Grand entretien avec Richard Sammel (1/2) : Le cinéma.

De OSS 117 à Inglourious Basterds en passant par Un village français, Richard Sammel a enchaîné les productions à succès, devenant l’un des nazis les plus populaires du cinéma international.
Membre du jury du premier Festival International du Film Politique (FIFP) qui se clôturera ce samedi à Carcassonne, l’acteur allemand nous livre son regard sur le monde du cinéma et évoque ses nouveaux projets.

“Le cinéma politique permet de trouver des solutions et de ne plus se taper sur la gueule”

Pourquoi avoir accepté de faire partie du jury du premier Festival International du Film Politique ?

D’une part, je souhaitais soutenir cette initiative. Car d’une manière générale, il manque de films politiques à l’écran. Le film politique est un moyen pour l’art de pointer ce qui ne va pas dans la société. Et comme il y a beaucoup de choses qui ne vont pas aujourd’hui, je trouve important qu’un festival comme celui-ci existe pour les mettre en lumière.
Mais je viens aussi pour moi, tout simplement, en tant qu’étudiant, pour découvrir des films qu’autrement je ne verrai pas car ils risquent d’être peu programmés en salles.

Quel regard portez-vous sur ce début de festival ?

Il est très intéressant et offre une belle base de réflexion. On sent un vrai intérêt du public notamment lors des discussions avec les équipes des films après les diffusions. C’est super important de créer des événements fédérateurs comme le FIFP. A partir du moment où on arrive à discuter ensemble, on évite de se taper sur la gueule. On se rend compte qu’on est tous dans le même bateau et qu’on peut trouver des solutions pour s’en sortir.

“Si je suis juste là parce que je suis Allemand, que je porte bien l’uniforme et que je peux crier d’une manière assez convaincante, ce n’est pas la peine.”
Depuis vos débuts à l’écran en 1991 dans La Secte de Michele Soavi, vous avez décroché plus de 110 rôles. Qu’est-ce qui vous passionne tant dans le cinéma ?

J’ai depuis toujours un goût prononcé pour l’art au sens large. J’ai d’abord fait des études de musique puis le jeu de l’acteur a pris le dessus et j’ai eu la chance d’en faire mon métier. Je me considère constamment comme un élève itinérant. Je vais toujours là où les challenges m’attendent, surtout s’ils me font peur. Il est passionnant de sortir de sa zone de confort. J’aime m’exposer à d’autres langues et d’autres cultures par exemple.

Vous avez souvent joué des rôles d’officier allemand pendant la Seconde Guerre Mondiale au cours de votre carrière. Sortir de votre zone confort, c’est aussi chercher d’autres rôles que celui du nazi ?

J’ai joué une vingtaine de fois ces rôles là. Sur 110 films, ce n’est pas tant que ça finalement. Mais c’est vrai que ces rôles ont marqué mon CV car ils ont connu un grand succès (La vie est belle, OSS 117, Un Village français, Inglourious Basterds). Je ne suis pas lassé de ces rôles là, je suis plutôt lassé de me répéter tout le temps. Car il me semble que beaucoup de scénaristes utilisent ce rôle d’officier allemand dans une logique de réduction historique. On essaye de cantonner les nazis à des espèces de brutes, sadiques et sans coeur. On laisse le spectateur dans sa zone de confort. Si je suis juste là parce que je suis Allemand, que je porte bien l’uniforme et que je peux crier d’une manière assez convaincante, ce n’est pas la peine. A partir du moment où ça ne me fait pas grandir en tant qu’artiste, ça ne m’intéresse pas.
Par contre des personnages complexes, comme celui d’Heinrich Müller dans Un village français, où l’on prend le temps de raconter l’histoire d’un homme, c’est différent.

 “La réalisation est l’un des rêves que je poursuis”

Vous avez tourné avec de nombreuses légendes du cinéma comme Brad Pitt ou Quentin Tarantino. Qu’est-ce qui ressort de ces expériences ?

C’était nul (rires). Non je plaisante bien sûr, c’était un rêve qui se réalisait. Que dire de plus ? C’était magnifique bien évidemment ! Plus simple, chaleureux et instructif que je ne l’imaginais. Les plus grandes stars, on les met toujours au firmament, et à partir du moment où vous les rencontrez, vous vous rendez compte qu’elles sont comme vous et moi. C’est cette approche simple finalement qui permet d’être complètement à l’aise. C’est uniquement quand vous voyez la place accordée à votre film dans les médias que vous vous dîtes “j’ai travaillé avec des Dieux”. Vous le saviez avant, vous le savez après, mais ils font en sorte que vous l’oubliez pendant. C’est ce qui rend l’expérience superbe.

Vous êtes aussi à l’aise au cinéma et à la télévision qu’au théâtre. Quelles sont vos envies pour l’avenir ?

J’aime beaucoup varier les supports. Actuellement, je suis très attiré par la comédie, les films politiques et les chroniques sociales. J’aime beaucoup les choix cinématographiques de Vincent Lindon et d’Olivier Gourmet par exemple. Ce qu’ils font est extrêmement engagé, extrêmement humain. Mais je suis très éclectique. Faire un Marvel me plairait aussi beaucoup.

N’avez-vous jamais envisagé de passer de l’autre côté de la caméra ?

 La réalisation me tente c’est vrai. Je donne des stages d’acteurs à des professionnels et il semble que j’ai un crédit auprès d’eux car on parle le même langage. Je trouve que j’ai la possibilité de sortir quelque chose d’eux qui les dépasse. C’est ce qui m’intéresse moi-même, aller au-delà de ce que je sais faire. Après, il y a aussi des histoires que j’ai envie de raconter. Ca mijote depuis un moment. Je suis actuellement en phase d’écriture. Je ne sais pas si ça va aboutir dans un scénario, mais la réalisation est sur la liste de mes rêves.

A suivre prochainement : Grand entretien avec Richard Sammel (2/2) : la politique.

Propos recueillis par Paul Seidenbinder et Boris Boutet

GRAND ENTRETIEN – Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti  «Pour comprendre une société, il faut regarder les individus qui sont en marge »

Ils sont inséparables, depuis 2004, le couple franco-turc a réalisé ensemble une dizaine de films. Une complémentarité et un soutien mutuel à l’origine d’une filmographie riche qui s’interesse aux exclus et aux rapports entre les genres.

Pour cette 40 ème édition de Cinemed, vous présentez Sibel en compétition long métrage, quel lien entretenez-vous avec le festival ?

Guillaume Giovanetti : C’est la troisième fois que nous sommes présents à Cinemed. La première fois c’était pour les bourses d’aide au développement avec Nour en 2006 et puis il y a trois ans pour Sibel. C’est le premier festival à nous avoir fait confiance et donné de l’argent pour un long métrage.

Çagla Zencirci : Cinemed nous a offert du soutien concret, financier pour un projet qu’on a pu développer. C’est excellent. On adore le festival parce qu’ils ont compris qu’un réalisateur, il faut qu’il mature. C’est en faisant des films qu’il acquiert de l’expérience. Quand vous recevez ce soutien, vous avez la liberté d’avancer en tant que réalisateur de manière indépendante.

Dans Sibel, vous traitez de l’exclusion d’une jeune femme muette et du manque de solidarité qu’elle subit au sein de son village en Turquie.

CZ : Avec ce personnage féminin rejeté par la société dans son intégralité, on voulait montrer le manque de solidarité entre les femmes, une entraide qui est absente. Il y a une vraie violence qui existe, une forme de compétition entre les femmes. A l’inverse, les deux personnages masculins que nous avons créés, n’interfèrent pas dans les décisions de notre personnage principal. Ils la laissent totalement libre de ses choix, mais la soutiennent dans le chemin qu’elle souhaite entreprendre. C’est ce genre d’homme que l’on veut voir dans la vraie vie.

Est-ce un film politique ?

CZ : Nous ne nous sommes jamais définis en tant que réalisateurs politiques. Notre vie est politique, on ne peut pas s’en débarrasser. Mais on a toujours utilisé la politique comme un décor. On a essayé de voir quels sont les effets des politiques menées sur nos personnages qui ont toujours été des exclus. Nous pensons que pour comprendre une société, il faut regarder les individus qui sont en marge. Là vous avez une idée très très claire de la société en elle même.

Est ce pour cela que vous avez réalisé Ata en 2008, pour montrer les difficultés d’intégration, en France cette fois ?

GG: Nous avions rencontré par hasard un homme de la communauté ouïghoure (turcophone musulmane de l’Ouest de la Chine) il y a une quinzaine d’années en France. Il était sans papiers, dans un processus d’exclusion avec des difficultés pour parler le français. Nous nous sommes inspirés de son histoire. Le film traite de la rencontre entre ce personnage ouïghour, qui n’a par défaut rien à voir avec la société française, et une jeune Turque venue en France pour des raisons amoureuses, pas du tout pour des raisons politiques ou économiques. Son fiancé la laisse au début du film, elle se retrouve seule dans un pays étranger complètement désemparée.

C’est cette marginalité commune qui va rapprocher les deux personnages ?

GG : Oui, c’est la rencontre de deux individus qui n’ont à priori rien en commun. Ils découvrent que leurs deux langues se ressemblent, qu’ils peuvent communiquer. On a cherché à illustrer les difficultés d’intégration d’un certain nombre de personnes qui viennent de l’extérieur de la société française. Cela donne naissance à une resolidarisation de personnes qui sont dans la même situation. On voit des groupes se créer, des manières de fonctionner autres qui n’ont vraiment rien à voir avec la société française. Ce qui va favoriser le communautarisme. C’est un court métrage réalisé il y a dix ans, mais il a encore une actualité énorme. Les choses n’ont pas beaucoup changé.

Votre prochain film sera-t-il de nouveau un projet en commun ?

CZ : Oui, cela fait 15 ans que l’on travaille ensemble. Nous n’avons pas d’oeuvre séparée. On a appris à travailler ensemble. On ne peut pas faire de films seuls, on ne sait pas comment faire.

GG : On a développé nos automatismes, nos façons de faire. C’est un ping pong permanent. Sibel c’est notre dixième film. On a un autre projet en Turquie, toujours avec un personnage féminin au centre, plus urbain, un peu plus âgé cette fois. Le film sera axé sur la question de la famille et du rôle de mère qui est prédestiné pour la femme. C’est un road movie à travers la Turquie, l’histoire d’une femme qui laisse ses enfants à son mari parce qu’elle n’en peut plus. Elle va rencontrer un transexuel qui va lui donner une autre définition de ce que c’est d’être une femme.

Est-ce une manière d’interroger les représentations de genre ?

CZ : Dans notre travail, on essaie de questionner le positionnement de la femme, mais aussi de l’homme, parce que cela va ensemble. Il y a certains critères pour vraiment être considérée comme une femme. Si on ne les respecte pas, soit on n’est pas une femme, soit on est prise pour une folle. Est ce qu’une femme qui dit ouvertement qu’elle ne veut pas avoir d’enfants est totalement acceptée dans n’importe quelle société ? Jamais. Pourquoi elle ne voudrait pas d’enfants ? C’est une femme quand même, elle devrait en vouloir « normalement». Quand vous enlevez tous ces critères la femme évolue d’une tout autre façon, avec beaucoup de courage et sans peur.

GG : Ce sont des problématiques qui reviennent dans beaucoup de nos films. Ca va prendre des formes de questionnement sur l’identité sexuelle comme dans notre film Noor au Pakistan, ou sur le positionnement des femmes comme leader d’un groupe dans Sibel. De façon plus ou moins consciente, on traite aussi beaucoup de l’équilibre au sein du couple. Comment interagir et s’entraider, être solidaires l’un de l’autre ? Quels sont les rôles définis et les rôles à ne pas définir du tout ?

Propos recueillis par Léa Coupau et Camille Bernard

 

Micmacs à Tire-Larigot casse la baraque

On ne sait jamais à quelle sauce on va être mangé avec Jeunet. Ce trublion de la création cinématographique vient d’accoucher d’un film aussi originale que sympathique. Du 100% pur jus de chez Jeunet qui raviront les aficionados même si l’on entend déjà ses détracteurs reprocher au réalisateur de ne pas assez nous surprendre, lui qui jusqu’alors changeait d’univers à chaque nouvelle création.
Après Un Long Dimanche de Fiançailles, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain ou encore Alien la Résurrection, le talentueux réalisateur rassemble désormais une pléiade d’acteurs pour conter une histoire des plus loufoques, au cœur d’un Paris qui oppose puissants esseulés et parias emprunts de bontés.

Dany Boon, André Dussolier, Omar Sy (du SAV), Dominique Pinon (l’acteur fétiche de Jeunet à la bille de clown) ou encore Yolande Moreau remplissent tous leurs rôles à la perfection dans ce qui pourrait être, sur le plan de la narration, un film des frères Cohen.

Jeunet retrace cette fois-ci une aventure humaine hors-norme où le destin d’un jeune homme, peu gâté par la vie, interprété par Dany Boon, va affronter d’affreux marchands d’armes et va devoir développer des trésors d’ingéniosité pour piéger ces puissants et machiavéliques personnages.

Le réalisateur insuffle un rythme incroyable à sa production lorsqu’il campe des personnages excentriques dans des décors complètement farfelus et glisse ces petits détails quotidiens, si humains, tout au long du film.

Les décors sont, comme à l’accoutumée, emprunt d’un onirisme frappant, les objets qui meublent l’histoire sont surprenant et les acteurs choisis pour leurs caractéristiques physiques produisent un tout d’une parfaite cohérence.

Ce film, vous l’aurez compris, est plus que convaincant. Le style de Jeunet ne se renouvelle pas vraiment mais confirme, s’il est besoin, qu’il est un grand réalisateur. Qu’il est homme à s’attaquer à de réels projets scénaristiques et pas seulement un as de la réalisation et de la photo.

Alors oui c’est du Jeunet, pas un de ceux qui dérangent par son ambiance inquiétante, proche d’un expressionnisme d’antan, comme La Cité Des Enfants Perdus ou Délicatessen, pas non plus de ceux qui tombent dans la romance à l’esthétique exacerbée comme Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain ou Un long dimanche de fiançailles, mais un entre-deux parfaitement maîtrisé qui prouve que le style de Jeunet est parvenu à la maturité et qu’il n’est pas dans une sorte de redite mal digérée due à un manque d’inspiration.

Petits objets prenant vie, décors fantasmagoriques, personnages singuliers aux caractères bien trempés, couleurs passées, rythme effréné et bizarreries en tout genre le tout emballé dans un comique burlesque résument en quelques mots cette œuvre.

Si vous appréciez les films parfaitement orchestrés, que vous n’avez pas peur des bon clichés qui réchauffent le cœur, et qu’une part de rêve et de morale bon enfant ne vous font pas peur, alors ruez-vous dans les salles et laissez-vous entraîner par le jeu cinématographique d’un Jean-Pierre Jeunet plus que jamais jubilatoire.