Haut Courant sur Radio Campus: les travailleurs sans-papiers en France

Haut Courant ne se limite désormais plus à son site internet. Cette semaine, les étudiants journalistes se sont penchés sur le statut des travailleurs sans-papiers. Quelles sont les procédures à suivre lorsqu’ils arrivent en France ? Quelles sont la politique et la législation en vigueur ? Tout a été passé au crible.

Au sommaire cette semaine :

 Le témoignage de deux immigrés sur leur parcours depuis leur arrivée sur le territoire français.

 L’analyse d’une phrase issue d’une lettre adressée à Christine Lagarde et François Baroin, de la part de Jean-Claude Amara, porte-parole de l’association Droit Devant ! et Hervé Mazure, secrétaire national du Syndicat Unifié des Impôts.

 L’interview de Julia, bénévole à la Cimade de Montpellier qui explique comment certains sans-papiers sont obligés d’avoir recours à l’emprunt d’identité pour pouvoir travailler.

STE-001.mp3

Un aller simple pour Maoré

Le documentaire d’Agnès Fouilleux s’attaque à un sujet brûlant et tabou en France. Les relations entre Mayotte et les Comores décortiquées sous le prisme du néo-colonialisme.

Mercredi soir à 19h30, le cinéma Diagonal est déjà noir de monde.
Le public est venu nombreux pour assister à la projection du documentaire d’Agnès Fouilleux, Un aller simple pour Maoré .
Les associations Cimad et Survie sont aussi au rendez-vous et ont installé leur stand dans le hall d’entrée. La Cimad a pour vocation d’aider les migrants en situation irrégulière et l’association Survie milite « pour un assainissement des relations France-Afrique ». Quelques bénévoles sont là ce soir pour participer au débat qui aura lieu après le documentaire, en compagnie de la réalisatrice. En attendant, ils proposent au public différentes lectures sur les Comores et Mayotte (collectivité d’Outre-mer française), pour mieux comprendre les enjeux politiques dans cet archipel.

Le documentaire d’Agnès Fouilleux est percutant. De très belles images, parfois un peu bancales, sont ponctuées par des musiques comoriennes qui traduisent la souffrance d’un peuple.
Pour quelqu’un qui ne connaît rien à l’histoire des Comores et de Mayotte, le documentaire est parfois un peu abscons. Mais on comprend que les Comoriens, étouffés par une pauvreté absolue, immigrent par milliers vers Mayotte dans l’espoir d’une vie meilleure. Très souvent, leurs rêves de bonheur disparaîssent au cours du voyage. Les « clandestins » montent à bord des Kwassa kwassa (« ça balance, ça balance »), vieux bateaux à moteurs dans lesquels ils s’entassent. Régulièrement, le bateau chavire et la mer engloutit des passagers. Il y a tellement de morts chaque année, qui tentent de rejoindre l’île de Maoré (Mayotte), que les médias français ont fini par en parler. Mais sans jamais expliquer la raison de cette immigration massive et sans relater la répression violente que les autorités françaises leur font subir.

D’ailleurs Agnès Fouilleux l’explique:
« Je suis partie du constat de l’immigration clandestine meurtrière. C’était tellement mal expliqué dans les médias. Ca devenait un non-sens! J’ai eu envie d’expliquer tout le contexte autour de ça »
Son documentaire, tourné en 2005, décortique en effet les manigances de la France pour conserver Mayotte, ainsi que leurs conséquences désastreuses sur l’économie comorienne.
Lorsque les Comores deviennent indépendants en 1972, la France s’approprie l’île de Mayotte, violant ainsi le droit International.
C’est un sujet compliqué et épineux, que le documentaire s’attache à rendre intelligible, même si l’on regrette parfois l’insuffisance de sources.

Le documentaire d’Agnès Fouilleux est tout de même une perle rare. En effet, vous trouverez très peu, en France, d’analyses critiques des relations entre les Comores et Mayotte et de l’implication de la France. C’est un sujet sensible. Elle filme la réalité des rafles de clandestins à Maoré, de l’injustice de leur condition, du néo-colonialisme de la France.
Dans le générique du documentaire, Agnès Fouilleux précise « ce film a été réalisé sans le soutien du CNC (Centre National de la Cinématographie) et sans le soutien de la Région Rhône Alpes ».
Pourquoi?
 » Pour que le CNC finance un projet de film, il faut qu’une chaîne de télévision accepte de le diffuser. J’ai proposé mon documentaire à toutes les chaînes de télé possibles, on m’a répondu: le sujet est trop politique, les gens ne vont pas comprendre! »

Il est certain que lorsqu’on sort de la projection d’Un aller simple pour Maoré, « on n’a pas envie de dire: Vive la France! « , s’exclame un spectateur.

Chaîne humaine pour les sans papiers

Sur la place de la Comédie, près de l’Esplanade, un cercle humain. Une lanterne au centre, des hommes tout autour et pas un bruit. Comme chaque dernier mardi du mois depuis mai 2008, un Cercle de Silence se forme en guise de soutien aux sans papiers. Mardi 25 novembre, le rendez-vous est pris de 18h à 19h.

Un rassemblement symbolique

Comme chaque dernier mardi du mois, la Cimade, le Réseau Education Sans Frontière (RESF), et autres associations humanistes s’unissent auprès d’un ensemble de citoyens avertis. Ils dénoncent les conditions de vie des sans papiers dans les centres de rétentions. Au départ, l’appel était issu des Franciscains, de Toulouse. Mais depuis, laïques comme religieux se sentent concernés. Marie est là en tant que simple citoyenne. « Je n’appartiens à aucune organisation. Je suis là par pur humanisme » tient-elle à préciser.
Avec un cercle sans parole pour tout moyen de protestation, l’efficacité semble relative. « C’est une façon de protester contre la traque de ces travailleurs « indésirables ». Depuis 2006, leur sort s’aggrave » reprend Charles Lilin, agronome, membre de RESF. « C’est symbolique… C’est une façon de dire « non, ça suffit », sans entrer dans des manifestations violentes« .

Comme une odeur de souffre

Ce soir, c’est la police nationale qui débarque en premier. Le mois dernier, les Jeunesses Identitaires[[Groupuscule d’extrême droite]] avaient déjà brisé le silence. « Aujourd’hui, nous sommes un peu plus nombreux » concède Barbara Wolfram, de la Cimade (près de cent cinquante personnes). Les manifestants restent sur leurs gardes. Le risque de récidive est élevé. Sur Internet, ces groupuscules xénophobes promettent de revenir. Dès 18h, la consigne est claire. « Si les Jeunesses Identitaires reviennent, nous devons leur tourner le dos, et ne pas répondre à leurs provocations » rappelle Jean-Paul Nunez, délégué régional de la Cimade en Languedoc Roussillon.
Transits de froid, les militants s’épient les uns les autres. Comme si les provocateurs du mois dernier allaient surgir d’un moment à l’autre.
19h : l’impatience se fait sentir. L’air est glacial. L’action est achevée. La dispersion, immédiate. Rien à signaler.

J-P Nunez « Contre la politique du chiffre »

« Les politiques de l’immigration se suivent et se ressemblent ». Depuis plus de 70 ans, la Cimade tente d’aider, d’accompagner et de défendre migrants et demandeurs d’asile. Délégué régional de cette association en Languedoc Roussillon, Jean Paul Nunez nous livre ses inquiétudes…

Depuis le début de la présidence Sarkozy, les polémiques concernant l’immigration se sont bousculées. Comment appréhendez vous cette évolution ?

Il n’y a pas eu de bouleversement de la politique de l’immigration. C’est un processus qui a commencé depuis longtemps. Ce qui est vrai c’est que ce processus s’accélère aujourd’hui au niveau français. Mais cela s’inscrit dans un cadre plus large, européen. Il faut tout de même souligner que nous sommes face à un durcissement sans précédent de ces politiques. Il y a une volonté de taper fort sur les étrangers.

Nous avons récemment appris l’existence d’un projet de charter Londres/Paris/Kaboul. Quelle est votre position à ce sujet ?[[Ces propos ont été recueillis le 14/11/08. Ce projet a été annulé par le gouvernement le 17/11/08]]
La Cimade l’a tout de suite dénoncé. Renvoyer des individus dans les bras des Talibans, c’est inconcevable. Ce charter, c’est l’expression de la politique du chiffre. Il est intéressant de noter que la France et le Royaume-Uni s’associent dans leur politique d’immigration.
Ce charter n’est pas le seul de cet acabit. Un charter vers le Libéria existe déjà. Ce sont des zones où les conditions de vie sont ignobles. Mais, et il ne faut pas se le cacher, la France l’avait déjà fait vers la Tchétchénie. Bientôt, on expulsera vers le Congo. En France, il n’y a aucun problème avec ça. On fait n’importe quoi. Le chiffre au-dessus du respect pour l’être humain.

Est-ce dans la même optique que la fermeture du Centre de Rétention Administratif de Mayotte a été demandée par la Cimade ?

Effectivement. Le CRA de Mayotte est une zone de non droit. Il y a déjà une différence entre la situation en métropole et outre mer, mais à Mayotte, c’est encore pire. La Guyane est la collectivité où il y a le plus de reconduites, 30 000 par an. C’est un droit expéditif. Pourtant, la situation de Mayotte est encore plus contestable. Cela se passe en dehors de toutes considérations humaines.

« Il y a une volonté de taper fort sur les étrangers »

Le décret annoncé par Brice Hortefeux en août dernier a été lourdement contesté. Pourquoi ?

Le décret met en place un système où ce ne sont plus des associations mais des personnes morales qui seront en charge des centres de rétention. Cela pourrait tout aussi bien être Mac Do. Pour nous, comme pour d’autres associations, c’est une situation qui va à l’encontre du droit des sans-papiers.

L’appel d’offre que contenait ce décret vient d’être annulé par le tribunal administratif de Paris. En quoi est-ce une bonne nouvelle ?

Cet appel d’offre prévoyait que les centres de rétention soient répartis en huit lots. Cela revient à éclater une mission
nationale. On fait des lots, on disperse une logique. Un migrant arrêté à Calais et envoyé à Nîmes aurait posé des problèmes. Nous sommes présents sur tout le territoire et cela nous permet d’être plus efficace, cohérent dans notre action. Remettre ce système en cause c’est porter atteinte à la défense des droits des personnes migrantes.

Le gouvernement a laissé entendre que si vous vous opposiez au décret, c’était uniquement pour conserver votre « monopole »…

C’est faux. Nous voulons juste protéger le droit des personnes. Nous sommes prêts à travailler avec d’autres associations et cela nous arrive régulièrement. Mais notre souci principal, c’est de pouvoir aider, au mieux les étrangers. Et pour ça, nous avons besoin de cohérence. L’appel d’offre a été annulé car il ne donnait pas de droits effectifs aux personnes. La décision du tribunal nous donne raison.
Un nouvel appel d’offres sortira la semaine prochaine. On l’attend, on verra bien.

Une course aux chiffres aux effets dramatiques

Représentant la société civile dans les centres de rétention, la Cimade a présenté, jeudi 25 avril à Paris, un rapport accablant sur le sort réservé aux clandestins.

La course aux chiffres des immigrés sans papiers entraîne des conséquences humaines désastreuses. C’est ce que constate le rapport annuel de la Cimade qui dénonce aussi des pratiques policières et administratives aussi « absurdes » que « dramatiques » sur le plan humain.
Selon la Cimade, la durée légale de rétention s’est allongée de 12 à 32 jours, les centres se sont multipliés ainsi que le nombre de places (786 en 2003, 1 700 fin 2007). Enfin, l’annonce d’objectifs chiffrés d’expulsions (25 000 pour 2007 non atteint, 26 000 pour 2008) a eu des « effets dévastateurs » estime aussi la Cimade. 181190.jpg

En région aussi, Jean-Paul Nunez, délégué national de la Cimade sur Montpellier, trouve intolérable les conséquences de quotas sur le traitement des immigrés clandestins : « On veut faire du chiffre et pour ça, on n’hésite pas à remettre en cause l’Etat de droit. »

Des droits de plus en plus souvent bafoués

Le nombre d’interpellations, et surtout leurs motifs, ne cessent d’augmenter sans pour autant déboucher sur des expulsions. « Le travail des tribunaux et des magistrats est bouleversé avec l’augmentation constante des quotas », regrette Jean-Paul Nunez qui se déclare aussi irrité par la manière dont les gens sont appréhendés par une « police de l’immigration ». « Les interpellations se déroulent de manière dramatique. Ces deux dernières années, la souffrance des personnes devient de plus en plus insoutenable. Beaucoup ont été cherchés directement à leur domicile et sont terrorisés ».
Sur la région Languedoc-Roussillon, la capacité de rétention des sans-papiers a triplé : « Nous sommes passés de 60 places à 180 avec l’extension du centre de Rivesaltes et surtout la création de celui de Nîmes ». En moyenne, une personne sur deux, placée dans ces centres, est libérée sous dix jours dans la région. « Les centres régionaux sont le plus souvent occupés par des Marocains. Mais si jusqu’alors, il n’y avait pas beaucoup de femmes et d’enfants, cela ne va pas en s’arrangeant », déplore Jean-Paul Nunez.
Un constat partagée par Julie Chansel, coordinatrice du rapport de la Cimade, évoquant la conséquence de la course au chiffre : « Elle s’accompagne de la mise en place progressive d’un dispositif juridique qui réduit les droits des étrangers ».