Joël Gombin : « Le FN est très haut parce que la majorité de l’électorat ne vote pas »

Joël Gombin est politologue et chercheur au CNRS de l’université de Picardie-Jules Verne. Il revient sur le rôle crucial de l’abstention dans le score du FN aux régionales.
Dimanche 13 décembre, les électeurs de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées sont invités à départager Louis Aliot (Front national), Carole Delga (Parti socialiste) et Dominique Reynié (Les Républicains).



Vous avez créé une carte de la géographie électorale du vote Front national (FN). Vous avez dégagé trois catégories d’électeurs frontistes : les « inactifs », les « rétifs » et les « travailleurs ». Cette dernière catégorie se trouve dans le sud et dans la région de Montpellier. Qui sont ces « travailleurs » et en quoi se différencient-ils des autres ?


Il faut d’abord préciser que les noms qu’on a donné à ces types sont réducteurs, c’est un choix éditorial. La composition socio-professionnelle et la pénétration du FN sont les principales variables qui nous ont servi à bâtir la typologie. Ces trois catégories se basent sur des territoires et non sur des individus. Ce qui caractérise les territoires des « travailleurs », c’est leur base électorale. Elle est davantage composée d’actifs, de salariés du secteur privé comme les ouvriers, les employés ou les cadres supérieurs. Ces mondes du travail sont caractérisés par une économie fragile et déconnectée des grandes métropoles et de la mondialisation.


À part Montpellier et Toulouse qui sont dans la recherche et les secteurs de pointe, tout repose en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées sur une économie traditionnelle – agricole – et résidentielle – service à la personne, tourisme. Les revenus sont tributaires des prestations sociales et des flux de redistributions (ndlr, une part du salaire est directement reversée à la sécurité sociale, aux retraites…) . C’est une économie peu productive. Ceux qui votent FN dans cette région sont souvent des individus issus de la bourgeoisie rurale en déclin. Ils se sentent exclus de ces gros centres urbains qui profitent de la mondialisation.


Comment peut-on expliquer le « succès » du FN dans le sud de la France ?


Ce succès dépend de la structure de l’électorat. Pour le PACA et le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, la droite s’est construite autour de la question de l’Algérie française, anti-gaulliste. Ses habitants sont pour beaucoup des pieds-noirs, dont leur économie dépendait de l’empire colonial. La gauche non communiste avait fait du clivage colonial le base de son soutien politique. Mais l’arrivée du FN en 1984 dans la région va tout faire basculer. Le FN est devenu le seul parti à proposer une offre pour cette question.


Il n’y a pas eu de modèle économique pour gérer ces territoires avec des très riches et très pauvres. Les très riches ont eu accès aux biens, et vivaient d’une rente foncière. Cela explique pourquoi l’immobilier a explosé dans cette région, en fragilisant les plus pauvres de la classe moyenne. Le FN représente le désarroi de ces classes moyennes, qui se sentent menacées par cette économie peu dynamique et qui menace la bourgeoisie en déclin économique.


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Quels intérêts sociaux peut représenter le FN en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées ?


Le succès du Front national, c’est de proposer un ensemble d’intérêts, parfois totalement divergeants. Dans cette région, le FN a mis en place très tôt des enjeux identitaires et culturels. En balançant sur les immigrés, le FN s’est mis à valoriser un autre groupe social se trouvant en bas de la hiérarchie.

En étant mis en avant, cet électorat se mobilise autour de la rhétorique de la dignité. La droite et la gauche s’adressent à des classes sociales qui montent, diplômées, avec un fort capital culturel. Les catégories de population mises de côté sont récupérées par le FN et leur redonne ce sentiment de dignité.


Le candidat frontiste Louis Aliot a-t-il adapté son discours envers son électorat du Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées ?


Ce n’est pas vraiment une adaptation. Concernant la question de l’immigration, aucun des cadres du parti ne peut se permettre de prendre des libertés par rapport à la ligne conduite du centre. Il reste une forte forme d’orthodoxie pour ça. Le discours de Louis Aliot est plus dû à sa trajectoire personnelle. Il a été marqué par la question algérienne, c’est un rapatrié. Il y a dans cette question une dimension politique et émotionnelle très forte pour lui.


Louis Aliot est le théoricien de la dédiabolisation depuis les années 90, bien avant Florian Philippot. Mais elle était tournée vers l’antisémitisme et non pas vers les immigrés maghrébins. Et cela est propre à son rapport au conflit algérien, comme s’il existait encore. Pendant la guerre, les arabes étaient désignés automatiquement comme musulmans et n’ont jamais eu accès à la citoyenneté française. Alors que des Algériens juifs l’ont eu. Ce n’est pas un calcul d’adaptation envers son électorat mais sa trajectoire propre qui veut ça. En plus, il est basé à Perpignan, où l’emprise culturelle catalane, gitane et maghrébine est très forte. Pour les municipales en 2014, il n’a pas hésité à s’appuyer sur la communauté gitane pour s’élever et contribuer à la division avec la communauté maghrébine.


Le candidat des Républicains Dominique Reynié a choisi de ne pas se retirer pour faire un front républicain contre le FN. Quelles peuvent être les conséquences pour Louis Aliot au second tour ?


Au premier tour, une partie de l’électorat de droite s’est probablement déjà tournée vers Louis Aliot. Ceux qui ont choisi Dominique Reynié sont moins porté sur le FN. Le report de voix de Reynié vers Aliot n’est donc pas valable pour moi. Quant aux abstentionnistes, ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que l’électorat Front national se mobilise plus que ceux des autres partis pour voter FN. Quand la participation baisse, le vote FN est donc plus visible.

Le FN est très haut pour les régionales parce que la majorité de l’électorat ne vote pas. Mais la base électorale du FN progresse. La question aujourd’hui, c’est ce qui va se passer pour les présidentielles. C’est un scrutin qui mobilise beaucoup plus. En 2017, est-ce que le vote FN va être noyé parmi les autres qui se mobilisent ou pas ? La question abstentionniste est très difficile à sonder.

France Jamet : « Face à Frêche, le Front National doit former une grande opposition »

Au lendemain du premier tour des élections régionales, Haucourant est allé recueillir les impressions à chaud de la candidate tête de liste du Front National du Languedoc Roussillon. Alors que les sondages la créditaient de 7 % des intentions de vote, France Jamet affiche victorieuse les 12,67% des voix recueillis par son parti.

«Une force nationale, et probablement de plus en plus grande»

Lundi 15 mars, 15 heures, France Jamet arrive souriante à son QG de campagne installé dans la zone industrielle de Lattes près de Montpellier. Forte de ses 12,67% des voix au premier tour de ces élections régionales, la tête de liste du Front National dans le Languedoc Roussillon salue les journalistes venus écouter sa conférence de presse. «Plus nombreux que d’habitude» déclare-t-elle. La fille d’Alain Jamet, leader historique du Front national dans l’Hérault, peut jubiler. Créditée, au départ, par les instituts sondages de 7% des voix, France Jamet arrive à se glisser en troisième place derrière Raymond Couderc (UMP 19,63%) et Georges Frêche (Divers Gauche 34,28%) avec presque 13% des voix.

Pour elle, la clé de la réussite a été une campagne de proximité. «Avant ce premier tour j’ai fait 28 conférences de presse. Mon équipe et moi avons parcouru 12 000 kilomètres, distribués 640 000 tracts, collés 11 000 affiches et fait sur l’Hérault 34 marchés. Si Nicolas Sarkozy se fout de ce que pense la France d’en bas, nous, nous avons entendu le cri venu du terrain.» Sur le plan national, son parti enregistre un score de 11,6 %, et se voit estampillé de l’étiquette de quatrième force politique, à un point seulement d’Europe Ecologie (12,5 %). Un pied de nez à Nicolas Sarkozy qui estimait en 2007 que le FN était un parti moribond. Revanchard, Jean Marie Le Pen, dimanche soir sur TF1 à l’annonce des résultats, s’est d’ailleurs empressé de déclarer que le Front National était «une force nationale, et probablement de plus en plus grande.»

«J’en appel aux électeurs déçus de l’UMP […] et à l’électorat de gauche»

Mais si le Front National apparait renaitre de ces cendres, il ne faut pas oublier que lors des dernières élections régionales de 2004, le FN avait reçu 14,7 % des voix sur le plan national et 17,7% dans le Languedoc Roussillon. France Jamet sait donc que la partie n’est pas gagnée. Son souhait : élargir son électorat pour le second tour. «Pour que le FN soit un vrai parti d’opposition, j’appelle, pour le second tour, tous les électeurs qui ont voté pour le FN à renouveler leur confiance. J’en appelle aux électeurs déçus de l’UMP, aux électeurs de Christian Jeanjean et à l’électorat de gauche et d’extrême gauche qui n’ont pas pu passer la barre des 10%.»

Embrasser le vieux souvenir d’un font national influant dans la région comme sous le règne de Jacques Blanc trotte dans la tête de France Jamet. Le désir de cette ancienne membre de la CDCA (Confédération de Défense des Commerçants et Artisans) est donc clair, faire du front National un parti qui peut s’opposer à Georges Frêche au second tour ou au sein du conseil régional. «Pour le cas de Frêche, on ne peut pas nier l’efficacité de son travail pour Montpellier, en revanche sur le plan régional son bilan est nul» explique-t-elle. Mais si France Jamet reconnait une certaine sympathie pour le président de la région, elle est beaucoup plus dure envers le candidat UMP Raymond Couderc. «Couderc n’a ni carrure, ni volonté seulement des ambitions électorales et du mépris envers ses électeurs, comme il en a envers le Front National.»

Pour réaliser ces objectifs et récupérer les voix des absentéistes ou des électeurs «déçus» , le discours est bien rodé. Protection des agriculteurs, des commerces de proximité, lutte contre l’immigration et préférence nationale sont les grandes lignes du programme du Front National réaffirmées par France Jamet. La seule interrogation reste de savoir si ces thèmes sont ceux attendus par les 50,26% abstentionnistes du Languedoc Roussillon.

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