Photographe indépendant, Frédéric Sautereau mène des projets en marge de l’actualité, ou la prend à contre-pied. De New York à la Nouvelle-Orléans en passant par Haïti, il a toujours pris du recul avec l’histoire en marche et essayé de la montrer… autrement.
Pouvez-vous décrire votre démarche à New York ?
Je me suis rendu à New York une dizaine de jours après les attentats, vers le 19/20, dès que les aéroports ont été rouverts. Je n’avais pas réfléchi à mon angle avant de partir, mon idée était de faire un travail sur la zone de sécurité autour des tours, une zone interdite, de non-droits.
A mon arrivée, à Grand Zero, de nombreux New-Yorkais venaient contempler l’amas de ruines pour la première fois. J’ai donc fait le portrait de ces personnes, très silencieuses, en position de se recueillir devant un espace vide. Personne ne parlait, les échanges étaient rares, il n’y avait pas de circulation, tout était très silencieux, contrairement à d’habitude. C’est ce qui m’a touché. Je fonctionne comme cela, à l’instinct. Je m’imprègne de ce qui se passe. J’effectue mon travail en réaction à ce que je vois.
Comment ce travail a été reçu ?
Cette série a été plutôt bien accueillie et bien publiée à mon retour car elle répondait au besoin d’un regard décalé sur l’évènement. Une vingtaine de jours après le drame, les journaux voulaient autre chose que les photos d’avions impactant dans les tours… A ce moment-là, apparaissaient des questionnements, des papiers plus approfondis.
Avez-vous souvent cette démarche ?
J’ai eu la même démarche en allant à la Nouvelle-Orléans un mois après Katrina. Je voulais également travailler sur l’aspect zone interdite, mais sans idée réellement déterminée. Une zone interdite avait été en effet créée au centre de la Nouvelle Orléans, les maisons étaient interdites d’accès par les policiers pour raisons de sécurité et pour éviter les pillages.
A mon arrivée, ce qui m’a marqué était les inscriptions. Chaque maison portait une inscription laissée par les secouristes avec la date de passage, le type de secours apporté et le nombre éventuel des morts trouvés. Je trouvais cela très intéressant, cela répondait à la polémique sur l’arrivée plus ou moins rapide des secours. J’y ai donc fait le portrait des maisons qui avaient été noyées sous l’eau, très dégradées ou complètement détruites.
C’est une manière de réfléchir en essayant de trouver quelque chose d’un peu différent pour montrer l’évènement.
Avec la concurrence des agences filaires, un photographe indépendant est-il là pour amener plus de réflexion ?
Quand on ne fait pas d’actu, on est obligé de se positionner autrement. C’est aussi ce qui m’intéresse : travailler différemment. Personnellement, j’ai toujours privilégié les travaux sur le long terme, même si c’est souvent lié d’une façon ou d’une autre à l’actualité. Et, je ne m’interdis pas non plus de travailler sur l’actualité. Je l’ai fait en Haïti par exemple pour Libération. Ma démarche est plus de construire une histoire, sur quelques jours, sur le thème de l’actualité en question. Je réfléchis à montrer ce qui est important dans cette actualité.
Un photographe indépendant n’a pas de contraintes. Je suis libre de mon propos, de prendre du recul. Cela me permet de dire ce que j’ai envie de dire. Par exemple, si j’avais été en commande pour Katrina, je n’aurai pas pu faire uniquement le portrait des maisons. La presse aurait voulu des visages.
Sur le terrain comment comment transmettez-vous vos photographies ?
En Haïti, par exemple, c’était très compliqué. C’est une question d’organisation. Certes cela peut paraître déplacé par rapport à l’évènement, mais le premier problème qui se pose est un problème de logistique : où va-t-on se loger, où va-t-on mettre ses affaires en sécurité et où va-t-on transmettre ? Petit à petit, j’ai pu être logé dans des hôtels qui n’ont pas été touchés, et où il y avait une connexion Internet. A l’attention des journalistes, un réseau Internet a été rapidement mis à disposition gratuitement.
Comment travaillez-vous avec la presse ?
Je suis photojournaliste depuis une quinzaine d’années. Et, depuis le début, la presse n’a jamais été partenaire de mon travail personnel. J’ai toujours eu peu de commandes, et aucune sur mon travail personnel et sur les projets que je souhaitais monter. Donc, j’ai toujours eu la démarche de produire moi-même mon travail.
Et avec les ONG ?
Par nécessité, je me suis tourné vers des partenaires hors presse. Et, naturellement, sur les terrains sur lesquels je travaillais, je croisais souvent des ONG. Soit, j’essayais qu’elles me commandent des travaux, soit, qu’elles m’apportent une aide logistique, sur la base d’un échange. Par exemple, l’ONG met à ma disposition un véhicule, avec un chauffeur qui me sert d’interprète pendant quinze jours. Et, en échange, je lui laisse les photographies que j’ai réalisé pour ses besoins de communication. Sachant qu’un véhicule avec un chauffeur, pendant quinze jours, vaut facilement 3 à 4 000 euros. Ce n’est donc pas négligeable. S’allier avec les ONG, c’est aussi la possibilité d’un hébergement sur des territoires où il n’y en a pas forcément. Ce n’est pas quelque chose que je systématise mais c’est l’une des choses que je privilégie.
Des projets en cours ?
Je travaille depuis plus d’un an sur le Hamas, suite à l’intervention terrestre d’Israël en janvier 2009 dans la Bande de Gaza. Il n’est pas terminé mais il sera normalement projeté à Visa en septembre.
Recueilli par Julie DERACHE
En préambule à l’exposition, vous pouvez voir quelques clichés de ce reportage ici et venir ensuite les découvrir au Pavillon Populaire dès le 15 juillet.
Hautcourant vous invite également à découvrir le travail de Frédéric Sautereau sur Katrina : «New Orleans : Forbidden zone»