La fédération socialiste de l’Hérault dans la tourmente

Mise sous tutelle controversée et existence d’adhérents fantômes au sein d’une des fédérations les plus puissantes de France, la rupture avec le Frêchisme entraîne un chaos dans le camp de la gauche régionale. Tout cela à l’approche des élections cantonales.

Une aubaine pour l’extrême droite ?

Il y a un aspect crucial concernant les conséquences politiques du décès du président de la Région Languedoc-Roussillon : le profit que pourrait en tirer le Front National. Car la captation d’une partie de cet électorat par Georges Frêche n’était plus un secret. Pour Jacques Molénat, « aucune voix ne lui était indifférente, de l’extrême gauche à l’extrême droite. »

Tour d’horizon des partis politiques

Alors que le Parti socialiste tente de se réorganiser en Languedoc-Roussillon et que la bataille s’intensifie pour se positionner en tant que leader, les autres partis politiques ne sont pas en reste. Les prochaines échéances électorales vont se transformer en une lutte pour récupérer un certain nombre d’électeurs qui étaient davantage fidèles à un homme, Georges Frêche, qu’à un parti politique.

Jacques Molénat, retour sur « la » phrase qui a fait basculer le PS contre Frêche

Jacques Molénat est l’auteur du dossier « Frêche : Tyran et titan » de l’Express qui a fait tant de bruit ces derniers jours. Qui, mieux que celui qui suit Georges Frêche depuis plus de 30 ans, pouvait revenir sur la petite phrase aux grosses conséquences : « voter pour ce mec (Ndlr. Laurent Fabius) en Haute-Normandie me poserait un problème : il a une tronche, pas catholique ». Rencontre avec ce journaliste indépendant, spécialiste des thématiques régionales qui écrit pour La Gazette de Montpellier, mais aussi pour l’Express et Marianne.

Modifié le dimanche 7 février 2010

« Je savais que cela provoquerait un choc mais je ne m’attendais pas à un tel tsunami »

C’est par ces mots que Jacques Molenat s’exprime sur la phrase qui, telle une traînée de poudre, s’est répandue dans les médias ces dernières semaines. Pourtant, au lendemain du dernier conseil d’agglomération du 22 décembre 2009,pendant lequel Frêche a tenu les propos incriminés, seul le journal gratuit Montpellier Direct Plus faisait écho de la fameuse phrase de Georges Frêche à l’égard de Laurent Fabius. C’est plus d’un mois après, le 27 Janvier 2010, que le dossier écrit par Jacques Molénat remet cette phrase au goût du jour.

La petite note de bas de page [[Une note de bas de page a été accolée aux propos : elle renvoyait aux origines juives de Laurent Fabius.]] qui change la donne

« Cette note a été rajoutée par la rédaction de l’Express. », explique Jacques Molénat. « Effectivement, cela m’a gêné. Si la rédaction m’avait consulté avant de prendre cette initiative, j’aurais atténué le propos en ajoutant que Georges Frêche soutient activement la communauté juive de Montpellier. C’est vrai, la phrase a été mise en gras par l’Express. Mais je comprends qu’ils aient « sursauté » sur le propos. Même si cette note induit qu’il peut flirter avec la fibre antisémite ».
Pourtant, d’après le journaliste, cette phrase n’était pas innocente. Pour lui, il s’agit d’une ambiguïté délibérée. Si Frêche a un comportement parfois volcanique, c’est un intellectuel brillant et stratège qui sait être très bon acteur : « il peut jouer au moins 20 à 30 rôles selon le public ».

Des regrets ?

Jacques Molénat en a surtout sur l’interprétation abusive à caractère antisémite qui ne colle pas avec les faits et le personnage. Il ajoute : « cela fait partie des choses que l’on ne maîtrise pas en écrivant un article ».
Mais le contexte électoraliste est à prendre en compte : les voix de Frêche sont composites et l’homme sait parfaitement « flatter une fibre xénophobe, c’est une tactique ». Le journaliste insiste dans le dossier sur l’ambivalence et la complexité du personnage : « ses convictions de fond sont en contradiction avec son comportement ».

Un « très bon client » pour les médias

Quant à son rapport avec la presse et les journalistes, là aussi, Georges Frêche fait des siennes. Avec lui, c’est un peu la main de fer dans un gant de velours. Il sait les flatter, les intimider mais il est surtout, comme on le dit dans le jargon, « un très bon client ». La preuve, il n’hésite pas, lors des sessions du conseil régional, ou de l’agglomération de Montpellier, à faire un petit signe de connivence aux journalistes présents sur place : « Notez là-haut, je vous fais une puce. ». http://www.montpellier-journal.fr/2010/01/freche-fabius-lenregistrement.html. Et Jacques Molénat le reconnaît volontiers « Frêche me permet de vivre. C’est un personnage sur lequel j’ai beaucoup écrit. La difficulté est là, prendre du recul, voir les deux faces du personnage et ne pas tomber dans son piège de communication ». Pourtant, de nombreux médias locaux et nationaux, pour ne pas dire tous, y sont tombés : l’actualité reste centrée sur le président de la région Languedoc-Roussillon. Quant à sa fameuse phrase, il s’agit d’une actualité dépassée remise dans l’agenda médiatique. D’ailleurs comme le révèle Daniel Schneidermann d’Arret sur images, si le titre de l’article de l’Expresss était « Frêche, tyran et titan », le site internet de l’hebdomadaire avait lui récrit le chapeau pour insister sur la phrase polémique et retitré « Le dernier dérapage de Georges Frêche, tyran et titan ».

Et les autres candidats aux régionales, ont-ils une chance face à cette déferlante médiatique ?

Pour Jacques Molénat, Hélène Mandroux, risque de se retrouver seule, si aucune alliance avec Europe Ecologie n’est conclue. Mais toujours selon lui, il s’agit plus d’un règlement de compte : « il l’a humiliée, elle a vraiment envie d’y aller. Les plus virulents des anti-frêchistes sont souvent ceux qui ont été proches de lui ». Quant à l’UMP, le parti présidentiel est desservi par l’implantation socialiste et la présence de Georges Frêche depuis les années 1970. Mais l’apparente discrétion médiatique de Raymond Couderc serait peut-être stratégique.
La manœuvre du PS risque donc, selon Jacques Molénat, de tourner au fiasco : « c’est une démarche trop pulsionnelle, je ne sais s’ils font la bonne analyse même si Frêche les encombre depuis longtemps ». D’après les derniers sondages, une liste PS menée uniquement par Hélène Mandroux, obtiendrait 11% des voix. Jacques Molénat souligne : « Martine Aubry aura néanmoins eu la posture morale de rénover le PS ». Et Frêche ? « Il a su se servir des évènements pour se victimiser, il a ses troupes qui font bloc derrière. Je pense qu’il va gagner ».

Et Georges dans tout cela, fâché ?

« C’est un peu grâce à moi qu’il est devenu la vedette nationale des élections régionales », dit le journaliste en souriant. A l’évocation de l’auteur du dossier par une journaliste de Marianne, la réponse est sans équivoque : « Moi, Molénat, je n’en parle pas ». Pourtant, M. Frêche, sans la phrase de M. Molénat, le choc des titans entre le PS et vous, n’aurait pas eu le même goût de défi que vous affectionnez tant…

Mis à jour le 7 janvier à 15h00

Retour au dossier spécial Régionales 2010 en Languedoc-Roussillon

Francs-maçons en Languedoc Roussillon : leur pouvoir en question.

Jacques Molénat était l’invité de Paul Alliès pour son Café citoyen. Il s’est déroulé au restaurant Le Baloard, lundi 26 octobre, pendant deux heures. Compte-rendu de la soirée.

La petite salle, ce lundi soir, était pleine. Située sous le restaurant du Baloard, à Montpellier, elle a été le lieu d’un Café citoyen organisé par Paul Alliès sur la question du pouvoir que détiennent les Francs-maçons en Languedoc-Roussillon. Professeur de Science Politique à l’Université Montpellier I et essayiste, il n’en est en revanche pas à son coup d’essai dans l’organisation de tels débats publics : le concept est rodé avec un intervenant qui expose le thème du Café, et un public qui s’interroge, puis interroge… Pour parler du sujet, l’invité était ce soir Jacques Molénat, journaliste reconnu pour sa connaissance des réseaux dans la région. Il est l’auteur d’un livre de référence sur la question, Le Marigot des Pouvoirs (éd. Climats).

Son exposé fut bref mais dense : parti du début des années 70, il constate que de 300 frères pour 6 loges, la franc-maçonnerie locale est passée aujourd’hui à 2 200 frères (et sœurs car il y a 20% de femmes) pour 48 loges. Soit un rapport de l’ordre de 7 pour 1 000 habitants au regard d’une moyenne nationale de 2,5 pour 1 000 seulement. Pourquoi une telle présence «dans la machine montpelliéraine»? La réponse est délicate, car complexe. Ce n’est pas seulement des petits arrangements entre amis, même si plus d’un s’y intéressent en espérant une ascension sociale plus rapide : «viens chez nous, ce sera bon pour tes affaires» rapporte le journaliste. Il y a aussi la tradition universitaire bien ancrée à Montpellier, ou encore les réseaux juridiques.

Mais il est vrai que les préoccupations du public concernaient plutôt ces arrangements occultes, dont beaucoup pensent qu’ils se font contre l’intérêt général. D’ailleurs, Michel Miaille, ancien Grand Maître de la Grande Loge Mixte Universelle et présent au débat ce soir, a reconnu la prégnance de l’individualisme chez les francs-maçons. Il évoquera en aparté, après le débat, «la lessive» qui a été faite début 2000 et dont la raison invoquée par les Grands Maîtres était de reconnaitre -«tardivement»- les dérives de certains frères et le triomphe des intérêts particuliers. La sanction est une radiation à vie tout de même, dans le cas où des fautes graves ont été commises. Marc Di Crescenzo, qui a été «un des piliers de la franc-maçonnerie montpelliéraine», dit à ce propos dans un article de l’express.fr, que le chemin fut long avant de faire ce travail d’assainissement interne. «Notre premier réflexe, ça a été de protéger les nôtres», avoue quant à lui M. Miaille.

Les discussions ont mené les participants au-delà de notre région pour aborder la question de la Franc-maçonnerie de plus loin. Abolition de l’esclavage, laïcité, école publique, congés payés, contraception : autant d’avancées indéniables revendiquées. Mais aussi contestées… Par le public en l’occurrence, à travers la voix d’une participante, restée silencieuse jusque dans les dernières minutes du débat, et qui rétorque à ce qui a été dit que les syndicats ou les associations ont aussi joué un rôle prépondérant dans ces avancées. On aura pu entendre également l’un des convives se plaindre du «ton consensuel» que prenait l’échange.

Pour ce qui était du cœur du débat, le pouvoir des frères dans la région, quelques noms ont été cités parmi les personnalités politiques locales inscrites dans l’une des loges. Leurs appartenances politiques hétérogènes (PS, UMP, PCF, MoDem…) prouvent la diversité des obédiences et la rupture avec une tradition originelle ancrée à gauche. Aussi, Jacques Molénat a insisté sur le rôle certain que jouent ces personnalités dans les institutions, notamment dans la préparation de décisions municipales ou au niveau de l’agglomération. Mais il a posé aussi à l’inverse les risques de manipulation des Francs-maçons par certains hommes de pouvoir.

Le débat était clair et serein, mais les clichés ont la vie dure, puisqu’au moins trois participants ont considéré qu’ils avaient assisté à un plaidoyer en faveur de la franc-maçonnerie plutôt qu’à un questionnement sur les dysfonctionnements politiques, économiques ou judiciaires dans la région. Pour aller dans leur sens, il est vrai que le caractère occulte de l’organisation trouble et provoque la crainte, plus qu’il ne permet le travail paisible des frères. Le secret et le mystère sont donc décidément liés à l’aura que dégage la franc-maçonnerie et ce, à plus forte raison dans le Languedoc-Roussillon. Le temps passant y a ajouté la suspicion, souvent justifiée, mais pas toujours fondée.

Franck Michau