La Polynésie loin des yeux, près du cœur

Plus de 15 000 kilomètres séparent la France de la Polynésie. Vairea vient de là-bas. Elle s’est aventurée à Montpellier pour poursuivre ses études. Loin des eaux cristallines de Tahiti et ses îles, elle étudie, gère l’éloignement et s’adapte. Elle témoigne de l’intégration pas toujours évidente des étudiants ultramarins. Portrait.

-251.jpgL’oreille auréolée de sa fleur de Tiaré qu’elle « ne quitte jamais », Vairea vit à Montpellier depuis trois ans et « s’adapte tous les jours ». Originaire de Fakarava, atoll situé dans l’archipel Tuamotu en Polynésie française, la jeune étudiante assume ses origines : « Dans la foule, je suis la seule à marcher en claquettes, à porter des vêtements de couleurs fluos : on ne peut pas dire que je me fonds dans le décor ! », s’amuse-t-elle. Un « choc culturel » qui, parfois, fait émerger des préjugés : « On m’a déjà demandé si on parlait français en Polynésie et comment j’avais fait pour venir jusqu’en métropole ! » , termine Vairea d’un ton légèrement moqueur.

L’air serein mais déterminée, l’étudiante voulait « sortir de là-bas », voguer vers d’autres horizons. « Dans les îles, il n’y a que de l’eau autour ! », s’exclame-t-elle. Elle pointe également l’attrait intellectuel : « L’offre universitaire est très restreinte en Polynésie. Si on a les moyens et la possibilité de partir étudier ailleurs, il ne faut pas hésiter. » Malheureusement selon elle, certains de ses camarades insulaires « manquent souvent d’ambition ». Des aspirations, Vairea, elle, en a. Elles ont été nécessaires pour braver les difficultés. Celles de l’inscription universitaire à gérer à distance « que de paperasse ! », s’écrit-elle. Puis celles du logement : « Pour trouver un appart’, il faut s’armer de patience : ici, on n’accepte pas les garants Polynésiens. » Malgré le statut de collectivité d’outre-mer de la Polynésie française, « qui n’a pas changé grand-chose » selon l’étudiante, les obstacles administratifs restent un frein même pour le plus motivé des ultramarins.

S’intégrer sans renier ses origines

-250.jpg« L’éloignement, c’est pas tous les jours facile », admet Vairea. Impliquée et fière de ses origines, elle est membre de l’association montpelliéraine AEPF (Association des étudiants de Polynésie française). Au programme : accueil et accompagnement des étudiants, « un soutien moral ». L’association propose pléthore d’activités parfaites pour se regrouper, « les Polynésiens sont très fêtards », confie-t-elle.
Des événements ouverts au-delà du cercle estudiantin dans un but social et culturel. Car peut-être encore plus que les autres DOM-COM (départements et collectivités d’outre-mer), les Polynésiens sont très attachés à leur culture au risque de peu se mélanger avec les autres étudiants ultramarins : « On n’a pas trop de rapport avec les autres outre-mer », admet Vairea, « il est vrai que chacun a ses spécificités et sa culture ». Dès lors, ces interludes sont des moments privilégiés, nécessaires pour palier le mal du pays. Pour autant, l’étudiante ne se contente pas de ces seules réunions. Elle est d’abord heureuse des possibilités qu’offre la métropole sur le plan des relations humaines : « Je rencontre des personnes venant d’horizons différents, c’est toujours très enrichissant. » Enchantée également du potentiel culturel : « Quand on vit dans les îles, on a aussi vite fait le tour des activités alors qu’ici, il y a toujours quelque chose à voir ou à faire », s’enthousiasme-t-elle.

Un mode de vie pour trouver le juste milieu entre s’adapter tout en restant fidèle à sa Polynésie natale. Pas si évident. Parfois, l’intégration passerait, d’après Vairea, par « le phénomène d’acculturation que d’autres Polynésiens s’imposent pour être acceptés ». Dès lors, « certains renieront leur culture, gommeront leur accent et s’intègreront parfaitement à la vie métropolitaine », indique-telle légèrement désabusée.

Ces propos politiques qui freinent l’intégration

-249.jpgQuelques fois aussi, certains propos ne vont pas aider à l’intégration des étudiants ultramarins. Ceux tenus par la députée européenne Nadine Morano résonnent encore. Forcément interloquée, Vairea se dit « fatiguée de ce genre de propos », surtout quand les Polynésiens « sont plus dans la retenue ». Pour l’étudiante, la députée est « une illuminée ! » qui nie totalement l’apport des outre-mer : « La Polynésie, c’est 80 % de la zone maritime française, c’est aussi là-bas qu’il y a le centre d’expérimentations nucléaires du Pacifique (CEP)… ». Pour elle, tenir de tels propos, c’est renier l’histoire de la France : « C’est oublier la conquête impérialiste. C’est aussi omettre que la France est une terre d’accueil, un pays mixte, c’est d’ailleurs ce qui fait la beauté du pays. Moi, j’aime profondément la France ! », clame-t-elle pleine d’engouement. Un discours politique que Vairea juge déséquilibré : « Quand le Président François Hollande se rend en Polynésie, il est accueilli comme un roi, parce que les Polynésiens aiment la France et sont fiers d’être Français. »

-252.jpgSelon Vairea, il y a un autre fossé qui sépare parfois les métropolitains des insulaires, à savoir « la méconnaissance de la politique des outre-mer », même si l’étudiante admet que la Polynésie n’est pas vraiment un modèle de ce côté-là… En France, qui connaît aujourd’hui Edouard Fritch, le Président Polynésien ? « On ne retient au final que l’absence d’impôt sur le revenu, les salaires désindexés, la balance budgétaire déficitaire », conclue-t-elle. Des raccourcis qui biaisent l’image de Tahiti en métropole d’après l’étudiante.

« La distance, les idées reçues, la méconnaissance des outre-mer, ne pas renier d’où l’on vient : les étudiants apprennent à gérer tout ça pour s’intégrer », résume Vairea. En éternelle optimiste, elle admet que la solitude permet de « révéler la gnaque » des ultramarins. De son côté, elle trace sa route et vit à fond son expérience métropolitaine et montpelliéraine. Depuis trois ans qu’elle étudie à Montpellier, on l’appelle toujours « la Tahitienne » et elle en est « fière » ! Elle résume ce voyage en une phrase : « Une contrainte physique et une ouverture philosophique. »

Fa’aitoito i to oe tere ! Soit : « bon courage et bon voyage » en langue Polynésienne.

Les déchets en outre-mer : le tri et le recyclage rament

Si le tri des déchets rentre peu à peu dans les habitudes des français, certains départements sont à la peine. C’est notamment le cas des territoires ultramarins. Dans le cadre de la COP21, Eco-Emballages, éco-organisme en charge du tri et du recyclage des emballages ménagers, propose une série d’actions pour augmenter les performances de ces territoires. Une opération plus compliquée qu’il n’y paraît.

Trier ses déchets : ce geste écolo n’est pas tout à fait entré dans les moeurs des départements et collectivités d’outre-mer (DOM-COM). Pour (re)motiver les citoyens ultramarins, Eco-Emballages, agréé par l’Etat, lance un plan de relance du recyclage dans ces territoires (hors Nouvelle-Calédonie et Polynésie Française qui, de part leur statut de Pays d’outre-mer, ne sont pas soumis au même Code de l’environnement).

L’enjeu est double : finaliser l’implantation des dispositifs de tri et améliorer la collecte des emballages ménagers là où elle existe déjà. Pour Véronique Héritier, responsable de La Réunion chez Eco-Emballages, « il convient de s’adapter à des mondes et à des réalités différents ». Et pour cela, elle l’affirme : « Il faut développer une autre économie du déchet pour chacun des territoires ultramarins. » Sous-entendu trier plus pour recycler plus, surtout lorsque les soutiens financiers de l’éco-organisme sont liés aux performances et restent essentiels pour atteindre l’objectif et lancer la machine.

Des DOM-COM peu trieurs

Car pour l’heure, on ne trie pas beaucoup ses déchets en outre-mer. En 2014, on parle d’une moyenne de 15,8 kilos d’emballages ménagers triés et recyclés : 9 kg en Guadeloupe / Saint-Martin, 10 kg en Guyane, 13 kg en Martinique, contre 45,9 kg en métropole. De bien maigres résultats sur des territoires où la préservation de l’environnement est intimement liée à l’attrait touristique. Véronique Héritier explique ces résultats par « la très lente installation des dispositifs ».

Quand la métropole a commencé à trier ces déchets dans les années 2000, c’est beaucoup plus récent dans la plupart des DOM-COM : A Mayotte, 100% de l’île est équipée d’un dispositif de tri des déchets, mais seulement depuis novembre 2013… A Saint-Pierre-et-Miquelon, la mise en place de la collecte sélective date de novembre 2014 alors qu’en Guyane, le premier centre de tri et la première collecte n’ont vu le jour qu’en septembre 2015… Pourquoi l’accélération du déploiement aujourd’hui ? « Le développement des dispositifs de tri est soumis à la loi européenne. Pour les territoires non-équipés, la France peut avoir des pénalités », précise Véronique Héritier. Des enjeux financiers qui incitent fortement l’Etat et les DOM-COM à devenir écolos sous couvert de la loi sur la transition énergétique.

Les Réunionnais sortent du lot

-142.jpgAvec 21,9 kg par habitant et par an d’emballages ménagers recyclables triés et recyclés, La Réunion est le DOM le plus performant. La raison ? Car « le département a lancé le tri dix à quinze ans avant les autres DOM-COM ». Mais pas que… Véronique Héritier pointe également « la motivation des élus et des personnels réunionnais que l’on ne retrouve pas toujours dans les autres territoires ». A La Réunion, il existe « une réelle volonté politique » qui serait au final incitative d’après elle. « Actuellement, si les collectivités réunionnaises ont réduit les fréquences de collecte dans une logique de baisse des taxes, de maîtrise des coûts et de réduction de l’emprunte carbone, elles ont aussi accepté de mener des actions de sensibilisation plus accrues », termine fièrement la responsable du DOM le plus trieur.

Parallèlement, des initiatives se mettent en place : « une collecte sélective des bouteilles de soda et de bière s’est développée sur l’île », indique Véronique Héritier. « Je crois en l’économie sociale et solidaire (ESS), particulièrement adaptée à l’outre-mer », lance-t-elle. L’ESS, une alternative pragmatique : « Les volumes actuels de déchets à recycler ne sont pas suffisants pour assurer le fonctionnement pérenne d’unités de traitement, et ce, même si la modernisation du seul centre de tri de l’île est en cours. »
Un manque de déchets recyclables à traiter souvent lié à l’implication de la population, au climat et à l’aspect financier. Et ce, dans tous les DOM-COM.

Pourquoi le tri et le recyclage ne décollent pas dans les DOM-COM ?

« Les territoires ultramarins sont isolés, denses et moins riches que ceux de la métropole. Cela freine considérablement les performances de tri », expose Véronique Héritier. En outre-mer, il y a une forte pression foncière, accentuée par des zones difficiles d’accès et des transports locaux coûteux. « La collecte est parfois une véritable gageure », soupire-t-elle.
À cela s’ajoute la convention de Bâle relative au transfert transfrontalier des déchets. De fait, les DOM-COM non-équipés d’unités de traitement in situ doivent, à prix fort, expédier les déchets recyclables vers la métropole : « Cela réduit les coopérations inter-DOM et avec les autres États de la même zone géographique », témoigne Véronique Héritier qui pense néanmoins que la sortie du statut de déchet de certaines matières va faire évoluer la règlementation.

-143.jpgAutre trouble-fête : le climat. En raison de l’hygrométrie, le papier et le carton sont par exemple difficilement valorisables si on les stocke trop longtemps. Les engins techniques trop innovants sont également sensibles. A Saint-Martin, Patrick Villemin, président de la société Verde SMX qui gère le site de recyclage-valorisation, avoue qu’il s’agit là de la plus grande difficulté : « Les coûts et les délais de livraison pour du matériel neuf nous freinent énormément. On essaie de gérer au mieux avec du matériel d’occasion : le système de débrouille est très important à Saint-Martin ! »

Puis il y a les coûts de gestion. En outre-mer, le taux de recouvrement des impôts ou redevances permettant de financer la collecte et le traitement des déchets est significativement plus faible qu’en métropole. Résultat : peu de projets d’investissement nécessitant des fonds publics et peu d’engagement des collectivités. « Il faut privilégier le recyclage uniquement lorsque les bénéfices sont supérieurs aux coûts », annonce Véronique Héritier.
Une démarche liée à l’implication de la population ultramarine qui doit inexorablement remplir ses poubelles de matières recyclables. A Saint-Martin, Patrick Villemin l’admet : « Il faudrait que le tri à la source soit de plus grande qualité. » Véronique Héritier renchérit en souhaitant développer une communication engageante :« nous devons insister sur les dommages locaux induits par les comportements inciviques. » Changer les habitudes : voilà peut être ce qui s’avèrera le plus ardu.

La COP21 : accélérateur de changement en outre-mer ?

-144.jpgAujourd’hui, les déchets génèrent des émissions de gaz à effet de serre lorsqu’ils sont traités (enfouis ou brûlés). Sachant que les DOM-COM sont plus sensibles aux changements climatiques, il y a urgence.

Présenté lors de la COP21, le plan de relance pour améliorer les performances de tri et de recyclage dans les DOM-COM sera peut-être l’élément accélérateur d’une prise de conscience écologique et d’une nouvelle économie en outre-mer.
Naviguer vers plus de tri et de recyclage, c’est aussi s’embarquer dans la création d’emplois dans des territoires où le chômage reste très élevé. Les déchets : une ressource à ne pas négliger.

En aparté avec Christiane Taubira

Christiane Taubira était, ce jeudi 28 janvier, l’invitée des associations étudiantes Racin’ et Polisud, quelques jours après les deux consultations successives des Guyanais et des Martiniquais sur l’avenir institutionnel de leurs territoires.

L’université Montpellier I a reçu, le jeudi 28 janvier, une invitée de marque : Christiane Taubira, députée de la première circonscription de la Guyane et ancienne candidate aux élections présidentielles de 2002. Dans un amphithéâtre noir de monde, elle a débattu avec les Montpelliérains sur la question « spécificités, citoyenneté de l’outre-mer, quels enjeux pour l’avenir ?« .

Un contexte qui s’y prête

Le hasard a bien fait les choses : la rencontre coïncide avec le résultat des deux consultations, les 10 et 24 janvier, portant sur le futur de la Martinique et de la Guyane. Taubira parle de la seconde consultation comme d’un « cadeau empoisonné« , d’une « réforme administrative a minima » sans « vrais enjeux » contrairement à la première.

Le 10 janvier, les électeurs de Martinique et de Guyane étaient appelés à se prononcer sur le changement de statut de leurs collectivités régies par l’article 73 de la Constitution française, pour un régime de plus large autonomie prévu par l’article 74. C. Taubira critique au passage le fait que l’on « consulte les gens sur un article avant de décider ce qu’on va y mettre dedans« . En cas de réponse positive, un projet de loi organique devait en effet fixer l’organisation de la nouvelle collectivité et ses compétences. Mais le vote fut négatif. En Guyane, le « non » recueille 69,8 % des suffrages exprimés, et en Martinique 78,9 %.

Ainsi, les électeurs ont été consultés le 24 janvier pour créer une collectivité qui exercerait les compétences dévolues au département et à la Région, tout en demeurant régie par l’article 73. Pour cette deuxième consultation, le « oui » l’emporte à 68,30% en Martinique et à 57,48% en Guyane. L’organisation et le fonctionnement de la nouvelle collectivité unique va donc se substituer au Conseil régional et au Conseil général.

« Avec des réalités spécifiques, peut-on parler de citoyenneté ? »

L’intitulé donné à la conférence par les étudiants de l’association Racin’ ne convient pas à Christiane Taubira. Au terme de « spécificités », elle préfère celui de « réalités ». Elle revient ainsi sur l’existence d’un régime de décrets : « ce sont des décrets gouvernementaux qui légifèrent les territoires d’outre-mer ».
Alors, elle se demande comment concevoir la citoyenneté malgré la différence. En effet, il existe des écarts « évidents » entre la métropole et les Dom-Tom.

D’abord, des inégalités économiques subsistent. Selon Christiane Taubira, elles sont dues à « l’ancienne économie coloniale » et à des « réflexes conservateurs et des réflexes de crispation« . L’outre-mer vit donc dans une « insécurité financière« . L’égalité sociale est très récente. L’alignement du SMIC et des allocations familiales sur la métropole date notamment des années 2000. De plus, elle critique la politique du gouvernement qui « néglige les politiques publiques, ce qui n’est pas bon pour la citoyenneté« . Pour elle, il faut établir une véritable égalité à l’éducation et aux soins : « la France est une république qui s’est fondée sur l’égalité, or c’est une fiction, la différence est bien présente« , s’exclame-t-elle. En faisant référence à Aimé Césaire : « ils se sentent Français entièrement à part, et pas Français à part entière« , elle voudrait passer à « un vrai universalisme« . Selon la député, il faudrait que la République se donne la « capacité à inclure et contenir la diversité du monde« . Ce n’est pas Joël Abati, présent, qui la contredira.

Une polémique toujours d’actualité autour de la loi Taubira

A la fin de la rencontre, une question des plus déroutantes est posée à Christiane Taubira par un étudiant : regrette-elle d’avoir donné son nom à la loi du 21 mai 2001 ? Il est à rappeler que la député guyanaise a donné son nom à la loi dite mémorielle tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. La loi dite « Taubira » soulève des critiques. Principalement de la part de certains historiens, tels qu’Olivier Pétré-Grenouilleau, qui jugent qu’elle limite l’esclavage à la traite européenne des Noirs.

Avec force, la députée répond qu’elle ne regrette « pas une seconde » son implication : « comment pourrais-je regretter de reconnaître que la traite négrière est un crime contre l’humanité ? Qu’est ce qui empêche que cela soit dit et écrit ? Il faut rappeler que pendant des siècles, l’humanité des personnes noires et métisses a été niée, dans les actes et dans des corpus de doctrines. De rappeler que c’est en se basant sur les écrits de la Bible et la désobéissance du fils de Noé, que les Noirs ont été réduits en esclavage de générations en générations. De rappeler qu’un système économique a été organisé autour de cela, un système inscrit dans le Code noir et basé sur l’exil forcé et le meurtre légal. Est-ce qu’il faudrait taire que cette éjection de millions d’hommes, de femmes, d’enfants, de la famille humaine est un crime contre l’humanité ? C’est un crime contre l’humanité, contre la mienne et contre la vôtre. Ce n’est que rétablir l’humanité dans son unité, dans son unicité, dans son intégrité. C’est tellement cela, que mise à part la France, la Terre entière est fière de cette loi ! » Elle ajoute que sur la base de ce texte, quatre régions administratives françaises (Bourgogne, Franche-Comté, Lorraine et Alsace) ont monté un programme touristique culturel et historique : la « Route des abolitions de l’esclavage« . Lancée en 2004, elle s’inscrit dans le projet international de la « Route de l’esclave » soutenu par l’ONU et l’UNESCO sur le devoir de mémoire.

Elle conclut sur cette question en rappelant que « cette expérience tragique de la traite négrière est une expérience hautement humaine. Autant elle montre qu’il n’y a pas de limites à la violence, à la brutalité, à l’inhumanité de l’humain, autant elle montre l’humanité transcendante de celui-ci. A travers ces esclaves qui refusent d’être écrasés, qui résistent dès le moment de la capture et qui vont résister sans arrêt, qui vont se jeter à l’eau préférant être mangés par les requins que d’arriver au bout de ce voyage d’horreur, ces esclaves qui font des mutineries, ces esclaves qui se battent sur les plantations, ces femmes qui découvrent les plantes qui vont les faire avorter pour qu’elles n’aient pas d’enfants sur les plantations, ces femmes qui vont découvrir les plantes qui vont empoisonner le bétail pour appauvrir le maître, les Amérindiens qui se solidarisent des esclaves marrons, les intellectuels européens qui se battent … Ce sont les résistances additionnées de tous ces hommes, de toutes origines, de toutes apparences, de toutes cultures, de toutes religions, de toutes langues, qui ont anéanti le système esclavagiste. Dire que c’est un crime contre l’humanité, c’est tout simplement dire la vérité et rendre hommage à ces millions de victimes. C’est rappeler que l’on choisit son camp : banaliser la monstruosité des négriers ou sublimer le courage des victimes et des philosophes européens. Et si jamais cette loi dérangeait un historien, non pas parce qu’il est historien, mais parce qu’il est négationniste et qu’il propage des thèses contraires aux valeurs morales de la République, contraires aux valeurs éthiques, je trouverais que c’est bien peu de chose.  »

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Hautcourant pose 3 questions à Christiane Taubira

Julie Derache : Que pensez-vous de l’actuel débat sur l’identité nationale initié par le gouvernement ?

Christiane Taubira : Cette histoire de débat n’a pas de sens. Le mot même de « national » est dangereux, il a une histoire chargée. En plus, les motivations à l’origine de ce débat sont connues : il est lancé par le Ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Des historiens ont démissionné de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration lorsque le candidat Sarkozy a dit qu’il allait créer un Ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Chose qu’il a effectivement fait par la suite. Les universitaires français ont été nombreux à dire que cette juxtaposition « identité nationale » et « immigration » est malsaine. Alors, avec ce débat, Sarkozy reste dans sa logique : crisper les Français et leur faire croire qu’ils sont en péril sur leur territoire. Ce genre de crispations a mené aux pires guerres nationalistes. C’est pour lui une étape supplémentaire. Elle entraîne les gens sur des chemins dangereux. Notamment en neutralisant l’épanouissement personnel dans la société. On leur dresse une sorte d’ennemi, une cible privilégiée. Par ailleurs, étudier l’évolution de l’identité française, et non nationale, est nécessaire et intéressant pour comprendre, en autres, les mécanismes possibles d’intégration. Des chercheurs le font. Notamment des sociologues et des historiens comme Suzanne Citron.

Ibra Khady Ndiaye : Alors que le gouvernement s’empresse de légiférer sur des questions comme le port de la burqa, de nombreuses discriminations demeurent au quotidien à l’égard des minorités. Que proposez-vous pour éradiquer ces discriminations ? Et, que pensez-vous du CV anonyme ?

Christiane Taubira : Il faut se battre contre les discriminations qui touchent toutes les minorités. Les personnes d’outre-mer subissent, en France, les mêmes discriminations que les autres immigrés. Ce sont des discriminations à l’apparence. J’ai connu cela étudiante, mes enfants aussi. Notamment pour la question du logement. J’ai toujours été contre le CV anonyme. C’est une connivence : au lieu de sanctionner les discriminations et le racisme, on les cache. Cela évite de pécher. Mais, la discrimination va se faire à l’étape suivante, pendant l’entretien d’embauche. Celui qui discrimine n’est pas sanctionné et va alors continuer. Il faut que les employeurs comprennent que l’on peut avoir n’importe quelle apparence et être compétent. Ils mettent en péril le « pacte républicain » en pratiquant la discrimination car ils annulent l’égalité de la citoyenneté. On ne s’accommode pas de cela, on sanctionne. En revanche, dans le cas de la burqa, les élites politiques sanctionnent, sévissent, car elles se sentent menacées par la moindre différence. Je suis contre la burqa mais je ne suis pas pour une loi non plus. Les hommes politiques ne cherchent pas à comprendre le phénomène, à comprendre comment on arrache les femmes de cela. Alors que les gens connaissent le chômage, perdent leur logement, sont dans le désarroi… leur problème le plus immédiat est : les femmes qui portent la burqa.

Laura Flores : Quel sera l’impact de la réforme des collectivités territoriales sur les départements d’Outre-Mer?

Christiane Taubira : On a déjà enlevé l’épine du pied à Nicolas Sarkozy avec la collectivité unique de la Guyane et de la Martinique. Je pense qu’il y a des tas de choses qui sont en danger avec cette réforme. C’est-à-dire que la collectivité unique a les mêmes compétences que le Conseil Général. Les premiers actes seront les réductions budgétaires : il ne nous faudra qu’un seul service financier, un seul service administratif, etc. En faisant cela, les capacités d’intervention vont être réduites ainsi que la logistique : la possibilité de porter l’action des élus. Le nombre d’élus, notamment ceux de proximité, va être diminué. Les gros budgets tels que le RMI vont en grignoter d’autres comme ceux du sport et de la culture. Cela me paraît inévitable aussi bien ici qu’en métropole. Je pense que les gens vont s’en mordre les doigts. Ceci étant, ils n’ont pas été nombreux à voter lors de la consultation.