Saïd Niroumand: « Ils nous traitaient moins bien que des chiens »

Saïd Niroumand est sans-papiers. Il vit à Lyon depuis trois ans et entame une nouvelle procédure pour obtenir le statut de réfugié politique qui lui a déjà été refusé deux fois. Il a réussi à récupérer de nouvelles pièces qui confirment son récit et espère pouvoir les faire valoir pour obtenir un titre de séjour.

Né en Iran en septembre 1982, Saïd Niroumand a grandi dans une petite ville du sud-ouest Iranien. À 18 ans, il fait son service militaire chez les Pasdarans – les gardiens de la révolution. Il découvre alors un islam qu’il ne connaissait pas, qui le stupéfait d’abord, le révolte ensuite. À son retour de conscription, il forme un réseau secret avec quelques amis pour discuter politique, se former, partager les lectures et les connaissances. Le petit groupe jette des tracts dans la rue la nuit, dénonçant les discriminations faites aux femmes, une fois, incriminant le régime d’autres fois. Une nuit de tractage, son cousin disparaît. Il ne reviendra jamais. Saïd se sait en danger, il fuit le matin même – quelques semaines plus tard son domicile sera perquisitionné et son père torturé.

Le parcours du combattant : les galères ordinaires du migrant illégal

Il se réfugie chez un ami à Chiraz, près de chez lui, où il entre en contact avec un passeur. Arrivé en Turquie quelques semaines plus tard, il y séjourne trois mois avant d’obtenir un passeport danois. C’est accompagné d’une plantureuse lituanienne – qui détournera les éventuelles suspicions en jouant de ses charmes – qu’il décolle pour Paris en avril 2009. Il rejoint ensuite Lyon en train, où l’attend un nouveau contact qui devra l’emmener vers l’Angleterre. Le passeur ne viendra jamais, la police, si. On prend ses empreintes, on le photographie et on l’interroge. Il entreprend alors un voyage vers Calais pour gagner l’Angleterre. À Calais, la misère se conjugue à tous les temps. Saïd se souvient de la brutalité des passeurs, de leur manque d’humanité : « ils nous traitaient moins bien que des animaux ». Il arrive en Grande-Bretagne début mai 2009. Après trois mois sur le territoire anglais, il est finalement expulsé vers Lyon le 13 juillet [[Les accords de Dublin prévoient de renvoyer les immigrés sans-papiers vers le premier « pays sûr » dans lequel ils sont arrivés]]. Il dort quelques mois dehors puis enchaîne les hébergements précaires, il apprend la langue et la culture d’une société qu’il ne connaît pas et vit la peur quotidienne de milliers de sans-papiers en France. Sa première demande d’asile puis son recours seront refusés, faute de preuve de son … athéisme. Saïd se demande, perplexe : « comment prouver son athéisme ? Comment prouver mes activités militantes alors même qu’elles étaient par nature secrètes ? »
De demande d’asile en recours administratif, Saïd se fait des amis, rencontre des militants communistes comme lui, accumulent les petits boulots. En septembre 2012, il réussit à s’inscrire en licence d’histoire et de sciences politiques. Il entame aujourd’hui une nouvelle procédure de demande d’asile. Il est convaincu que c’est sur le terrain politique qu’il obtiendra une situation. Et même si aux yeux de beaucoup, son identité administrative éclipse ce qu’il est, il insiste : il est communiste avant d’être sans-papiers.

Haut Courant sur Radio Campus: les travailleurs sans-papiers en France

Haut Courant ne se limite désormais plus à son site internet. Cette semaine, les étudiants journalistes se sont penchés sur le statut des travailleurs sans-papiers. Quelles sont les procédures à suivre lorsqu’ils arrivent en France ? Quelles sont la politique et la législation en vigueur ? Tout a été passé au crible.

Au sommaire cette semaine :

 Le témoignage de deux immigrés sur leur parcours depuis leur arrivée sur le territoire français.

 L’analyse d’une phrase issue d’une lettre adressée à Christine Lagarde et François Baroin, de la part de Jean-Claude Amara, porte-parole de l’association Droit Devant ! et Hervé Mazure, secrétaire national du Syndicat Unifié des Impôts.

 L’interview de Julia, bénévole à la Cimade de Montpellier qui explique comment certains sans-papiers sont obligés d’avoir recours à l’emprunt d’identité pour pouvoir travailler.

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Un rassemblement de soutien aux sans-papiers sur la place de la Comédie

La loi sur l’immigration a été adoptée à une courte majorité mardi 12 octobre par l’assemblée nationale. Samedi, le collectif « contre la loi Besson » a organisé une manifestation pour l’abrogation de cette loi qu’il qualifie de « xénophobe ».

Ils étaient une petite centaine vers quatorze heures pour manifester leur opposition à la nouvelle loi sur les sans-papiers. Au milieu des banderoles, des militants distribuent des tracts parmi les badauds, les réactions sont tantôt amicales, tantôt froides mais beaucoup n’hésitent pas à engager la conversation. Certains chantent, et une dame, face aux trois grâces, entonne plusieurs fois un slogan équivoque: « arrêt des rafles, arrêt des expulsions, régularisation de tous les sans-papiers! ». À mesure que les minutes s’égrènent, la foule se fait de plus en plus nombreuse. Un des meneurs, Benoît, membre de la Confédération Nationale du Travail (CNT) est catégorique sur leurs revendications: « le retrait de la loi Besson, la régularisation de tous les sans-papiers et l’application réelle du droit d’asile ». Pour ce responsable, les immigrés seraient victimes du contexte: « Il y a un lien important entre la crise et le durcissement de la politique d’expulsion du gouvernement, on fait des immigrés des boucs-émissaires alors qu’ils ne sont pas responsables de la crise ».

«Jospin a expulsé autant que Sarkozy»

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Mais selon Benoît, le gouvernement ne serait pas l’unique responsable de la situation actuelle des sans-papiers, c’est toute la classe politique gouvernante que le collectif remet en cause: « Nous ne sommes pas anti-sarkozystes. Il y a eu cinq lois en sept ans sur le sujet, par tous les dirigeants successifs. La gauche en premier a agi dans ce sens, Jospin a expulsé autant que Sarkozy, mais en faisant beaucoup moins de communication et de loi là dessus. De toute façon, c’est toujours la même rengaine, le gouvernement expulse vingt mille sans-papiers pendant que trente mille autres arrivent ».
Une demi-heure plus tard, le cortège se met en marche pour rejoindre les rives du Lez et la manifestation contre la réforme des retraites. C’est alors plusieurs centaines de personnes qui s’apprêtent à prolonger la protestation.

Chaîne humaine pour les sans papiers

Sur la place de la Comédie, près de l’Esplanade, un cercle humain. Une lanterne au centre, des hommes tout autour et pas un bruit. Comme chaque dernier mardi du mois depuis mai 2008, un Cercle de Silence se forme en guise de soutien aux sans papiers. Mardi 25 novembre, le rendez-vous est pris de 18h à 19h.

Un rassemblement symbolique

Comme chaque dernier mardi du mois, la Cimade, le Réseau Education Sans Frontière (RESF), et autres associations humanistes s’unissent auprès d’un ensemble de citoyens avertis. Ils dénoncent les conditions de vie des sans papiers dans les centres de rétentions. Au départ, l’appel était issu des Franciscains, de Toulouse. Mais depuis, laïques comme religieux se sentent concernés. Marie est là en tant que simple citoyenne. « Je n’appartiens à aucune organisation. Je suis là par pur humanisme » tient-elle à préciser.
Avec un cercle sans parole pour tout moyen de protestation, l’efficacité semble relative. « C’est une façon de protester contre la traque de ces travailleurs « indésirables ». Depuis 2006, leur sort s’aggrave » reprend Charles Lilin, agronome, membre de RESF. « C’est symbolique… C’est une façon de dire « non, ça suffit », sans entrer dans des manifestations violentes« .

Comme une odeur de souffre

Ce soir, c’est la police nationale qui débarque en premier. Le mois dernier, les Jeunesses Identitaires[[Groupuscule d’extrême droite]] avaient déjà brisé le silence. « Aujourd’hui, nous sommes un peu plus nombreux » concède Barbara Wolfram, de la Cimade (près de cent cinquante personnes). Les manifestants restent sur leurs gardes. Le risque de récidive est élevé. Sur Internet, ces groupuscules xénophobes promettent de revenir. Dès 18h, la consigne est claire. « Si les Jeunesses Identitaires reviennent, nous devons leur tourner le dos, et ne pas répondre à leurs provocations » rappelle Jean-Paul Nunez, délégué régional de la Cimade en Languedoc Roussillon.
Transits de froid, les militants s’épient les uns les autres. Comme si les provocateurs du mois dernier allaient surgir d’un moment à l’autre.
19h : l’impatience se fait sentir. L’air est glacial. L’action est achevée. La dispersion, immédiate. Rien à signaler.

J-P Nunez « Contre la politique du chiffre »

« Les politiques de l’immigration se suivent et se ressemblent ». Depuis plus de 70 ans, la Cimade tente d’aider, d’accompagner et de défendre migrants et demandeurs d’asile. Délégué régional de cette association en Languedoc Roussillon, Jean Paul Nunez nous livre ses inquiétudes…

Depuis le début de la présidence Sarkozy, les polémiques concernant l’immigration se sont bousculées. Comment appréhendez vous cette évolution ?

Il n’y a pas eu de bouleversement de la politique de l’immigration. C’est un processus qui a commencé depuis longtemps. Ce qui est vrai c’est que ce processus s’accélère aujourd’hui au niveau français. Mais cela s’inscrit dans un cadre plus large, européen. Il faut tout de même souligner que nous sommes face à un durcissement sans précédent de ces politiques. Il y a une volonté de taper fort sur les étrangers.

Nous avons récemment appris l’existence d’un projet de charter Londres/Paris/Kaboul. Quelle est votre position à ce sujet ?[[Ces propos ont été recueillis le 14/11/08. Ce projet a été annulé par le gouvernement le 17/11/08]]
La Cimade l’a tout de suite dénoncé. Renvoyer des individus dans les bras des Talibans, c’est inconcevable. Ce charter, c’est l’expression de la politique du chiffre. Il est intéressant de noter que la France et le Royaume-Uni s’associent dans leur politique d’immigration.
Ce charter n’est pas le seul de cet acabit. Un charter vers le Libéria existe déjà. Ce sont des zones où les conditions de vie sont ignobles. Mais, et il ne faut pas se le cacher, la France l’avait déjà fait vers la Tchétchénie. Bientôt, on expulsera vers le Congo. En France, il n’y a aucun problème avec ça. On fait n’importe quoi. Le chiffre au-dessus du respect pour l’être humain.

Est-ce dans la même optique que la fermeture du Centre de Rétention Administratif de Mayotte a été demandée par la Cimade ?

Effectivement. Le CRA de Mayotte est une zone de non droit. Il y a déjà une différence entre la situation en métropole et outre mer, mais à Mayotte, c’est encore pire. La Guyane est la collectivité où il y a le plus de reconduites, 30 000 par an. C’est un droit expéditif. Pourtant, la situation de Mayotte est encore plus contestable. Cela se passe en dehors de toutes considérations humaines.

« Il y a une volonté de taper fort sur les étrangers »

Le décret annoncé par Brice Hortefeux en août dernier a été lourdement contesté. Pourquoi ?

Le décret met en place un système où ce ne sont plus des associations mais des personnes morales qui seront en charge des centres de rétention. Cela pourrait tout aussi bien être Mac Do. Pour nous, comme pour d’autres associations, c’est une situation qui va à l’encontre du droit des sans-papiers.

L’appel d’offre que contenait ce décret vient d’être annulé par le tribunal administratif de Paris. En quoi est-ce une bonne nouvelle ?

Cet appel d’offre prévoyait que les centres de rétention soient répartis en huit lots. Cela revient à éclater une mission
nationale. On fait des lots, on disperse une logique. Un migrant arrêté à Calais et envoyé à Nîmes aurait posé des problèmes. Nous sommes présents sur tout le territoire et cela nous permet d’être plus efficace, cohérent dans notre action. Remettre ce système en cause c’est porter atteinte à la défense des droits des personnes migrantes.

Le gouvernement a laissé entendre que si vous vous opposiez au décret, c’était uniquement pour conserver votre « monopole »…

C’est faux. Nous voulons juste protéger le droit des personnes. Nous sommes prêts à travailler avec d’autres associations et cela nous arrive régulièrement. Mais notre souci principal, c’est de pouvoir aider, au mieux les étrangers. Et pour ça, nous avons besoin de cohérence. L’appel d’offre a été annulé car il ne donnait pas de droits effectifs aux personnes. La décision du tribunal nous donne raison.
Un nouvel appel d’offres sortira la semaine prochaine. On l’attend, on verra bien.

Une course aux chiffres aux effets dramatiques

Représentant la société civile dans les centres de rétention, la Cimade a présenté, jeudi 25 avril à Paris, un rapport accablant sur le sort réservé aux clandestins.

La course aux chiffres des immigrés sans papiers entraîne des conséquences humaines désastreuses. C’est ce que constate le rapport annuel de la Cimade qui dénonce aussi des pratiques policières et administratives aussi « absurdes » que « dramatiques » sur le plan humain.
Selon la Cimade, la durée légale de rétention s’est allongée de 12 à 32 jours, les centres se sont multipliés ainsi que le nombre de places (786 en 2003, 1 700 fin 2007). Enfin, l’annonce d’objectifs chiffrés d’expulsions (25 000 pour 2007 non atteint, 26 000 pour 2008) a eu des « effets dévastateurs » estime aussi la Cimade. 181190.jpg

En région aussi, Jean-Paul Nunez, délégué national de la Cimade sur Montpellier, trouve intolérable les conséquences de quotas sur le traitement des immigrés clandestins : « On veut faire du chiffre et pour ça, on n’hésite pas à remettre en cause l’Etat de droit. »

Des droits de plus en plus souvent bafoués

Le nombre d’interpellations, et surtout leurs motifs, ne cessent d’augmenter sans pour autant déboucher sur des expulsions. « Le travail des tribunaux et des magistrats est bouleversé avec l’augmentation constante des quotas », regrette Jean-Paul Nunez qui se déclare aussi irrité par la manière dont les gens sont appréhendés par une « police de l’immigration ». « Les interpellations se déroulent de manière dramatique. Ces deux dernières années, la souffrance des personnes devient de plus en plus insoutenable. Beaucoup ont été cherchés directement à leur domicile et sont terrorisés ».
Sur la région Languedoc-Roussillon, la capacité de rétention des sans-papiers a triplé : « Nous sommes passés de 60 places à 180 avec l’extension du centre de Rivesaltes et surtout la création de celui de Nîmes ». En moyenne, une personne sur deux, placée dans ces centres, est libérée sous dix jours dans la région. « Les centres régionaux sont le plus souvent occupés par des Marocains. Mais si jusqu’alors, il n’y avait pas beaucoup de femmes et d’enfants, cela ne va pas en s’arrangeant », déplore Jean-Paul Nunez.
Un constat partagée par Julie Chansel, coordinatrice du rapport de la Cimade, évoquant la conséquence de la course au chiffre : « Elle s’accompagne de la mise en place progressive d’un dispositif juridique qui réduit les droits des étrangers ».