Dans le cadre des ateliers Varan, Sarah Limorté réalise son premier documentaire sur le thème : « Est ce ainsi que les jeunes vivent ?». Elle choisit de partager le quotidien de jeunes réfugiés afghans dans le village de Lassalle. Une problématique qui lui tient à cœur : « A Marseille, je suis impliquée dans les actions du collectif soutien migrants 13». Son intérêt est renforcé par la méfiance qu’elle observe envers ces jeunes croisés dans les rues et les commerces du village. « Il y avait souvent des discours hostiles à leur présence qui faisaient complétement contraste avec l’engagement des bénévoles». La réalisatrice marseillaise décide alors de montrer les difficultés de l’attente pour l’asile, de vivre ce processus de l’intérieur.
«Je suis allée frapper à leur porte. Je n’en menais pas large, j’étais un peu intimidée». Mais très vite, les jeunes l’accueillent, l’invitant à manger et à boire le thé. L’échange humain s’établit de manière évidente. La communication linguistique, elle, s’avère plus complexe. Le groupe d’afghans ne comprend pas immédiatement que Sarah Limorté souhaite faire un documentaire sur leur parcours. « Je pense que je suis arrivée un peu comme un ovni, le lien s’est créé mais de là à amener une caméra…». La contrainte de temps – un mois pour réaliser le documentaire – n’a pas favorisé l’instauration d’une relation de confiance. La seule expérience que ces jeunes avaient de l’image était l’agressivité des journalistes de Calais lors du démantèlement de la jungle. Certains d’entre eux étaient terrorisés à l’idée d’être retrouvés par les talibans. D’autres craignaient que le film ait un impact sur leur demande d’asile. A force de discussions, ils acceptent d’être filmés mais à une seule condition, conserver leur anonymat.
Tout l’espace cérébral est occupé par l’incertitude de l’avenir.
Une contrainte formelle qui va peu à peu devenir un choix esthétique. Pour ne pas filmer les visages, Sarah Limorté choisit d’explorer le gros plan : les mains, les pieds, le jeu, les exercices de français, le téléphone. « J’ai beaucoup tâtonné avec ma caméra, je ne savais pas trop au début comment m’y prendre, mais très vite cela m’a ouvert une porte sur des détails, des moments de forte concentration, de focalisation sur des choses pour passer le temps». Avec ces gros plans, Sarah plonge le spectateur dans l’intensité de chaque instant. Les vies sont en pause. Tout l’espace cérébral est occupé par l’incertitude de l’avenir. Face à l’attente d’un permis de séjour, les projections dans le futur sont impossibles. Pourquoi apprendre une langue, créer de nouvelles relations, faire un effort d’intégration si c’est pour être expulsé du pays dans les mois qui suivent ? Ces jeunes sont marqués par des déchirements permanents. Les communautés qu’ils recréent volent constamment en éclat. : «Ils me parlaient beaucoup de leur colère d’être séparés. Je l’ai un peu vécu avec eux, je commençais à filmer quelqu’un et il me disait deux jours après « je m’en vais ».
Aujourd’hui, ils sont dans une toute autre dynamique. «J’ai fait ce film dans un moment de leur vie où ils étaient en suspens ». Ils ont quasiment tous obtenu une réponse positive à leur demande d’asile et sont désormais inscrits à des formations intensives de français et des formations professionnelles. Les jeunes afghans ont assisté à la projection de son documentaire avec beaucoup d’enthousiasme. La peur et la pudeur qui avaient poussé certains à dissimuler leur visage a fait place à la fierté. L’un d’entre eux confie même à la jeune réalisatrice : « si tu refais un film je montrerai que je travaille, que je parle mieux français et là tu pourras montrer mon visage ».
Mais cette situation est loin d’être une généralité. De nombreux «dublinés » vivent dans la terreur d’être rattrapés par la police et expulsés rappelle Sarah Limorté. Elle dénonce l’arbitraire des décisions de l’Office Français des réfugiés et apatrides mais surtout la procédure Dublin qui impose de demander l’asile dans le premier pays franchi en Europe. «Se retrouver à renvoyer des francophones en Italie pour des questions d’empreintes, je trouve cela scandaleux».