Le décès de Georges Frêche provoque le bouleversement d’un système politique bien ancré en Languedoc-Roussillon et des défis à relever pour ses successeurs. Emmanuel Négrier, directeur de recherche en Science Politique à l’Université Montpellier 1 et membre du CNRS, apporte un éclairage sur les perspectives de l’après-Frêche.
Haut Courant : Quels vont être les principaux défis du successeur de Frêche, Christian Bourquin, à la tête de la région pour les mois à venir ?
Emmanuel Négrier : Les principaux défis vont être d’instituer une continuité de gouvernement et en même temps d’imposer une marque particulière. La région est une institution très personnalisée, surtout en Languedoc-Roussillon. En l’occurrence, Christian Bourquin a une posture présidentielle puisqu’il a exercé la présidence au sein d’un département. Son défi personnel est d’imposer sa marque tout en donnant à l’administration, le gage d’une certaine continuité politique. Dans cette phase immédiate d’après-Frêche, un peu dramatisée, on a pu voir ses deux facettes. Elles sont personnalisées d’une part par le fait qu’il ait donné beaucoup de gages à celui qui représente l’administration, Claude Cougnenc, directeur général des services, et d’autre part en intégrant des alliés très proches des Pyrénées-Orientales comme Jacques Cresta. Il a également revu à la baisse le rôle de certains conseillers régionaux comme François Delacroix. Autrement dit, il y a l’appui sur des forces de l’administration, la force des amitiés politiques proches et la force de la coalition frêchiste qui se situe à l’échelle régionale et à l’échelle de l’agglomération.
Est-ce que la réforme des collectivités territoriales et la situation économique de la région ne vont pas être un frein à ces défis ?
Le deuxième défi est justement d’assumer les effets de la réforme des collectivités territoriales. Avec une diminution des marges de manœuvre et l’anéantissement en pratique du pouvoir fiscal, c’est-à-dire la possibilité de jouer sur le taux des impôts reversés au Conseil Régional, les finances de la région vont être soumises à plus de rigueur.
Le troisième défi est de faire sortir le Languedoc-Roussillon de ce marasme que l’héroïsme frêchiste n’a pas réussi à masquer. La place de la région en terme d’emplois et de développement économique montre qu’il y a beaucoup de marge de progression sans forcément beaucoup de moyens pour le faire. La recherche des moyens et des ressources pour le développement par le biais de l’institution régionale reste difficile sachant que ce n’est pas la collectivité la plus puissante.
Pensez-vous que l’accession de Christian Bourquin est synonyme de continuité du Frêchisme ?
Cette accession est le signe d’une crise de pouvoir dans un cadre de continuité. Mais en même temps, l’ouverture vers d’autres possibilités de gouvernement, de rapprochement avec le parti socialiste. Dans l’immédiat après-Frêche, c’est la victoire d’un certain frêchisme contre des candidats qui étaient éventuellement prêts à tourner la page de manière un peu plus nette avec les Gardois et les Audois. La faiblesse de la région est de se présenter comme une petite compétition interdépartementale, où ce sont les Pyrénées-Orientales et l’Hérault de Navarro qui donnaient le ton au Gard et à l’Aude.
Est-ce que la nomination de Robert Navarro comme premier vice-président de la Région, n’est pas une erreur stratégique pour réintégrer les 58 membres frêchistes au sein du Parti socialiste ?
Cela pourrait être une erreur stratégique si la réintégration des 58, et particulièrement des Héraultais dans ce lot, était un objectif impératif. La stratégie adoptée consiste au contraire à maintenir une frontière entre le parti lui-même et l’appareil politique régional. Dans une logique de maintien d’autonomisation d’un Parti socialiste en Languedoc-Roussillon, cette stratégie peut se comprendre d’emblée dans l’après-Frêche. Si on avait liquidé immédiatement l’appareil du parti socialiste héraultais au sens de Navarro, le président de la région se serait rendu dépendant de l’autre clan. Il devait négocier avec l’autre branche du parti socialiste composé par Vézinhet, Alliès. L’idée est de compter sur les conseillers régionaux qui vont procéder à l’élection du président. Ce n’est pas une élection populaire mais une élection entre pairs, donc il fallait tenir compte des forces vives des conseillers régionaux. A terme, la stratégie est de dire que le PS est obligé de réintégrer les exclus héraultais dans la perspective des primaires. Cette fédération est quand même un bastion du Parti Socialiste.
Maintenant que Jean-Pierre Moure est à la tête de l’agglomération, le projet d’une « grande agglomération » va-t-il pouvoir aboutir ?
Jean-Pierre Moure n’est pas la reproduction de Georges Frêche. C’est un personnage à part qui peut se tourner vers la constitution d’une grande agglomération. Le plus logique serait une métropole jusqu’à Sète mais politiquement, c’est délicat. La région de Montpellier a toujours été un foyer de contentieux intercommunal très vif avec des entrées et des sorties du périmètre.
Est-ce que le film Le Président apporte un réel éclairage sur la personnalité de l’homme politique ?
Le film apporte beaucoup d’éclairage sur la politique sous Frêche, sur une forme de vide du quotidien d’une politique en campagne. Il montre aussi le rapport ambivalent de la jeune garde, comme Frédéric Bort, qui apparaît encore plus cynique, encore moins ouverte à l’expression d’une vision politique que Georges Frêche. C’est un film qui se déroule durant une période très particulière de la vie politique de Frêche où l’on ne parle absolument pas de l’action publique, de projets. On se gargarise sur une vague populiste, sur un petit monde politique local et régional, du coup ça ne traduit pas ce que Frêche était en politique pendant les 33 années de son action à l’échelle de Montpellier et de la région depuis 2004. C’est une vision épuisée du Frêchisme.