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Littérature sur Mai 68 : les pavés ne font plus recette
Pour ses quarante ans, Mai 68 fait un retour en force dans l’espace public. Emissions spéciales, hors-séries de quotidiens de l’époque, témoignages,… la révolte populaire devient, comme beaucoup d’évènements historiques, un marché pouvant s’avérer lucratif. A Montpellier, les quatres grandes librairies de l’Ecusson (FNAC, Virgin, Sauramps et Gibert Joseph) consacrent leurs vitrines et leurs rayons à l’évènement. Plus d’une centaines d’ouvrages sont disponibles mais aussi des cds, dvds et produits dérivés en tout genre. Devoir de mémoire ou vague marketing?
Qui achète Mai 68?
La tendance verse dans la nostalgie plutôt que dans la découverte. Pour Alain Monge, responsable de l’espace vente à Sauramps: « C’est globalement un public qui a connu Mai 68, même jeune. Pas mal étudiants n’apprécient pas que l’on compare tout le temps les mouvements étudiants actuels à ce qui s’est passé en Mai 68. » Au Virgin, même son de cloche de la part du responsable, Philippe Castelneau : « Les livres de nostalgie et de commémoration marchent mieux que les livres de fond. » A la Fnac, rares sont les têtes blondes qui s’arrêtent devant le rayon dédié. Pour Paul, 65 ans, hypnotisé par les images des barricades diffusées sur l’écran géant : « Cela me fait une sensation bizarre de revoir tout ça. A part ceux qui, comme moi, y étaient, je ne vois pas qui cela peut intéresser. Et encore, je ne vais pas acheter ce que j’ai vécu en vrai. »
Quels sont les succès et les flops des rayons?
Les ouvrages « grand public » comme le Hors-série de Télérama (1) ou les recueils de photographies (2) marchent très fort, au détriment du texte pur et des analyses du mouvement contestataire. Exception faite de l’ouvrage de Daniel Cohn-Bendit, Forget 68 (3). Le leader de l’époque se trouve en bonne place sur les rayons. Témoignage également et succès surprise pour Le Jour où mon père s’est tu, de Virginie Linhart (4). « Les gens cherchent davantage de témoignages, de souvenirs. Par exemple, les slogans de 68 (5)se vendent très bien, c’est petit et pas cher, on le place d’ailleurs en appel de caisse comme pour les chewing gum. », précise Alain Monge. Au rayon des bides, Les Années 68 (6), ouvrage très complet mais très épais, n’attire pas les foules. Le public étant en majorité grisonnant, les ouvrages destinés à ceux qui n’ont pas connu Mai 68 ne s’arrachent pas. Au Virgin, «les ouvrages clins d’oeil ne décollent pas, les gens restent attirés par ce qui est visuel » explique M.Castlelnau. André et son fils Raphaël Glucksmann arrivent en bonne place dans ces ouvrages surfant sur Mai 68 (7).
Beaucoup de bruit mais pour quoi?
Entre les quatres « grands de Montpellier », le bilan apparaît comme mitigé. A Gibert Joseph, qui consacre le plus petit espace à Mai 68, « Globalement, cela ne marche pas », explique la responsable qui a agencé le rayon suivant ses goûts pour les ouvrages. D’ailleurs, le rayon ne passera pas le mois de Mai. Sauramps a mis, quant à lui, les petits plats dans les grands. Le lieu consacre à Mai 68 toute sa vitrine de l’étage inférieur, en plus du rayon Actualités : « On a commencé il y a déjà deux semaines pour un résultat satisfaisant. L’évènement fait grimper les ventes de tout le rayon actualité politque et si la vitrine s’arrête fin mai, le rayon restera jusqu’à mi-juin ». En tout, une centaine d’ouvrages s’affichent à Sauramps, tout comme au Virgin ou un PLV (Publicité sur lieu de vente) est mis en place pour tout le mois de mai. Le choix des ouvrages sélectionnés résulte d’un rapport rentablilité/qualité. On parle alors de
« choix judicieux » ou « pertinent » et on raisonne en terme de « potentiel » de l’auteur à faire vendre.
La Fnac ne s’embarasse pas de ce genre de questions et remporte la palme de l’offre. Un grand rayon au fond du magasin avec un large écran plat et plusieurs petits coins consacrés à tout ce qui peut ou a pu avoir un rapport avec Mai 68. C’est une opération nationale et personne ne souhaite répondre aux questions sur la pertinence et la stratégie d’une telle opération. Le catalogue spécial Mai 68 ressemble d’ailleurs à à la liste de noël d’un soixante-huitard passionné : slogans, affiches, ouvrages de fond, de forme mais également tout ce qui a pu passer musicalement pendant l’année 68 (Georges Moustaki, la comédie musicale Hair, Michel Polnareff, The Grateful Dead,etc). La stratégie de la chaîne s’ouvre même sur le mouvement hippie, la liberté sexuelle, l’émancipation des femmes et tout ce qui a pu découler du mouvement de Mai 68 jusqu’à aujourd-hui, c’est dire que l’offre est large mais avec parfois, une pertinence mystérieuse.
Finalement, Mai 68 est à la France, ce que 1907 a été à la région Languedoc Roussillon : la commémoration d’un événement marquant avec tous les points de vues et les produits disponibles sur la question. Alain Monge, de Sauramps, conclut sur ce phénomène : «Si on compare Mai 68 et 1907 dans les ventes : le premier bénéficie de beaucoup plus de titres disponibles mais pour le nombre d’exemplaires vendus par titre, 1907 arrive premier, ce qui n’empêchera pas l’anniversaire de Mai 68 de faire plus de chiffre que celui de 1907. » La déferlante Mai 68 arrive à Montpellier comme une vaguelette sur le Lez. A la question posée par le catalogue spécial de Sauramps, que reste-t-il de nos révoltes?, il semble bien triste de répondre : la nostalgie de la forme et non du fond.