Il est dans notre bouche, il nous suit. On peut l’emporter partout avec soi. Et pourtant … La raillerie du leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à l’encontre d’une journaliste et de son accent toulousain (17 octobre) confirme la présence d’une discrimination linguistique dans la vie professionnelle. Une discrimination pourtant interdite par les textes internationaux de protection des droits de l’homme. Comme le racisme ou l’homophobie, la « glottophobie », néologisme employé par le sociolinguiste français Philippe Blanchet pour qualifier les discriminations linguistiques, fait partie de ces comportements qui reviennent à rejeter l’individu pour ce qu’il est.
« Avec ta voix, tu es bon à rester en presse écrite »
Pour Corentin, 32 ans, journaliste indépendant et correspondant pour La Dépêche, l’accent n’est pas toujours facteur de réussite professionnelle. « On m’a fait comprendre que je ne pourrais jamais prétendre à des postes de télévision ou d’animateur radio à cause de mon accent », précise le jeune homme originaire d’Ariège. C’est quand il est allé à Paris pour un entretien que les mésaventures ont commencé. « On s’est moqué de moi en me demandant de répéter ‘pain, fin, jaune’ (…). Une phrase me revient en tête : ‘avec ta voix tu es bon pour rester en presse écrite’ ». Un frein donc. Mais surtout pas une fin en soi. Cet habitant d’Occitanie préfère persévérer. « Être cantonné dans ma région ne me dérange pas. Je n’ai pas peur de passer pour le petit paysan du coin avec son fort accent. Je sais ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire, à moi de m’adapter ».
« Un accent c’est la marque de chacun, son origine »
Pour Sabrina, 45 ans, ancienne télévendeuse à la SNCF, hors de question de se laisser juger bien que son accent du Nord lui fait souvent défaut au travail. « Sans me voir, simplement au téléphone, j’ai déjà été insulté par des gens à cause de mon accent. On s’est mis à me traiter d’étrangère, de paysanne ou de ‘biloute’ ». Un mal récurrent dans les métiers de télécommunication et télévente. « Il y a beaucoup de personnes aux diverses origines ou avec des accents différents dans ce type d’emploi et certains clients ne sont pas très tolérants (…). Il y a des fois où ça fait plus de mal que d’autres. Mais je ne complexe jamais, je n’ai pas à avoir honte. Un accent c’est la marque de chacun, son origine », confie la native de Lille qui refuse de se laisser moquer.
Un point de vue que rejoint Sébastien Lechervy. Ce quarantenaire, artisan au sein d’une entreprise de maçonnerie, est catégorique. « Il y a un cliché qui existe dans le métier. Un maçon doit forcément avoir un accent du sud. Comme je suis né à Marseille et que c’est moi qui réponds au téléphone pour les interventions ou les rendez-vous, il arrive qu’on imite mon accent de manière caricatural », explique le nouvel habitant de Montpellier. « Les gens font des sous-entendus et des raccourcis. Ce sont des choses qui me mettent vite en colère ».
Un complexe plus qu’une barrière pour Sofia. Italienne de naissance, cette enseignante en Science Politique, spécialiste en sécurité et défense, n’éprouve aucune difficulté à s’exprimer en français. Mais l’accent reste « un handicap dans le sens où j’ai parfois du mal à me faire comprendre en employant des mauvais mots et des termes non appropriés. Les sujets sont techniques, il ne faut pas se tromper. (…) Je reste la seule à me mettre une barrière. Quand je me trompe, les étudiants rigolent, moi aussi d’ailleurs ». Un souci de compréhension et de clarté avant tout pour cette diplômée de sociologie politique arrivée en France pour enseigner en 2013.
Pour Rémi, 23 ans et militaire parachutiste, « avec l’accent, on paraît moins sérieux ». Pour cause, « j’ai le souvenir d’avoir eu un colonel dans notre régiment avec un accent ch’ti. On n’avait jamais entendu cet accent avant lui. Il perdait toute crédibilité quand il prenait la parole. Il avait du mal à être pris au sérieux et à faire respecter la hiérarchie ». Un milieu pourtant très encadré et hiérarchisé mais où, régulièrement, l’accent est sujet aux moqueries.
L’accent, problème grave ou aigu ?
Moins sérieux, absence de crédibilité, amusant, folklore… du nord comme au sud, concilier emploi et différence d’élocution ne fait pas toujours bon ménage. D’après une étude réalisée pour Adia Interim, « TNS-Sofres de 2003 sur les discriminations sur l’apparence dans la vie professionnelle et sociale », 44% des personnes interrogées pensent que l’accent est le principal critère d’embauche entre deux candidats aux compétences et niveau de qualification égales. « L’accent ne fait pas sérieux. Il est perçu comme un handicap et les autres vous le font sentir », rajoute le sociolinguiste Philippe Blanchet à « Ma vie commerciale ». « Il y a une gradation dans la discrimination. En haut de l’échelle, je mettrais l’accent du Midi. C’est celui qui pénalise le moins, car on lui attribue des bons côtés. C’est l’accent du soleil et des vacances. Ensuite, vous avez l’accent breton, alsacien et chti », conclue-t-il.
Néanmoins, nombreux sont ceux qui renoncent à leur accent pour réussir socialement et professionnellement. C’est le cas d’Emilie, 27 ans, commerciale dans l’industrie pharmaceutique, qui préfère supprimer son accent pour se laisser une chance de réussir en région parisienne. « Vous avez déjà vu une toulousaine réussir à Paris avec un accent ? Je ne pense pas ! », explique la jeune toulousaine qui se rend chez un phoniatre depuis plus d’un an pour essayer de corriger son accent.
On peut décider de l’aimer, de l’accepter… mais aussi le détester. Certains font de l’accent leur marque de fabrique alors que d’autres cherchent à le dissimuler. Le sociologue Pierre Bourdieu, lui, le sait : « même s’il n’est jamais allé à Paris, le locuteur béarnais est dominé par le locuteur parisien ». Oh putain con !