La fédération socialiste de l’Hérault dans la tourmente

Mise sous tutelle controversée et existence d’adhérents fantômes au sein d’une des fédérations les plus puissantes de France, la rupture avec le Frêchisme entraîne un chaos dans le camp de la gauche régionale. Tout cela à l’approche des élections cantonales.

Quel héritier à Georges Frêche ?

La succession de Georges Frêche dans le monde politique socialiste pose un certain nombre de questions. L’une d’elles concerne son héritage direct. Aujourd’hui, plusieurs de ses proches tentent de se positionner comme successeur de « l’Empereur de Septimanie ». Présentation de quatre d’entre eux.

Une aubaine pour l’extrême droite ?

Il y a un aspect crucial concernant les conséquences politiques du décès du président de la Région Languedoc-Roussillon : le profit que pourrait en tirer le Front National. Car la captation d’une partie de cet électorat par Georges Frêche n’était plus un secret. Pour Jacques Molénat, « aucune voix ne lui était indifférente, de l’extrême gauche à l’extrême droite. »

Emmanuel Négrier : « Le PS est obligé de réintégrer les exclus héraultais dans la perspective des primaires »

Le décès de Georges Frêche provoque le bouleversement d’un système politique bien ancré en Languedoc-Roussillon et des défis à relever pour ses successeurs. Emmanuel Négrier, directeur de recherche en Science Politique à l’Université Montpellier 1 et membre du CNRS, apporte un éclairage sur les perspectives de l’après-Frêche.

Haut Courant : Quels vont être les principaux défis du successeur de Frêche, Christian Bourquin, à la tête de la région pour les mois à venir ?

Emmanuel Négrier : Les principaux défis vont être d’instituer une continuité de gouvernement et en même temps d’imposer une marque particulière. La région est une institution très personnalisée, surtout en Languedoc-Roussillon. En l’occurrence, Christian Bourquin a une posture présidentielle puisqu’il a exercé la présidence au sein d’un département. Son défi personnel est d’imposer sa marque tout en donnant à l’administration, le gage d’une certaine continuité politique. Dans cette phase immédiate d’après-Frêche, un peu dramatisée, on a pu voir ses deux facettes. Elles sont personnalisées d’une part par le fait qu’il ait donné beaucoup de gages à celui qui représente l’administration, Claude Cougnenc, directeur général des services, et d’autre part en intégrant des alliés très proches des Pyrénées-Orientales comme Jacques Cresta. Il a également revu à la baisse le rôle de certains conseillers régionaux comme François Delacroix. Autrement dit, il y a l’appui sur des forces de l’administration, la force des amitiés politiques proches et la force de la coalition frêchiste qui se situe à l’échelle régionale et à l’échelle de l’agglomération.

Est-ce que la réforme des collectivités territoriales et la situation économique de la région ne vont pas être un frein à ces défis ?

Le deuxième défi est justement d’assumer les effets de la réforme des collectivités territoriales. Avec une diminution des marges de manœuvre et l’anéantissement en pratique du pouvoir fiscal, c’est-à-dire la possibilité de jouer sur le taux des impôts reversés au Conseil Régional, les finances de la région vont être soumises à plus de rigueur.
Le troisième défi est de faire sortir le Languedoc-Roussillon de ce marasme que l’héroïsme frêchiste n’a pas réussi à masquer. La place de la région en terme d’emplois et de développement économique montre qu’il y a beaucoup de marge de progression sans forcément beaucoup de moyens pour le faire. La recherche des moyens et des ressources pour le développement par le biais de l’institution régionale reste difficile sachant que ce n’est pas la collectivité la plus puissante.

Pensez-vous que l’accession de Christian Bourquin est synonyme de continuité du Frêchisme ?

Cette accession est le signe d’une crise de pouvoir dans un cadre de continuité. Mais en même temps, l’ouverture vers d’autres possibilités de gouvernement, de rapprochement avec le parti socialiste. Dans l’immédiat après-Frêche, c’est la victoire d’un certain frêchisme contre des candidats qui étaient éventuellement prêts à tourner la page de manière un peu plus nette avec les Gardois et les Audois. La faiblesse de la région est de se présenter comme une petite compétition interdépartementale, où ce sont les Pyrénées-Orientales et l’Hérault de Navarro qui donnaient le ton au Gard et à l’Aude.

Est-ce que la nomination de Robert Navarro comme premier vice-président de la Région, n’est pas une erreur stratégique pour réintégrer les 58 membres frêchistes au sein du Parti socialiste ?

Cela pourrait être une erreur stratégique si la réintégration des 58, et particulièrement des Héraultais dans ce lot, était un objectif impératif. La stratégie adoptée consiste au contraire à maintenir une frontière entre le parti lui-même et l’appareil politique régional. Dans une logique de maintien d’autonomisation d’un Parti socialiste en Languedoc-Roussillon, cette stratégie peut se comprendre d’emblée dans l’après-Frêche. Si on avait liquidé immédiatement l’appareil du parti socialiste héraultais au sens de Navarro, le président de la région se serait rendu dépendant de l’autre clan. Il devait négocier avec l’autre branche du parti socialiste composé par Vézinhet, Alliès. L’idée est de compter sur les conseillers régionaux qui vont procéder à l’élection du président. Ce n’est pas une élection populaire mais une élection entre pairs, donc il fallait tenir compte des forces vives des conseillers régionaux. A terme, la stratégie est de dire que le PS est obligé de réintégrer les exclus héraultais dans la perspective des primaires. Cette fédération est quand même un bastion du Parti Socialiste.

Maintenant que Jean-Pierre Moure est à la tête de l’agglomération, le projet d’une « grande agglomération » va-t-il pouvoir aboutir ?

Jean-Pierre Moure n’est pas la reproduction de Georges Frêche. C’est un personnage à part qui peut se tourner vers la constitution d’une grande agglomération. Le plus logique serait une métropole jusqu’à Sète mais politiquement, c’est délicat. La région de Montpellier a toujours été un foyer de contentieux intercommunal très vif avec des entrées et des sorties du périmètre.

Est-ce que le film Le Président apporte un réel éclairage sur la personnalité de l’homme politique ?

Le film apporte beaucoup d’éclairage sur la politique sous Frêche, sur une forme de vide du quotidien d’une politique en campagne. Il montre aussi le rapport ambivalent de la jeune garde, comme Frédéric Bort, qui apparaît encore plus cynique, encore moins ouverte à l’expression d’une vision politique que Georges Frêche. C’est un film qui se déroule durant une période très particulière de la vie politique de Frêche où l’on ne parle absolument pas de l’action publique, de projets. On se gargarise sur une vague populiste, sur un petit monde politique local et régional, du coup ça ne traduit pas ce que Frêche était en politique pendant les 33 années de son action à l’échelle de Montpellier et de la région depuis 2004. C’est une vision épuisée du Frêchisme.

Robert Navarro : « L’après-Frêche a surpris tout le monde »

Premier secrétaire de la fédération socialiste de l’Hérault de 1990 à 2010, Robert Navarro fait partie des 58 exclus du Parti Socialiste. Il a su profiter de la redistribution des cartes de la « Frêchie » en devenant premier vice-président du conseil régional du Languedoc-Roussillon. Directement concerné par la succession de Georges Frêche, il a accordé un entretien à Hautcourant dans lequel il évoque l’héritage du « Président », la fédération de l’Hérault ainsi que son avenir politique.

La question de la succession directe de Georges Frêche semble problématique. Existe-t-il un héritier naturel ? Robert Navarro donne son avis :

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La fédération socialiste de l’Hérault a été mise sous tutelle en septembre 2010. La gestion de l’ancien premier secrétaire est vivement critiquée par ses détracteurs. Robert Navarro est notamment soupçonné d’avoir falsifié le fichier des adhésions et d’avoir créé la XIe section, bras armé au service des Frêchistes. Il répond à ces accusations :

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Georges Frêche se plaçait au-dessus des partis politiques. En plus des votes de gauche, il avait réussi à capter un électorat traditionnellement de droite. Avec sa disparition, la gauche languedocienne est-elle en danger ? Robert Navarro répond et aborde la question de son avenir politique personnel :

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Robert Navarro tacle les hommes du « Président »

Dans un entretien accordé à HautCourant le lundi 7 février, Robert Navarro, sénateur et premier vice-président de la Région Languedoc-Roussillon, s’est lâché sur Frédéric Bort.

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Cette semaine, c’est la succession de Georges Frêche, décédé il y a un peu plus d’un mois, qui a été décortiquée par les journalistes d’Haut Courant.

Au programme :

  • un micro-trottoir sur le lieu qui portera le nom de l’ancien président de région.
  • l’analyse d’une petite phrase de Robert Navarro, vice président du conseil régional.
  • l’interview d’Yves Jeuland, le réalisateur du film tant attendu sur Georges Frêche, Le Président.

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Les socialistes de l’Hérault à l’image de leurs chefs

Les militants socialistes étaient appelés, le jeudi 20 et le vendredi 21 novembre, à désigner leurs dirigeants au niveau local et national. Après un intense débat autour de la désignation du premier secrétaire du parti, les lignes de chacun se sont radicalisées. La fédération de l’Hérault n’est pas en reste et reflète à l’échelon local les tensions qui règnent dans le premier parti de gauche en France.

Les résultats sont tombés dans la nuit de vendredi. Seulement 42 voix séparent les deux prétendantes au poste de premier secrétaire du parti socialiste. Pour succéder à François Hollande à la tête du PS, Ségolène Royal et Martine Aubry n’ont pas réussi à fédérer les militants socialistes qui, de plus en plus, donnent une image de grande confusion. Pour l’heure, la maire de Lille dépasse la présidente du Poitou-Charentes d’une très courte tête avec 50,02% des suffrages exprimés. Et déjà les lieutenants de Ségolène Royal, Julien Dray et Manuel Valls, sont montés au créneau. Ils dénoncent notamment des irrégularités dans les résultats, publiés à l’issu du dépouillement mais pas vérifiés. Julien Dray a même exigé l’organisation d’un troisième tour pour départager les deux énarques. Proposition rejetée par le clan Aubry.

Réunions houleuses

Ce nouvel épisode stigmatise la crise profonde qui touche le PS depuis la défaite aux dernières élections présidentielles. Un malaise qui se ressent jusqu’aux débats de la fédération héraultaise. Au soir du premier tour de scrutin durant lequel se déroulait également l’élection des secrétaires de section et du premier secrétaire fédéral de l’Hérault, la tension était palpable. Fanny Dombre-Coste, candidate à sa propre succession dans la 4ème section de Montpellier, rappelle qu’elle a subi « une campagne agressive de la part d’un candidat qui défendait une autre motion » (elle-même soutenant Ségolène Royal). « La dernière réunion a été assez houleuse, en dessous de la ceinture par moment » confie-t-elle, émue et soulagée après une large victoire. Sa candidature a recueilli 68 voix sur les 92 votants. Pourtant, elle reste optimiste quant aux conséquences des remous qui touchent son parti. « Au moment des congrès, il y a toujours des mouvements de fonds, comme des plaques tectoniques qui bougent. Il y a des influences, des affrontements, c’est normal » affirme-t-elle. « Ça fait parti du jeu et c’est important que tout le monde puisse s’exprimer. C’est la démocratie ! ».

L’élection du secrétaire fédéral a également démontré la fracture qui touche les socialistes héraultais. Michel Guibal, soutenu par André Vézinhet (président du conseil général de l’Hérault), partisan de la motion Delanoë rallié à Aubry, était opposé à Robert Navarro proche d’Hellène Mandroux et de Ségolène Royal. A l’annonce des premiers résultats, les deux camps, séparés dans les locaux de la fédération de Montpellier par une rangée d’isoloirs, continuaient de défendre mordicus leurs lignes respectives. « Nous accusons un retard de 200 voix, mais il en reste encore 1 700, rien n’est joué » annonçait M. Vézinhet peu avant minuit. Une heure plus tard, Navarro l’emportait. Avec 58% contre 42%, Michel Guibal a néanmoins sérieusement inquiété son adversaire, tendu comme un arc. Il améliore le score de Paul Alliès, précédent opposant de Navarro au même poste, de près de 15 points. Entre joies et rancœurs, l’ambiance est restée explosive toute la soirée, tour à tour ponctuée de félicitations et de petites phrases assassines. Les partisans de chacun séparés par une frontière imaginaire.

«Faire vivre la démocratie»

Au lendemain des résultats la crise des socialistes n’est donc toujours pas réglée. Le parti est littéralement coupé en deux et hésite toujours entre des lignes politiques opposées sur de nombreux points, notamment les alliances avec le Modem de François Bayrou. André Vézinhet veut tout de même arrondir les angles : « Aujourd’hui nous sortons d’un débat d’idées et de personnes qui a fait apparaître certaines tensions, mais il ne faut pour autant en conclure qu’il y a deux partis dans un seul ». Pour Rémi, militant à Montpellier, il ne faut pas s’inquiéter : « ceux qui ne sont pas au PS voient la situation actuelle plutôt négativement, mais au parti il y a toujours eu des courants. A l’époque c’étaient les mitterrandistes et les chevènementistes, aujourd’hui c’est Royal et Aubry… C’est normal ! ». Il ajoute ironiquement, « on n’a pas trouvé mieux pour faire vivre la démocratie ». Une chose est sûre, la future premier secrétaire du PS aura beaucoup de travail pour rassembler le peuple socialiste.