Dans l’Hérault, 6 000 hectares de vignes ont été converties au bio ces dernières années. Préservation de l’environnement, raisons de santé, mais aussi motivations plus philosophiques… Paroles de vignerons pour qui le bio est un choix de vie.
« Ou on fait du bio, ou on fait de la chimie ». Les mots de Jean-Claude Daumond se distillent dans chaque cuve biologique du bassin montpelliérain. Au domaine Folle Avoine à Vendargues, la vigne macère de raisons sanitaires quand au domaine Clavel à Assas elle se bonifie d’ écologie. Mais partout, la grappe biologique se vinifie à partir de principes plus profonds.
Au tournant de cette conversion, divers éléments décisifs rentrent en compte. Les motivations du passage au bio sont hétéroclites mais les vignerons se retrouvent sur des fondamentaux ou autour des enjeux sanitaires et environnementaux, ainsi que sur des convictions d’ordre plus philosophique.
Les vignerons bio de l’Hérault que nous avons rencontrés ont le verbe fort. Ils dénoncent une viticulture conventionnelle « violente et industrielle ». Et pointent des risques majeurs pour la santé comme pour les ressources du terroir. D’où leur volonté d’en revenir aux sources authentiques de la viticulture traditionnelle.
Un enjeu de santé publique
« J’ai commencé dans la culture biologique à cause d’une intoxication à un produit chimique », explique Jean-Claude Daumond, vigneron bio depuis trente ans, tombé malade en inhalant un insecticide. Viticulteur à Vendargues, il se souvient de sa conversion au bio : « Avant 1984, ça commençait un peu à me trotter dans la tête. Et puis j’ai eu pleins de problèmes de santé et ça a été le facteur déclenchant. » Il atteste avoir souffert de problèmes de foie, de peau, d’articulation, d’allergies « à tour de bras » et d’asthme.
En cause dans son cas, l’organophosphoré, un produit phytosanitaire utilisé fréquemment dans la viticulture dite conventionnelle. Selon l’enquête « Apache » de l’association Générations Futures de 2013, ce pesticide présente des effets sur la santé, et notamment sur les personnes qui les emploient telles que les vignerons. Mais, pendant des années, une omerta régnait autour de ce problème sanitaire. À l’époque de la maladie de Jean-Claude, la responsabilité de ces produits sur le plan médical n’était pas reconnue : « On ne parlait pas du danger des pesticides, on supposait seulement. » Chez lui, la pratique de la viticulture biologique s’inscrit dans une démarche sanitaire et soulève un véritable enjeu de santé publique : « Autant pour l’utilisateur que le consommateur, ça peut altérer la santé. »
Moins catégorique, Virgile Joly, viticulteur du domaine éponyme de Saint-Saturnin-de-Lucian, affirme à son tour que la santé « est un facteur déterminant dans la conversion au bio, sans en être la raison première ». Il poursuit son raisonnement : « Le bio est moins nocif. Il en va de la sécurité du consommateur et de la mienne, car je suis le premier exposé. C’est une mesure de prévention. »
Préserver les ressources du sol
« Il s’agit de la santé des consommateurs, de ma santé personnelle et de celle de mon terroir », renchérit Francis Bouys, vigneron de Saint Vincent de Barbeyrargues. Selon lui, diminuer les risques sanitaires et préserver l’environnement vont de pair. Son profond attachement à la terre constitue un élément fondamental de sa conversion. Il dit s’être mis à l’agriculture biologique « par amour du terroir qu’on nous a laissé et qu’on essaie de continuer à entretenir avec une bonne morale ». À Assas, Pierre Clavel ne parle pas de terroir mais de territoire : « Il faut être fort pour préserver les territoires viticoles des villes qui grignotent petit à petit. » Jean-Claude Daumond évoque plutôt un « état d’esprit » : « Il y a eu une prise de conscience et je suis en accord avec mes idées (…) sinon tu n’as plus de liens avec la terre. » Ce rapport au sol revêt une éthique environnementale certaine chez ces vignerons.
Au domaine Clavel, les motivations de la conversion au bio ont été « essentiellement environnementales ». « Avant 2007 (année de la certification Ecocert, ndlr), nos pratiques étaient déjà proches du bio » assure Pierre Clavel. Pour ce vigneron du Pic Saint-Loup, l’agriculture biologique permet de préserver les ressources et le potentiel des sols vivants, « et non pas les sols chimiques qui sont l’apanage de l’agri-industrie ». Son refus d’employer des produits de synthèse pour traiter ses vignes tend à contribuer à la pérennisation de la biodiversité. Avec ce bémol que souligne Jean-Claude Daumond : « Le bio pur, ça n’existe pas. L’environnement extérieur, je ne peux pas le maîtriser. »
« Une agriculture de conviction »
Opter pour la viticulture biologique ne se réduit pas au simple rejet des pesticides : elle s’accompagne de pratiques plus larges. Pierre Clavel a par exemple équipé son domaine de panneaux photovoltaïques. Les bouchons en liège qu’il utilise proviennent de forêts gérées durablement. « Il s’agit de toute une démarche dans laquelle on s’est inscrit depuis des années » précise-t-il, « nous avons ça vissé au fond de nos tripes ! » Il martèle : « On revient à des choses simples, des compréhensions des cycles de la vie, des cycles lunaires… » Au domaine Folle Avoine de Vendargues, la vigne est cultivée de manière traditionnelle. Le désherbage est mécanique voire manuel, et le compost a remplacé depuis trente ans les produits chimiques.
Au-delà de la technique bio, ces vignerons sont d’abord habités par une philosophie et un mode de vie. Jean-Claude Daumond accuse ainsi : « Je voudrais mettre sur mes étiquettes « agriculture non violente », car aujourd’hui l’agriculture est violente. Je me disais « comment est-ce possible qu’il faille employer des produits de mort pour donner la vie ? », car la terre c’est la vie. » Et il confie : « moi, je ne suis pas rentré dans le système ! » Pierre Clavel refuse quant à lui de travailler pour ce qu’il appelle « l’agri-industrie ». Il hausse le ton et trouve « énervant de devoir indiquer sur les étiquettes qu’ [il est] bio, ça devrait être la norme, c’est fondamental ». Cet agriculteur de 55 ans rétorque enfin : « Le bio doit être une vraie agriculture de conviction et pas d’opportunistes. »
« On n’est pas des ayatollah du bio »
Alors finalement, sa conversion au bio, Jean-Claude la définit comme « un retour à une culture sans artifices, artisanale (…) comme on le faisait avant en fait, il y a cent ans ». L’agriculture biologique, prétendument nouvelle et à la mode, ne serait autre qu’un retour en arrière, un « retour aux sources » selon le vigneron vendarguois. Au domaine Cour Saint Vincent, Francis Bouys stipule que « dans le bio, il y a des choses qu’on ne fait plus par philosophie. On en revient automatiquement à des racines authentiques ». Quelques décennies aupravant, le bio était la norme et non pas l’exception comme aujourd’hui. «Cette période de chimistes n’a que 50 ans. On peut en revenir à des choses simples» espère Pierre Clavel. Les partisans de la viticulture biologique ne seraient donc pas des puristes-écolos, mais de simples vignerons, comme le scandent Jean-Claude et ses pairs. «C’est un mode de vie. On vit simplement, on n’est pas des ayatollah du bio.»