Haut Courant a suivi un duo de missionnaire mormon à Montpellier. Plongée dans le quotidien de ces jeunes dévots qui passent deux ans de leur vie à l’étranger, loin de leur Idaho ou de leur Californie natale, pour se consacrer à l’exercice de leur culte.
En 1830, Joseph Smith eut une vision de Dieu et de Jésus. Ainsi fut révélée la religion mormone. Les deux êtres divins lui indiquèrent l’emplacement de tablettes ancestrales qui retranscrivaient la parole directe du Christ. Traduites par Smith, les reliques lui servirent de base pour fonder l’Eglise des saints des derniers jours, plus communément appelés mormons. Culte récent, donc limité en nombre de membres (ils sont 36 000 en France et 14 millions dans le monde), il cultive depuis ses origines la prospection d’adeptes, partout dans le monde. C’est aux jeunes (entre 18 et 25 ans pour les garçons, 20 et 25 ans pour les filles) que revient cette mission. Les missionnaires, aussi appelés Elders, ne s’arrêtent jamais: 6 jours sur 7 ils ratissent les villes pour promouvoir leurs croyances et leurs soirées et temps libres sont consacrés à la vie paroissiale.
Voici un aperçu d’une semaine type pour Elder Peels et Elder Hastings.
Lundi
Les deux missionnaires accueillent un non-membre ce soir, à leur Chapelle rue Daunou. Ils l’ont rencontré dans la rue et l’ont invité pour leur parler de leur religion et «de la vie de Jésus Christ». Le natif de Bethléem serait venu aux Amériques juste après sa résurrection, où il aurait prêché à un peuple ancien, les Lamanites, sorte d’ancêtres des Aztèques. Cette parole serait parvenue jusqu’à Joseph Smith par les fameuses tablettes d’or (depuis disparues), rédigées par un Lamanite du nom de Mormon. Smith serait le 12ème vrai prophète à propager les idées originelles du Christ, ayant été en possession de la parole directe de Jésus, contrairement aux religions chrétiennes.
Tout comme elle a débuté, cette rencontre en privé se termine par une prière que les missionnaires exécutent genoux à terre, tête baissée. Les Elders rappelleront l’individu plus tard dans la semaine et les semaines suivantes encore.
Mardi
Ce soir, c’est «soirée familiale»! Thème du jour: la prière. A peine 10 personnes sont réunies dans une salle du bâtiment accolée à la chapelle, dont la moitié sont missionnaires. L’animateur du jour est prêtre. Tout homme mormon, baptisé et de plus de 16 ans peut devenir prêtre, qui n’est qu’un grade parmi d’autres dans le premier degré de la hiérarchie laïque et bénévole des mormons. L’animateur est donc plus un professeur, qui s’appuie sur l’expérience des Elders pour expliquer la meilleure façon de s’adresser au «Père Céleste». «Si vous voulez une Ferrari, il ne faut pas dire « Père Céleste envoie moi une Ferrari », vous allez recevoir un skate!» L’assistance, ébahie et enthousiaste, éclate de rire. «Si vous savez vous y prendre, les cadeaux tomberont du ciel. Mais il faut être humble dans ses demandes».
Le mormonisme est né aux Etats-Unis et sa pratique s’en ressent. Dans un véritable show, le prêtre vante des valeurs bien peu prônées par le Christianisme latin: outre l’amour et la santé, l’individualisme et la richesse matérielle sont les pivots d’une existence épanouie.
La dernière demi-heure de la soirée est encore plus détendue que la leçon du prêtre: autour d’un banquet de friandises, on parle librement de prière et on déclame des blagues carambars.
Mercredi
Aujourd’hui, journée libre. Elle commence pourtant comme tous les matins. Levé à 7h, le missionnaire se réveille avec une demi-heure de sport et enchaine sur une heure d’étude du livre de Mormon. Pas de café-clope au petit déjeuner, ni même de thé. Les produits excitants sont proscrits aux mormons. On se contentera de jus d’orange.
Une fois par semaine, les missionnaires écrivent à leur famille. Ils n’ont le droit qu’à deux appels via Skype par an: à Noël et pour la fête des mères.
Cette journée est aussi l’occasion de faire le point sur les finances. Les jeunes payent leur mission sur fonds propres. «J’étais étudiant avant ma mission, raconte Elder Peels dans un bon français, mais j’ai travaillé en tant qu’ambulancier pour pouvoir partir». Néanmoins, il assure que les paroisses d’origine versent une bourse à leurs jeunes n’ayant pas les moyens de se financer.
Jeudi
Pour les Saints des derniers jours, la vie sur terre n’est qu’une étape. Tout humain a vécu auprès de Dieu avant son existence terrestre, et tous retournerons au ciel après la mort. Mais les modalités de cette ultime étape dépendent des choix de chacun réalisés durant la vie sur terre et juste après le trépas. L’enfer n’existe pas chez les mormons et le paradis est divisé en trois niveaux. Le premier ressemble à la vie terrestre, imprégnée de vice et de frustration. Le deuxième niveau est un monde de paix, destiné aux humains ayant mené une vie juste et charitable, même si ils n’ont jamais eu la foi. Le plus haut et le plus glorieux est celui que seuls les bons mormons peuvent atteindre: devenir soi-même un dieu, vivre en présence du «Père Céleste» et «connaitre une joie complète».
Pour se faire, il faut avoir été baptisé. Problème: Que va-t-il advenir des gens qui ne l’ont pas été, étant morts avant la révélation à Joseph Smith? Afin de vivre éternellement avec toute leur famille au royaume dont le standing est le meilleur, les mormons recherchent activement leurs aïeux pour les bénir post-mortem. D’où leur réputation internationale en matière de généalogie. La France, comme d’autres Etats, coopère avec Salt Lake City pour mettre en commun leurs bases de données. La chapelle de Montpellier est donc dotée de machine de lecture de microfilm et l’un des paroissiens, expert en généalogie, est là pour guider les missionnaires dans leur quête.
Vendredi
Aujourd’hui, Elder Peels a rendez-vous avec le responsable des missionnaires de la partie Sud de la France. Il va être fixé aujourd’hui: continuera-t-il sa mission sur Montpellier avec son acolyte Elder Hasting? Les mormons en mission ne savent jamais où ils partent. Le pays visité dépend de la maîtrise de la langue locale (qui est renforcée par des stages de formation de 9 semaines avant le départ), ni la ville, qui change sporadiquement. Après Bordeaux puis deux mois passés dans l’Hérault, le missionnaire est finalement dépêché à Aix. Un autre Elder va prendre sa place et former un nouveau duo avec Elder Hasting: Le floridien Elder Taylor.
Samedi
8h45. Rendez-vous à la chapelle pour une séance de «sport extrême» animée par Elder Yang. Les participants exécutent des exercices issus de la méthode «P 90 X», un entrainement réputé pour sa rudesse. La paroisse propose nombre d’activités ouvertes à tous. Elles sont souvent la porte d’entrée des non-mormons dans le culte. Antoine (le prénom a été changé), rencontré lors de la soirée familiale, ne se définit pas comme un grand dévot. Il témoigne: «Je n’ai pas vraiment de famille, ici j’en ai une. J’ai commencé à venir au sport… Maintenant je viens parfois à la messe».
Dimanche
Le dimanche matin est l’apogée de la semaine du missionnaire. Trois offices successifs sont célébrés à partir de 8h du matin, dont un spécialement pour les Elders. A 10h, la réunion de la Sainte-Cène est suivie par tous les paroissiens, apprêtés pour l’occasion. Les missionnaires distribuent des invitations pour une grande soirée familiale. D’éminents personnages de l’Eglise française sont présents aujourd’hui, dont certains membres de la prêtrise de Melchisédek, le degré supérieur du clergé mormon. On prie un peu, l’eau et le pain bénis circulent dans l’assemblée. Les cantiques sont accompagnés de piano et de violon… ce qui n’empêche pas certains membres de chanter faux ou de partir dans quelques trémolos excessifs! Maria, l’une des nombreuses jeunes présentes, raconte: «Un jour j’ai amené une amie catho. Elle était étonnée du temps passé à chanter§» Puis les têtes d’affiche se succèdent au micro. Le président de Pieu -équivalent d’un évêque catholique- rend un hommage applaudi à Mitt Romney, candidat républicain face à Obama et mormon assumé. Il parle de l’importance de l’obéissance et clos la cérémonie en insistant sur la prière: «Il faut prier tous les jours, surtout lorsqu’on en a pas envie!»