Les « booktubeurs », nouveaux prescripteurs littéraires des ados et des plus grands

À l’ère du numérique et des discours pessimistes sur l’avenir du livre, de nouveaux prescripteurs voient le jour, bien décidés à faire mentir les prédictions. Appelés « booktubeurs », des férus de littérature se mettent en scène sur internet pour parler de leurs lectures et conseiller des milliers d’internautes passionnés. Parmi eux, les adolescents ne sont pas en reste. Beaucoup ne l’aurait sûrement pas parié et pourtant : la génération 2.0 lit encore et sait tirer profit de la technologie pour soutenir et perpétuer la culture du livre papier. Haut Courant vous explique le phénomène « booktube ».

Le souffle des Mots, Bulledop, FairyNerverland… sont autant de chaînes internet qui appartiennent à la vague « booktube ». Leurs propriétaires, de jeunes adeptes de romans jeunesse, se filment et partagent leurs dernières lectures sur le web. Devant des bibliothèques pleines à craquer, ces prescripteurs d’un nouveau genre témoignent de leur passion pour la littérature, mais également pour l’objet en tant que tel. De quoi rassurer les fervents défenseurs du livre papier.

Définition de booktubeur

L’emploi du terme « booktube » est la contraction du mot book (« livre » en anglais) et de youtube (site internet participatif d’hébergement de vidéos).

Un booktubeur désigne une personne se mettant en scène, via la plateforme youtube, pour parler de littérature. Importé des pays anglophones et hispanophones, le phénomène booktube est arrivé en France en 2012 et séduit de plus en plus les internautes ; y compris, les adolescents.

Devenir booktubeur 

Sur la toile, n’importe qui peut créer son propre contenu, poster des vidéos et devenir booktubeur. À condition, bien sûr, d’aimer la littérature et de savoir en parler avec suffisamment d’intérêt.

Ensuite, le succès de chacun dépend de plusieurs critères tels que la qualité des vidéos, tant sur le contenu que sur l’aspect technique ; la régularité de production ; la longévité de la chaîne (gagner de la visibilité sur youtube ne se fait pas en quelques semaines) et également, d’un certain facteur chance.

Booktube, la littérature jeunesse et les adolescents

Bien que toute sorte de littérature soit la bienvenue sur youtube, on note une forte représentation de la littérature young-adult, avec en ligne de mire, le genre de l’imaginaire.

Les bibliophiles qui se mettent en scène sur youtube parlent avec enthousiasme des livres qu’ils ont lu. Après un bref résumé de l’intrigue, ils détaillent ce qu’ils ont, ou n’ont pas aimé dans les différents ouvrages. Les booktubeurs conseillent leurs internautes comme ils conseilleraient leurs amis proches. Ils emploient un langage « jeune » et n’hésitent pas à livrer leurs émotions personnelles, sans fard, ni artifice. Si les vidéos sont regardées par un large public, elles sont très appréciées des adolescents, cœur de cible de la littérature jeunesse. Par le biais de youtube, les jeunes lecteurs ont désormais accès à des sources d’informations inédites, ludiques et attractives qui savent piquer leur intérêt.


Présentation des 10 livres coup de cœur de la booktubeuse Audrey, résidant à Montpellier, sur la chaîne Le souffle des Mots.

Ce mode de communication libre et sans filtre plaît aux internautes et participe à créer un nouveau rapport à la lecture. Grâce à youtube, les pré-adultes trouvent des prescripteurs qui leur ressemblent et qui évoquent une littérature en raccord avec leurs désirs et leurs centres d’intérêts. Fini les lectures rébarbatives imposées pour le bac de français et place aux livres « plaisirs » ! Les adolescents redeviennent maîtres de leurs lectures et peuvent échanger au sein de ce qui devient de véritables petites communautés de lecteurs, grâce notamment à l’espace commentaires.

« Toujours un plaisir de te retrouver en vidéo ! Je suis tentée de lire le roman que tu nous présentes. Il faut dire que tu nous vends tellement bien les livres ! » Commentaire d’une internaute, sur la chaîne de Margaud liseuse.

« Merci beaucoup pour cette vidéo coup de cœur Audrey. Même si ça fait encore autant de livres qui s’ajoutent à mes envies de lecture. Il faut que j’arrête de me faire soudoyer ! 😉 » Commentaire d’une internaute sur la chaîne Le souffle des Mots.

Un vocabulaire propre à la communauté booktube a vu le jour. Aussi, si un booktubeur parle d’une « PAL », sachez qu’il s’agit d’une « Pile à lire », un « Book haul » est une présentation de toutes les acquisitions livresques sur une période définie, un « Update » est consacré aux trois dernières lectures, ou encore un « Swap » désigne un échange de colis entre deux booktubeurs, avec ouverture et découverte du contenu devant la caméra.


Un book haul proposé sur la chaîne FairyNeverland.

En plus de proposer des vidéos de présentations et de critiques littéraires, les jeunes booktubeurs regorgent d’imagination pour faire participer leur communauté d’internautes. Ils initient par exemple des défis, tels que des « Read-A-Thon », qui consistent à lire le plus de livres en une période donnée ou bien le « Week-end à mille », qui invite à lire 1000 pages en un week-end.

Toujours dans l’idée de diversifier leur proposition et la rendre plus attractive, les propriétaires de chaîne littéraire n’hésitent pas à se rencontrer afin de tourner des « Booktalk », soit des débats entre deux booktubeurs autour d’un livre en particulier ou encore à lancer des « Tags », des questionnaires en rapport avec la littérature, créés par un booktubeur. À la fin de sa vidéo, ce dernier désigne d’autres booktubeurs pour reprendre ce questionnaire, et ainsi que de suite jusqu’à ce que le Tag devienne viral.

Outre la richesse des vidéos proposées, les booktubeurs tirent en partie leur succès du phénomène de communauté. En effet, le sentiment d’appartenir à un groupe et de posséder des modèles-référents sont des étapes clefs du développement et du bien-être chez les adolescents. À l’image de booktube, d’autres communautés ont vu le jour sur internet, telles que les chaînes de « beauté » qui rassemblent 2 744 986 d’abonnés pour EnjoyPhoenix ou encore 766 979 abonnés pour la chaîne Elsamakeup. Et, comme il est autant important d’appartenir à un groupe que de s’intéresser à une multitude de choses, il n’est pas rare que les youtubeurs débordent de leur sujet de prédilection en proposant des vidéos annexes. C’est par exemple le cas avec EnjoyPhoenix, estampillée youtubeuse beauté, qui a posté une vidéo de ses lectures favorites, qui totalise 290 113 vues à ce jour.


EnjoyPhoenix, youtubeuse beauté, dresse la liste de ses livres favoris.

Une vitrine pour les professionnels

Internet est devenu une excellente vitrine puisque certains booktubeurs totalisent jusqu’à 50 000 abonnés. Cela, des maisons d’édition l’ont bien compris et ont choisi de monter des partenariats avec les prescripteurs les plus influents.

Tous les mois, les vidéastes sélectionnés reçoivent gratuitement une pile de livres (qu’ils ont pour la plupart choisis parmi les nouveautés des éditeurs) et pour lesquels ils sont invités à faire une critique sur leur chaîne, le plus souvent dans un délai d’un mois après réception. Pour autant, les booktubeurs affirment vouloir garder leur indépendance et rester maîtres de leurs opinions malgré les partenariats.


Sur sa chaîne, Audrey explique ce que sont les maisons partenaires.

Karachi: Jacques Nain et le secret défense

En conférence à Sauramps Odysseum ce mardi 14 décembre pour présenter son dernier livre Secret défense, ce commandant de police honoraire est revenu sur sa très longue carrière au sein des services qu’il a côtoyé. Son expérience de dix ans dans les renseignements lui a permis de livrer une lecture de l’actualité, et notamment de l’affaire Karachi.

Lecteur exigeant cherche nouveautés à son goût

741 sorties littéraires pour la rentrée 2010 : un labyrinthe de papier qui donne le tournis. Malgré son appétit insatiable pour la nouveauté, le lecteur n’a pas envie de se perdre. Sauramps, l’une des plus grandes librairies indépendantes de France, se plie en quatre pour guider sa clientèle montpelliéraine. Visite d’une enseigne pas comme les autres.

Mémona Hintermann donne la parole aux témoins de la vie réelle

A l’occasion de la sortie de son troisième ouvrage, « Ils ont relevé la tête », Mémona Hintermann a partagé son expérience de journaliste avec le public montpellierain venu la rencontrer au club de la presse vendredi 12 novembre.

Les livres de la hotte de Noël 2009

Avec l’arrivée du Père Noël, la librairie Sauramps remplit ses rayonnages. Située au coeur du quartier commerçant de Montpellier, le célèbre bouquiniste prend le parti de surprendre ses clients par une kyrielle d’ouvrages aspirant à satisfaire petits et grands. Passage en revue.

En tête de gondole, ils trônent. Stratégie commerciale oblige, les prix littéraires et best-sellers attirent l’œil du chaland dès son entrée chez Sauramps. Pour Alain, responsable commercial, « le dernier prix Goncourt, Trois femmes puissantes de Marie N’Diaye, est une valeur sûre en terme de vente », même s’il précise  » que ce n’est pas pourtant pas le meilleur ouvrage » de l’écrivaine. Et de renchérir, « une femme, noire, qui parle du problème des femmes ça marche toujours ». Pourtant ses anciens livres sont particulièrement prisés en ce moment.

Cette tendance est à l’image de Mylène, enseignante trentenaire, qui achète « par principe tous les prix littéraires ». Et la rentrée littéraire ? « Mis à part les livres primés, je ne me sens pas plus que ça influencée par les nouveautés ». Enfin elle reconnaît tout de même acquérir les derniers Marc Levy et autre Anna Gavalda, « des livres un peu cul-cul pour les vacances et la plage. C’est juste pour le divertissement » dit-elle avec une pointe de confession.

Des nouveautés comme celui d’Hubert Haddad avec Palestine suscitent aussi l’intérêt du public. Le Goncourt des lycéens, Le club des incorrigibles optimistes de de Jean-Michel Guenassia demeure également un prix qui attire les lecteurs. Alain ajoute que « le livre de Jacques Chirac, qui n’est pas une œuvre littéraire « , se vend bien auprès de clients souvent âgés de plus de quarante ans. Les romans étrangers ont peu de succès par rapport aux nouveautés de la littérature française « même si les romans français sont plus littéraires, plus auto-centrés avec l’autofiction ».

Au rayon poche, Lucile, la libraire, dévoile une couverture en ajoutant d’un air gêné : « Ce livre marche particulièrement bien en raison de son titre ». Il s’agit du Festival de la couille de Chuck Palahniuk. Selon elle, « le rayon des livres de poche est moins affecté par la crise économique. Au contraire, s’il est privilégié c’est bien en raison des prix plus abordables ».En période de Noël, les nouveautés littéraires sont des cadeaux favoris. Les lecteurs acquièrent même plusieurs livres aiguillés par un bandeau-conseil écrit par les libraires.

Du côté des jeunes, Ilana, collégienne de 13 ans, préfère les mangas. « J’ai mes séries préférées et je les achète au fil des sorties ». En revanche, les nouveautés littéraires, elle ne les connaît pas. Pas étonnant au vu des statistiques d’Alain. D’après lui, « ce sont plus généralement les femmes qui achètent, environ 60 % ». Il est vrai qu’au premier abord, la population est largement féminine.

La bande dessinée, un domaine débordant

En cette période de fêtes, un flot de bandes dessinées surabonde les rayons de Sauramps. Une palette de couleurs et de personnages fantasques s’anime sur les couvertures cartonnées.Au comptoir, derrière un rempart d’ouvrages menaçant de s’effondrer, Michael, le vendeur nous explique qu’il reçoit, toute l’année en moyenne, une quinzaine de nouveaux titres par semaine. « Le mois de décembre, c’est la trêve des confiseurs, les éditeurs ont déjà sorti la grande cavalerie avant Noël. »
Sous le sapin, les trois tendances de cette années devraient confirmer le succès des séries populaires : Astérix – L’anniversaire d’Astérix et Obélix : Le livre d’or, Blake et Mortimer tome 19 – La malédiction des trente deniers et De Cape et de Crocs Tome 9 – Revers de fortune

Pour choisir les best-sellers qui feront les meilleures ventes de cette fin d’année 2009, il faut faire le tri parmi les nombreux albums publiés par les maisons d’édition. « Quand un représentant nous propose tel ou tel produit, on doit choisir certains qui nous semble bien mais parfois on peut se tromper. Du coup, on se retrouve avec un stock sur les bras, pour faire baisser les piles on les met en tête de gondole mais ce n’est pas cela qu’on va conseiller », avoue le responsable du rayon.
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Les coups de cœur du libraire ne s’affichent pas toujours sur les devants des rayonnages. « C’est le genre d’albums que j’arrive mieux à vendre en parlant qu’en les montrant » reconnaît-il. Et pour cause, il nous propose un choix qui se veut plutôt hétéroclite : Le premier de la série « Encyclomerveille d’un tueur », L’Orphelin, aux éditions Delcourt, qui signe le retour de Thierry Ségur aux crayons dans un univers fantastique très riche en graphisme.
Et le tome 2 d’ « Auto bio » de Cyril Pedrosa, des éditions Fluide Glacial, un recueil de gags « auto-bio-graphiques » mettant en scène avec humeur les contradictions du mode de vie bobo-écolo.

La BD est dans l’air du temps. Et de plus en plus les professeurs viennent puiser dans les collections de bande dessinée pour les étudier à l’école. C’est un véritable phénomène de société qui prend de l’ampleur et où l’on voit apparaître de nouveaux éditeurs chaque année. Pour preuve à Sauramps, l’espace réservé à la BD et aux mangas ne cesse de grignoter sur celui des autres genres littéraires.

Quant aux mangas, un nouveau lectorat se développe, à coté des plus passionnés, estime Michael, « ils s’interrogent et demandent ce qu’il y a de mieux ». Les différents types de mangas permettent de concerner un large public et non plus seulement des enfants. Ils connaissent aujourd’hui un public divers et apporte un nouveau regard et d’innovants sujets à cette expression majeure du dessin.

Amis lecteurs, c’est le moment de s’offrir une échappée culturelle, le nez dans les pages !

« Que ceux qui ont des enfants normaux restent à leur place »

Jean Louis Fournier était mardi soir à la médiathèque Emile Zola de Montpellier. Il y présentait son dernier ouvrage, « Où on va, Papa? », le récit autobiographique d’un père d’enfants handicapés.

« Je me demande, docteur, si mes enfants sont totalement normaux ». Dans ses pieds, deux « oiseaux ébouriffés » qui gazouillent, piaillent, et se griffent, la dizaine d’années à peine passée. Mathieu et Thomas. Ses deux fils handicapés, « des enfants pas comme les autres ». C’est un peu sa spécialité à Jean Louis Fournier, cet auteur aux livres pas comme les autres : « Ca laisse le bénéfice du doute ». Le ton sarcastique, parfois dur quand il n’est pas amer, de son dernier roman « Où on va, papa ? » lui a valu le prix Femina 2008 et le globe Crystal 2009. En bonus, un moment en compagnie des montpelliérains de la médiathèque Emile Zola un soir de mardi 2 Février.

Deux naissances, deux miracles à l’envers

20090203-20090203-DSC_0043.jpgA l’initiative de la librairie Sauramps, ce père de trois enfants, dont deux garçons handicapés, est étrangement venu parler plus de lui que de son dernier livre paru au éditions Stock en fin d’année. La salle est comble, la lumière chaleureuse, les têtes sont grises. Une main sous le menton, les lectrices de Jean Louis Fournier ont la posture de femmes concernées.
Jean Louis se raconte. La veille, il était au Lido. Pour y recevoir son « truc », le Globe Crystal Roman&Essai, décerné par un jury de plus de 4000 journalistes. Parler d’handicaps dans un lieu symbole de beauté et de réussite, « c’est assez insolite » ironise l’intéressé, les yeux encore pétillants. Parce que, «voyez vous, les danseuses du Lido c’est pas vraiment des handicapés, plutôt des chefs d’œuvre de la nature.»

« Deux miracles à l’envers » en deux ans, Jean Louis Fournier a connu l’enfer. Dans « Où on va, papa ?», le père et narrateur alterne confessions et moments partagés. Il a la voix sans timbre de ceux qui ont tout vécu. Des moments de folie où Thomas, 7 ans, tente d’enfiler sans succès son pull par le chas de l’aiguille, aux visites à l’institut, où parmi des adultes qui ne seront jamais que de vieux enfants, son fils tarde à le reconnaître. « Où on va, papa ? », ce refrain qui tournait en boucle à l’arrière de la Camaro lors des échappées du dimanche, Jean Louis Fournier ne l’entend plus. « Mon fils n’a plus envie d’aller nulle part » confie ce vieil écorché qui fait semblant d’être méchant.

La vierge Marie aux WC

Le rire agit sur lui comme un antidépresseur, un antalgique qu’il injecte dans sa vie et dont il repeint ses pages. « J’ai tendance à voir l’insolite des situations, du drôle dans le drame, un peu comme les enfants. » Le cartable au dos, Jean Louis Fournier mettait déjà son hygiène artistique au service de la paroisse locale. Ainsi l’effigie de Marie la Sainte a-t-elle participé à une expérience esthétique qui l’a vue passer du bénitier aux sacrosaints doubles WC.
« La reproduction n’était pas digne d’elle » rétorquera le bon samaritain au chanoine venu lui remonter les bretelles et médire auprès de la mère Fournier «ce gamin on en fera jamais rien ». Fort d’une vingtaine d’ouvrages à son actif, dont une collaboration prolifique avec l’humoriste Pierre Desproges, le petit garnement a défié les pronostics. Une dent tout de même contre celui qui n’aura pas su reconnaître son talent : « ce chanoine, j’espère qu’il est mort depuis longtemps et qu’il est bien en enfer !»

20090203-20090203-DSC_0041-2.jpg Le regard des autres, Jean Louis Fournier sait s’en passer. Pour ce qui est de leur pitié, il préfère faire sans. Les gens compatissants lui font horreur, la faute à des problèmes de transpiration : « Ils ont toujours la main moite lorsqu’ils la posent sur vous. Que ceux qui ont des enfants normaux restent à leur place et nous laissent tranquilles. » Son amour, Jean Louis Fournier le réserve à ses lecteurs. Bien qu’il espère mettre à l’aise la société avec ses moins chanceux, il croit encore en l’humanité tant « qu’elle achète son livre ». Pour ça, pas de pénuries à l’horizon. L’une après l’autre, les auditrices présentent pieusement leur exemplaire du dernier Fournier à la dédicace. Bon seigneur, Jean Louis rend l’hommage : « Mesdames je vous adore, ce n’est pas grâce à vos maris que je vends, c’est grâce à vous, continuez ! »

« Que ceux qui ont des enfants normaux restent à leur place »

Jean Louis Fournier était mardi soir à la médiathèque Emile Zola de Montpellier. Il y présentait son dernier ouvrage, « Où on va, Papa? », le récit autobiographique d’un père d’enfants handicapés.

« Je me demande, docteur, si mes enfants sont totalement normaux ». Dans ses pieds, deux « oiseaux ébouriffés » qui gazouillent, piaillent, et se griffent, la dizaine d’années à peine passée. Mathieu et Thomas. Ses deux fils handicapés, « des enfants pas comme les autres ». C’est un peu sa spécialité à Jean Louis Fournier, cet auteur aux livres pas comme les autres : « Ca laisse le bénéfice du doute ». Le ton sarcastique, parfois dur quand il n’est pas amer, de son dernier roman « Où on va, papa ? » lui a valu le prix Femina 2008 et le globe Crystal 2009. En bonus, un moment en compagnie des montpelliérains de la médiathèque Emile Zola un soir de mardi 2 Février.

Deux naissances, deux miracles à l’envers

20090203-20090203-DSC_0043.jpgA l’initiative de la librairie Sauramps, ce père de trois enfants, dont deux garçons handicapés, est étrangement venu parler plus de lui que de son dernier livre paru au éditions Stock en fin d’année. La salle est comble, la lumière chaleureuse, les têtes sont grises. Une main sous le menton, les lectrices de Jean Louis Fournier ont la posture de femmes concernées.
Jean Louis se raconte. La veille, il était au Lido. Pour y recevoir son « truc », le Globe Crystal Roman&Essai, décerné par un jury de plus de 4000 journalistes. Parler d’handicaps dans un lieu symbole de beauté et de réussite, « c’est assez insolite » ironise l’intéressé, les yeux encore pétillants. Parce que, «voyez vous, les danseuses du Lido c’est pas vraiment des handicapés, plutôt des chefs d’œuvre de la nature.»

« Deux miracles à l’envers » en deux ans, Jean Louis Fournier a connu l’enfer. Dans « Où on va, papa ?», le père et narrateur alterne confessions et moments partagés. Il a la voix sans timbre de ceux qui ont tout vécu. Des moments de folie où Thomas, 7 ans, tente d’enfiler sans succès son pull par le chas de l’aiguille, aux visites à l’institut, où parmi des adultes qui ne seront jamais que de vieux enfants, son fils tarde à le reconnaître. « Où on va, papa ? », ce refrain qui tournait en boucle à l’arrière de la Camaro lors des échappées du dimanche, Jean Louis Fournier ne l’entend plus. « Mon fils n’a plus envie d’aller nulle part » confie ce vieil écorché qui fait semblant d’être méchant.

La vierge Marie aux WC

Le rire agit sur lui comme un antidépresseur, un antalgique qu’il injecte dans sa vie et dont il repeint ses pages. « J’ai tendance à voir l’insolite des situations, du drôle dans le drame, un peu comme les enfants. » Le cartable au dos, Jean Louis Fournier mettait déjà son hygiène artistique au service de la paroisse locale. Ainsi l’effigie de Marie la Sainte a-t-elle participé à une expérience esthétique qui l’a vue passer du bénitier aux sacrosaints doubles WC.
« La reproduction n’était pas digne d’elle » rétorquera le bon samaritain au chanoine venu lui remonter les bretelles et médire auprès de la mère Fournier «ce gamin on en fera jamais rien ». Fort d’une vingtaine d’ouvrages à son actif, dont une collaboration prolifique avec l’humoriste Pierre Desproges, le petit garnement a défié les pronostics. Une dent tout de même contre celui qui n’aura pas su reconnaître son talent : « ce chanoine, j’espère qu’il est mort depuis longtemps et qu’il est bien en enfer !»

20090203-20090203-DSC_0041-2.jpg Le regard des autres, Jean Louis Fournier sait s’en passer. Pour ce qui est de leur pitié, il préfère faire sans. Les gens compatissants lui font horreur, la faute à des problèmes de transpiration : « Ils ont toujours la main moite lorsqu’ils la posent sur vous. Que ceux qui ont des enfants normaux restent à leur place et nous laissent tranquilles. » Son amour, Jean Louis Fournier le réserve à ses lecteurs. Bien qu’il espère mettre à l’aise la société avec ses moins chanceux, il croit encore en l’humanité tant « qu’elle achète son livre ». Pour ça, pas de pénuries à l’horizon. L’une après l’autre, les auditrices présentent pieusement leur exemplaire du dernier Fournier à la dédicace. Bon seigneur, Jean Louis rend l’hommage : « Mesdames je vous adore, ce n’est pas grâce à vos maris que je vends, c’est grâce à vous, continuez ! »

Alice Ferney se livre

Out of Africa est son film préféré. Elle compare Truffaut à Spielberg, cite avec aisance Nietzsche et Michel Butor. Alice Ferney est une auteure sans complexe, venue présenter son nouveau roman, Paradis Conjugal, sorti aux éditions Albin Michel, à la librairie Sauramps.

Jeudi 13 novembre, à 18h30, l’ambiance est à la complicité et l’intimité féminine au café Bermuda-Clafoutis. Quelques hommes tout de même, la cinquantaine avancée, s’attardent sur chacune de ses paroles. Entre deux confidences, elle qui tapisse son bureau avec des mots et regarde The Hours quand son moral est à zéro, Alice Ferney écoute. A côté d’elle, une jeune femme, Ilène Grange de la Compagnie de l’âtre, lit d’un ton haut perché des extraits de son dernier roman.

L’histoire d’Elsa Platte, délaissée par son mari, qui oublie sa solitude devant le téléviseur. Au programme, encore et encore, Chaînes conjugales, le film mythique de Joseph Mankiewicz, réalisé en 1949. Alice Ferney décortique les sentiments amoureux, la perte de l’autre, le manque.
Parmi la trentaine de personnes rassemblée, curieux ou fidèles, certains hochent la tête, sourient, se reconnaissent dans les paroles de l’auteure.

Bandeau orange sur la tête, look hippie et veste léopard posée sur la chaise, Alice Ferney cumule les livres, les paradoxes et les identités. D’ailleurs Alice est en fait Cécile. Et Ferney, Gavriloff. Car « celui qui écrit n’est pas celui qui vit ». Soucieuse de séparer sa vie de son œuvre, son pseudonyme lui permet d’établir une distance entre sa vie d’écrivaine et son travail de professeur d’économie à l’université d’Orléans. Alice, prénom choisi en référence au conte d’Alice au pays des Merveilles.

« Quand on lit, on se dit c’est ça, c’est ce que je vis ! »

D’ailleurs, Alice finit son verre. Tout en maniant son stylo, elle embrasse d’un regard la salle, et se tait. Ilène Grange, la lectrice, entame un morceau du roman où les enfants d’Elsa Platte l’espionnent pendant un énième visionnage de Chaînes Conjugales. On reconnaît dans l’assemblée les mères de famille avec leurs sourires en coin. Du déjà vécu, assurément ! D’ailleurs Martine, 57 ans, blonde vêtue élégamment d’un long manteau rouge, avoue se reconnaître dans l’état de vérité : « Quand on lit, on se dit c’est ça, c’est ce que je vis ! »

Pour Jocelyne, il n’est pas question de projection dans les personnages mais plutôt de parcourir des yeux un roman bien construit, guidée par « la magie des mots ». Alice, quant à elle, a du mal à tourner la page : « Je suis dans un moment où je déteste mon livre ! A chaque fois j’essaye de l’oublier. La fin d’un livre, c’est un peu comme un deuil »

Dans toute sa bibliographie, qui compte aujourd’hui sept romans, à chaque fois un éternel absent : l’homme. Certains de ses lecteurs lui reprochent d’ailleurs ce manque. Elle réplique que l’homme est toujours présent dans ses ouvrages, mais mis à distance. Et s’il y en a bien un qui a pris le large, c’est le mari d’Elsa Platte. Il a laissé derrière lui un simple post-it : « Prépare-toi à dormir seule ».

Il est 19h30, le public quitte les chaises pour rejoindre l’auteure autour d’une séance de dédicace. Certains achètent même Paradis Conjugal, tout alléchés qu’ils sont. Comme le lapin blanc pressé par sa trotteuse, Alice se lève enfile sa veste léopard et s’en va, laissant derrière elle une pile de livre pour autant de merveilles…

Littérature sur Mai 68 : les pavés ne font plus recette

Pour ses quarante ans, Mai 68 fait un retour en force dans l’espace public. Emissions spéciales, hors-séries de quotidiens de l’époque, témoignages,… la révolte populaire devient, comme beaucoup d’évènements historiques, un marché pouvant s’avérer lucratif. A Montpellier, les quatres grandes librairies de l’Ecusson (FNAC, Virgin, Sauramps et Gibert Joseph) consacrent leurs vitrines et leurs rayons à l’évènement. Plus d’une centaines d’ouvrages sont disponibles mais aussi des cds, dvds et produits dérivés en tout genre. Devoir de mémoire ou vague marketing?

Qui achète Mai 68?

La tendance verse dans la nostalgie plutôt que dans la découverte. Pour Alain Monge, responsable de l’espace vente à Sauramps: « C’est globalement un public qui a connu Mai 68, même jeune. Pas mal étudiants n’apprécient pas que l’on compare tout le temps les mouvements étudiants actuels à ce qui s’est passé en Mai 68. » Au Virgin, même son de cloche de la part du responsable, Philippe Castelneau : « Les livres de nostalgie et de commémoration marchent mieux que les livres de fond. » A la Fnac, rares sont les têtes blondes qui s’arrêtent devant le rayon dédié. Pour Paul, 65 ans, hypnotisé par les images des barricades diffusées sur l’écran géant :  « Cela me fait une sensation bizarre de revoir tout ça. A part ceux qui, comme moi, y étaient, je ne vois pas qui cela peut intéresser. Et encore, je ne vais pas acheter ce que j’ai vécu en vrai. »

Quels sont les succès et les flops des rayons?

Les ouvrages « grand public » comme le Hors-série de Télérama (1) ou les recueils de photographies (2) marchent très fort, au détriment du texte pur et des analyses du mouvement contestataire. Exception faite de l’ouvrage de Daniel Cohn-Bendit, Forget 68 (3). Le leader de l’époque se trouve en bonne place sur les rayons. Témoignage également et succès surprise pour Le Jour où mon père s’est tu, de Virginie Linhart (4). « Les gens cherchent davantage de témoignages, de souvenirs. Par exemple, les slogans de 68 (5)se vendent très bien, c’est petit et pas cher, on le place d’ailleurs en appel de caisse comme pour les chewing gum. », précise Alain Monge. Au rayon des bides, Les Années 68 (6), ouvrage très complet mais très épais, n’attire pas les foules. Le public étant en majorité grisonnant, les ouvrages destinés à ceux qui n’ont pas connu Mai 68 ne s’arrachent pas. Au Virgin, «les ouvrages clins d’oeil ne décollent pas, les gens restent attirés par ce qui est visuel » explique M.Castlelnau. André et son fils Raphaël Glucksmann arrivent en bonne place dans ces ouvrages surfant sur Mai 68 (7).

L'espace actualité de Sauramps, tout de rouge vêtu

Beaucoup de bruit mais pour quoi?

Entre les quatres « grands de Montpellier », le bilan apparaît comme mitigé. A Gibert Joseph, qui consacre le plus petit espace à Mai 68, « Globalement, cela ne marche pas », explique la responsable qui a agencé le rayon suivant ses goûts pour les ouvrages. D’ailleurs, le rayon ne passera pas le mois de Mai. Sauramps a mis, quant à lui, les petits plats dans les grands. Le lieu consacre à Mai 68 toute sa vitrine de l’étage inférieur, en plus du rayon Actualités : « On a commencé il y a déjà deux semaines pour un résultat satisfaisant. L’évènement fait grimper les ventes de tout le rayon actualité politque et si la vitrine s’arrête fin mai, le rayon restera jusqu’à mi-juin ». En tout, une centaine d’ouvrages s’affichent à Sauramps, tout comme au Virgin ou un PLV (Publicité sur lieu de vente) est mis en place pour tout le mois de mai. Le choix des ouvrages sélectionnés résulte d’un rapport rentablilité/qualité. On parle alors de
« choix judicieux » ou « pertinent » et on raisonne en terme de « potentiel » de l’auteur à faire vendre.

Le site de la Fnac voit grand et propose une large gamme de

La Fnac ne s’embarasse pas de ce genre de questions et remporte la palme de l’offre. Un grand rayon au fond du magasin avec un large écran plat et plusieurs petits coins consacrés à tout ce qui peut ou a pu avoir un rapport avec Mai 68. C’est une opération nationale et personne ne souhaite répondre aux questions sur la pertinence et la stratégie d’une telle opération. Le catalogue spécial Mai 68 ressemble d’ailleurs à à la liste de noël d’un soixante-huitard passionné : slogans, affiches, ouvrages de fond, de forme mais également tout ce qui a pu passer musicalement pendant l’année 68 (Georges Moustaki, la comédie musicale Hair, Michel Polnareff, The Grateful Dead,etc). La stratégie de la chaîne s’ouvre même sur le mouvement hippie, la liberté sexuelle, l’émancipation des femmes et tout ce qui a pu découler du mouvement de Mai 68 jusqu’à aujourd-hui, c’est dire que l’offre est large mais avec parfois, une pertinence mystérieuse.

Le catalogue Mai 68 de Sauramps reprend en couvertude une des affiches du mouvement Finalement, Mai 68 est à la France, ce que 1907 a été à la région Languedoc Roussillon : la commémoration d’un événement marquant avec tous les points de vues et les produits disponibles sur la question. Alain Monge, de Sauramps, conclut sur ce phénomène : «Si on compare Mai 68 et 1907 dans les ventes : le premier bénéficie de beaucoup plus de titres disponibles mais pour le nombre d’exemplaires vendus par titre, 1907 arrive premier, ce qui n’empêchera pas l’anniversaire de Mai 68 de faire plus de chiffre que celui de 1907. » La déferlante Mai 68 arrive à Montpellier comme une vaguelette sur le Lez. A la question posée par le catalogue spécial de Sauramps, que reste-t-il de nos révoltes?, il semble bien triste de répondre : la nostalgie de la forme et non du fond.