

Vous estimez que la presse quotidienne nationale de 1968 était « globalement réactionnaire – ce qui favorise une presse alternative nombreuse et souvent originale mais pauvre ». C’est la même chose aujourd’hui ?

Oui, tout à fait. La créativité est très forte dans les médias et se nourrit d’ailleurs souvent des plans sociaux qui ont mis plein de gens sur le carreau. On ne peut que se réjouir de nouveaux journaux comme So Foot, Causette, les revues Charles et XXI, de très nombreux pure-players, à Paris comme dans plusieurs grandes villes. Ces titres sont souvent pauvres et doivent se trouver un nouveau modèle économique. Il est urgent de se battre pour la création en France d’un statut pour les entreprises de presse, utilisant les principes de la société à but non lucratif imaginée par Hubert Beuve-Méry et des techniques modernes montant du Web de co-financement par les lecteurs. causette.jpgIl est tout de même étrange que la fiscalité profite davantage aux riches propriétaires qui sont des as de la défiscalisation et pas aux journaux et encore moins aux lecteurs attachés à des titres indépendants et novateurs.

Nos voisins anglais enregistrent encore de bons chiffres (vous citez pour exemple le Daily Telegraph) : la crise ne serait-elle donc que française ?

Non, c’est une crise mondiale du journal papier liée bien sûr à l’explosion et à la richesse du numérique, en termes d’information et de modes de traitement de l’information. Mais ce qui frappe, c’est la différence du niveau d’investissement des propriétaires dans de nombreux autres pays, surtout du côté des rédactions. Chez aucun de nos voisins, sauf l’Espagne, la presse nationale d’information générale n’a chuté autant qu’en France. Mais des centaines de quotidiens locaux ont disparu aux États-Unis, remplacés par des blogs d’ailleurs hyper efficaces. De nombreux titres sont en difficultés en Europe, affaiblis par la crise de la publicité encore plus générale que la baisse des diffusions, partout sensible mais moins forte qu’en France. La crise du capitalisme est mondiale, la chute des recettes publicitaires est sensible dans toute l’Europe.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que votre thèse, reliant patrons de presse et volonté délibérée de mettre les rédactions dans le rouge afin de profiter de baisses d’impôts, ressemble étrangement à une théorie du complot ?

Que mon livre n’est pas un essai mais une enquête, qui n’a pas été démentie depuis six mois, notamment basée sur les explications de plusieurs avocats fiscalistes et experts comptables. C’est aussi un récit, celui d’une défaite d’une génération de journalistes, à laquelle j’appartiens. Les faits sont là : il n’y a pas une semaine sans qu’éclatent un conflit, un plan social, un départ fracassant, un licenciement en douceur, une vente, un rachat dans la presse française, et cela va rarement dans le sens de l’amélioration… Et je ne parle pas de ce qui se passe en province, avec l’arrivée de Tapie dans le Sud-Est et dans le Grand Est, ou de Michel Lucas le patron du Crédit Mutuel-CIC qui prépare, selon le mot d’un syndicaliste d’une des rédactions qu’il contrôle, un « bain de sang ». Lui, comme Tapie d’ailleurs, n’a jamais caché son aversion pour les journalistes…

Aurélie Filippetti annonçait vouloir « rétablir l’indépendance des médias en cas de victoire de son candidat – sans dire ni comment ni à quelle échéance ». Pour vous, « les socialistes ont toujours aimé les paroles en l’air ». Ce gouvernement ne sera source d’aucune solution ?

Il faut bien constater qu’en un an, il ne s’est passé grand-chose, à part une ou deux vaines polémiques sur des programmes télé. Le titre de gloire de l’actuel gouvernement est l’accord avec Google, un véritable marché de dupes qui a fait hurler toute la presse européenne et une bonne partie des sites d’information français…

L’État apporte aujourd’hui une aide massive aux journaux, aujourd’hui facilement remise en cause. Quel rôle doit jouer l’Etat vis-à-vis de la presse ?

Dans un rapport récent, la Cour des comptes a jugé le système d’aide à la presse peu efficace et met spécialement en cause, comme je l’avais fait dans mon bouquin, l’aide au portage qui a particulièrement contribué à déstabiliser le système. L’État a aidé à la fois le portage et l’acheminement par La Poste. Les points de vente ont donc été les grandes victimes des mauvais choix de l’équipe Sarkozy au moment des États Généraux de la presse. Nul doute en tout cas que le système est à bout de souffle.

mediapart.pngSi le manque d’enquêtes des journaux actuels est uniquement dû à un manque de moyens, comment se fait-il que Mediapart puisse pousser aussi loin ses enquêtes ? Où trouvent-ils l’argent ?

Auprès de leurs abonnés, c’est simple et assez sain. Après, c’est du travail. Du temps, des contacts, de l’instinct, de la curiosité. Ceux qui prétendent le contraire sont souvent les mêmes qui pensent que je suis une nouvelle victime de la théorie du complot, c’est-à-dire des journalistes bien installés dans le système. Et puis qu’est-ce que cela va dire pousser « aussi loin » une enquête ? Cela veut dire qu’ailleurs, on ne pousse pas toujours « assez loin » l’enquête…

Si les patrons de presse actuels sont « tous mauvais », qui doit les remplacer ?

Je ne pense pas qu’il faille les remplacer. Je pense qu’il faut les renverser et changer la nature de la propriété des journaux, donc je ne vais pas distribuer des bons et des mauvais points de management. Je pense qu’on ne peut plus laisser faire le capitalisme déchaîné dans les médias et que les lecteurs et les journalistes doivent se réveiller. Un nouveau statut des entreprises est urgent, tout comme l’interdiction du contrôle d’un média par des hommes d’affaires ayant des intérêts croisés avec l’État. Et cela fait du monde…

Vous terminez votre livre ainsi : « les journalistes sont condamnés à se trouver de nouveaux horizons s’ils ne veulent pas finir broyés à la ferme. Inventer de nouveaux médias, de nouveaux sites. Balayer les médiocres du paysage, oublier les patrons enfin. Retrouver la parole et la rage d’écrire. » Avez-vous des exemples de journaux qui répondent à ces critères ?

Plein ! Certains que j’ai déjà cités et d’autres encore sûrement que je ne connais pas. Cela me rend assez optimiste, mais il ne va pas falloir lâcher prise. Et du côté des rédactions plus installées, du côté des syndicats aussi, la grogne monte. Je sens bien que le temps du fatalisme est derrière nous. Mon livre aura au moins, peut-être, contribué à cela.

Interview réalisée le 15 avril 2013

Pour aller plus loin :

 une excellente critique de l’ouvrage de Jean Stern par le site Contretemps ;

 Jean Stern sur France Inter : « Qui a tué la presse écrite ? »

 « Libération, mode d’emploi : une dérive managériale et une déroute commerciale » chez Acrimed.

Quotidiens espagnols : la fin d’un secteur prospère.

Pendant de nombreuses années, la presse espagnole a maintenu une bonne diffusion des quotidiens payants. Aujourd’hui les principaux titres nationaux comme El País sont touchés par la baisse des recettes publicitaires. La presse gratuite, une des plus dynamiques d’Europe, est contrainte de réduire le nombre d’éditions et les effectifs au sein des rédactions.

La nouvelle génération, pas si désenchantée

A l’heure où des Etats généraux ont été réunis pour guérir la presse de ses maux,
rencontre avec une jeune journaliste, inquiète mais pas désenchantée.
A 29 ans, Aveline Lucas est journaliste au sein du quotidien régional La Provence, à la rédaction d’Arles. Après un DEUG d’économie et un BTS en action commerciale, la jeune nimoise commence à écrire dans deux hebdomadaires appartenant à sa mère : Cévennes magazine et Le Journal du Pont du Gard. Elle se prend au jeu et décide de passer par le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ). Diplômée en 2003, pigiste pour plusieurs journaux pendant cinq ans, elle a décroché au mois de juillet dernier son CDI à La Provence.

Aujourd’hui quand on parle du statut des journalistes, on pense précarité, qu’en est-il ?
Il est vrai que pour des jeunes qui s’engagent dans cette voie, la tâche n’est pas aisée. Quand je discute avec des anciens de la profession, je m’aperçois qu’il y a quelques décennies en arrière, la situation des journalistes n’était vraiment pas la même que celle des jeunes journalistes d’aujourd’hui. Obtenir un travail était beaucoup plus simple et passer par les grandes écoles n’était pas si important que ça. La précarité pour les jeunes journalistes commence selon moi dès les études. Je prends ici mon cas comme exemple. Pendant mes deux années passées au CFPJ, j’étais rémunérée à hauteur de 40% du SMIC. Difficile de vivre avec ce genre de rémunération. Une fois diplômée, ma situation financière ne s’est pas forcément améliorée. Les futurs journalistes doivent être conscients qu’ils obtiendront difficilement un CDI à la sortie de leurs études. J’ai dû faire des piges pendant cinq ans avant d’obtenir le mien. Et être pigiste, c’est réellement un statut précaire dans la mesure où le salaire à la fin du mois est incertain. Généralement, c’est entre 8OO et 900€. Et ce, en travaillant tous les jours de la semaine, sans compter les heures et évidemment sans prendre de vacances.

Vous avez récemment obtenu votre CDI à l’agence d’Arles, vous sentez-vous enfin en sécurité professionnellement parlant, ou tout du moins plus stable ?
Plus stable, c’est certain, mais sûrement pas en sécurité. Le point positif c’est que mon salaire est assuré. Toutefois, la précarité des journalistes s’illustre par le fait que le salaire n’est pas à la hauteur des heures que l’on fait. Pour ma part, je travaille 12 à 13 heures par jour. Autant dire qu’un journaliste est rémunéré de façon forfaitaire. Mais je reste sur un siège éjectable : à la fin de l’année 2009, un bilan des actionnaires est prévu. Si un plan social est programmé, dans ce cas les derniers arrivés seront les premiers à partir. Je vous laisse imaginer la suite…

Dans ce cas, comment percevez-vous votre avenir en tant que journaliste et plus généralement celui de la profession ?
Il faut arrêter d’avoir peur et de faire peur à ceux qui veulent exercer cette profession. J’ai l’espoir que la presse écrite réussisse sa reconversion. Si le support est probablement condamné, le métier ne l’est pas. Je ne doute pas du fait qu’Internet va probablement la supplanter mais cela ne me dérangerai pas de travailler sur la toile, au contraire. Mon avenir n’est certes pas assuré et celui de la presse quotidienne régionale, et de la presse écrite plus globalement, ne l’est pas non plus, mais j’ai confiance : le rôle du journaliste est trop essentiel pour être voué à disparaître.

La presse US en crise

La presse américaine est en bien mauvaise santé. Subissant la crise financière mondiale et au coeur d’une crise de confiance, ses revenus ont dramatiquement chuté ces dernières années.

Si le journalisme américain a longtemps joui d’une réputation de journalisme prospère et de qualité, aujourd’hui, les quotidiens peinent à survivre. Entre baisse de chiffres, scandales et nouveaux défis…

Une crise fincancière

D’après l’association des éditeurs américains, la NAA, les revenus des journaux ont chuté de 14% pour le premier trimestre 2008. Et cette baisse de rentabilité ne doit pas être vue comme uniquement conjoncturelle. Bien sur, l’effondrement récent des bourses américaines a fait chuter les recettes publicitaire et les capitaux des groupes de presse côtés en bourse Mais le train est en marche depuis plusieurs années…
La dégringolade des recettes publicitaires, qui a pu atteindre 20% cette année, associée à la baisse des ventes de la presse papier ont des conséquences directes sur la santé économique des journaux. Des plans de redressement sont mis en oeuvre depuis plusieurs années, les suppressions d’effectif abondent.
Selon le Figaro.fr, le groupe Gannett, premier du pays, a annoncé un plan de suppression de 10% de ses effectifs. Entre les mois de juillet et de septembre, le groupe avait du faire face à une diminution de 18% de ses recettes publicitaires.
Le groupe Time Inc pourrait supprimer 600 postes selon le New York Times. Ce même New York Times, en manque de liquidités, a annoncé le 8 décembre 2008 avoir l’intention d’hypothèquer son siège pour un montant de 225 millions de dollars.
En avril, on apprenait la suppression de 400 à 500 postes du groupe The Tribune Co. L’un de ses titres, le Los Angeles Times, n’est pas épargné. Après une vague de départs en juillet, il a annoncé le 27 octobre 2008 se séparer de 75 autres personnes. Selon le « Wall Street Journal » du 8 décembre 2008, le groupe pourrait même passer sous la protection de la loi sur les faillites. C’est dire si la situation est grave.

Une crise morale

Les scandales impliquant des journalistes jouent aussi en la défaveur de la presse.
Les journalistes fabulateurs révélés pendant les années 2000 ont contribué à ternir la réputation des quotidiens. Jayson Blair du New York Times, coupable de plagiats et de « fabrication d’information », Christopher Newton, reporter de l’agence Associated Press, incapable de prouver l’existence d’une quarantaine de personnes citées dans ses papiers et d’une dizaine d’organisations dont il avait utilisé les témoignages, Jack Kelley, journaliste pour « USA Today » ayant inventé de nombreux reportages pendant plus de dix ans…
De plus, l’après 11 septembre s’est révélé discutable. Le New York Times, par exemple, a été mis en cause à travers la journaliste Judith Miller. Sa source, loin d’être objective, était M. Ahmed Chalabi, exilé irakien qui avait dirigé le Congrès National Irakien, basé à Washington et financé par la CIA.
Les medias américains ont été manipulé par le Pentagone et ses 75 gradés de l’armée à la retraite. Ces « experts » ont participé à diffuser le message de G.W.Bush sur toutes les chaînes de télé. Mais une enquête du New York Times révèle aussi que la presse papier a aussi été touchée par ces manœuvres, publiant des articles écrits par ces analystes.
Pour finir, on se souvient de la démission du journaliste de CBS Dan Rather en 2005. Il avait fait diffuser un document censé prouver que G.W.Bush avait échappé au service militaire. Certainement appâté par la course à l’audience, il n’a pas vérifié l’authenticité du document. C’était un faux, dommage…

Quel avenir pour la presse américaine?

Face aux problèmes qu’ils rencontrent, les titres innovent.
Le secteur très profitable du marché des petites annonces a migré des quotidiens au net. Pour pallier ce manque à gagner, le New York Times s’est associé au site d’annonces Monster et les groupes Gannett et Tribune se sont unis dans ce domaine. Mais la perte reste conséquente.
Pour faire face aux coûts d’exploitation des quotidiens, certains groupes n’hésitent pas à délocaliser une partie de leurs activités, principalement en Inde. C’est le cas du groupe Mc Clatchy ou Gannett. Si cette initiative parait réalisable dans certains domaines comme la gestion de la publicité, on a dumal à imaginer ce principe généralisé au travail du journaliste ou au domaine de l’édition.
La solution pourrait se trouver du côté du net. L’audience des sites Internet des quotidiens est en constante augmentation. Les recettes publicitaires suivent. Mais, il ne faut pas oublier que les recettes publicitaires online sont moins importantes que celles du papier. Un lecteur en ligne rapporterait envrion dix fois moins qu’un lecteur papier selon Les Echos. Il n’y a donc pas de transfert entre le manque à gagner de la presse papier et les progrès de la presse online.

La presse allemande tente de faire face

La presse allemande n’est assurément pas dans une situation comparable à celle de la France. Son nombre de titres (350 quotidiens contre 70 en France), ou de points de vente (120 000 contre 28 000 en France) sont considérablement au dessus des chiffres hexagonaux. Pourtant, et l’on oublie souvent de le signaler, cette presse traverse, elle aussi, une sale période. Selon les chiffres de la « Croix » la diffusion payante a diminué de 8,78% en Allemagne entre 2003 et 2007.
Problèmes éthiques, d’indépendance, de rentabilité économique, petit tour d’horizon des défis de la presse outre-Rhin.

Franz-Olivier Giesbert : « Ne soyons pas hypocrites : les gratuits sont bénéfiques à la presse »

A l’occasion d’un débat avec Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, et Jean-François Kahn, ex-directeur de Marianne, samedi 31 mai, à Montpellier, le directeur du Point Franz-Olivier Giesbert est revenu sur le rôle de la presse gratuite dans la crise de la presse écrite. A contre-courant de ses confrères et de l’opinion générale qui règne au sein du microcosme médiatique, FOG approuve l’existence des gratuits, soutient même le rôle bénéfique de cette « concurrence » à la presse payante. Témoignage à rebrousse-poil d’un journaliste rarement là où on l’attend…

Franz-Olivier Giesbert s’exprime sur la presse gratuite et la crise de la presse.

« Défendre la liberté de la presse, sans enjeux partisans »

Dans le cadre de la Comedie du livre, à Montpellier, les trois capitaines Edwy Plenel, Jean-François Kahn, et Franz-Olivier Giesbert se sont interrogés sur le naufrage possible de la presse papier.

Un casting de choix, et un décor sublime, malheureusement assez peu adapté aux causeries, celui de l’Opéra Comédie. Philippe Lapousterle pose aux trois géants de la presse française que sont Jean-François Kahn [[fondateur des hebdomadaires L’évenement du Jeudi et Marianne]], Franz-Olivier Giesbert [[directeur du magazine Le Point, et animateur de l’émission Chez FOG sur France 5]], et Edwy Plenel [[Directeur de publication du journal en ligne Mediapart et ancien directeur de la rédaction du quotidien Le Monde]], la question : Peut-on éviter le naufrage de la presse papier ?

Mais, la question est-elle mal posée, ou les intervenants mal choisis ? En effet, Jean-François Kahn le rappelle : « Les trois patrons que nous sommes sont des exceptions dans le panorama de la presse française, puisque nos titres gagnent de l’argent, ou du moins n’en perdent pas ». Edwy Plenel, quant à lui, recentre rapidement le thème du débat. Pour lui, la question n’est pas d’éviter la naufrage de la presse papier, mais de sauver une presse indépendante des pouvoirs politiques et économiques. Une presse qui défende « Les vérités de faits qui, comme l’écrit Hannah Arendt dans la crise de la culture, seront toujours en danger face aux vérités d’opinions. »

Jean-François Kahn : « Dans une vraie économie de marché, il n'y aurait plus de journaux du tout en France »
À cette presse indépendante s’oppose la publicité en premier lieu. Celle-ci dispose d’un pouvoir de séduction sur le public, puisqu’elle peut rendre l’objet journal gratuit. Pour Jean-François Kahn, c’est une situation aberrante. « Imaginez une seule seconde que, devant une boulangerie, quelqu’un s’installe et se mette à distribuer du pain gratuit, aussi bon que celui du boulanger, payé par la publicité. Qui accepterait cela ? La loi elle-même interdit au nom de la concurrence ce genre de situation. Si la presse se trouvait dans une vraie économie de marché, il n’y aurait plus de journaux du tout en France ! »

De l’interprétation du libéralisme

Franz-Olivier Giesbert semble moins inquiet : « Il ne s’agit pas d’un naufrage, mais la presse traverse une crise. Et ce, partout en Europe ». L’analyse qu’il présente est peu ou prou celle qu’a défendu l’institut Montaigne dans son rapport de 2006 pour « Sauver la presse quotidienne d’information ». Pour lui, les gratuits ne peuvent pas être tenus pour responsables de la crise de la presse. D’une part parce qu’il s’agit « d’ersatz » de journaux, d’autre part parce qu’« une situation de concurrence dope les ventes » et enfin parce que « les gratuits amènent vers le papier un public qui ne lisait pas auparavant ». Les principales causes de la crise sont à chercher ailleurs : dans le coût de fabrication des journaux ; dans le manque de points de distribution ; dans la dépendance des entreprises de presse aux aides de l’Etat ; et dans le manque de concurrence.
Franz-Olivier Giesbert : « La concurrence dope les ventes »

Pour Edwy Plenel aussi, l’une des raisons de la crise de la presse est un manque de libéralisme. Mais pas de libéralisme économique, de libéralisme politique : « Il y a un problème démocratique. Comment pouvons nous accepter une situation comme celle de la conférence de presse présidentielle de janvier ? 600 journalistes, 15 questions, aucun droit de réponse, et plus grave encore : la profession entière qui rit de voir le président se moquer de l’un des leurs[[ Laurent Joffrin de Libération]]. Et pour finir, on applaudit le président ; on applaudit l’acteur. »

Jean-François Kahn abonde dans le sens d’Edwy Plenel : « Le public voit une connivence entre les journalistes, et se méfie de la presse. Au point d’aller exactement à l’inverse de ce que défendent les journaux, comme on a pu le voir avec la constitution européenne. Il faut repenser la façon d’écrire ». Pour lui, cette connivence va de paire avec le fait que la plupart des entreprises de presse appartiennent à des groupes qui vivent de commandes publiques comme Lagardère, Dassault et Bouygues.

Edwy Plenel : « Il y a un problème démocratique »

Contre toute attente, Franz-Olivier Giesbert lui-même va s’émouvoir de l’absence de sens critique de la profession à l’égard de la communication politique : « Ce n’est pas grave que les politiques critiquent les journalistes, c’est le jeu. Or, le conformisme est la clef de tout. En France, on étouffe les débats, la presse refuse la contradiction. La presse vit en dehors du monde ».

Jean François Kahn va conclure ce trop court débat : « Il faut défendre cette idée d’une presse libre, mais sans enjeux partisans. Il faut condamner les atteintes à la liberté, même quand les situations qui sont générées nous arrangent ».