Ecocert : déambulation avec «la police» bio du salon

Ils considèrent leur mission comme la « sauvegarde de la réputation » du salon. Les contrôleurs du label bio Ecocert ont inspecté les allées du Millésime Bio pour épingler d’éventuels vignerons fraudeurs ou distraits. Les réactions peuvent être épidermiques… ou pas. Reportage.

«Vous voulez voir quoi exactement ?». Le contrôleur à peine salué, le ton est donné. «Simplement votre certificat bio, l’étiquetage de vos bouteilles et leur provenance pour m’assurer qu’elles soient bien toutes issues du même domaine». Paul Robinet, formulaire au bras, tente d’apaiser la vigneronne, les yeux au ciel à l’écoute de sa réponse. Un soupir. Les sourcils en circonflexe. Une moue barre son visage. À l’évidence, la présence du contrôleur sur son stand du Millésime Bio l’agace autant qu’elle la surprend. « Je l’ai déjà montré lors de l’inscription au salon. Je ne l’ai pas avec moi sous forme papier. Je ne pensais pas en avoir besoin puisque je ne savais pas qu’il y aurait encore des contrôles ».

Argument courant selon Paul Robinet. Pourtant, la présence sur deux jours des cinq employés de l’organisme de certification indépendant Ecocert, mandaté par Millésime Bio, a été annoncée au préalable sur le site officiel de l’événement.

« – Franchement, inspecter sur le salon, c’est… »
« – En quoi est-ce un problème Madame ? »
« – Ça fait perdre du temps
», s’agace-t-elle.

Car il est vrai que des contrôles ont déjà été effectués en amont auprès de chaque exposant, par les organisateurs eux-mêmes.

L’épreuve – même si elle n’est que de courte durée – peut, de fait, légitimement exaspérer. Et ce genre de réaction épidermique – bien que marginale, selon les contrôleurs, sur les 200 stands inspectés -, Paul Robinet les comprend : « La filière oenologique est l’une des plus contrôlées. Et celle du bio, la plus visée par les scandales. La sincérité des producteurs est souvent remise en cause. Il s’agit donc pour eux d’un énième contrôle ».

Apporter de la crédibilité au salon

Une impression d’être «suspect» pas très agréable donc. Mais selon eux, indispensable : «Nous vérifions que le certificat est en cours de validité, que tous les produits en exposition sur le stand sont exclusivement bio et qu’un seul domaine soit représenté, explique Paul Robinet. Nous ne sommes, certes, pas la garantie la plus forte du salon, mais nous assurons la cohérence entre tous les exposants et faisons en sorte que les visiteurs ne soient pas floués. Il est question de la sauvegarde de la qualité et de l’image de prestige du Millésime Bio ».

« Globalement, les gens le comprennent assez bien, tient à préciser l’un de ses collègues, Julien Pezet. Certains sont même contents. Comme les habitués par exemple. Car ils estiment que cela apporte de la crédibilité à l’événement».

Des sanctions graduelles

Mais pour d’autres, qui dit contrôles dit sanctions. « C’est vrai qu’on est perçus comme la police du salon », continue Paul Robinet. Et c’est pour cela « qu’on essaye d’y aller en douceur. Après tout, on n’est pas des huissiers. On est surtout là pour rectifier le tir. Ce sont des contrôles essentiellement dissuasifs. On ne fait que dresser un rapport. La sanction n’est pas de notre ressort » mais bien de celle des organisateurs.

En plus d’être décidées au cas par cas, les sanctions sont graduelles. Elles peuvent aller du simple avertissement à l’exclusion du salon, avec effet immédiat. « Tout dépend de la gravité de la fraude, explique Cendrine Vimont, chargée de communication et relations presse. Si la personne ne fait qu’exposer ses vins en conversion, on lui demandera de les ranger immédiatement. En revanche, si elle fait déguster du conventionnel, elle peut risquer une exclusion de un à trois ans du Millésime Bio. »

« Tout le monde se surveille »

Dans le cas de cette vigneronne, le contrôle était aléatoire. Mais les deux-tiers des stands à inspecter résultent d’une présélection établie par les organisateurs de l’événement selon des profils dits « à risques » : les primo-exposants peut-être pas complètement au fait du règlement du salon, les exploitants mixtes qui pourraient profiter de l’occasion pour exposer ou faire déguster leur production conventionnelle ou encore les « récidivistes » ayant déjà reçu un avertissement l’an passé.

Mais Paul Robinet le confesse, «nous effectuons parfois des contrôles sur dénonciations. Il y a de la concurrence entre les vignerons. Tout le monde se surveille».

Mais ici, la commerciale était totalement clean. Son certificat a été présenté sous forme digitale. Et si des contre-étiquettes manquaient à quelques bouteilles, pas de quoi alarmer le contrôleur : « Elle n’ont peut-être tout simplement pas pu être étiquetées à temps ».

Avant de s’éclipser, une signature en bas du formulaire, quelques impressions échangées sur le salon avec la collaboratrice de la vigneronne… elle, déjà partie, sans piper mots.

Label réalité : « Le bio ça veut tout et rien dire »

Bio or not Bio ? Situé à 20 km au nord ouest de Montpellier sur la commune d’Argelliers, le domaine Le Champ des Barbiers propose une viticulture biodynamique depuis 2007. Pourtant, les vins de Stéphane Gros ne portent pas de label puisqu’il n’a adhéré à aucun organisme pour le certifier. Explications.

L’agence Bio / OC recense cette année 407 exploitations converties au Bio en Occitanie, premier vignoble Bio de France, et Le Champ des Barbiers compte en faire de même. En effet, son fils va le rejoindre afin de faire les démarches de certification, au grand dam de son père. Stéphane Gros est sceptique mais comprend bien les intérêts commerciaux et la reconnaissance apportés par un label. Cependant, il préférerait obtenir un label Demeter correspondant davantage à sa démarche.

En 2000, Stéphane Gros quitte la restauration pour reprendre les rênes de l’exploitation familiale, héritage viticole depuis plus de quatre générations. Il explique avoir toujours pratiqué avec son père « la viticulture raisonnée », en utilisant du souffre et du cuivre plutôt que des produits de synthèse. « C’était le début de la mode du bio » se rappelle-t-il, mais l’investissement économique était important et il ne voyait pas, à l’époque, l’intérêt d’obtenir un tel label. Globalement, il affirme que « ça [lui] revient plus cher de travailler en biodynamie. Il faut passer plus souvent dans les vignes et éviter de trop labourer avec le tracteur ». Mais Stéphane est fier de produire du vin « plus proche du naturel ou Demeter » puisqu’il ne met aucun intrant, sauf « un peu de souffre et d’argile, autorisés par Demeter » mais il ne procède à « aucun collage ni filtrage ».

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Bio : entre utopie et réalité

Alors pourquoi ne pas adhérer à un organisme de certification ? Il connaît parfaitement les labels et leurs normes mais pour lui, « le bio, ça veut tout et rien dire. Il y a le vin conventionnel, chimique, puis le vin bio, les vins en biodynamie, le vin naturel et le vin s.a.i.n.s – sans aucun intrant ni sulfite ajouté » mais dans le vin bio « ils utilisent beaucoup de sulfite (SO2), environ 150 mg / L contre 40 mg pour moi, la norme pour les vins naturels ». Pour les vins s.a.i.n.s, il n’y a « pas d’étiquette » spécifique, ce qui traduit une philosophie différente de celle du bio. L’affiche ci-dessus, réalisée en 2013 par Cédric Mendoza pour l’association des Vins s.a.i.n.s, témoigne selon lui de cette réalité. Le caractère orienté de l’affiche mis à part, on remarque de nombreux intrants, tolérés par le vin conventionnel et bio, face à un vin s.a.i.n.s présenté comme parfaitement pur.

Stéphane Gros justifie par plusieurs raisons sa non-adhésion immédiate à un label : « J’ai toujours travaillé seul avec un agent qui gère toute la partie commerciale et ne vend que des vins bio et naturels, donc je ne m’en suis jamais préoccupé. Ça demande beaucoup de dossiers, je n’ai pas le temps et je n’aime pas ça, donc mon fils va s’en occuper ». Mais ce label va lui apporter une meilleure reconnaissance auprès des clients dans les caves – représentant 65% de sa distribution – ou les restaurants : « les gens regardent l’étiquette, s’ils voient que c’est pas marqué bio, ils ne goûtent pas ».

Le refus d’une grande distribution et ses contraintes

Son fils lui permettra aussi d’augmenter le volume de vin produit pour ne plus qu’il rate des marchés puisqu’il « exporte à l’international depuis quelques années : en Belgique, Grèce, Allemagne et Angleterre », or, « qui dit export dit volume » précise-t-il. Il refuse de vendre son vin en grande distribution (GD) car « c’est pas le genre de produits qu’ils recherchent et ça ne m’intéresse pas ». Mais aussi à cause du volume, « la GD il faut faire du vin et sortir des petits prix ». Les vins de Stéphane Gros sont situés entre 11 et 13€.

Le label va aussi lui amener des aides financières, dont il a bien besoin pour compenser la perte qu’il a essuyé cette année. En effet, il déplore les conséquences du réchauffement climatique sur les vignes, trop souvent tues : « cette année a été catastrophique pour moi, j’ai été gelé au mois d’avril et en été j’ai eu la sécheresse, j’ai perdu 80% de ma production et le gouvernement ne fait rien pour ça, surtout que je n’avais pas d’assurance jusqu’à maintenant, mais ça va bientôt devenir obligatoire ».

Mais il a toujours hésité à passer bio car il le voyait comme une limite : « j’avais peur que l’étiquette soit un frein, dans la GD on en voit partout. Il faudrait plutôt mettre la liste des ingrédients avec les doses plutôt qu’un logo bio. Ce logo cache beaucoup de choses derrière » confie-t-il.
Il espère éviter les « trois années de conversion imposées » pour l’attribution d’un label, en vue de sa pratique de la biodynamie. On l’aura compris, le label bio n’est pas son graal, et s’il fait certifier son vin, c’est pour les autres.

Agriculture bio : les viticulteurs s’inquiètent des désengagements de l’Etat

Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a confirmé le maintien des « aides à la conversion » en agriculture bio. Mais il a aussi annoncé que les « aides au maintien » seraient, elles, transférées aux régions. Peu rassurant pour les vignerons.

En décembre Haut courant s’était déjà interressé à la disparition programmée des aides au maintien dans l’agriculture bio. Ces subventions qui permettent de compenser les pertes de rendements par rapport à l’agriculture conventionnelle, et engager plus de main d’oeuvre nécessaire à l’entretien des surfaces biologiques, sont dans le collimateur de l’État. Aujourd’hui, le plus grand flou règne quant à leur avenir. Dans un communiqué de presse (PDF), l’association Sudvinbio s’inquiète pour les vignerons bio du Languedoc-Roussillon.

Les aides au maintien dans la viticulture bio, ça représente quoi concrètement ?

Aujourd’hui, les aides au maintien représentent au total, la très modeste somme de 10 millions d’euros par an. Dans la viticulture, elles s’élèvent à seulement 150€ par hectare et par an (PDF).

Un signal négatif envoyé aux producteurs bio

Maladies et conditions climatiques (gel, grêle,…) ont déjà compliqué les choses cette année pour les viticulteurs qui ont enregistré des pertes de rendements.
La disparition des aides au maintien, engendrerait pour les producteurs une nette baisse de leur rémunération, risquant d’en rebuter certains. L’accumulation des difficultés, pourrait décourager les hésitants, explique Michael Hausdorff, un vigneron en bio depuis 2010 dans le Gard. Il affirme cependant que ce ne sera pas suffisant pour le dissuader.

Ce qui ne l’empêche pas de constater que quelques producteurs se sont déjà désengagés de l’agriculture biologique et sont « revenus en conventionnel, en raison des maladies de la vigne et complications dues au climat ». Il estime le recul de l’Etat comme facteur de découragement chez les jeunes sur le point de s’engager. C’est un « signal négatif envoyé aux producteurs bio, qui pourrait avoir un impact important » en freinant la conversion en forte hausse ces dernières années, s’indigne ce vigneron du Gard.

Le financement des aides au maintien par les régions s’avère difficile

Depuis 2015 et la nouvelle politique agricole commune (PAC), les aides sont co-gérées par l’État et les régions. Le nouveau ministre de l’Agriculture a fait de la conversion sa priorité. Il souhaite donc que les régions « continuent de financer des aides au maintien sur de nouveaux contrats, mais sans mobiliser les crédits du ministère ». Stéphane Travert affirme par ailleurs que c’est maintenant « au marché de soutenir le maintien de l’agriculture biologique car la demande est là ». Le ministère s’est quand même voulu rassurant et a affirmé que « les aides au maintien attribuées jusqu’en 2017 seront bien évidemment financées jusqu’à leur terme » et que les crédits d’impôts devant prendre fin en 2017, seraient également prolongés pour les producteurs en bio.

Mais « sur les régions qui ont déjà des budgets ric-rac, cela va être compliqué » explique M. Haudsorff. « Dans la région Occitanie il y a une volonté » précise-t-il. La région, placée en première position dans le nombre d’exploitations et de conversions en bio, possède un hectare sur quatre en agriculture biologique. « Mais est-ce qu’il y aura le budget pour pallier au désengagement de l’État ? J’en doute » désespère-t-il. Certaines régions comme la Normandie ont déjà annoncé qu’elles ne se substitueraient pas au désengagement de l’État, préférant privilégier les aides à la conversion en agriculture biologique.

Le refus, pour les producteurs, d’une compensation par le marché et les consommateurs

Faire payer le consommateur pour palier à cet arrêt de financement par l’Etat ? Une possibilité que les producteurs écartent.
Pour Virginie Berthuit, responsable parcellaire de la cave de l’Ormarine, si le prix est trop élevé « les gens n’achèteront pas, cela ne marchera pas ». Pour Michael Haudsorff, les consommateurs s’engagent déjà en achetant du vin bio, alors « [les] faire payer, ce n’est pas une solution » s’exclame-t-il. Avant d’ajouter que, « soit il y a une volonté politique d’aider l’agriculture biologique, soit il n’y en pas ».

Agriculture biologique : le recul de l’État

En septembre, le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert, a annoncé la suppression des « aides au maintien » de l’agriculture biologique. Cette suppression qu’il avait écarté cet été, sera effective dès janvier 2018.

« On est abasourdi, on a du mal à le croire  », déclare Joseph Le Blanc, président de Terracoopa à Montpellier. Suite à l’annonce du ministre de l’Agriculture sur les « aides au maintien », l’inquiétude gagne du terrain chez les producteurs de bio.

« L’Etat s’est pris les pieds dans le tapis en prenant du retard pour les paiements »

L’Etat aide ces producteurs grâce au crédit d’impôt bio (qui a été reconduit pour trois ans) et aux aides européennes, qui comprennent l’aide à la conversion et les aides au maintien.
Déjà, « l’Etat s’est pris les pieds dans le tapis en prenant du retard pour les paiements des aides européennes », assure Joseph Le Blanc. Deux ans de retard. Les producteurs commencent tout juste à percevoir ces aides. L’équilibre des exploitations biologiques est affecté. Les producteurs devaient sortir de ce climat d’insécurité financière, dès cette année. Mais les « aides au maintien », qui n’étaient pas plafonnées par l’Etat, vont disparaitre.

Les aides au maintien, qu’est-ce que c’est ?

Parmi les aides qui existent pour les producteurs de bio, le crédit d’impôt bio et les aides européennes. Ces aides européennes comprennent l’aide à la conversion et les aides au maintien.
L’aide à la conversion est contractée dans les deux premières années de conversion. Elle engage l’agriculteur à ne pas désengager ses surfaces de l’agriculture biologique, durant cinq ans.
Après ces cinq années, le producteur est en droit de demander les aides au maintien. C’est également un contrat sous cinq ans, durant lesquels l’agriculteur s’engage à maintenir ses parcelles bio.

Pourquoi le bio a besoin d’aides ?

Ces aides représentent 10 millions d’euros par an seulement dans le budget national. Elles ont « pour fonction de compenser les pertes de rendements par rapport à la culture conventionnelle. On peut les estimer à 30%. Alors, même s’il y a des charges en moins – puisqu’il n’y a pas de consommation de produits chimiques – il y a du travail en plus. Donc, concrètement ça veut dire que l’argent sur lequel on comptait pour acheter du matériel spécifique, on ne l’aura pas. Donc on va devoir travailler plus… et ça nous met en difficulté » désespère Joseph Le Blanc.

Qui pour compenser les «  aides au maintien » ?

La Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) demande aux régions de prendre le relais de l’Etat, au moins temporairement, afin d’éviter une autre période d’insécurité financière pour les producteurs. Céline Mendès, chargée de mission formation et projet de territoire au CIVAM* bio 34 confirme que « la région a tout intérêt à donner un signal positif aux agriculteurs, pour permettre aux producteurs de répondre à la demande locale», au vu de l’expansion du marché.

Le ministère de l’Agriculture affirme, lui, « que c’est au marché de s’occuper du bio. C’est à dire que c’est au client de financer. Mais il n’y a pas une augmentation du prix du bio !  » s’indigne Joseph Le Blanc.

Revenir à une agriculture non biologique ?

Pour Joseph Le Blanc, il n’en est pas question. « Nous, on a décidé de faire du bio par conviction». Mais, ce n’est pas le cas de tous. Il y a eu un fort développement de l’agriculture biologique et des conversions motivées par des raisons économiques. « Donc les personnes qui voyaient cette conversion comme une issue économique vont être freinées », précise Céline Mendes. Et d’ajouter : « les pics de conversions ont toujours correspondu à des volontés politiques (1998, 2007, 2015…) ».
Freiner les conversions mais également provoquer un retour en arrière. « Les producteurs en très grandes surfaces ont établi des plans de financement de leur système agricole sur dix ans en tablant sur ces aides. Ils ont contracté des aides à hauteur de 30 000€ en 2015, et il restait encore environ 10 000€ d’aides au maintien. Donc le retrait de l’Etat pour ces personnes va être impactant », déplore Céline Mendès. Selon Joseph Le Blanc, il est donc «possible que certains arrêtent le bio».

*Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural.

Vinifilles, So femme et vin : des vins conjugués au féminin

Des femmes qui font du vin. Chose rare il y a vingt ans. Aujourd’hui les vigneronnes s’affirment et se regroupent. Rencontre avec les Vinifilles du Languedoc, « Belles, rebelles, actives, gourmandes, sympas, sociables et dynamiques » et les vigneronnes de So femme et vin du Sud-Ouest, qui conjuguent le vin au féminin.

Fini le bon vieux vigneron rustre et costaud qui cultive sa vigne pendant que sa femme est la maison. La parité est en marche dans tous les domaines et le vin n’y a pas échappé. Certaines sont associées à leur frère, père ou mari, d’autres gèrent leur exploitation seule, mais toutes sont chefs d’entreprise et régissent à leur façon leur vignoble.

En 2009 né le Cercle Femmes de Vin, le premier réseau professionnel national de femmes qui font du vin. Intégré à l’Union des vignobles de France, il est composé de 250 membres répartis dans 9 associations régionales, dont les Vinifilles pour le Languedoc et So femme et vin pour le Sud-Ouest.


-25.png Les Vinifilles ce sont vingt vigneronnes, dont plus de la moitié sont en bio. Pour Valérie Ibanez, la présidente de l’association, ce sont des femmes qui se regroupent pour faire du vin « comme des hommes qui se regroupent pour voir un match de foot ». Des femmes qui ont les mêmes problèmes, une même sensibilité pour le vin et le savoir-faire, et surtout « des femmes d’entreprises, pas des potiches » !

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So femme et vin porte les couleurs du Sud-Ouest. Vingt-sept vigneronnes mais aussi des œnologues, des consultantes, des grossistes, bref des femmes qui font, qui vendent, qui goûtent et surtout qui aiment le vin.
Pour la présidente Gaëlle Reynou-Gravier, le but est de mettre l’image de la femme en avant : « Ce sont en majeure partie les femmes qui achètent le vin, des femmes qui sont curieuses des vins faits par des femmes. » Même si l’association est ouverte à toutes les « confessions », la notion de développement durable est centrale pour ces femmes qui s’y impliquent « quelle que soit la manière ».


« Féminines mais pas féministes »

Gaëlle de So femme et vin se revendique comme étant « féminine mais pas féministe », tandis que Valérie des Vinifilles est plus modérée : « ce n’est pas du féminisme pur et dur ». La connotation péjorative du mot « féminisme », parfois quasi entendu comme un gros mot, prend ici tout son sens. « On ne veut pas être cataloguées, se renfermer dans une image. C’est pour ça que nous ne voulons pas en faire un mouvement féministe », s’empresse d’expliquer Gaëlle.

Même si elles s’accordent toutes à dire que le milieu reste essentiellement masculin, aucune ne se plaint en revanche d’une quelconque domination du vigneron. « Aucun problème avec les hommes, on aborde simplement les choses de façon différente », explique Françoise Ollier des Vinifilles. Pour Gaëlle il n’y a pas de sensation d’exclusion : «Les femmes sont beaucoup plus acceptées par rapport à avant.» « Il y a quelques difficultés physiques et matérielles liées au fait d’être une femme, mais pas dans le contact d’humain à humain », ajoute Nadia Lusseau de So femme et vin. « On n’est pas contre les hommes », lance Françoise faisant référence à Sacha Guitry. « L’idée, c’est de communiquer que les femmes savent faire aussi bien que les hommes dans un univers masculin », conclut Nadia.

Un réseau d’entraide

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Isabelle Daulhiac est aussi viticultrice et enseignante d’économie dans un lycée agricole. Elle explique que les groupes de viticulture traditionnels, qui sont mixtes, sont essentiellement masculins. Une des raisons qui a poussé les femmes à se rassembler. «On reste chacune dans notre coin à travailler et on a peu l’occasion de rencontrer d’autres femmes. L’association offre un réseau, une possibilité d’échanges si on a une question sur un client, un fournisseur, n’importe quoi», détaille Katharina Mowinckel. Même chose chez les Vinifilles. « À la base c’est un réseau d’entraide », explique Françoise. Mais plus qu’un réseau, il est devenu un groupe d’amies. « C’est plus agréable de partir avec deux copines. Ça change tout ! », s’exclame-t-elle. Pour Valérie, le travail en groupe apporte une valeur ajoutée incontestable à chaque vigneronne et puis « quand on fait les choses à plusieurs, c’est plus sympa ! »

Si se rassembler apporte de la convivialité à ces femmes, c’est aussi et surtout un outil de communication essentiel. Alors qu’il y a vingt ans on regardait d’un drôle d’œil une femme qui gérait seule son domaine, aujourd’hui c’est quasiment devenu un argument de vente. Katharina est dans ce cas et pour elle « le fait d’être une femme c’est même positif, c’est presque un avantage ». Valérie Ibanez le constate également : « C’est une façon de se démarquer commercialement. » Être une femme vigneronne ferait donc vendre, mais les femmes font-elles des vins pour autant féminins ?

Des « vins féminins » ?

Pour Thierry Daulhiac c’est incontestable, le vin ressemble à son ou à son/sa vigneron(e). « On reconnaît les caractéristiques d’une personne dans le vin : une femme va amener plus de finesse et d’élégance dans son vin, alors qu’un vigneron grossier fera un vin massif. » Gaëlle Reynou-Gravier de So femme et vin n’est pas de cet avis. « Les gens qui gouttent nos vins ne disent pas ‘ah, ça c’est un vin de femmes’ ! » Pour la présidente du Sud-Ouest c’est la manière de voir le vin qui est différente et non le vin en lui-même : « Cibler les femmes, c’est réducteur. » On laissera votre palais trancher sur la question. Féminin ou non, ces femmes ont choisi de concevoir un vin bien particulier : un vin bio.

Le vin bio se conjugue-t-il au féminin ?

Chez les Vinifilles 60 % sont en bio, contre une moitié pour So femme et vin. Y-a-t-il plus de femmes dans le vin bio que dans le vin conventionnel ? Difficile à savoir, aucun chiffre ne le démontre. D’après Thierry Daulhiac, « la femme qui devient mère est plus sensible à une nourriture saine ». Ce qui expliquerait son choix du bio, un choix philosophique et idéologique d’après Isabelle, sa propre femme. Lui est venu au bio pour se rapprocher du terroir, pour revenir à une technique plus proche de la nature et non forcément dans l’idée première de faire un produit plus sain. « La question de la santé est plus féminine », selon Isabelle. Elle explique que la femme est plus préoccupée par l’environnement et la santé humaine : « Elle a une fibre maternelle, féminine, qui la rend plus consciente des problèmes environnementaux.»

Qu’il soit bio, naturel, rouge, blanc, rosé, en fût, ou en bouteille, le vin des femmes est bon, et après tout, c’est tout ce qui compte !

Les vétérans de Millésime Bio

L’édition 2016 du salon Millésime Bio a réuni près de 900 exposants venant de 15 pays différents et plus de 4 500 visiteurs. Pourtant, à sa création en 1993, il regroupait une petite dizaine de vignerons tous issus du Languedoc-Roussillon. Il y a 20 ans, Olivier, Gilles, Thierry, Bernard, Dominique, Patrick et Jacques étaient loin de se douter que le salon prendrait une telle ampleur. Focus sur ceux qui ont fait Millésime Bio.

Pas de Millésime Bio sans Sudvinbio. Le Salon est né de l’association interprofessionnelle Sudvinbo créée en 1991 par quelques vignerons pratiquant l’agriculture biologique dans la région du Languedoc. Autrefois nommée AIVB (Association Interprofessionnelle des Vins Biologiques du Languedoc-Roussillon) elle a été rebaptisée Sudvinbio en 2012. Parce que c’est tout de même plus simple à dire.

Quatre bouteilles et huit copains

En 1993, une poignée de vignerons du Languedoc décide de se réunir « en janvier pour déguster le millésime », précise Thierry Julien, vigneron du Mas de Janiny et trésorier de Sudvinbio. « On était même pas une dizaine à l’époque. » Ils se retrouvent au Mas de Saporta à Lattes, la Maison des vins devenue un lieu emblématique des vins du Languedoc-Roussillon. Ils avaient quatre bouteilles chacun, « c’était plus une réunion entre copains, même pas un salon », se rappelle Thierry.

L’aventure commence au Mas de Saporta, puis le salon prend place une dizaine d’années à Narbonne, un an à Perpignan, et enfin Montpellier. Un long parcours vers le succès qui était loin d’être de mise au départ. « On se foutait de nous c’était minable ! Le bio c’était considéré comme des fumeurs de havanes. On n’était pas pris au sérieux sauf par les Allemands, les étrangers. Les Français sont arrivés bien plus tard », se souvient Thierry. Dominique Pons, vigneron du Domaine des Cèdres, confirme. « Il fallait y croire au vin bio à l’époque ! C’était pas terrible terrible au début mais je suis content de l’ampleur que ça a pris aujourd’hui. »

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15 à Lattes, 34 à Narbonne, 900 à Montpellier

-258.jpg En 1995 à Lattes, il y a trois acheteurs et quinze producteurs dont Bernard Delmas, vigneron de la Blanquette Delmas bio un des pionniers du salon. Il n’expose pas aujourd’hui, il est venu comme visiteur voir les copains. « À l’époque c’était du vin en vrac, il fallait commercialiser le Millésime de l’année. Aujourd’hui c’est différent, il y a eu un changement, le consommateur est plus proche du produit. »

Au fur et à mesure le salon s’agrandit, il s’élargit à d’autres territoires du bio. Patrick Boudon, du vignoble Boudon en Gironde est arrivé en 1998. Ils étaient 34.« Je fais du bio depuis 53 ans, à l’époque on était en recherche de contacts. Des cavistes, des acheteurs, tous les gens qui gravitent autour du milieu du vin bio. » Pour Patrick le début des années 2000 c’est l’âge d’or du salon. « Ça marchait mieux qu’aujourd’hui. Depuis 10 ans je viens ici pour rencontrer mes clients mais c’est plus la même chose, c’est dilué, trop grand. Le salon est victime de son succès. »

Aujourd’hui, ces vétérans du bio qui y ont cru alors que les autres savaient à peine ce que c’était se mélangent aux récents convertis. «Je suis tout de même content qu’il y ait de plus en plus de vignerons en bio», sourit Dominique. Être un vétéran du salon, une plus-value ? Pas du tout. « Les acheteurs ne sont pas trop sensibles à l’ancienneté. Ça sensibilise plus le grand public que l’acheteur. » Apparemment il n’y a que le vin qui se bonifie avec le temps.

TOP 5 des vins « enfantins » à Millésime Bio

Cette semaine nous avons parcouru toutes les allées du Salon Millésime Bio (oui, toutes !) à la recherche des noms de vin les plus originaux. Nous avons demandé aux vignerons quelle est l’histoire qui se cache derrière ces noms atypiques. Ils livrent des anecdotes tantôt drôles tantôt attendrissantes.

Aujourd’hui les vins des « bambins », issues de jeunes vignes dont le nom fait souvent référence aux enfants des vignerons.


Rêve de gosse – Le clos Roussely

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Comme un doux parfum de nostalgie. Ce vin est le rêve d’un enfant devenu grand. Vincent a racheté les vignes de son grand-père il y a 15 ans et l’a combiné avec la passion de son père pour les camions. Une délicieuse cuvée tri-générationnelle.




Les bambins – Clos des Augustins

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« C’est le fruit de l’amour, C’est le fruit du labeur, Le bonheur de les élever, Retrouvez dans vos verres, Un peu de cet amour sur terre ». Poème de Frédéric et Pauline, les « vignerons heureux » qui ont créé ce vin dédié à leurs enfants.




Les gamines – Abbaye Les Champs

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Les gamines, ce sont celles d’Alain et Isabelle leur deux petites filles de 8 et 10 ans. Mais c’est aussi la première cuvée, celle des jeunes vignes.




Les Pitchounettes – Domaine les 4 vents

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Double clin d’œil pour les Pitchounettes : pour les trois filles de Lucie, vigneronne du domaine les 4 vents, ainsi que pour la cuvée de ses toutes premières vignes. Les Pitchounettes, des vignes toutes jeunes et toutes mignonnes.




Le Jouet – Domaine des enfants

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Un terrain de jeu pour son vigneron, ce vin était une manière de tester des nouvelles expériences avec les cépages. Mais un jouet à utiliser avec modération.

Azeddine Bouhmama, l’iconoclaste du Pic Saint-Loup

Azeddine Bouhmama est le gérant du domaine Zumbaum – Tomasi , un des plus prestigieux du Pic Saint-Loup. Il y a vingt ans, il plante les premières vignes bio de la région sous le regard dubitatif des autres vignerons. Aujourd’hui tous ses vins sont médaillés et reconnus. Rencontre avec celui qui se définit comme «le cœur du domaine».

Pull jean et basket, œil vif et sourire rieur, Azeddine Bouhmama, franco-marocain, la quarantaine, ne ressemble pas au vigneron d’un village perdu entre Méditerranée et Cévennes. Pourtant, c’est à lui que le domaine Zumbaum – Tomasi doit sa réputation. Situé à Claret, à une vingtaine de kilomètres de Montpellier, le domaine revêt la prestigieuse appellation Coteaux Pic Saint Loup et le label de l’agriculture biologique. Azeddine, ne se prédestinait pas au vin, et pourtant le hasard et les rencontres l’ont mené à construire sa vie autour de ses vignes.

« Je suis venu dans le Sud pour faire les vendanges, pour gagner trois sous comme tous les jeunes à l’époque »

L’été 87, à 20 ans Azeddine quitte les Ardennes pour venir faire les vendanges dans le Sud. Tailleur de pierre formé par les compagnons du devoir, il commence à travailler à Claret comme maçon. Il rencontre Jorg Zumbaum, un allemand qui vient d’acheter un terrain de 25 hectares à l’entrée du village, sans encore trop savoir quoi en faire. Azeddine commence par rénover la cave. Et puis l’été tire à sa fin, mais impossible de partir pour le jeune homme. «Je suis restée ici à cause d’une fille en vérité.» Cette fille c’est son ex-femme, Katy, une espagnole mère de ses trois enfants. «C’est grâce à elle si je suis là aujourd’hui
Jorg Zumbaum lui propose de planter des vignes sur ses terres. «Il n’est pas vigneron du tout, et moi non plus», raconte Azeddine. Le propriétaire du domaine, très sensible à la nature lance l’idée de faire un « produit naturel ». En 89, il fait l’acquisition de 4 hectares d’anciennes vignes, mais le processus est long pour obtenir les certifications de l’agriculture biologique. En attendant Azeddine, encore maçon, va bâtir de ses mains le caveau, fait uniquement des pierres du domaine.
En 1994, le domaine devient officiellement bio et classé dans l’appellation de renom Coteaux Pic Saint-Loup. «On ne parlait pas de bio à cette époque. On est partis à faire du bio sans le savoir vraiment. On s’est lancé comme des amateurs.» Enfin, pas tant que ça. Azeddine suit alors une formation BPA (Brevet professionnel Agricole) en viticulture. Le tout jeune vigneron laboure les vignes avec Pipi et Lauretta, ses deux chevaux en photo sur le mur en pierres de la réception. «Quand on a commencé à faire du bio, ici tout le monde nous prenait pour des fous.» La première récolte de 1997 produit moins de 3 000 bouteilles d’un vin de grande qualité. Les prémices du succès…

« À l’époque quand je suis arrivé j’avais l’impression qu’ils n’avaient jamais vu un black »

Azeddine Bouhmama a la double nationalité. «Je suis marocain et français. Les deux. Soi-disant aujourd’hui c’est pas bon mais je préfère garder la double nationalité», affirme-t-il avec un sourire en coin. Quand l’allemand et le franco-marocain s’installent à Claret, il y a alors 300 habitants, contre 1 600 aujourd’hui. Les villageois posent un regard méfiant sur ces deux étrangers qui plantent ces drôles de vignes bio qui font ricaner tout le monde. «Quand je suis arrivé ici je me suis dit mais qu’est-ce qui se passe là Azeddine ! Tu es revenu 20 ans en arrière. Toutes les petites vieilles de Claret, c’est véridique, elles avaient peur de moi. J’étais le premier black à l’époque.» Le vigneron l’affirme, l’accueil fut loin d’être chaleureux. «On n’a pas eu un bon accueil de la part des autres vignerons. On a fait notre business tranquille, on ne regardait pas les autres.» Désormais, la majorité du Pic Saint-Loup s’est transformé en bio. «Pas grâce à nous, mais on a montré le chemin

Le travail bien fait, parfait

Aujourd’hui le domaine produit environ 40 000 bouteilles par an. 25 000 de rouge, 4 000 de blanc et 7 000 de rosé. Un petit domaine, à la réputation bien scellée. Sur le mur de la réception, des dizaines de prix sont affichés : médaille d’or Signature bio, médaille d’or au Concours des grands vins du Languedoc ou encore médaille d’or Millésime bio. Un palmarès remarquable dont ne se vante pourtant pas le producteur. «Tous les vins sont médaillés, aujourd’hui tous en or. Mais je ne compte pas trop les médailles, je ne suis pas trop médailles et tout ça quoi voilà», balbutie-t-il. Pourtant, rien n’a été simple. «C’est stressant, faut pas croire que c’est facile. Depuis la taille jusqu’à la récolte. Les maladies, le mauvais temps, on sait jamais si ça va être une bonne année.» Même si une part de chance existe, pour Azeddine un seul mot d’ordre : le travail. «Il faut travailler. J’aime que le travail soit bien fait, parfait, même si j’aime pas trop ce mot. Je suis très droit dans n’importe quel travail, il n’y a pas que le vin, c’est un tout.» Jorg Zumbaum le décrit comme un homme discret, qui parle peu mais agit efficacement. Un homme en qui il a entièrement confiance, avec qui il partage la même passion. Même si le propriétaire, qui habite en Allemagne, ne vient pas souvent, ils restent très liés. «C’est comme un père et un fils, on travaille en confiance. Ses enfants ont le même âge que moi. On est amis depuis 26 ans », confie Azeddine. Selon lui, Jorg Zumbaum ne cherche pas à faire fortune avec ce domaine. «C’est pas rentable pour lui, c’est un passionné». Il a deux autres domaines, un en Corse et un Toscane. Même si Zumbaum en est officiellement le propriétaire, le domaine est entièrement entre les mains Azeddine Bouhmama. La relève ? Pas pour les enfants du gérant. «Ils font ce qu’ils veulent mes enfants, sauf du vin. Je leur souhaite autre chose», tranche Azeddine.

-202.jpg Pendant l’entretien la grosse porte médiévale s’ouvre et un ouvrier demande en arabe un conseil à Azeddine. Il est en train de tailler les vignes avec quatre autres salariés. «Ça reste familial, c’est un petit domaine.» En haut de la mezzanine qui surplombe la pièce, deux femmes s’affairent. Depuis deux ans le domaine s’est lancé dans l’œnotourisme sur idée de Joana, son bras droit, et Azziza, sa femme, qui cuisine le magret de canard et le couscous traditionnel pour ses hôtes. «Moi ça me fatigue, je suis pas comme ça », soupire le vigneron, «mais ça amène du monde, je suis d’accord avec elles. C’est bien, ce sont des travailleuses les femmes.» Elles gèrent avec lui toute l’exploitation. C’est Joana qui représente le vignoble au salon Millésime Bio cette année. «Tous les ans on le fait, pour moi c’est important», affirme le gérant. Le domaine Zumbaum – Tomasi est un incontournable du salon, il y est présent depuis sa création à Narbonne dans les années 90. «On était une quinzaine à l’époque», se souvient Azeddine.

Posées sur des tonneaux, à côté d’une horloge comtoise et d’un tableau d’épices, les bouteilles attendent les visiteurs. Le Clos Maginiai 2010, médaillé d’or à Signature Bio, trône en chef : «Robe profonde, reflets de jeunesse. Nez typé et engageant, aux accents de cerise noire, de cassis, de groseille, arrière-plan épicé. Bouche souple, à la chaleur maîtrisée. Un pic saint-loup séducteur.» Quoi de plus parlant que son vin pour décrire Azeddine.

Sylvain Fadat, vigneron pas si fou que ça

Sylvain Fadat est un ultra du bio. Son domaine d’Aupilahc, situé à Montpeyroux pratique la culture biologique et biodynamique. Rencontre à l’occasion du salon Millésime Bio.

Il se veut plus bio que bio. Sylvain Fadat, vigneron du domaine d’Aupilhac près de Montpellier, a pourtant commencé voilà 25 ans en produisant du vin conventionnel. « Les chercheurs étaient à l’ouest ! Ils nous disaient que ce n’était pas dangereux. Moi qui utilisais du Roundup dans les champs, j’ai été empoisonné par les insecticides, victime de fièvres et de vertiges », se souvient avec agacement ce fils d’agrégés en sciences. Cette prise de conscience le pousse à rejeter les pesticides. D’agriculture raisonnée, il passe en agriculture biologique pour enfin être aujourd’hui en biodynamique. Une transition « logique » selon lui. Il s’en porte mieux, ses vignes aussi.
Tout n’a pas toujours été aussi simple se rappelle Sylvain : « Au début, la vinification était faite dans des citernes de camion. Les caves n’existaient pas. Nous avons tout construit, même les caves ! »

De Biologique à Biodynamique

Bio dans l’esprit et dans les actes depuis ses débuts, Sylvain n’a pas été pressé de le devenir officiellement. « Trop de paperasse » s’exaspère celui qui produit désormais 130 000 bouteilles pour 25 hectares répartis entre les lieux dits Aupilhac et Cocalière. Il se fait tout de même certifier bio par Écocert en 2006. Une simple étape pour ce personnage proche de sa terre et de ses vignes pour qui le bio n’est pas suffisant. En 2014, le domaine passe en agriculture biodynamique. Il est officiellement certifié la même année par le label Demeter (qui n’apparaît pas sur ses bouteilles). Cette méthode, encore assez méconnue mais faisant de plus en plus d’adeptes, se base sur l’homéopathie naturelle pour soigner les plantes. Elle utilise des techniques surprenantes comme du fumier de bovin enterré dans des cornes de vaches durant l’hiver puis déterrés et mélangés à de l’eau. Très riche pour la vie microbienne et l’humus, cette préparation participe à la vie du sol. Le tout en corrélation avec le calendrier lunaire. Sylvain justifie ce tournant : « C’est une question de bon sens paysan. La biodynamie active la vie dans les vignes. Les plantes nous envoient des signaux qui nous font découvrir leurs facultés de résistance ». Taxé d’ésotérisme, voire de mysticisme par ses détracteurs, notamment pour l’utilisation du calendrier lunaire, Sylvain s’offusque : « On n’est pas des illuminés. La lune à des effets sur l’eau, sur nous, sur la vigne. Il n’y a pas de doute ! ».

Une philosophie humaine

Engagé dans ses vignes, le vigneron Fadat l’est aussi avec les gens. Il a toujours privilégié les relations sur la durée avec sa clientèle de cavistes, restaurateurs et particuliers. « J’ai une clientèle fidèle depuis 25 ans, avant même d’être certifié, qui me fait confiance ». La confiance, le rapport humain : deux valeurs fondamentales à ses yeux. « Si un caviste fait du bon boulot, je ne vais pas voir quelqu’un d’autre, j’essaye que les gens ne se concurrencent pas. J’essaye d’être le plus possible à l’écoute de leurs problèmes, de faire le meilleur vin possible ». Vendu à 75% à l’export, son vin est présent dans 29 pays. Japonais, américains s’arrachent ses bouteilles mais le gros du business se fait avec les Canadiens (20 000 bouteilles par an). En Corée, il ne vend son breuvage qu’un un seul client : « Il a mon exclusivité morale, je lui fais confiance ».
Chef d’entreprise en mode plutôt alter, Sylvain Fadat garde les pieds sur terre ou plus exactement dans sa terre de Montpeyroux.