29 dessinateurs de presse et 18 nationalités étaient réunis le week-end dernier à Pierresvives. Ils étaient présents pour célébrer le festival Hérault Trait Libre, premier festival du dessin de presse, avec la thématique de l’eau en fil rouge. Du Japon jusqu’à Cuba, en passant par l’Iran, Madagascar ou Israël, tous sont membres de l’association Cartooning for peace, présidée par Plantu. Les enjeux du dessin de presse varient considérablement d’un pays à l’autre. Et la notion de liberté peut changer du tout au tout. Mais tous ont en commun la passion du dessin. Des idées, un seul langage, une image. Rencontre avec six dessinateurs.
No-Rio : la langue e(s)t l’image
Le plus important pour No-Rio, c’est de transmettre un message. « L’image est à la base du langage, elle est la parole la plus simple. » Le japonais a travaillé dans le cinéma et dans le dessin animé puis s’est entièrement consacré au dessin de presse. « Au début, j’avais du mal à m’exprimer uniquement par l’image, mais, à force, j’ai appris à réduire mes phrases » confie le nippon. Même dans un pays comme le Japon, il est parfois difficile de publier certains dessins. La pudeur des Japonais empêche d’aborder des sujets lourds en émotion. Selon No-Rio, « que ça soit pour le 11 septembre ou pour le tsunami en 2011, les gens en souffrent encore. (…) Ce dessin par exemple, (voir ci-dessous) n’a pas du tout été apprécié. Pourtant vous y voyez quelque chose de mal ? ». C’est pourquoi il publie souvent dans des médias étrangers. « Le dessinateur est un être idéaliste, il dessine pour le résultat. Moi, je dessine pour garder espoir en la liberté de la presse » conclut-il.
Ares : l’autodidacte free-lance
Primé à de nombreuses reprises, le cubain a commencé le dessin en caricaturant amis et professeurs. Puis, il s’est attaqué à « l’humour, sans aucun contenu politique. » Le temps fait son travail et Ares fait du chemin : « Mon humour a évolué… Du point de vue du contenu et du point de vue de la forme. Un humour avec plus de préoccupations sociales. » Pour autant, l’artiste, qui met un point d’honneur sur son indépendance, dit toujours, ne pas toucher au politique. Publié à Cuba, mais surtout à l’étranger, il parle de son dessin comme d’un langage sans frontières textuelle ou idiomatique : « L’humour avec lequel je travail est sans textes. Il se comprend bien et a plusieurs lectures. Très souvent je fais un dessin pour une situation et il sera utilisé dans une autre publication, pour un thème très différent. »
Bousiko : une image, 1 000 mots
Originaire d’Haïti, Bousiko a fait ses premières dents sur la bande dessinée avant de se lancer dans le dessin de presse. Il travaille à présent pour les journaux haïtiens, Le Matin et Le Nouvelliste. « Aujourd’hui, je travaille seul. J’écoute, j’observe et je dessine. Je me suis vite rendu compte qu’un dessin vaut plus que 1 000 mots » affirme le caricaturiste. Les restrictions quant au dessin de presse en Haïti sont de moins en moins nombreuses. Le pays est en totale reconstruction et la presse est un élément qui y contribue. Bousiko fait partie de ces dessinateurs militants qui veulent voir de l’avant. Il termine en déclarant : « Je veux donner de l’espoir à mon pays et montrer au monde que Haïti n’est pas sur le point de périr. »
Firoozeh : devoir d’auto-censure
En Iran, les interdits sont partout, surtout dans la presse. Pour Firoozeh, le problème vient de l’État qui multiplie les limites. « Limites politiques, sociales… je ne peux même aborder de sujets économiques depuis les nouvelles mesures internationales », mais en contrepartie « ces limites nous obligent à plus d’imagination » assure-t-elle. Après avoir fait de l’illustration pour enfants, la dessinatrice s’est tournée vers le dessin de presse et a travaillé dans près de 10 journaux. En Iran, le pouvoir décide à lui seul de l’ouverture et de la fermeture des titres de presse, ce qui force les journalistes à l’autocensure : « Je n’ai jamais eu de problèmes avec mes dessins car je m’autocensure. Si ce n’est pas moi, ce sera le rédacteur en chef qui le fera. Le risque de voir la fermeture du journal est trop grand.»
Boligán : Un dessin sans alphabet, un dessin universel
1992. « L’Europe de l’est vient de s’effondrer » et il ne reste que « très peu d’espace de publication à Cuba ». Boligán est alors embauché au Mexique. Son coup de crayon ? Un syncrétisme, entre le style d’Union-soviétique -~sans texte~- et la griffe caribéenne. Combinant humour et réflexion, ses dessins « traitent de problèmes universaux et non précisément de politique (…) Ça peut concerner le Japon comme la France. » Les questions de la globalisation, de l’écologie, ou des technologies, le sensibilisent. Convaincu que « la caricature est un moyen efficace pour tenter d’activer la conscience », Boligán se réjouit qu’elle soit « respectée » et « toujours vue dans un journal – même s’il n’est pas lu. Encore plus aujourd’hui avec les moyens électroniques. » Il regrette que l’impact ne soit pas aussi grand dans son pays natal, où « il y a moins de journaux et pas d’accès Internet. »
Côté : 99 %
Originaire du Québec, Côté travaille aujourd’hui pour le quotidien Le Soleil. Il a d’abord fait de la science-fiction et du dessin pour enfants. « L’avantage du dessin de presse, c’est que l’on n’est pas astreint à la rigueur journalistique. On peut jouer davantage sur l’émotion. » souligne-t-il. Le québécois préfère les sujets polémiques aux sujets consensuels, il a notamment été très inspiré lors des manifestations étudiantes de 2012 au Canada. Il ajoute que « le dessin de presse est vu par 99 % des lecteurs, ça nous donne plus d’impact. L’interaction avec le public est plus importante. » Côté n’a jamais eu à se soucier de savoir si ce qu’il faisait était publiable ou non. Il le résume en affirmant : « La censure nous est complètement extérieure. Il faut juste faire attention au niveau de langage. Il y a une certaine manière de dire les choses. »
L’association Cartooning for peace a été créée en 2006, afin de promouvoir la tolérance et le dessin de presse comme « moyen d’expression d’un langage universel ». Si chaque pays a ses contraintes en termes de liberté d’expression ou de bienséance, il n’en demeure pas moins que le dessin de presse a l’avantage de pouvoir être compris au-delà des frontières.