PORTRAIT DU JOUR #5 – Hacene Larkem, le journalisme n’a pas de frontières

Dans le cadre du Cinemed qui met à l’honneur le cinéma algérien, des journalistes de ce pays ont été invités pour couvrir le festival. Une manière de découvrir une autre réalité du métier.

Pour Hacene Larkem, le journalisme est avant tout une passion. C’est à partir de la terminale qu’il prend goût au métier. Il participe à la rédaction du magazine du lycée. Et se lance ensuite dans des études d’information et de communication. Une fois diplômé, il réalise des piges pour différents médias algériens et travaille en Egypte. Il retourne en Algérie en 2011 et intègre l’agence de presse nationale algérienne, (l’Algérie Presse Service), en tant que reporter. En décembre 2012, il fait partie « des trois personnes qui ont créé le service audiovisuel de l’agence ». Un fait d’armes dont il est fier. Pour continuer à en apprendre sur son métier et se perfectionner dans l’audiovisuel, Hacene décide de reprendre ses études et finit major de sa promotion. Les six journalistes algériens présents au Cinemed sont aussi « les six majors de promo de chaque spécialité » de l’Ecole Supérieure de Journalisme d’Alger.

Quand on l’interroge sur la réalité de son métier en Algérie, il affirme qu’il existe « une crise de la presse, notamment pour la presse écrite et privée. Les journaux ferment, des journalistes sont au chômage ». Hacene, lui, fait partie des chanceux. Il est dans le secteur public qui « se porte bien grâce aux aides de l’Etat même s’il n’y pas d’augmentation de salaires ». Il dévoile le lien entre la crise subie par le pays et le prix du baril de pétrole en baisse. Il distingue aussi nettement le secteur public et le secteur privé. « La presse privée est libre de tout faire, elle dépasse parfois certaines limites de la déontologie. A contrario, la presse publique a une ligne éditoriale précise à suivre, l’objectivité avant tout ». Quand il écrit des articles politiques ou économiques (sa spécialité), il doit obligatoirement citer ses sources, et donne l’information brute sans exprimer son avis.

Mais alors n’est-ce pas trop difficile de parler du cinéma quand on est pas habitué ? Hacene semble trouver cela « abordable ». Pour lui, le Cinemed est l’occasion de retrouver les salles obscures et découvrir le cinéma de son pays. Un cinéma très peu diffusé en Algérie et qui souffre clairement d’un manque de financements. « Ces films m’ont étonné, c’est une fierté de regarder les films de la jeune garde du cinéma algérien ».
En couvrant le festival, ses collègues et lui veulent éclairer leurs concitoyens et faire bouger les choses. Une mission noble, qui s’annonce ardue.
Concernant Hacene, il va tenter de passer son doctorat et souhaite se spécialiser dans l’économie. Il travaille actuellement sur la création d’une émission consacrée à ce domaine. Il faut bien le reconnaître, quand on aime, on ne compte pas.

Le cinéma algérien n’est plus prophète en son pays

Cette année, l’Algérie est l’invitée d’honneur du festival du cinéma de Montpellier. Ce choix n’est pas anodin. Christophe Leparc, le directeur du Cinemed, nous introduit la problématique du cinéma algérien. Pays aux réalisateurs reconnus, mais où « 380 des 400 salles de cinéma » étaient fermées en 2015.

  • Pourquoi faire un focus sur l’Algérie pour la 39ème édition du festival du film méditerranéen ?

Depuis trois ans, le Cinemed s’intéresse à la création contemporaine d’un pays méditerranéen en particulier. L’an dernier c’était la Tunisie, cette fois c’est l’Algérie qui est à l’honneur. Les années 2000 ont vu une nouvelle génération de jeunes réalisateurs émerger dans ce pays. Ces jeunes artistes se sont emparés du média cinéma pour s’exprimer. Après les années de plomb et la guerre civile des années 1990, le cinéma algérien est démuni. La nouvelle garde de réalisateurs doit donc faire preuve d’énormément de débrouillardise. On a voulu mettre en exergue cette volonté de faire du cinéma, malgré les obstacles et les difficultés.

  • Justement quelles sont ces difficultés ?

Ce sont des difficultés à se faire financer car il y a très peu d’infrastructures de financement en Algérie. Il faut souvent passer par l’administration étatique, mais l’attribution est difficile et l’organisme qui s’en charge verse les aides avec un ou deux ans de retard.
Les difficultés à se former sont aussi importantes, il n’y a pratiquement pas d’écoles de cinéma. Les réalisateurs se forment sur le tas, avec leurs confrères et consœurs.
Il y a aussi des problèmes de projection, les salles de cinéma se font rares, dans le plus grand pays du continent africain.
D’où la nécessité d’être débrouillard, ce qui passe par l’entraide et des accords de production avec la rive nord de la méditerranée.
Ceci a développé la diffusion des œuvres au niveau international et a attisé la curiosité de plusieurs producteurs, qui financent les films que l’on voit arriver maintenant. C’est un cercle assez vertueux car cela oblige les autorités algériennes à reconnaître le succès international de ses enfants. Et par conséquent, à bouger sur la création cinématographique dans le pays. Le Cinemed est une bonne opportunité pour mettre en avant ces réalisateurs et peut-être faire changer les choses.

  • Pourquoi ça ne bouge pas plus vite ?

En façade, l’administration a une volonté de faire un cinéma national. Mais les difficultés économiques impactent négativement le secteur culturel.
Et le septième art est vu comme quelque chose d’impertinent vis à vis du pouvoir. Il est regardé d’un œil inquiet. Il y a un problème politique, c’est très compliqué, tout est figé dans l’administration. Bouteflika, qui est encore là après toute ces années, que l’on sort sur une chaise roulante, illustre l’immobilité de ces services.
Les algériens ont perdu l’habitude d’aller au cinéma. Les salles de cinéma ont été des lieux de réunions et sont donc vu comme des espaces complotistes. Le poids de la religion a joué aussi, les femmes non accompagnées sont parfois mal considérées.
Un film très intéressant, Bla Cinima, de Lamine Ammar-Khodja, montre bien le rapport particulier qu’entretiennent les algériens avec le cinéma. Il passe le mardi 24 et le samedi 28 octobre au Cinemed d’ailleurs.
L’essor du téléchargement contribue aussi à la désertion des salles. C’est un phénomène qui ne se voit pas trop en France, mais il est prégnant dans beaucoup d’autres pays.
Et puis ces nouveaux réalisateurs parlent de ce qui se passe dans leurs pays. Ils abordent la place de la femme, la religion, les années noires, l’exode… Ce sont des films qui peuvent déranger, et c’est ce qui fait leur force.

  • Comment approfondir ces questions durant le Cinemed ?

Une table ronde avec des réalisateurs algériens, ouverte au public, est organisée mercredi 25 octobre à 17h au Corum, à l’Espace Joffre 1.
Sinon de nombreuses œuvres de cette nouvelle génération sont projetées toute la semaine.
Il est intéressant de mettre en parallèle ces films avec d’anciens longs métrages algériens. Par exemple Leila et les autres, de Sid Ali Mazif, tourné en 1977, et Kindil, de Damien Ounouri.
Dans le premier, on voit des femmes lutter pour leurs droits à l’usine, inspirées par le féminisme de la révolution. Alors que le second montre la régression de la place de la femme dans la société contemporaine.
Et bien sur les nouveautés de cette année : En attendant les Hirondelles de Karim Moussaoui et Les Bienheureux de Sofia Djama, devraient éclairer les spectateurs.

17 Octobre 2012: La République lucide

Place des martyrs de la résistance : Boudjemâa Laliam président de l’association des Algériens du Languedoc Rousillon est venu rendre hommage aux victimes du 17 Octobre 1961

Le 17 Octobre dernier la République est sortie de son mutisme pour reconnaître, par la voix de François Hollande, la « sanglante répression »extrait du communiqué d’Hollande le 17 Octobre 2012 qui provoqua la mort de plus d’une centaine d’Algériens à Paris en 1961. La fin d’un mensonge d’Etat qui aura duré 51 ans. Soulagement, déception, indignation et tentatives révisionnistes, les réactions à fleur de peau prouvent une fois encore la difficulté de la France à tourner la page de son histoire algérienne.

Ils sont peu nombreux ce soir-là sur la place des Martyrs de la Résistance à Montpellier. Une dizaine tout au plus. Une dizaine pour allumer la centaine de petites bougies qui portent chacune le nom d’une victime oubliée et les circonstances de sa mort. « Mort par balle le 17 Octobre 61 ». « Retiré de la scène le 21 octobre 61 ». « Battu à mort le 6 octobre 61 ». Des phrases lapidaires, crues, justes, qui accompagnent l’identité de ces hommes morts d’avoir voulu s’exprimer en République. Une centaine de voix que, 51 années plus tard, certains aimeraient toujours faire taire.

A Montpellier comme partout en France, de nombreuses associations ont appelé, une fois encore, au devoir de mémoire. A Montpellier comme partout en France l’appel résonne, se heurte au vide des consciences. Boudjemâa Laliam président de l’association des Algériens du Languedoc Roussillon est présent, un peu interdit « nous ne commémorons pas seulement les morts du 17 Octobre, nous rendons hommage à tous les algériens et kabyles qui travaillaient, vivaient en France. Cette immigration a permis la naissance d’une conscience politique, elle a permis l’Indépendance de l’Algérie. » Un jeune homme passe, il regarde les tracts, pose quelques questions mais fini par lancer « Ça sert à rien ce que vous faites ! ». Il est d’origine algérienne. La tentation est grande de penser qu’il n’a peut-être pas tort. Peut-être seulement. Tandis que les petites bougies flottent dans la fontaine de la Préfecture, un mouvement, une rumeur circule. « Hollande à fait une déclaration ! » . Le vide s’emplit, les cœurs aussi. Peut-être seulement…Retour sur les faits.

« Pogrom : le mot, jusqu’ici n’existait pas en français. » [[Sartre Les temps Modernes]]

Paris, Octobre 1961[[Source principale de ces données : l’ouvrage de l’historien spécialiste de la question algérienne B.Stora, 1998, La Gangrène et l’oubli, La Découverte, Paris]] , les « événements » d’Algérie, terme d’époque pour désigner « une guerre ne voulant pas dire son nom »[[J.Talbott, 1981, The war without a name, France in Algeria, Faber and Faber, London]] , font la une de tous les journaux. Alors qu’une vague terroriste fait trembler Alger, l’OAS (Organisation armée secrète pour l’Algérie française) multiplie les actions et les « ratonnades»[[terme dérivé de l’insulte « raton » qui désigne le passage à tabac des Algériens]] à Paris. Maurice Papon, alors préfet de police de Paris instaure un couvre-feu à destination de certaines catégories de citoyens français. Il exhorte les « travailleurs algériens (à) s’abstenir de circuler dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et, plus particulièrement de 20h à 4h du matin, (…) il est très vivement recommandé aux Français musulmans de circuler isolément, les petits groupes risquent de paraître suspects aux rondes et patrouilles de police. » En réponse au préfet, le FLN (Front de Libération National qui combat pour l’Indépendance de l’Algérie), organise une manifestation pacifique dans les rues de la capitale. Un témoin de l’époque affirme : « Il y avait quelques pancartes peut-être mais pas de banderoles ; pas de slogans non plus, mais une sorte de fort murmure, accompagné par des battements de mains. »[[Pierre Enckell, « quand les policiers jetaient des Algériens dans la Seine », L’Evénement du Jeudi, 16-22 mai 1991]] Selon les estimations de la police environ 30000 Algériens quittent les banlieues et les bidonvilles en direction des grands boulevards. Ils n’y parviendront jamais. Au cours de la nuit, les forces de police commandées par Papon donnent l’assaut. 11 538 Algériens sont arrêtés et placés dans des centres de tri à Vincennes et au Palais des sports. René Dazy, journaliste à Libération témoigne dans un entretien pour le documentaire Les Années algériennes : « Il y a un car où on jette vraiment, carrément des blessés attrapés par les pieds. Il y a des pieds qui pendent à la fenêtre, des jambes. Et à l’intérieur, un policier qui tape sur tous ceux qui essaient de se relever. » Des survivants parlent d’étranglement au lacet, de tabassages, de viols[[M.Levine, Ratonnades d’octobre, un meurtre collectif à Paris en 1961, Ramsay, Paris, 1985]] . La préfecture de police admettra deux morts, un chiffre promptement corrigé par le gouvernement qui reconnaîtra officiellement six morts et 136 blessés hospitalisés. Le 18 Octobre les journaux parisiens commentent. Pour Le Monde, il a été vu « plusieurs hommes en civil de type nord-africain qui s’enfuient armés de pistolets-mitrailleurs », Le Parisien libéré parle d’hommes qui « déferlent vers la capitale en multipliant les exactions et les cris hostiles ». Seul Libération titre sur les 41 autopsies réalisées dans la nuit. Les rapports parlent de « plaie au cuir chevelu, d’émasculation, de balles dans le ventre » . L’indignation tente de faire entendre sa voix. Les étudiants manifestent. Sartre dans Les Temps Modernes ira jusqu’à parler de pogrom : « Pogrom : le mot, jusqu’ici n’existait pas en français. Par la grâce du préfet Papon, sous la Vème République, cette lacune est comblée. » . Son journal sera saisi par le préfet. Dans les jours qui suivent, la Seine rend à Paris ses cadavres. Une commission d’enquête parlementaire est constituée. Elle n’aboutira, l’année suivante, qu’à une amnistie générale pour l’ensemble des faits relatifs à la guerre d’Algérie. Depuis, une autre guerre se poursuit, celle des chiffres, celle de la reconnaissance.

« Un cycle de deux mois connaissant son pic le plus visible le 17 Octobre. »

Au lendemain du 17 Octobre, aux six morts annoncés par le gouvernement, le FLN oppose 200 morts et 400 disparus. Les archives sont placées au secret rendant difficile le travail d’enquête des historiens. L’un d’entre eux, Jean-Luc Einaudi, s’y essayera néanmoins en 1991. Sur la base des archives du FLN et de témoignages français et algériens il fait état de 325 victimes algériennes, de violences policières sur la période septembre-octobre 1961. En 1997, lors du procès de Papon le gouvernement, Jospin décide l’ouverture temporaire des archives. Il mandate la commission Mandelkern. Celle-ci dresse une liste de sept noms, mais fait état de 25 morts algériens arrivés à l’institut médico-légal. En 1998, Elizabeth Guigou alors Garde des Sceaux, missionne le juge à la cour de cassation Jean Geronimi pour mener l’enquête. Il parviendra à prouver la mort de 48 Algériens dans la nuit du 17 au 18 Octobre tout en affirmant : « [Ce chiffre est] très vraisemblablement inférieur à la réalité, dans la mesure où l’on n’a pas la certitude que tous les corps immergés, particulièrement nombreux à cette époque, ont été retrouvés ». En mai 1998, Jean-Paul Brunet, historien et professeur à l’Ecole Normale Supérieure, est autorisé à son tour à accéder aux archives de la préfecture de police. Son travail aboutit à une estimation allant de 30 à 50 morts. La communauté des historiens s’insurge de la bonne foi accordée aux rapports des policiers de l’époque. Il faudra attendre 2006 pour que Jim House et Neil MacMaster, deux historiens britanniques apportent de véritables conclusions. Grâce à une autorisation d’accès illimité aux archives, les deux historiens confirment tout d’abord un « processus systématique et presque général de falsification » des rapports de police, rendant caduques les conclusions de Brunet. Caduque en fait la possibilité de chiffrer les morts pour cette seule nuit. House et MacMaster préfèrent considérer la crise de 1961 « comme un cycle de deux mois connaissant son pic le plus visible dans la nuit du 17 octobre. (…) En septembre et octobre, bien plus de 120 Algériens furent assassinés par la police en région parisienne » . Nous y voilà. Des doutes et des zones d’ombres perdurent. Elles ne pourront être levées tant que les archives ne seront pas totalement ouvertes. D’autres études suivront, d’autres chiffres, mais la guerre contre le révisionnisme semble belle et bien gagnée. Reste la bataille de la reconnaissance.

  « La République reconnaît avec lucidité ces faits »

En Octobre 2011, le site d’information Médiapart lance l’«Appel pour la reconnaissance officielle de la tragédie du 17 octobre 1961» : «Le temps est venu d’une reconnaissance officielle de cette tragédie dont la mémoire est aussi bien française qu’algérienne. Les victimes oubliées du 17 octobre 1961 travaillaient, habitaient et vivaient en France. Nous leur devons cette justice élémentaire, celle du souvenir». Cet appel demande également l’ouverture des archives qui, en vertu de la loi, de 1979 pourrait restées secrètes jusqu’en 2020. Parmi les signataire : le résistant Raymond Aubrac, Stéphane Hessel[[Stephane Hessel, Indignez-vous, 2010, Indigène Edition]] , le sociologue Edgar Morin, le philosophe Régis Debray, Michel Rocard ancien premier ministre, le directeur des Temps modernes Claude Lanzmann, les socialistes Martine Aubry et…François Hollande. Cette même année, il est investi comme candidat de la gauche pour les prochaines présidentielles. Il effectue alors le 17 Octobre, un déplacement au pont de Clichy en mémoire des Algériens massacrés. A cette occasion, il déclarait : « Il faut reconnaître ce qui s’est passé le 17 octobre 1961. Il s’est passé, une tragédie. (…) il faut toujours avoir le sens de ce qu’a été notre histoire, avec ses devoirs et parfois ses ombres».
Une parole a été dite et, en ce mercredi 17 Octobre 2012, l’attente est forte, lourde, angoissée. A Montpellier, place des Martyrs, personne ne semble trop y croire. « On est là pour le devoir de mémoire, même si tout le monde s’en fout. » lance une militante. Comment gérer l’affront d’un nouveau silence ? « Hollande a fait une déclaration ! ». En ce mercredi 17 Octobre 2012, le président Hollande a brisé le silence français. « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » Le communiqué est bref. La responsabilité des services de police implicite. Les avis des différents acteurs du débat divergent. L’Algérie affiche une certaine satisfaction. Kassa Aïssi, porte-parole du FLN affirmait au lendemain de la déclaration présidentielle : « Une nation grandit lorsqu’elle reconnait ses erreurs et ses fautes. Nous pensons que cette déclaration s’inscrit dans le sens d’une reconnaissance historique d’un fait avéré. » Le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal a salué de son côté, « les bonnes intentions » manifestées par la France à la veille de la visite officielle du président Hollande en Algérie (prévue pour décembre). Les associations parmi lesquelles le collectif « 17 octobre 1961 » se disent globalement satisfaites de « cette première étape » mais soulignent tout de même la nécessité de poursuivre ce combat. « Notre appel allait au-delà, et souhaitait notamment l’ouverture des archives » , a tenu à préciser Edwy Plenel, directeur de la publication de Mediapart. Pour Jean Luc Einaudi, « Cette déclaration était indispensable car pendant toutes ces années, la République a vécu sur un mensonge d’Etat ». Arezki Dahmani président de la Maison de l’union méditerranéenne considère quant à lui que « la déclaration de François Hollande est extrêmement décevante. Après cinquante et un ans et à la veille de son voyage en Algérie, on attendait quelque chose de fort ». Un avis qui rejoint les réactions exprimées par les Algériens sur les réseaux sociaux. Beaucoup auraient aimé la reconnaissance totale des crimes liés à la colonisation.

« Vive l’Algérie Française ! » : quand une partie de la droite joue les révisionnistes

La contestation est la base de l’esprit démocratique. Une partie de la droite a usé de ce droit pour exprimer son refus de la « repentance ». Ainsi en est-il de François Fillon qui déclarait sur Europe 1 : « J’en ai assez que, tous les 15 jours, la France se découvre une nouvelle responsabilité, mette en avant sa culpabilité permanente ». Si l’emploi de la formule « se découvre » paraît assez maladroit pour qualifier une demande de reconnaissance vieille de plus de 50 ans, le refus de la repentance est un point de vue que semble partager une partie de la population française notamment dans l’électorat de droite. Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale exprime dans un communiqué une opinion déjà plus paradoxale: « S’il n’est pas question de nier les événements du 17 octobre 1961 et d’oublier les victimes, il est intolérable de mettre en cause la police républicaine et avec elle la République toute entière ». Comment ne pas nier les « événements », (on remarquera le choix assez peu opportun de ce terme pour évoquer cette partie de notre histoire, voire le début de l’article) du 17 Octobre 1961 et ne pas mettre en cause la police républicaine, alors que différentes commissions officielles et des études historiques ont fourni les preuves de crimes perpétrés par la police. Passons rapidement sur les classiques du genre avec Marine Le Pen qui répondant à France 24 affirmait, avec toute la culture historique qui caractérise sa famille politique : « Il a mal choisi son événement puisque des rapports très sérieux démontrent que ce massacre est juste un bobard ». Que dire enfin de Christian Estrosi, député‑maire de Nice, qui le 20 octobre, à la fin d’un discours devant des anciens combattants et des harkis de sa ville lançait : « Vive l’Algérie française ! » . Ajoutant le 23 Octobre sur LCI : « Je n’ai pas à faire de devoir de repentance à l’égard de l’œuvre civilisatrice de la France avant 1962 » . Rappelons que l’alinéa 4 de la loi du 23 février 2005 enjoignant aux enseignants de faire état du « rôle positif » de la colonisation fut abrogé par le Président Chirac après un débat national houleux. Qu’en est-il alors des politiques ?
Une succession de provocations qui pourraient ne pas avoir d’autres fondements que la volonté de saper le travail de rapprochement avec l’Algérie entrepris par le gouvernement actuel. Un rapprochement qui connaîtra, dans un avenir proche, deux temps forts. Le premier aura lieu vendredi 25 Octobre puisque le Senat examinera une proposition de loi socialiste relative à la « reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ». Rappelons que la date du 19 mars célèbre le cessez-le-feu avec l’Algérie au lendemain de la signature des accords d’Evian. Le second en décembre, puisque François Hollande se rendra en Algérie. Il s’agira alors de renforcer la coopération entre les deux pays. Coopération restée en jachère depuis l’échec du traité d’amitié franco-algérien. Ce traité voulu en 2003 par Jacques Chirac et le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’avait pu aboutir en raison d’une trop grande discordance sur la question de la repentance française. Une succession de provocations qui pourraient ne pas avoir d’autres buts que de maintenir ouvertes les plaies d’une histoire intense et sensible. Celle de l’Algérie et de la France.
Que la caravane passe, les chiens aboieront toujours. En attendant, « Hollande a fait une déclaration ! »

L’Algérie, prochain pays contestataire ?

L’Algérie, comme son voisin tunisien, a été secouée au début du mois de janvier par des émeutes populaires. Le mouvement n’a cependant pas pris l’ampleur du soulèvement tunisien, à l’origine du changement de régime.

Mitterrand ou le verrou sauté de la tragédie algérienne

Jeudi 4 novembre sur France 2 était diffusé un documentaire exceptionnel : « Mitterrand et la Guerre d’Algérie ». Signé de l’historien Benjamin Stora et du journaliste François Malye, il retrace le rôle souvent ignoré et complexe que joua le futur Président de la République, en appliquant une sévère politique de répression en Algérie.

Une jeunesse française

La dernière réunion publique, organisée dans le cadre du débat sur l’identité nationale à Montpellier, a tourné au fiasco islamophobe ce lundi 11 janvier. Une preuve de plus, s’il en fallait, que ce débat n’apportera rien de bon et qu’il faut l’arrêter sur le champ. Si nous devons parler d’identités, des alternatives existent mais le pouvoir n’a certainement pas envie de les envisager. Parti pris à l’appui du parcours d’un officier de la Légion d’honneur aujourd’hui âgé de 84 ans, et qui vit depuis 40 ans dans le Vercors.

Eléctions Présidentielles en Algérie : C’est reparti pour 5 ans!

L’Algérie s’est réveillée ce matin avec une drôle de tête, et pourtant rien n’a changé…Sauf, la réélection du Président Abdelaziz Bouteflika pour la troisième fois consécutive avec plus de 90% des voix, et un taux de participation officiel qui atteint 74%. L’opposition crie au scandale…

Sur fond de polémique; entre boycott, suspicion de fraude et désintéressement de la population. Le Président Bouteflika a été reconduit sans grande surprise, pour un troisième quinquennat avec 92% des voix. Derrière lui, arrive Louiza Hanoune, présidente du parti des travailleurs (PT) avec 4,22%. Un triomphe qui ne surprend guère la population se préoccupant davantage de ses conditions de vie, de plus en plus difficiles, entre pouvoir d’achat, chômage et insécurité.

Chronique d’une victoire annoncée

Tout a commencé, en novembre 2008 quand le parlement algérien a amendé la constitution pour supprimer la limitation à deux du nombre possible de mandats présidentiels, ouvrant ainsi la voie à un troisième quinquennat d’Abdelaziz Bouteflika. La réforme constitutionnelle a été adoptée à une écrasante majorité lors d’une session conjointe de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation. Le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), parti d’opposition avait dénoncé à l’époque « un coup d’état déguisé ».

«Boycotter devient un acte révolutionnaire»

Le début de la campagne électorale, le 19 mars dernier a été marqué par un événement surprenant : l’appel au boycott par le vieux parti d’opposition, le Front des Forces sociales (FFS) qui a dénoncé le favoritisme de l’administration pour le Président sortant, et notamment la télévision publique (l’Algérie ne possède pas de chaines de télévisons privées). Lors d’un point de presse, donné au siège du parti à Alger, le secrétaire général du FFS, Karim Tabou a regretté la manière avec laquelle s’était déroulée la campagne électorale qu’il a jugée « favorable à un seul candidat, ainsi que le parti pris de l’administration au profit de ce candidat ». Il a également dénoncé «  l’état de siège  » imposé par la police au local du FFS à Alger, depuis le début de la campagne électorale, empêchant le parti de mener campagne en faveur du boycott.
Le RCD quant à lui a remplacé la bannière nationale par un drapeau noir, symbole « de deuil contre l’absence de la démocratie » .Un geste fort symbolique qui a créé la polémique sur la scène politique algérienne.
Cependant, favori dès le début de la campagne électorale, Abdelaziz Bouteflika, élu en 1999 et réélu en 2004 avec 84,99 espérait une large participation des 20 millions d’algériens inscrits afin d’asseoir sa légitimité. D’ailleurs, lors de ses différents meetings, le Président sortant a appelé les algériens « à voter même contre lui, mais ne pas négliger l’acte de voter » . Dans les rues, les algériens n’étaient guère motivés car ils disaient connaitre le résultat, même six mois à l’avance : « le seul suspense dans ces élections est le taux de participation, c’est incroyable mais c’est une formule typiquement algérienne » lâche Sofiane étudiant en documentation à l’université d’Alger. D’autres, avouaient qu’ils allaient voter par peur de perdre certains droits – une rumeur qui courrait un peu partout en Algérie- « J’ai peur d’avoir plus tard, des obstacles pour certains papiers administratifs ou qu’on exige ma carte de vote si je me présente à un entretien de travail ». Mais certains électeurs avouent avoir voté à contre cœur pour avoir le sentiment d’agir, comme Nadia, manager, vivant à Paris : « j’irai voter pour le moins pire, après tout, Boutef est le seul à avoir de l’expérience parmi les six candidats ».

Jeudi 9 avril : 20 millions d’algériens ont été invités aux urnes, pas d’engouement particulier dans les grandes villes et notamment, Alger, le ciel est gris, les rues semblent désertes, on attend le score et on pense au prix de la pomme de terre qui atteint 120 DA( environ un euro)…

Vendredi 10 avril, à 12h00 heure française, l’annonce officielle du secret de Polichinelle. 92% de voix et 74.11 %, tel est le taux de participation définitif à l’élection présidentielle de ce jeudi 9 avril 2009. Ce taux annoncé par le ministre de l’intérieur dépasse largement toutes les prévisions. Depuis 1995, à l’occasion de l’élection de Liamine Zeroual, les taux de participation aux élections ont rarement dépassé la barre des 60 %.
A 72 ans, Abdelaziz Bouteflika est réélu pour la troisième fois. C’est reparti pour 5 ans ! Dès la veille, on pouvait voir sur les trois chaines de télévisions publiques, des images et des scènes de joie de la population, où on décrit « une fête de la démocratie ». L’opposition est loin d’être d’accord et veut se faire entendre….

L’opposition crie au scandale !

L’opposition représentée par les deux partis, le Front des Forces Socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) parlent de « fraudes et mascarades électorales » .Le RCD a annoncé dans un communiqué qu’il avait mis en place un procédé d’évaluation ciblant des wilayas du grand Sud, des hauts plateaux et du Nord. Prenant un échantillon de 58 centres de vote urbains, périurbains et ruraux, les estimations recueillies à 16h donnent un taux de participation nationale de 16.73%. A titre d’exemple, le taux de participation à Tlemcen ville à 15h était de 13.28%. A la même heure, la ville de Sidi Bellabes (ouest) enregistrait un taux de 17.33%. « Les irrégularités sont massives, multiples et se retrouvent du nord au sud et de l’est à l’ouest, illustrant une stratégie centralisée de la fraude » ». De son côté le ministère de l’intérieur se félicite du bon déroulement des élections en affirmant que « le système électoral garantissant la transparence et le respect des résultats du vote était assuré « . Il a souligné la présence en Algérie d’observateurs de l’Union africaine, de l’Organisation de la conférence islamique, de la Ligue arabe. L’ONU a pour sa part envoyé une « mission de suivi », chargée de faire un rapport au secrétaire général, Ban Ki-moon.

le paradoxe algérien

Le paradoxe algérien

L’Algérie est 100 ème (sur 179) dans le classement de l’ONU du développement humain (éducation, santé, niveau de vie…).- 92ème sur 180 au classement de la corruption établi par Transparency Internationl, en septembre 2008. La population algérienne est composée de plus de 70 % de jeunes de moins de trente ans, ces jeunes souffrent de chômage, et la majorité d’entre eux veut quitter le pays d’une manière régulière ou… sur des embarcations de fortune. Ces mêmes jeunes qui ont refusé d’aller voter jeudi en signe de mécontentement ou de ras-le-bol. Ces jeunes qui avec ou sans diplômes se retrouvent souvent avec des contrats précaires s’ils ont la chance de trouver un emploi « mon pays ne m’a rien offert de positif jusqu’à maintenant et n’a fait aucun effort pour moi… », lâche Yazid, un jeune homme « sans papiers » vivant à Paris. Imane, biologiste de formation (avec un bac +5) travaille sans être déclarée comme assistante commerciale dans une petite entreprise de produits para-pharmaceutiques à Oran, où elle touche à peine le SMIC. En Algérie, nombreux sont comme Imane à accepter des emplois précaires pour survivre. Et cela est un énième fléau qui devrait préoccuper le président fraichement réélu.

Par ailleurs, Abdelaziz Boueflkia a certes effacé la dette extérieure du pays, et a mis en place une politique de réconciliation nationale pour lutter contre l’insécurité. Mais le chemin du développement reste long à parcourir. Pour les cinq années à venir, le président devrait être sur tous les fronts en même temps car le quotidien des algériens demeure très difficile, au point que le peuple n’ose plus espérer…

Algérie : la blogosphère s’anime !

La blogosphère algérienne est animée depuis quelques semaines suite à deux affaires qui ont fait polémique sur l’espace public et dont « la star « est la ministre de la culture. Il s’agit du limogeage de Amine Zaoui, directeur de la bibliothèque nationale et de la censure du nouvel ouvrage du journaliste Mohamed Benchicou «Journal d’un homme libre». Les raisons invoquées par la ministre : « incompétence» pour le premier et « diffamation » pour le second.

De nombreux blogs et sites ont connu une grande effervescence suite au buzz médiatique, en enregistrant une augmentation de visiteurs et de commentaires. Même la communauté Facebook s’en est mêlée puisque des groupes ont été crées et certains internautes sont tellement déterminés qu’ils appellent à un débat «facebookien» pour le sauvetage de la démocratie en Algérie. «La blogosphère est avant tout un espace de liberté devant le black-out des médias publics et la frilosité des titres privés, c’est aussi le seul espace où le citoyen algérien lambda peut s’exprimer librement» nous déclare un journaliste algérien.

Intellectuels, poètes, et journalistes sont les premiers à dénoncer ces deux affaires et ils fustigent une volonté du pouvoir d’asphyxier la liberté d’expression en général. Sur le site d’informations généralistes de Mohamed Benchicou [[www.lematindz.net]], on trouve des témoignages de sympathie – NDLR-après deux ans de prison, le journaliste est considéré désormais comme un symbole de résistance et de rébellion – ou on peut lire des message de soutien ou de condamnation de cette censure. Et l’affaire du limogeage du directeur de la bibliothèque nationale a aussi suscité un débat sur le net. D’ailleurs de nombreux écrivains, poètes algériens, tunisiens et marocains ont signé des pétitions en ligne.

Ces deux affaires ne sont nullement inédites dans un pays où l’autoritarisme est l’espace le mieux assumé. D’ailleurs, la ministre de la culture a affirmé sa position: « j’assume » pour la censure du livre, invoquant que « la constitution qui garantit l’honneur des citoyens et le code pénal condamnent les atteintes à la révolution, à l’honneur du chef de l’Etat et celui des fonctionnaires des corps constitués». Dans le cas du directeur de la bibliothèque nationale, la ministre a parlé, du moins à travers un communiqué du ministère, « d’incompétence ».

Suite à ces deux décisions, il y a eu une extraordinaire levée de boucliers. Dans son blog, Benchicou contre-attaque et tente de répondre à la ministre en publiant des extraits de son ouvrage mettant en doute les affirmations de la ministre qui est arrivée à dire qu’elle avait évité la prison à son auteur. D’autres blogs considèrent que ces deux affaires peuvent cacher l’actualité réelle d’aujourd’hui, marquée par la propension à l’hyperprésidentialisme d’une nouvelle constitution faite sur mesure pour le Président. Le débat est chaud. Les uns considèrent, à force d’arguments, que c’est le retour de la censure et de l’unilatéralisme, les autres avancent l’idée que le pays n’a pas changé fonctionnant toujours comme une simple dictature.

Pendant ce temps là, Internet reste la vedette du top 10 des loisirs de la population algérienne, jeune pour la quasi majorité. Ce média social est de plus en plus vulgarisé en Algérie, avec la multiplication des cybers-espaces et les offres pour les particuliers. «Le net est le seul espace où on peut dire ce qu’on pense en toute liberté afin de faire bouger les choses ! » nous confie un jeune étudiant algérien de 22 ans. L’Algérie est-elle en train de vivre sa période de cyber-militantisme? Affaire à suivre…

Le combat des journalistes algériens

Le temps s’y prête. Pendant qu’en France se déroule l’incroyable farce des États généraux de la presse, c’est l’occasion d’ouvrir une réflexion sur le métier de journaliste. Petit tour de l’autre côté de la méditerranée.

L’histoire du journalisme indépendant en Algérie est relativement jeune et toujours en construction. 121ème sur les 173 pays répertoriés par le classement mondial de Reporters Sans Frontières, l’Algérie n’a pas dit son dernier mot. Aujourd’hui, les journaux qui revendiquent leur indépendance se battent au quotidien pour une presse libre à l’image d’un régime démocratique tant attendu.
Ahmed Ancer et Ali Bahmane, journalistes et fondateurs du quotidien indépendant francophone à Alger El Watan, étaient en visite à Montpellier le 7 octobre 2008 dans le cadre d’une conférence sur la liberté de la presse en Algérie. Témoins d’une réalité vécue où la torture comme méthode dissuasive n’est pas si loin, ils racontent l’Algérie d’aujourd’hui. Plus subtile, « la terreur de l’État se manifeste désormais d’une autre manière » explique Ali Bahmane. « Ils se sont rendu compte que les journalistes en prison, ce n’est pas un bon coup, donc ils multiplient les contrôles fiscaux, les amendes, les pressions avec les procès et la gestion de la publicité ». C’est sûr, avec un président qui a clairement dit dès son arrivée qu’il n’aimait pas la presse et qui refuse depuis 1999, de la recevoir…

Faveurs et restrictions: L’habile dosage de l’Etat

Selon un rapport du ministère de la communication algérien du 22 avril 2008, il y aurait 291 titres de presse écrite en Algérie. 65 quotidiens, 89 hebdomadaires et 137 périodiques. Il y a cinq journaux gouvernementaux c’est à dire qui appartiennent à L’Etat: El Moudjahid, Horizons, An Nasr, Al Djemhouria, Echaab. Tous les autres titres sont privés et se sont développés depuis la fin des années 1990 sur initiative du chef du gouvernement Mouloud Hamrouche qui comptait sur ce nouveau paysage médiatique privé pour le soutien de son action. C’est un grand moment de liberté pour la presse qui n’est plus alors le monopole exclusif de l’Etat. On assiste à l’émergence de journaux dit indépendants, c’est a dire plus d’initiatives étatiques qui vont vite devenir des organes d’opinions politiques. Aujourd’hui, être un journal privé en Algérie ne veut pas dire pour autant être un journal indépendant du pouvoir politique c’est à dire insensible aux pressions venues du gouvernement. Longtemps pris entre deux feux : l’État et l’intégrisme, le gouvernement reste le principal opposant à la liberté de la presse. Pour Ahmed Ancer, » depuis 1998, le gouvernement a favorisé la création de titres qui servent uniquement à concurrencer et faire écran aux journaux indépendants en plus de relayer les discours officiels. » Le fait qu’il y ait de plus en plus de titres en Algérie, 291 en 2008 pour 50 à la fin des années 1980, n’est pas forcément signe de bonne santé démocratique.
Si depuis 1997, les comités de censure ont disparu, l’état fait pression grâce à l’imprimerie, la publicité et le monopole du papier.

L’imprimerie

Cinq imprimeries de presse appartiennent à l’Etat : l’imprimerie du quotidien gouvernemental El Moudjahid (SIMPRAL), l’Entreprise algérienne de presse (ENAP), la Société d’impression d’Alger (SIA), la Société d’impression de l’Est (SIE), la Société d’impression de l’Ouest (SIO). Elles disposent d’un quasi-monopole sur l’impression des journaux. Aujourd’hui, il est possible pour les journaux d’avoir leur propre imprimerie mais la plupart n’en ont pas les moyens. Seuls El Watan et El Khabar ont leur imprimerie. Lorsque les tarifs augmentent et que certains journaux ne peuvent pas payer, si des arrangements financiers ne sont pas trouvés, le titre n’est plus imprimé. Or les imprimeries étant des entreprises d’Etat, celui ci se cache souvent derrière ces arrangements. Et la décision est souvent politique. Ainsi, les dettes sont aussi utilisées pour empêcher la parution de titres jugés  » dérangeants « . En décembre 1996, l’hebdomadaire La Nation, dirigé par Salima Ghezali, rare journal a dénoncer les violations des droits de l’homme a dû cesser de paraître, faute de pouvoir régler ses arriérés auprès de la SIA. Pour Salima Ghezali, il ne fait aucun doute qu’il s’agissait  » d’une interdiction politique  » L’imprimerie d’État a définitivement refusé de l’imprimer, sous prétexte d’une dette que l’hebdomadaire pouvait et voulait pourtant rembourser…
L’état procède parallèlement à des assainissements financiers pour certains de ces journaux endettés. L’aide indirecte à la presse ayant été supprimée en 1993, les petits journaux qui revendiquent un ton indépendant doivent donc avoir les moyens de leur existence.

La publicité

La publicité, autre source de financement, est elle aussi un moyen de pression. La répartition des budgets publicitaires de l’État et de ses entreprises a été déléguée à l’Agence nationale de l’édition et de la publicité (l’Anep). Or celle-ci tend à distribuer des fonds plus importants à la presse proche du gouvernement faisant ainsi couler les petits journaux. Si l’ANEP gère moins de 30% du marché global (annonceurs privés et publics), le poids du secteur public (Etat, collectivités locales, entreprises nationales, etc.) reste déterminant dans les recettes de nombreux titres. De nombreux journalistes affirment que la publicité publique est répartie en dehors de toute logique économique : des journaux à faible tirage bénéficient de rentrées publicitaires presque équivalentes à celles de titres aux tirages nettement plus importants. D’autres vont même plus loin, expliquant que les pouvoirs publics, via l’ANEP, n’ont pas hésité à  » étrangler  » financièrement certains titres « mal pensants ». L’administration est aussi là pour décourager les plus farouches, Ali Bahmane l’explique avec un humour teinté de lassitude : « Pour un reportage dans un lycée, il faut l’autorisation du ministre de l’éducation. Pour aller rendre visite à des aveugles, il faut demander la permission au ministre de l’aveuglement ! »
Brahim Brahimi, enseignant chercheur, spécialiste de la presse écrite et auteur de plusieurs ouvrages sur la presse, explique dans l’article de Madjid Makedhi dans l’édition du journal El Watan du 19 juillet 2008 a propos de l’assainissement des dettes de certains éditeurs privé annoncée en juillet 2008 « les pouvoirs publics veulent maintenir les journaux sous leur joug. Mis à part 5 à 6 journaux qui échappent à toute influence, tous les autres titres sont sous influence des forces occultes et font l’objet de chantages en tout genre. Il y a au moins 40 titres qui tirent à moins de 10 000 exemplaires, dont on ne connaît pas les propriétaires. »

Le papier

L’importation du papier est contrôlée par l’Algérienne de papier (ALPAP), une autre entreprise d’Etat qui, en cas de crise sur le marché mondial du papier influe sur la parution des journaux. Ainsi, fin mai 1995, les
kiosques d’Alger étaient vides, faute de papier. Cette pénurie a été utilisée par le pouvoir pour contraindre les journaux à réduire leur tirage, en fonction de critères politiques : le quotidien El Khabar a vu son tirage passer de 100 000 à 75 000 exemplaires, l’hebdomadaire La Nation a du cesser sa parution car on lui proposait de baisser son tirage de 70 000 à… 15 000 exemplaires.

Justice et prison : Des armes redoutables

Les journalistes algériens ont un statut fragile. Les autorités continuent de faire la sourde oreille aux demandes répétées de réforme du code de l’information qui permet d’emprisonner des journalistes pour des « délits de presse ». « Le directeur du journal passe plus de temps dans les tribunaux que dans son bureau » s’attriste Ali Bahmane. Le code pénal a ainsi été remanié, pour y introduire deux dispositions instituant des peines de prisons et de lourdes amendes en cas d’insulte, d’outrage et de diffamation envers le Président de la république. Il arrive aussi que, faute de mieux, de nouveaux délits soient inventés. Ainsi racontent les deux journalistes, le délit « d’information prématurée » a servi contre le journal El Watan afin de sanctionner un article. Le motif invoqué ? Le journal aurait dû attendre par respect pour la famille afin que celle-ci n’apprenne pas la nouvelle aussi brutalement.
La prison reste aussi une réalité. Même si elle reste exceptionnelle selon les deux journalistes. « Il y a beaucoup de peines de prison ferme non exécutées, de sursis ou de suspensions des titres pendant quelques jours… La prison est surtout un moyen de pression pour pousser le journaliste à l’autocensure. » Mais finalement, face à un audiovisuel réduit à une vaste machine de propagande avec seulement une chaîne de télévision, deux stations de radio et un Internet libre mais très peu accessible, la presse fait figure de précurseur. Elle peut aussi compter sur une véritable société civile algérienne. Avec une population composée à majorité de jeunes de moins de 30 ans, les choses bougent et les voix se font de plus en plus entendre rappellent les journalistes.

Le paradoxe de la censure

Dans les pays où la presse est libre, les pressions politiques et économiques pourtant moins visibles et moins directes poussent certains journalistes à l’autocensure. On nuance ou passe sous silence pour ne pas déplaire aux annonceurs ou pour être sûr d’être invité aux conférences de presse…Finalement la liberté de la presse en droit n’est pas une réalité de fait. Le journaliste pantouflard et rond de jambes est aussi là où il est libre. Celui qui se sait emprisonné n’a de cesse que de se battre pour une liberté qu’il n’a pas l’intention de saborder lui même. L’exemple de ces journalistes algériens qui ont fait le choix difficile de l’indépendance montre que le rôle du journaliste est avant tout d’aller chercher l’information peu importe le coût. Le journalisme indépendant ne se fait pas assis et avec des gants. Il serait dommage d’attendre la censure pour arrêter de s’autocensurer. Dommage d’attendre une initiative présidentielle pour commencer une réelle réflexion sur l’avenir de la presse et l’éthique du journaliste.

[Pour en savoir plus: [Dossier numéro 7 réalisé par Sahra Kettab et François Gèze en Juin 2004 pour le comité justice pour l’Algérie:
http://www.algerie-tpp.org/tpp/pdf/dossier_7_presse.pdf]]