« Sugar Man » : à la recherche de Sixto Rodriguez

Sixto Rodriguez, c’est le soldat inconnu de la folk américaine des seventies. Il est le protagoniste de Sugar man, le premier documentaire de Malik Bendjelloul, en ce moment à l’affiche.

Sugar Man, enquête musico-journalistique de Malik Bendjelloul, revient sur le parcours d’un musicien atypique, né dans les années quarante à Détroit : Sixto Rodriguez. Le chanteur, entiché de musique grâce à la guitare de son père, écrit les banlieues ouvrières de cette Amérique que l’on oublie parfois. Ses textes sont aussi poétiques que politiques et sa voix attire rapidement les chasseurs de succès. Pourtant, après deux albums sortis en 1969 et 1971, les honneurs attendus ne sont pas aux rendez-vous. Sixto Rodriguez, toujours ouvrier, abandonne sa carrière musicale et disparaît de la scène publique. 


Une icône ressuscitée

Pendant ce temps, l’Afrique du sud s’ébranle, toute coupée du monde qu’elle est. La musique de Sixto Rodriguez y arrive, par le hasard d’un disque oublié dans la valise d’une touriste américaine. Une génération privée de liberté reprend Sugar man, l’histoire d’un dealer américain. Rapidement censuré, il devient un étendard pour les rares afrikaners qui luttent contre l’apartheid. D’aucuns le comparent à Bob Dylan et il vend plus de 500 000 albums, devenant, sans le savoir, une véritable icône de la « nation arc en ciel ».
Dans les années 90, un vendeur de disque et un journaliste musical, tous deux Sud-Africains, veulent en savoir plus sur ce mystérieux artiste. Ils le pensent mort, suicidé sur scène, immolé ou victime d’une overdose en prison. Leur démarche d’enquête constitue la base du documentaire de Malik Bendjelloul. Les pérégrinations de ces fans de la première heure nous mènent doucement vers la révélation : Sixto Rodriguez n’est pas mort. Il travaille dans la démolition, toujours bien arrimé au bitume de la Motown qu’il décrivait dans ses chansons. La suite, émouvante quoiqu’un peu galvaudée, raconte la rencontre des deux protagonistes avec Sixto Rodriguez, sa vie modeste dans la ville du moteur puis la consécration, enfin, de ce musicien talentueux. A l’initiative des deux acolytes, il découvre son public, immense et passionné, lors d’une tournée en Afrique du sud en 1998.

Un documentaire original et passionnant

Malik Bendjelloul signe un documentaire presque à la hauteur du talent de Sixto Rodriguez. Les témoignages sont bien choisis, émouvants sans être complaisants. Les images sont soignées et la bande son – signée Rodriguez – ravira les amateurs de folk. La première partie du documentaire souffre parfois de longueurs, et quelques images prétextes – qui viennent pallier le défaut d’images d’archive de l’artiste – gâchent un esthétisme par ailleurs bien maîtrisé. On regrette que le documentaire soit quelque peu romancé. En effet, Sixto Rodriguez n’ignorait pas tout de son succès puisqu’il avait effectué plusieurs tournées en Australie au début des années 80 avant d’abandonner effectivement la musique. Malik Bendjelloul occulte complètement cette partie de la carrière de Sixto Rodriguez. L’histoire, vraie, se suffisait à elle-même. Le résultat est toutefois convaincant et le rythme ne souffre pas trop des quelques excès de Bendjelloul et la seule découverte du trop peu connu Rodriguez est un argument suffisant pour aller voir Sugar Man.

Beaucoup de bruit pour (presque) rien!

Deux semaines de négociations, tous les Etats membres de l’ONU représentés, 36 heures de prolongations, une feuille de route communément ratifiée… Sur le papier, la clôture du sommet international pour le climat de Durban se veut couronnée de succès. En pratique il n’en est rien.

Si les responsables présents dans cette ville d’Afrique du Sud se sont pompeusement félicités du compromis établi, son application n’érigera aucune barrière efficace pour lutter contre le réchauffement de la planète.

Les mesures, purement symboliques, conclues lors de cette conférence sont symptomatiques du manque de considération général pour les causes environnementales. Le prolongement du protocole de Kyoto à partir de 2015, qui a perdu en chemin Canada, Japon et Russie, relève pour l’heure, de la mascarade et farce de mauvais goût. Comment un pacte, dépourvu de contraintes juridiques et nouveaux engagements chiffrés, peut-il raisonnablement faire figure de modèle pour la communauté internationale ?

Ce sommet n’a pas non plus déterminé les sources de financement (100 milliards par an) allouées aux pays en voie de développement par le « Fonds Vert », dont l’entrée en vigueur n’est prévue qu’en 2020. Un fond déjà acté à Copenhague voilà maintenant trois ans.

Alors que la période 1997-2011 concentre les treize années les plus chaudes depuis deux siècles, le sort du globe n’est toujours pas une priorité pour nos dirigeants. Pourquoi faire aujourd’hui ce que l’on peut remettre à demain? Surtout s’il s’agit d’écologie…

Invictus, la victoire d’une nation arc-en-ciel

Clint Eastwood signe avec Invictus son trentième film. Il y retrace les moments forts de la Coupe du monde de rugby de 1995 qui a vu triompher une Afrique du Sud profondément divisée.

S’il est une chose que Clint Eastwood sait faire, c’est bien nous prendre par les sentiments. Avec son dernier film, il fait vibrer la corde sensible du spectateur. Des bons sentiments et des larmes, Invictus n’en manque pas. Quoi de plus normal après tout, puisqu’il retrace un moment historique où le pardon et l’union ont su triompher sur le racisme et la haine ? Les questions au cœur du dernier opus d’Eastwood sont effectivement la réconciliation, le pardon et l’unité nationale. « Le passé est le passé. Tournons-nous maintenant vers l’avenir » exhorte Nelson Mandela dans Invictus. Sans oublier les valeurs sportives portées en étendard et si chères au réalisateur de Million Dollar Baby.

Les premières minutes du long-métrage retrace la libération de Nelson Mandela, le 11 février 1990, après une condamnation à vingt-sept années de prison pour avoir combattu l’apartheid en Afrique du Sud. Puis, référence est faite à sa victoire électorale, quatre ans plus tard, à la suite des premières élections nationales non raciales du pays. Premier président noir sud-africain, il prône la réconciliation nationale. Il s’agit pour lui de « concilier les aspirations des Noirs et les peurs des Blancs« . Alors, pour unifier son pays et rendre à tous leur fierté de Sud-Africain, Mandela mise sur le rugby. Chose qui n’est pas aisée, puisque ce sport et les couleurs des Springboks étaient les symboles du nationalisme afrikaner. Il invite chacun à une réflexion et une tolérance réciproque. Une scène l’illustre particulièrement : les joueurs sont invités par le président à partager un instant avec de jeunes enfants noirs des quartiers pauvres de Johannesburg.

Le film atténue toutefois les réelles conditions raciales et politiques en Afrique du Sud. De même, il présente Nelson Mandela comme le principal artisan de la victoire qui engendra l’union nationale. C’est le symbole du rêve américain : l’individu solitaire qui se réalise lui-même et qui est capable de changer le monde. Faut-il y voir, un an après l’élection du président Barack Obama, des analogies avec l’histoire contemporaine des Etats-Unis ? Celles d’un premier président noir charismatique qui a su rassembler son peuple autour de lui et améliorer l’image de son pays ?

Invictus est un très beau film. Le jeu des acteurs est remarquable. Morgan Freeman, très bien grimé, interprète un Nelson Mandela charismatique et humaniste. Il est accompagné d’un Matt Damon brillant en capitaine de Springboks. Sur le plan visuel, Clint Eastwood a donné à son film une véritable authenticité. Rien n’est laissé au hasard : des couleurs donnant l’illusion d’images d’époque, un style photographique qui rend visible les imperfections des acteurs, et des photographies d’actualités qui pimentent l’œuvre.

Deux images resteront dans l’esprit du spectateur. La première est celle des deux mains jointes, noire et blanche, sur la coupe de la victoire. La seconde : le sourire de Nelson Mandela alors que sa voiture se fraie un chemin à travers une foule métissée en liesse. Celle de son peuple uni dans la joie.

Un film à voir.

Appel aux lecteurs: Faut-il rejouer France-Irlande?

Alors que la fédération du football irlandais réclame déjà -et probablement vainement- à la FIFA de rejouer le match de barrage perdu contre les Bleus, la France est prise entre le soulagement d’avoir enfin son équipe qualifiée pour la Coupe du monde et la culpabilité de l’avoir arraché par tricherie. Haut Courant invite ses lecteurs à donner leur opinion.

Le dilemme est terrible. Des joueurs comme Patrice Evra et Hugo Lloris sont allés le chercher avec leurs tripes, ce billet pour le Mondial sud-africain. Ce sera leur première chez les grands à tous les deux. Un rêve de gamin… Au surlendemain de ce 17 novembre 2009, on aimerait pouvoir les féliciter. C’est cruel, mais on ne peut pas.

Certes, deux penaltys sur les deux matchs n’ont pas été sifflés. Mais l’équipe de France n’a pas mérité sa victoire contre l’Irlande. Certains joueurs –vieux et jeunes confondus- n’ont pas su élever leur niveau à la hauteur de l’évènement. Et les Bleus ont volé les Verts par la main de leur propre capitaine…

Quel contraste. Le Thierry Henry de ces trois derniers jours était souriant et sûr de lui. Alors qu’avant-hier, à la mi-temps, dans les bras de Lilian Thuram il semblait comme effrayé et à bout de souffle. Une pression chez un compétiteur de cette trempe, seule la Coupe du monde peut en produire dans le football.

Pas de doute. Le but de la victoire que l’ex-gunner offre à Gallas est entaché. Henry a triché. Par réflexe, par crispation, certes, mais il a triché. Sa main a touché volontairement le ballon par deux fois, la première pour éviter qu’il sorte du terrain, la deuxième pour qu’il se remette dans le sens du jeu.

En 1998, l’équipe de France a gagné la Coupe du monde à la régulière et en tire sa plus grande fierté sportive. C’est une marque de fabrique aux yeux de beaucoup de supporteurs, et pas seulement dans l’Hexagone.

Quel modèle offrons-nous à la jeune et méritante République d’Irlande, fondée en 1949 sur les bases de notre propre système politique? Les Verts ont été énormes. Ils y ont cru jusqu’au bout. Ils auraient mérité d’aller représenter leur peuple en Afrique du Sud. Cet évènement en direct sera peut-être le plus suivi de toute l’Histoire…

Ceux que ça intéresse à Haut courant ont diverses opinions sur ce qu’il faut retirer de ce match contre l’Irlande. C’est pourquoi nous posons la question à nos lecteurs: faut-il le rejouer? À vous de répondre en commentant cet article. C’est notre contribution au débat sur l’Identité nationale voulu par le président de la République. Sachez que ce dernier a déjà expliqué à Raymond Domenech qu’il passerait ses vacances en Afrique du Sud en juin prochain.

Venez signer la pétition de Haut Courant.

Afrique du Sud : Le rugby, un des derniers bastions de l’apartheid

En Afrique du sud, la page de l’apartheid est loin d’être tournée. Tout juste auréolée d’un nouveau titre de Championne du Monde, l’équipe nationale de rugby est au centre d’une polémique. Ou plutôt le célèbre logo qui orne ses maillots vert et or : une petite antilope (springbok), symbole fort de l’apartheid.

Durant l’apartheid, le springbok était l’emblème de toutes les équipes nationales de l’Afrique de Sud. A partir de 1992, la fleur nationale, la protea, vient remplacer l’antilope sur le maillot des équipes. Le rugby est le seul sport à conserver l’animal sur ses tenues. En 1995, l’équipe des Sprinboks remporte chez elle la coupe du Monde de rugby et Nelson Mandela, fièrement vêtu du maillot du XV d’Afrique du Sud, remet la coupe au capitaine (blanc) François Piennar. Nelson Mandela arborant le maillot des Springboks lors de la remise de la Coupe du Monde de Rugby en 1995Sur fond de slogan « une équipe, une nation », cette victoire sonne alors comme la réconciliation d’une nation déchirée. A l’époque, l’équipe ne compte qu’un seul joueur noir dans ses rangs et n’est pas du tout représentative de la société post-apartheid. Sur 48 millions d’habitants, seul 8 millions sont blancs. Le rugby, sport des blancs par excellence en Afrique du Sud, représente l’un des derniers bastions de l’apartheid. Il se trouve ainsi souvent au centre de polémiques plus politiques que sportives.

Les effets de l’apartheid encore présents

Avant la dernière coupe du monde, la préparation de l’équipe nationale a été perturbée par la question de savoir s’il fallait emmener la meilleure équipe possible pour gagner la compétition ou bien l’équipe la plus représentative de la nouvelle société ? Le rugby reste encore un sport de riches auquel les noirs ont difficilement accès. Les effets de l’apartheid se font toujours ressentir. Sam Ramsamy, actuel représentant de l’Afrique du Sud au Comité Exécutif du CIO, estime que «le milieu du rugby apparait toujours comme des plus conservateurs, maintenant son sport dans un exercice racial inégalitaire». En effet, les écoles à majorité noire ne possèdent pas de terrains de rugby, freinant ainsi l’accession de ceux-ci au plus haut niveau. La plupart des joueurs professionnels sont issus de vieilles écoles prestigieuses. En 2006, Zola Yeye, devient le premier manager noir des Springboks. Il déplore que la composition actuelle de l’équipe soit « l’héritage direct de 50 ans de régime discriminatoire ». Sur les trente boks victorieux en France en octobre 2007, seuls six étaient noirs ou métis.L'antilope pourrait bien quitter le maillot du XV d'Afrique du Sud

Discrimination positive

Face à cela, le gouvernement s’impatiente. Faisant la part belle à toutes les polémiques, il va jusqu’à imposer des quotas de joueurs noirs dans les équipes régionales et nationales et menace également de changer le nom des Springboks pour celui des Proteas. L’objectif étant d’arriver à une équipe nationale aux deux-tiers noire d’ici 2009. Ceci implique plusieurs questions. Tout d’abord, la discrimination positive est-elle la solution au problème ? Pour Russell Carelse, manager de l’académie de Rugby de Stellenbosh, « le gouvernement concentre trop son attention sur les équipes professionnelles au détriment d’une politique de terrain à même d’apporter de réels débouchés à des joueurs noirs ». La solution serait d’initier les enfants au rugby dès le plus jeune âge. Pour cela, il faut doter les écoles d’infrastructures de qualité afin que tout le monde soit sur un pied d’égalité.

L’autre question est économique. La « marque » Springbok génère chaque année plus de 12 millions de dollars. Une somme non négligeable, lorsque l’on sait que le rugby en Afrique du Sud, comme dans beaucoup de pays, a besoin d’argent. S’il faut régler le problème à la source, le gouvernement aura besoin de moyens.

Un rugby au centre de toutes les tensions entre noirs et blancs, une antilope qui pourrait bien se sauver du maillot, mais deux titres de champion du monde en aucun cas usurpés.
Les Springboks remportent leur seconde Coupe du Monde à Paris en octobre 2007