Pierre Marie Ganozzi est professeur d’Histoire Géographie au Lycée Albert Schweitzer du Raincy (93). Il a étudié en 1997 dans le cadre de sa maîtrise d’histoire le mouvement étudiant de mai 68 à Montpellier.
Quand débute le mouvement étudiant à Montpellier ?
Dés le mois de février ! Le 14, la Fédération Universitaire, la Fédération des Résidences Universitaires de Montpellier (FRUM) et l’UNEF organisent un meeting à la cité universitaire du Triolet pour demander une réforme du règlement intérieur. Les revendications portent essentiellement sur des questions de mixité, afin que les mineurs[[ La majorité était alors à 21 ans]] de sexe opposés puissent se rencontrer, et que les couples majeurs non-mariés puissent avoir des aménagement. Il est aussi question de liberté de regroupement politique. Le meeting est un succès, il réunit 2000 personnes, soit plus de la moitié des résidents de la cité. Beaucoup de gens se reconnaissent alors dans l’UNEF et dans les fédérations universitaires. Le règlement sera réformé en faveur des étudiants début mars.
Comment se déroule la suite des événements ?
Dans la foulée des événements parisiens. Il existe à Montpellier aussi un comité Vietnam, dans lequel on retrouve des militants de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire (JCR) et des Etudiants Socialistes Unitaires (ESU). Des délégués de l’UNEF Montpellier sont présent le vendredi 03 mai à la Sorbonne. Le meeting qui devait avoir lieu dans le local de l’UNEF est déplacé car le local a été incendié la veille par le mouvement Occident. Le rassemblement se tiendra alors de façon sauvage, et sera évacué par les forces de police avec beaucoup de violence.
Les délégués Montpelliérains rentrent de Paris le dimanche soir et dés le lundi matin, ils tractent et circulent dans les amphis de la fac de lettres pour raconter ce qui s’est passé. La faculté se met alors en grève, ce sera l’une des premières de province. Le fait d’avoir des témoins direct des événements va accélérer le processus par rapport à d’autres villes qui n’ont que les échos de la presse.
Les facultés de Montpellier sont alors bloquées ?
Non. Il n’y aura pas de blocages à Montpellier en 1968. les enseignants et les étudiants font la grève sur le tas, donc il n’y a pas lieu de bloquer. Des assemblées générales se tiennent toute la journée.
Le mouvement étudiant montpelliérain a t’il beaucoup de lien avec le mouvement parisien ?
Oui, en permanence. Les étudiants on prit possession du secrétariat, ce qui leur permet d’être en communication constante avec Paris. Luc Barret, le président de l’UNEF à Montpellier deviendra d’ailleurs plus tard en 1969 le président de l’UNEF au niveau national.
Quelles sont les spécificités du mouvement Montpelliérain ?
La principale est qu’il existe à Montpellier une relation étroite entre le mouvement étudiant et le mouvement salarié. On ne peut pas vraiment parler d’ouvriers, il s’agît surtout des cheminots. Les syndicats collaborent au sein de l’intersyndicale qui regroupe l’UNEF, la CGET, La CFDT, La FEN et FO. Ce n’est pas le cas partout, loin de là. A partir du 18 mai, et pendant une dizaine de jours, l’intersyndicale se réunira d’ailleurs à Paul Valery. Des comités sont mis en place pour aller chercher des vivres directement chez les paysans pour nourrir les grévistes, étudiants et salariés.
Quelle interprétation peut-on avoir de cette entente ?
Montpellier ne représente pas d’enjeux politiciens. L’attitude du PCF ici n’est pas du tout celle de sa direction parisienne. Les syndicats collaborent donc sans arrière pensées.
Y a t’il d’autre particularités ?
Oui, les événement se sont déroulés sans violences à Montpellier. On trouve des étudiants gaullistes en médecine et quelques membres d’Occident en droit, mais ils ne se sont pas trop montrés. Un jour, la rumeur d’une descente d’Occident à Paul Valery a couru. Le service d’ordre de la CGT est allé prêter main forte à l’UNEF. Finalement, Occident n’est pas venu. Le 31 mai lors de la manifestation de soutien à De Gaulle, l’extrême droite a manifesté dans un cortège distinct.
L’ambiance générale était bon enfant à Montpellier. A titre d’exemple, en médecine, malgré la fermeture de la fac, les étudiants se sont organisés pour aller nourrir les animaux cobayes afin que ceux-ci ne souffrent pas de la grève.
Comment le mouvement prend-il fin ?
Un peu comme partout. Fin mai, De Gaulle dissout l’assemblée nationale. On est au lendemain du protocole de Grenelle. L’Union des Etudiants Communistes (UEC) considère que c’est un succès, et se lance dans la préparation de la campagne. Les ESU sont plus méfiant mais quittent tout de même la grève pour entrer en campagne. Les ligues d’extrême gauche sont dissoutes. Le militantisme devient difficile dans la clandestinité. Pourtant, leurs effectifs ont largement augmenté. La JCR est passé de 15 à plus de 300 membres durant le mouvement.
Qu’est-il resté du mouvement Montpelliérain ?
Des idées en premier lieu ! L’assemblée constituante mis en place le 13 mai à Paul Valery comprenait 30 enseignants, 30 assistants, 30 étudiants et 10 administratifs. Leurs idées ont contribué à l’élaboration de la réforme Faure.
Ensuite, c’est à Montpellier que l’idée des universités populaires est allé le plus loin. L’idée était d’ouvrir les murs de la fac à tout le monde durant l’été. L’expérience a débuté à Paul Valery. Le 07 juillet, le doyen fait évacuer les lieux avec l’aide de la police. L’université d’été va alors se réfugier dans la salle des rencontres prêtée par les frères dominicains. Il faut tout de même nuancer. Si les conférences ont duré jusqu’à début août, peu de gens y ont prit part.
Vous avez étudié mai 68, aujourd’hui vous êtes enseignant dans le secondaire. Pensez-vous que mai 68 ai laissé un héritage aux mouvement étudiants ?
Non. L’héritage de mai 68 ne se situe pas dans cette sphère. Je n’ai pas vu les braises de 68 souffler sur les dernières grèves lycéennes ou étudiantes. C’était peut-être vrai en 1986, mais depuis 1995, d’autres référents se sont mis en place. Pour moi, les déclarations du président Sarkozy sont anachroniques. Ça n’a pas de sens de vouloir « en finir avec 1968 ». C’est un problème. Jusqu’à présent, l’événement n’était envisagé qu’à travers des témoignages ou du ressenti. Soit on mythifie, soit on diabolise mais on le traite rarement dans sa globalité et sa complexité. Le temps de l’Histoire est venu. D’ailleurs, cette année, il me semble que ce qui sort en librairie est plus intéressant.