Langue d’oc : mon panneau, ma bataille

Coup de projecteur sur Villeneuve-lès-Maguelone ! Depuis le 12 octobre 2010, des panneaux bilingues sont au centre d’une controverse. S’appuyant sur la décision du tribunal administratif de Montpellier, le Mouvement Républicain de Salut Public exige le retrait de la signalisation en langue d’oc. Il n’en fallait pas moins pour indigner toute la communauté occitane.

Robert Hadjadj : cet inconnu qui s’oppose aux panneaux occitans

À l’origine du conflit de Villeneuve-lès-Maguelone, il y a la plainte d’un homme : Robert Hadjadj, habitant de la commune et président du Mouvement Républicain de Salut Public. Mais qui est ce personnage, devenu symbole de la contestation régionaliste ?

Petit bonhomme de 72 ans, ce retraité du bâtiment et auto-entrepreneur à ses heures n’a pas l’apparence d’un révolutionnaire. « Je suis arrivé à Villeneuve-lès-Maguelone en 1985. Ma tante y habitait et j’ai eu vent de terrains à construire. »

A l’écart du centre ville, sa maison respire les épices et l’Orient. Plus que les livres d’histoire, ce sont les parchemins égyptiens et autres tentures qui ornent les murs. Un mélange de culture à l’image du personnage : « Ma famille est algérienne mais je suis né à Marseille. Mon père et mon grand-père se sont battus pour la France. Le premier est mort durant la Grande Guerre. Le second, résistant, n’a pas survécu aux camps. » Élève de l’école communale, bercé par les principes de Rousseau, le jeune homme est poussé vers le militantisme par la résurgence des idées nazies et la découverte des Klarsfeld. « J’ai créé un mouvement antinazi en 1968 et manifesté sur la Canebière. »

Son premier combat achevé, il vient s’installer à Montpellier pour son travail. L’abolition de la conscription par Chirac en 1995, réveille ses convictions républicaines. « J’étais sous les drapeaux au moment du coup d’État des généraux en Algérie. Le soulèvement du contingent en 1961 a sauvé la République. Supprimer le service militaire, c’est supprimer l’armée du peuple. » Le 20 septembre 1997, Robert Hadjadj crée avec quelques proches le MRSP, Mouvement Républicain de Salut Public.

Oui aux panneaux bilingues, non à leur mise en avant

Son association vise à perpétuer l’esprit révolutionnaire de 1793 : une République une, indivisible, laïque, démocratique et universelle. Des principes qui ont amené ce citoyen lambda à s’élever contre ce qu’il considère comme des abus. « Il y a quelques années, je me suis opposé au proviseur d’un lycée professionnel : pour apprendre le vivre ensemble à ses étudiants, il avait fait appel à des curés. L’affaire était remontée jusqu’à Luc Chatel qui m’avait soutenu, comme Frêche d’ailleurs. » Une fierté modeste se dessine derrière ses lunettes rondes. Sans prétention politique, il souhaite uniquement diffuser son message. « On participe au forum des associations de Montpellier, on s’est présenté aux dernières cantonales, notre petit 1% nous a permis de nous faire connaître. »

Ce n’est rien à côté de la polémique de Villeneuve-lès-Maguelone. En août 2009, Robert Hadjadj lance une procédure judiciaire à l’encontre des panneaux à l’entrée de la ville. « On a vu des panneaux énormes, plus gros que ceux en français. Le Code de la route interdit le bilinguisme, je n’ai fait que demander l’application d’une loi. » Visage fermé, il n’en démordra pas. S’appuyant sur un vieil ouvrage, Maguelone de H. Buriot Darsils, ce passionné revendique le passé latin de la commune. Mais, une conviction l’a poussé avant tout à agir : le pouvoir politique local instrumentalise la culture occitane. « L’idée des panneaux est apparue durant la campagne électorale du maire. Il avait également proposé l’instauration d’une classe en immersion où les enfants parleraient plus occitan que français. »

Que l’on ne s’y méprenne pas, Robert Hadjadj ne veut pas tuer les langues régionales, il souhaite simplement que le français prime dans la sphère publique. « L’occitan, le breton, le corse, c’est la France. Ce que je souhaite par cette action, c’est marquer un point d’arrêt. » Loin d’être totalement fermé, le président du MRSP est pour le compromis. Des panneaux en langue d’oc, oui, mais pas mis en avant de cette manière. « Nous ne comptons pas engager une croisade mais juste pointer les dérives possibles. »

« Ce qui est impossible ne me fait pas peur »

En bon républicain, il défend la décentralisation jacobine : commune, département, État. Dans sa réflexion, les régions sont des espaces trop larges qui laissent la place au développement de cultures locales fortes. « Il faut une seule identité, l’identité française. Le peuple ne doit faire qu’un autour de valeurs communes. Et si les Bretons décident de se séparer par référendum, qu’ils le fassent. »

Une conception politique et morale qui se traduit dans un projet : l’élection au suffrage universel d’une nouvelle constitution. « L’association pour une constituante regroupe déjà une quinzaine de départements, nous voulons refonder une république du peuple. » Son ton devient celui d’un homme engagé, qui prône l’indépendance monétaire et bancaire de son pays.
Le projet commence à faire son chemin dans la sphère publique.

Mais si les idées sont défendues à droite par Nicolas Dupont-Aignan et d’autres, Robert Hadjadj se sent plus proche du parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. « Mélenchon s’appuie sur des principes jacobins qui sont les miens, mais il la joue trop perso et n’est pas suffisamment clair sur les manières de les appliquer. Je suis pour une constituante nationale alors que lui n’a pas tranché la question. » Entre l’avenir de la nation et l’opposition d’une communauté occitane pugnace, rien ne semble tourmenter ce parfait exemple de monsieur tout le monde. À son niveau, il veut apporter sa pierre à l’édifice. « Ce qui est impossible ne me fait pas peur. »

Bernard Allemand, « Nous écoutons, mais ne jugeons pas »

Bernard Allemand est le président d’AVISO (Association montpelliéraine pour la Visite et le Soutien des détenus et de leurs familles). Cette association de visiteurs, réoriente son action vers les familles des détenus en 1992 lors du transfert de la maison d’arrêt à Villeneuve-lès-Maguelone.

Haut Courant : Comment accueillez-vous les proches d’un détenu ?

Bernard Allemand : Premièrement, avec AVISO, nous sommes à l’écoute. Nous les accueillons pendant nos permanences qui ont lieu tous les jours au parloir de la maison d’arrêt. Nous leur donnons un livret d’accueil qui précise toutes les conditions matérielles de détention et ce qu’ils peuvent amener aux détenus. Il répond à des questions récurrentes : quels sont les horaires d’ouverture du parloir, que puis-je amener comme linge,… Chacun est un cas particulier qu’il faut soutenir dans ces moments difficiles. Nous écoutons mais nous ne jugeons pas.

HC : Comment devient-on bénévole ?

BA : Quand nous recevons des personnes intéressées par nos actions, nous passons une sorte d’entretien afin de développer leurs motivations. Ensuite, nous proposons une formation initiale à l’écoute dispensée par un organisme spécialisé. Nos activités sont centrées à 20% sur l’aide aux détenus, avec les visiteurs de prison et les différentes activités que nous proposons, et à 80% sur l’accueil des familles. Nous organisons aussi tout au long de l’année des journées de formation et de réunion, toujours centrées sur l’écoute. Cela nous permet de réfléchir sur les problèmes rencontrés par les bénévoles et d’y répondre. C’est vraiment la pratique qui permet de mieux comprendre les situations rencontrées par les familles, mais aussi par les détenus. Etre bénévole est un engagement qui demande une certaine assiduité et du sérieux dans la démarche.

HC : Quelles sont vont relations avec l’administration pénitentiaire ?

BA : Tout d’abord elle nous loge. Nous avons un local d’accueil au sein même de la prison. Nous avons des contacts quotidiens principalement avec les surveillants. Ce sont eux qui vérifient les autorisations pour entrer dans la maison d’arrêt. Là-bas, les détenus sont nourris, logés, chauffés et soignés. Ils doivent sortir en aussi bonne santé que quand ils sont entrés. Avec notre association nous apportons tout autre chose : l’écoute. Mais tout cela va bientôt changer. L’administration pénitentiaire a modifié sa perception de l’accueil des familles et des détenus. Le gouvernement va donc engager des sociétés privées prestataires de services pour accompagner les détenus et les familles. Elles vont ainsi alléger le travail des fonctionnaires en organisant les horaires de parloir par exemple. C’est dans la logique de la diminution du nombre de fonctionnaires.

HC : Quelle place occuperez-vous à la suite de cette réorganisation ?

BA : Nous ne savons pas encore, mais nous serons toujours là. Nous allons avoir des réunions avec la direction de la maison d’arrêt et les sociétés concernées, pour s’organiser ensemble et s’entendre sur la marche à suivre. Mais dans tous les cas nous conserverons notre rôle d’écoute.

Jean-Claude Mauroux, visiteur: « la prison est un lieu de vie, on s’y attache. »

Jean-Claude Mauroux est membre de l’association Aviso Montpellier qui apporte un soutien aux détenus et à leur famille. Il est également représentant de l’Association Nationale des Visiteurs de Prison (ANVP). Ce truculent personnage, ancien syndicaliste militant n’a pas sa langue dans sa poche, quant à l’état du système pénitentiaire français. Retraité, il met sa bonne humeur, son humour et son incroyable humanisme au service de ceux qui, derrière les barreaux, en manquent cruellement. Il accueille et guide également les familles des détenus, parfois perdues dans la rigueur du système carcéral. Entre deux parloirs, entretien devant le local d’accueil des familles, à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone.

Haut Courant : Comment devient-on visiteur de prison ?

Jean-Claude Mauroux : Pour moi ce fut un peu un hasard… J’étais employé municipal à Bordeaux. Très investi dans le syndicalisme, j’ai été secrétaire national de Force Ouvrière (FO) à Paris. J’ai toujours aimé le contact humain, les luttes pour des causes justes, je suis profondément contre tout ce qui bafoue les droits de l’Homme. Bref, après avoir déménagé à Montpellier, je suis tombé sur une annonce de l’association Aviso qui cherchait des bénévoles, et je me suis lancé. C’était en 2006, depuis je n’ai pas arrêté. C’est un peu la continuité du syndicalisme. Le jeudi je fais l’accueil des familles, et je donne des cours de code le mardi. En plus de mes visites une fois par semaine aux deux détenus dont je m’occupe : Nicolas et Mohamed. Tiens regardez, vous pourriez interviewer les rats, il y en a beaucoup ici à cause des conditions d’insalubrité et de la nourriture que jettent les détenus par les fenêtres (il montre en rigolant un rat juste à quelques mètres de nous !)

HC : Pourquoi jettent-ils la nourriture, ils n’ont pas de poubelle ?

JCM : Si, mais c’est leur façon de protester contre « la gamelle ». C’est un peu spécial en prison, il y a deux façons de se nourrir, la gamelle c’est la nourriture préparée par les détenus. Pour les plus chanceux, soutenus par leurs familles, ils peuvent « cantiner ». C’est-à-dire acheter leur propre nourriture à une société privée et c’est eux qui cuisinent. L’argent est ensuite directement prélevé sur leur compte car l’agent est interdit en prison. Mais les produits sont beaucoup plus chers qu’à l’extérieur. Une bouteille de coca c’est presque 3 euros. Voilà une chose que peu de personnes connaissent et qu’il faudrait changer dans le fonctionnement interne des prisons.

HC : Justement, vous qui pénétrez dans la prison, comment sont les conditions à l’intérieur ?

JCM : La prison est surchargée. Elle a une capacité d’accueil de 593 places, et il y a environ 700 hommes dedans. Je vous laisse imaginer le reste. Ils devraient être deux par cellule, la plupart du temps, ils sont trois. La proximité, le manque d’hygiène et les rats sont souvent évoqués par mes gars. Vous savez, même en rentrant dedans, on n’est pas au courant de grand-chose. L’univers carcéral est assez opaque. Et puis je n’entre pas vraiment au cœur de la prison, je n’ai pas accès aux couloirs de détention. Nous avons des salles d’activité à notre disposition, un peu éloignées de leurs cellules. C’est sûr qu’il y aurait beaucoup de choses à améliorer mais il n’y a pas assez de moyens en France, surtout pour les prisons, et c’est un réel problème.

HC : Et les relations avec l’administration pénitentiaire ?

JCM : C’est une relation de coopération, ils ont besoin de nous et on a besoin d’eux. Tout ce qu’on fait, c’est avec leur accord. C’est très réglementé, après cela dépend des surveillants, certains sont plus rigides que d’autres. Mais dans l’ensemble, ça se passe bien.

HC : Aujourd’hui vous êtes à l’accueil du parloir. Quelle est votre mission ?

JCM : Les premiers parloirs sont toujours difficiles. Les femmes des détenus sont perdues, souvent en pleurs. Notre rôle est de les rassurer, les guider sans jamais les juger, respecter leur dignité. Leur honte aussi. C’est pourquoi l’association Aviso a construit il y a trois ans un petit espace vert pour les enfants et a demandé la mise à disposition d’un local en attendant l’ouverture des parloirs. C’est plus convivial. Une des règles du visiteur de prison, c’est de ne jamais demander ni aux détenus, ni aux familles pourquoi ils sont en prison. On leur explique le règlement : pour les condamnés c’est un parloir par semaine, et pour les prévenus cela peut aller jusqu’à trois. Seuls les détenus peuvent demander un parloir, et ils peuvent les réserver jusqu’à trois semaines à l’avance. Les familles ont le droit d’amener un sac de linge et uniquement de linge lors de leurs visites. Pas de lettre, pas de nourriture. Après on assiste parfois à de petites ruses (il se marre en apostrophant une femme justement à l’œuvre !) Comme emballer de la nourriture dans du film transparent et se la coller sur les mollets, entre les seins. Mais on ne dit rien, ce n’est pas notre rôle. Avec certaines cela devient une relation de complicité, on les voit chaque semaine. Je suis d’ailleurs impressionné par la fidélité des femmes. Il y en a qui viennent plusieurs fois par semaine, même avec leurs enfants. Il y a une grande solidarité entre elles. Les mecs ne le feraient pas ! Pour revenir à Aviso, nous sommes présents du mardi au samedi toute la journée. Il y a trois roulements. Après le parloir, les familles sont gardées en attendant la fouille totale des détenus.

HC : Racontez-nous les jours où vous endossez le rôle de visiteur.

JCM : Je vais voir Nicolas tous les mardis depuis 15 mois. Il attend les Assises depuis plus d’un an. Mohamed, lui, est là depuis 6 mois. Il sort la semaine prochaine. Au début, je ne leur demande pas pourquoi ils sont là. Nicolas me l’a confié il y a peu. Je me demande comment il en est arrivé là, c’est une suite d’évènements, de circonstances, un engrenage. Pourtant il est cultivé. J’ai une certaine complicité avec lui. Il sait parler chinois, il passe le brevet en maths et en sciences. Il écrit dans la feuille d’Hector, le journal de la prison. Je l’écoute, on parle de tout et de rien. Avec Mohamed, j’essaie plutôt de faire de la prise de conscience. C’est aussi ça notre rôle.

HC : Jamais eu de difficultés particulières avec un détenu ?

JCM : La pédophilie je n’aurais pas pu. Ca ne m’est jamais arrivé d’en refuser, même si je me souviens du cas d’un cambrioleur qui n’arrêtait pas de se vanter de ses casses. Il en était fier ! C’était impossible d’avoir une autre conversation avec lui, heureusement il a été transféré. Il y a aussi des groupes de parole mais certains ne changeront jamais, ils sont menteurs… La prison ça ne sert à rien, ça ne fait que renforcer leur conviction. Il n’y en a pas beaucoup qui vont changer.

HC : Mais alors pourquoi êtes-vous visiteur si vous ne croyez pas à la possibilité de rédemption ?

JCM : On est obligé d’y croire un tout petit peu. Il faut beaucoup d’écoute pour entendre la souffrance des autres sans la juger. J’essaye de leur apporter un peu d’air frais. Vous voyez comme je suis, j’essaye de prendre les choses avec bonne humeur, à la rigolade. Je me dis qu’on a tous une boîte à outil à la naissance et qu’ils n’ont pas choisi le bon cette fois-ci. Mais qu’on contribuera un peu à ce qu’ils choisissent le bon outil la prochaine fois. La prison est un véritable lieu de vie, un monde à part. On s’y attache.

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Près de Montpellier, un Noël séparé par des barreaux

La maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone n’est qu’à 10km de Montpellier. Pourtant, les 693 détenus qui vivent derrière ces murs n’ont pas vu la ville s’illuminer et se couvrir de ses parures de Noël ; ils n’ont pas vu l’immense sapin bleu et blanc de la place de la Comédie, ni les pères Noël faire leurs apparitions au coin des rues. Alors Noël en prison, c’est juste une période comme les autres, à quelques choses près…Jeudi 26 novembre, à l’accueil de la prison héraultaise, rencontre avec les familles des détenus et des membres d’associations investis dans l’univers carcéral, en attendant l’heure du parloir.

« Un film qui permet de se laisser envahir par la magie de Noël » écrit Philippe V dans la feuille d’Hector, l’hebdomadaire écrit par des détenus de la prison. Il évoque le dernier Walt Disney, le drôle de Noel de Scrooge. Pourtant il ne verra ni le film, ni la magie de Noël. « C’est juste une période encore plus dure et déprimante pour eux» confie Cathy la femme d’un détenu qui purge une peine de 25 ans. « Pour moi c’est une période angoissante, je suis tracassée pour mon mari, et triste pour mes enfants. En même temps ça fait dix ans que c’est comme ça, donc j’ai l’habitude de fêter Noël sans lui » ajoute-t- elle avec un sourire fataliste, tout en enlevant ceinture, collier et bottes pour passer le portique de sécurité avant le parloir.

Dans la cour d’entrée de la prison, un petit espace vert et un local permettent aux familles d’attendre l’heure du parloir. Jean-Claude Mauroux, membre de l’association locale de soutien aux détenus, Aviso, et représentant de l’ANVP (Association Nationale des Visiteurs de Prison) les accueille avec bonne humeur, toujours un mot gentil et un franc « bonjour » aux uns et aux autres. Enfin plutôt aux unes, car la majorité sont des femmes, souvent très jeunes, accompagnées de leurs enfants. C’est le cas de Kelly, 20 ans, dont le mari purge une peine de 3 mois de prison. Pour lui, Noël sera symbole de liberté et de retrouvailles en famille. Il va être libéré, bientôt, le 9 décembre, « si tout va bien et qu’il ne se refait pas attraper à faire le yoyo » explique la jeune maman, qui est venue accompagnée de leur bébé de deux mois. Le monde carcéral a en effet ses codes et son vocabulaire, le yoyo consistant à faire passer des produits licites ou illicites d’une cellule à l’autre avec une corde de fortune, faite de bout de tissus ou de sacs plastiques.

La majorité des femmes de détenus n’ont pas cette chance, elles attendent fébrilement de savoir si une permission sera accordée à leur conjoint. « Plutôt rare en général, ce sont les permissions pour la réinsertion qui sont favorisées, de type entretien, formation… » confie Jean-Claude Mauroux. Deux ou trois jours maximum, pour passer les fêtes en famille, mais elles ne sauront qu’aux alentours du 12 décembre si la requête est acceptée ou pas par l’Administration Pénitentiaire. En attendant, elles réfléchissent déjà au contenu du colis. Elles sont une trentaine ce jour-là et la solidarité est évidente, certaines viennent ensemble, prennent le même bus. Aux nouvelles, elles livrent les quelques astuces pour mieux vivre cette épreuve, ou juste échanger leurs expériences. Débat autour de ce fameux colis de 5kg, rempli de victuailles de Noël, le seul autorisé au parloir excepté le sac de linge. Elles peuvent le déposer entre le 15 et le 25 décembre mais ne peut contenir que de la nourriture, pas de lettres ni de cadeaux « c’est la seule chose qui change à Noel, sinon les règles ne sont pas plus souples pendant les fêtes » explique Martine. Elle a 51 ans, et c’est déjà le troisième Noël qu’elle passe sans lui. « Comme il n’a pas été jugé, il ne peut pas avoir de permissions. Je vais lui apporter du foie gras et les plats qu’il aime et que je vais les cuisiner moi-même. ».

Le directeur de l’établissement, Bernard Giraud soutient l’action des associations, mais l’afflux de visiteurs pendant les périodes des fêtes de fin d’année, ne permet pas d’assouplir les règles, ou de rallonger les plages horaires des parloirs. « Au sein de l’établissement, il y aura un menu spécial pour Noël et le Nouvel An. », confie-t-il. A l’évocation de l’augmentation des dépressions ou des suicides pendant les périodes de fêtes, comme évoqué dans l’article de Libération du 24 novembre, par un infirmier de la prison de Fresnes, « On est vigilants toute l’année, même si cette période est source de tensions pour les détenus. On parle d’ailleurs souvent des suicides, mais très peu des vies qu’on sauve… ».

Derrière les murs et les barbelés, c’est une véritable petite ville, ou se côtoient plusieurs acteurs : détenus, gardiens, administration pénitentiaire, associations, famille. Il y a une vie et une ville carcérale derrière les barreaux, sauf qu’en ces lieux la magie de Noël se résume à un colis de 5kg, et ironise jean-Claude Mauroux « un peu de sel en plus dans la popote ».

Du côté des associations, certaines organisent des goûters de Noël, d’autres restent fidèles au poste comme les membres d’Aviso, présents à tous les parloirs, même celui du 24 décembre. Marion Mayer-Bosch, déléguée régionale Occitanie de l’association GENEPI Montpellier regrette de devoir ralentir le rythme de leurs visites pendant les fêtes « car l’association est composée par une majorité d’ étudiants qui rentrent chez eux pour les fêtes ». Les bénévoles qui restent sur place continuent néanmoins les visites afin de ne pas rompre ce « lien d’humain à humain », entre citoyens libres et citoyens détenus, pour décloisonner la prison.