Voilà vingt ans, Gilles Contrepois plaque tout pour changer de vie. L’informaticien parisien met le cap au sud et décide de devenir vigneron. A 53 ans, il gère aujourd’hui avec sa femme le domaine Grand Guilhem à Cascastel-des-Corbières, dans l’Aude. Chambres d’hôtes et vin bio : il a trouvé sa voie. Rencontre.
Que faisiez-vous avant de gérer le domaine Grand Guilhem et de vous lancer dans la viticulture bio ?
Je suis originaire de la banlieue parisienne où j’ai également fait mes études. N’étant pas trop mauvais en maths et ne sachant pas trop quoi faire de ma vie, j’ai intégré une école d’ingénieur. J’avoue que c’était une voie royale : j’étais sûr de trouver un travail à la sortie. Issu d’un milieu modeste, je me suis payé mes études. Même si le métier d’ingénieur n’était pas une passion en soi, j’ai vécu la vie parisienne à 100 %. Je sortais beaucoup, je rencontrais du monde. Après mes cinq années d’études, j’ai travaillé dans trois sociétés différentes, j’ai touché à tout : marketing, commerce, technique… Mon dernier poste était celui de responsable des ventes dans une société américaine, Oracle. Je gagnais très bien ma vie, à la limite de l’indécence !
Mais alors, comment passe-t-on d’une vie parisienne qui vous procurait argent et confort à vigneron dans l’Aude ? Quel a été le déclencheur ?
À 33 ans, j’ai commencé à m’ennuyer dans mon travail. Je trouvais que ce que je faisais était répétitif, limité. Je traînais des pieds pour aller travailler, ce qui est rarement bon signe ! J’ai commencé à réfléchir aux choses qui me faisaient vraiment vibrer. J’ai beaucoup voyagé et découvert le monde du vin. Puis j’ai toujours aimé le contact avec les gens. Allier ces deux intérêts me paraissait être une bonne idée. Le but était d’associer le côté solitaire du vigneron tout en gardant le contact avec les gens grâce aux chambres d’hôtes.
Pourquoi avoir choisi l’Aude, les Corbières, et ce domaine en particulier ?
Ce n’était pas une évidence au départ. Avec ma femme, nous avons visité beaucoup d’endroits en France. On a commencé par le Lot avant de se rendre compte que l’hiver est un peu rude et la mer beaucoup trop loin ! On a enchaîné avec le Bordelais : on était tentés par les côtes de Castillon, les côtes de Francs. Mais là, nous n’avons pas aimé la mentalité bordelaise : nous n’avons pas été très bien accueillis. On s’est alors rabattus sur le Languedoc où nous avions l’habitude de passer nos vacances. On s’est dit : c’est une belle région avec de bons vins, il y a des choses à faire. On voyait la possibilité de s’exprimer et de créer des choses nouvelles. Les Corbières sont vite devenues une évidence après un passage dans les Pyrénées-Orientales où on s’est sentis un peu prisonniers : milieu plus urbanisé et accueil là encore pas très chaleureux. On est passés par des agences pour trouver un domaine qui nous correspondait. Le domaine Grand Guilhem avec sa maison qui n’avait jamais été habitée sauf pendant la guerre nous a plus : un site doté de dix-huit parcelles très morcelées avec des lieux-dits et des cépages très différents. Et surtout du Carignan, un cépage qui me faisait rêver !
N’étant pas vigneron à la base, vous êtes-vous formé avant de vous lancer ?
Il a fallu s’installer en tant que jeunes agriculteurs. Pour cela, j’ai passé un bac pro agriculture par correspondance via le Centre National de Promotion Rurale (CNPR). Ma femme, elle, a obtenu un brevet d’aptitude professionnelle agricole. De mon côté, j’ai enchaîné avec trois BTS : viticulture œnologie, boisson vin et spiritueux, conduite et gestion d’une exploitation agricole. Avoir les diplômes était la base pour pouvoir s’installer et bénéficier de prêts bonifiés. Mais je n’y suis pas allé à l’aveuglette : lorsque je suis allé voir la banque, j’avais préparé un business plan avec perspectives pour l’avenir sur trois, cinq, dix ans.
Avez-vous rencontré des difficultés pour vous installer ?
Au départ, la banque des agriculteurs nous a découragé : « il faut tout arracher » nous lançaient-ils ! On a su qu’on n’avait pas eu les prêts par les habitants du village ! Tout ça était un peu étrange. Je n’étais pas préparé à cet obstacle-là. Au vu de mon projet et de mon ancien métier, je pensais que les banques allaient me dérouler le tapis rouge, et pas du tout ! L’objectif était de privilégier l’emprunt pour avoir une trésorerie, ne pas diluer nos économies et vivre confortablement. J’ai consulté le maire qui n’a pas souhaité trop se mouiller. Fort heureusement, d’autres structures se sont montrées plus motivées par le projet. Il faut dire qu’à l’époque, nous étions des jeunes parisiens qui souhaitaient faire vivre une maison inhabitée depuis des années et lancer une production de vin bio : nous étions une curiosité dans le village !
Au-delà du financement, comment avez-vous réussi à construire cette nouvelle vie ?
L’ancien régisseur du domaine, Jeannot, nous a beaucoup soutenu. Vigneron à la retraite qui ne souhaitait pas s’arrêter de travailler, il a été présent à chaque étape. En décembre 1997, quand tout a vraiment démarré, j’avais 35 ans, une femme et deux enfants en bas âge. A cela s’ajoute les travaux de la maison, les artisans à trouver, les vignes à s’occuper en pleine période de taille, les cours par correspondance, le montage de la société… Pendant trois ans, ma femme et moi n’avons pas dormi plus de trois heures par nuit ! Mais j’avais tellement envie que, encore aujourd’hui, les difficultés me semblent toutes relatives. J’étais prêt à remuer des montagnes pour y arriver. Au final, le plus dur à gérer était l’inquiétude de mes parents : l’éloignement, le changement de vie… D’autant que je suis à la base « gaucher de la main gauche », pas du tout manuel ! J’ai dû tout apprendre sur le tas !
Pourquoi avoir choisi la viticulture biologique ?
Mon objectif était de travailler comme un artisan, au plus près du raisin. Le bio était une évidence dès le départ, même si à l’époque ce n’était pas vraiment tendance ! Je suis passé pour un fou, j’ai beaucoup fait rire dans le village ! Car évidemment, on a des rendements inférieurs à ce que l’on a en viticulture conventionnelle. Mais je me considère comme simple locataire des sols et je n’ai pas envie de transmettre des terres mortes. Parallèlement, je n’ai pas envie de me faire du mal : quand on voit le nombre de cancers du cerveau chez les viticulteurs, ça fait peur ! Dans certains produits utilisés à l’époque il y avait de l’arsenic, c’est vous dire ! Mon souhait aussi est de proposer un produit qui fasse du bien, un vin qui me ressemble. Une cuvée « nature » issue de vendanges manuelles, vinifiée à partir de levure naturelle, avec aucun ou très peu de sulfites : du raisin et rien que du raisin !
Vous participez au salon Millésime bio à Montpellier. Que vous apporte cet événement ?
Cela fait dix ans que je participe au salon Millésime bio grâce auquel je trouve 80 % de mes clients. Le but est de ne pas être un vendeur de vin mais d’être présent. Je travaille avec des cavistes et des restaurateurs rencontrés au salon. J’ai fait le choix de ne pas courir les salons pour continuer à être présent dans les vignes. Millésime bio est sympathique mais c’est devenu énorme, peut-être un peu trop. C’est le reproche qu’on lui fait. Dès lors, des salons off se développent : chaque année j’admets me poser la question de continuer ou pas. Et tous les ans, au final, je reste fidèle pour honorer l’appellation et la certification. C’est un choix parfois mal vu par d’autres viticulteurs qui boycotte le côté « usine » du salon. Mais moi, j’aime sa philosophie : celle qui consiste à donner le même stand si on est jeune viticulteur ou viticulteur expérimenté, si on a 2 ou 50 hectares de vignes. Ce n’est pas le cas de tous les salons : sur certains, plus on a d’argent ou de parcelles, plus notre stand est important, je n’aime pas ça ! Malgré tout, je participe à deux autres salons : Expression des Vins Bio à Bordeaux (un off de Vinexpo) et Real Artisanal Wine à Londres.
Hors salons, je vends 20 à 30 % de mes produits au domaine : un tiers à l’export, un tiers aux cavistes et restaurateurs. C’est une répartition que j’essaie de préserver parce que la vente en direct, c’est forcément plus de marges.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent suivre votre exemple : se lancer dans la viticulture bio ou, tout simplement, changer de vie ?
Il faut d’abord être conscient que tout projet n’est pas voué à la réussite. Dès lors, la motivation et la réflexion sur la faisabilité économique du projet sont très importantes. Il est aussi nécessaire, quand on est en couple, de construire le projet à deux et de tenir compte des aspirations de chacun. Dans la viticulture bio plus précisément, être polyvalent est une obligation ! Tout comme avoir une âme de chef d’entreprise : s’occuper de la comptabilité, de l’encadrement des employés, du marketing, du matériel, des vignes… De notre côté, j’avoue que le fait d’ouvrir des chambres d’hôtes en parallèle nous a beaucoup aidé pour maintenir un lien social et pour la notoriété du domaine.
Quels plaisirs trouvez-vous dans votre métier ?
L’idée que des personnes boivent mon vin aux quatre coins du monde, je trouve ça top ! Le fait que le fruit de mon travail donne du plaisir aux autres : quand je reçois un SMS pour me remercier, je suis le plus heureux des hommes !