Un nombre croissant d’individus ont recours au glanage pour se nourrir. Faire les fins de marché ou récupérer des produits dans les poubelles de grandes surfaces deviennent des comportements de plus en plus répandus en France. Un rapport rendu public le 9 janvier 2009 se penche sur le profil de ces glaneurs. Conséquence de l’appauvrissement de la société, le glanage donne une image de soi douloureuse mais moins négative qu’il n’y paraît.
Autrefois cantonné aux campagnes, le glanage s’étend désormais aux villes. Les glaneurs récupèrent leur nourriture non plus parmi les restes de récoltes dans les champs, mais à la fin des marchés, dans les poubelles ou dans les containers des grandes surfaces. Dans le rapport remis le 9 janvier 2009 au Haut Commissariat aux Solidarités Actives contre la Pauvreté, des chercheurs du Centre d’Etude et de Recherche sur la Philanthropie (CerPhi) se sont penchés sur ce phénomène qui prend de l’ampleur.
Le glanage, une activité contraignante
Réalisée en octobre 2008, cette étude révèle le profil des glaneurs. Sur la quarantaine de personnes rencontrées à Paris, Dijon et Amiens, la majorité a entre 26 et 50 ans. Près du tiers ne perçoit aucun revenu fixe. Les travailleurs pauvres ou bénéficiaires des minima sociaux constituent le reste de l’échantillon.
La plupart des individus possède un logement, condition essentielle pour la pratique du glanage. Rarement consommés sur place, les produits récupérés sont souvent triés, lavés puis cuisinés au domicile. Autre contrainte : avoir du temps. Connaître les lieux et les horaires, se déplacer puis préparer les aliments, autant d’activités coûteuses en temps et énergie. En témoigne cette femme de 44 ans, à Paris : « Maintenant que je suis un peu plus âgée et que je suis fatiguée, j’essaye d’y aller quand il fait beau parce que ça reste pénible quand même, que je ne revienne pas en me disant, qu’est ce qu’il faut pas faire pour avoir trois légumes ». Difficile aussi pour les mères célibataires qui occupent un emploi, de dégager un créneau dans la journée.
Un stigmate de la pauvreté
Chômage, petite retraite, bourse d’étude insuffisante, coût de la vie de plus en plus onéreux, les problèmes d’argent sont pour quasiment tous à l’origine de la pratique du glanage. « Avant mon mari travaillait, maintenant il est au chômage, c’est pour cela que je ramasse à la fin du marché », raconte cette parisienne de 48 ans. Au-delà des discours « antigaspillage » et « décroissance » que tiennent certains jeunes, beaucoup avouent avoir commencé à glaner pour des raisons budgétaires.
Vivre avec peu et sous le poids du regard des autres. Cette pratique est vécue comme stigmatisante si ce n’est humiliante, pour les personnes âgées et nombre des 26-50 ans. Surtout quand il s’agit de faire les poubelles. Ils préfèrent l’effectuer anonymement, loin du domicile et en toute hâte. Néanmoins, les SDF et certains jeunes assument voire revendiquent le glanage comme un moyen d’optimiser les restes dans un contexte où la débrouille reste la règle.
Rester autonome, garder une image de soi moins négative
Même si le glanage renvoie une image dépréciée à ceux qui la pratiquent, elle apparaît comme positive comparée à celle de l’aide alimentaire gratuite, source d’approvisionnement qu’ils désertent souvent.
Contrairement à cette dernière, le glanage permet de recouvrer une certaine autonomie, facteur d’estime de soi. A 21 ans, cet homme habitant Amiens déclare ainsi préférer les poubelles, « parce que je vais chercher moi-même à manger, je fais ce que je veux comme j’ai envie, j’ai personne qui dose ce que je dois prendre, j’ai personne derrière pour dire prends ci, prends ça, je choisis ». Faire appel à l’aide alimentaire renvoie au contraire à « un schéma de dépendance infantile », selon les chercheurs. Le bénéficiaire se voit distribuer une nourriture imposée en quantité et variété, par des individus extérieurs vus comme « tout puissants ».
En outre, la qualité des produits distribués est souvent décriée :
« C’est pour le minimum vital. C’est le bas de gamme, ça permet d’avoir quelque chose dans l’estomac, mais tu aimes bien avoir aussi autre chose, tu aimes bien la variété, c’est pas parce que tu es dehors, au contraire », déclare cette femme de 33 ans à Paris. La nourriture glanée décrite comme composée de fruits et légumes, plats variés est souvent positivée. Elle devient même une source de plaisir. Par ailleurs, les repas proposés ne prennent pas en compte les habitudes et préférences alimentaires de chacun, ce qui revient symboliquement à nier une partie de leur individualité.
Les glaneurs échappent ainsi à l’image désastreuse que leur renvoient les bénéficiaires de l’aide alimentaire. Pour preuve, ce jeune homme d’Amiens tenant à se démarquer de ces derniers : « J’y suis déjà allé, mais pour moi, c’est des gens qui ne savent pas se démerder, qui sont assistés, qui veulent que tout leur tombe tout cru dans la main ».
Même si glanage et aide alimentaire peuvent se combiner sous l’effet de l’appauvrissement de la société, une nouvelle façon de penser cette dernière devient nécessaire. En effet, les sources d’approvisionnement des glaneurs se raréfiant (afflux de nouveaux pauvres et médiatisation), le recours à l’aide alimentaire gratuite en sera probablement accru.