La calligraphie en héritage
Né en 1968, soit deux ans après le début de la Révolution Culturelle, d’un père « rouge », haut fonctionnaire du parti communiste et d’une mère « noire », petite fille de capitaliste, il se décrit lui-même comme étant « le fruit du noir et du blanc, du yin et du yang ». Un enfant mélange de deux cultures mais également descendant d’une grande lignée de calligraphes. Son arrière grand-père était, en effet, peintre impérial au service de Guangxu, l’avant dernier empereur chinois. C’est cette filiation prestigieuse qui va pousser le jeune Shan Shan vers la calligraphie dès l’age de 5 ans. Talent précoce, à 9 ans il gagne le premier prix de calligraphie des jeunes de la province du Sichuan.
A cette époque, l’art de calligraphie est épargné par la folie destructrice de la Révolution Culturelle mais reste au service de la propagande communiste, faisant d’elle une « calligraphie slogan». Contraints de suivre la ligne officielle édictée par les dirigeants du Parti les artistes ne doivent pas sortir du cadre imposé. Comme le confie Shan Shan « Il ne fallait pas se réclamer calligraphe ». En désaccord avec son père, défenseur du régime, qu’il a longtemps considéré comme un «ennemi» il décide d’emprunter un autre chemin et de se consacrer à son art. «Je vis pour ma liberté, lui vit pour sa liberté» avoue-t-il plein de respect pour un homme qui, en dépit de leurs désaccords politiques, n’aura cesser de l’aimer.
Calligraphe prometteur, mais en attente de reconnaissance, Shan Shan se tourne alors vers son autre passion, la poésie. Vouant, dès son plus jeune âge, une grande passion pour Rimbaud, Verlaine et Baudelaire, le jeune homme va s’affirmer en créant, à 20 ans, la revue Chine libre, dans laquelle il publiera les poèmes de dissidents. En parallèle, il enseigne dans la ville de Panzhihua où il rédige une thèse sur le grand poète chinois taoïste Li He . Il se fera connaître en contribuant à l’émergence d’une nouvelle forme de poésie, dite de «troisième vague», mais aussi en s’impliquant dans le mouvement étudiant de contestation.
«On pensait faire tomber le système communiste.»
En 1989, Shan Shan entre en dissidence contre le régime. Alors qu’à Pékin les étudiants manifestent place Tien An Men contre la politique du président Deng Xiaoping, Shan Shan va participer au mouvement de contestation générale qui embrase la Chine en étant l’un des leaders des manifestations étudiantes à Panzhihua. « On pensait faire tomber le système communiste » explique-t-il avec amertume. Cette révolte se soldera par un échec et lui vaudra d’être arrêté un an après. Il sera accusé de subversion et passera deux mois et demi derrière les barreaux. C’est alors qu’il décide de prendre le chemin de l’exil.
En 1992 il quitte la Chine et s’installe en France, pays dont il est profondément amoureux. A son arrivée dans l’hexagone, il rencontre Charles Pasqua, à l’époque ministre de l’intérieur, et côtoie les élites politiques de droite et de gauche, de Chirac à Jospin. N’ayant pas perdu son goût pour la politique il adhère au parti socialiste pendant 5 ans . Shan Shan avoue pourtant trouver que « dans la droite il y a des gens plus sympa qu’à gauche. En 1995, l’artiste choisit de poser ses valises à Montpellier. Il y fondera son atelier de calligraphie et tissera des liens d’amitiés avec le baron local Georges Frêche et l’actuel président de l’Agglomération Jean-Pierre Moure.
Sur le plan artistique il crée la calligraphie libre et l’enseigne dans son atelier de la rue de la Valfère, dans le centre historique. Remettant en question la calligraphie classique, art de bien former les caractères, les oeuvres de Shan Shan Sun mêlent les cultures chinoise et française dans ce qu’il nomme « calligraphie sans caractères », et se rapprochent de la peinture. A la différence de l’art traditionnel ,le souffle et l’esprit sont primordiaux dans le geste et le tracé des caractères. Comme le résume le maître: «il faut que le cerveau soit touché par quelque chose et le mouvement apparait.»
Un regard optimiste sur l’avenir de la Chine.
Vivant en France depuis 20 ans le calligraphe se tient désormais en retrait du mouvement de dissidence chinois. Mais Shan Shan Sun n’en conserve pas moins un regard critique sur la politique chinoise. Pour lui, la Chine « est une pile, elle va éclater.». Défendant les « vrais combattants », ceux qui ont risqué leur vie ou sont emprisonnés, et ami de l’écrivain et prix Nobel Liu Xiaobo, il qualifie l’opposition chinoise de « tremblement de terre invisible » susceptible d’émerger et de faire tomber le régime. Un régime politique qui selon lui pourrait évoluer d’ici 10 ans avec l’arrivée de nouvelles générations au pouvoir.
A l’inverse, il se montre plus critique envers certains membres de cette dissidence, à l’instar de l’artiste contemporain Ai Weiwei, dont l’arrestation pour fraude fiscale avait fait grand bruit dans la presse internationale. Son amitié envers Weiwei ne l’empêche pas de considérer qu’il « est un grand artiste mais politiquement un clown. ». Il lui reproche surtout de s’occuper de sa propre carrière plutôt que de l’avenir de la Chine et de ne produire que des «faux gestes».
Entre révolution artistique et révolution politique Shan Shan Sun assume ses engagements. Sa devise est d’ailleurs inscrite sur les sceaux qu’il appose à la cire rouge au bas de ses dessins : « la vérité est un courant éternel. »
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