La salle San Michel n’est pas très grande mais les murs sont recouverts de 26 photographies : celles de Lara-Scarlett Gervais qui présente son exposition Alâthar, Seul(e) après Daesh pour dénoncer la destruction du patrimoine mondial par Daesh. Souriante, elle va à la rencontre du public de son vernissage carcassonnais pour faire des rencontres, « pour créer quelque chose ».
C’est pour son papa qui « a une autre façon de voir le monde » et a choisi ses prénoms, qu’elle signe « Lara-Scarlett ». Mais tout le monde l’appelle Lara, comme dans Le Docteur Jivago. Scarlett, pour Autant en emporte le vent, est son deuxième prénom, celui qu’elle cachait honteuse sur sa carte d’identité petite. Son papa et elle ont beaucoup communiqué par le biais du cinéma, ça a été compliqué enfant, mais c’est grâce à lui qu’elle voit le monde différemment.
Lara voit le jour le 28 juillet 1986, à Angoulême. « Très tôt déçue de la nature humaine », elle n’a que 15 ans lorsque des talibans détruisent les Bouddhas de Bâmiyân. Elle créé alors sa liste de rêves qu’elle coche petit à petit : prendre le Transsibérien check, dormir sur la muraille de Chine check, traverser la route de la soie et la Perse check, voir la mer d’Aral, l’armée de terre cuite, les pyramides, Petra, le baboab du Petit Prince check check check check et recheck… « Il me faudrait 8 vies à raison de 80 ans par vie pour réaliser tous mes rêves ».
En 2007 elle quitte Angoulême pour Paris où elle commence des études d’archéologie à la Sorbonne et à l’École du Louvre. A 24 ans, elle vit son premier grand voyage : Russie, Mongolie, Chine, Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Azerbaïdjan, Géorgie et Turquie. Autorisée à reprendre ses études en rentrant, elle ne restera qu’une heure en cours. Elle préfère se former par ses voyages guidés par ses rencontres. Photographe chez Sipa press, elle se dit surtout voyageuse et finance elle-même ses voyages. Entourée d’un grand et d’un petit-frère, elle se dit « très famille » et essaye de voir ses grands-parents entre ses voyages. Mais le voyage est un besoin, même si ça laisse peu de place à une vie de famille.
En 2016, intrépide et armée d’un appareil photo, elle part seule. Ses pas la guident en Syrie où a lieu l’évacuation du musée de Palmyre après la libération de la cité de l’emprise de Daesh. Elle dort chez l’habitant mais ne parle que français et « anglais comme une française » précise-t-elle avec humour. Quand personne ne parle sa langue, « c’est une autre forme de communication qui se met en place ». Fin 2016, elle retourne en Irak, à Qaraqosh, durant l’offensive de Mossoul qui vient de libérer la ville. Elle est alors à quelques kilomètres de la ligne de front où pètent les bombes. En passant les frontières, jamais elle n’a pensé au risque : « on n’a plus le temps de penser, on est dans le quotidien ».
En revenant, ce qu’elle a vécu et son ami, désormais directeur artistique de ses expositions, Kares Le Roy, la poussent à exposer. Tous deux voyageurs et photographes, en contact grâce à des amis depuis 2010, ils se prennent d’amitié. Ils ne se voient que 2 ou 3 fois par an mais pour Kares c’est toujours un plaisir : « c’est un personnage particulier, une personne insoupçonnable ». Si elle ne se cache pas particulièrement, aux premiers abords « on ne peut pas deviner la faculté qu’elle a à aller au-delà de ses peurs et de ses appréhensions. Elle est d’une légèreté dans tout ce qu’elle fait ». Mais le mot qui lui vient souvent en tête quand il pense à elle, c’est surtout « surprenante ».
La politique d’aujourd’hui ? Elle en déplore l’état. Pour elle, la politique c’est un vivre-ensemble, une société où chacun a sa place, et il reste beaucoup de travail à faire. Si elle expose, c’est pour agir. Elle créé alors l’association HÉRITAGE & CIVILISATION, soutenue par l’ONU, pour encourager des spécialistes français à former des professionnels locaux dans la préservation du patrimoine. Aujourd’hui elle travaille sur un projet d’ateliers internationaux de valorisation du patrimoine en milieu scolaire. Avant notre rendez-vous, elle reçoit des enfants avec qui elle échange, passionnée et curieuse mais ce projet lui prend beaucoup de temps et d’énergie. Aujourd’hui « basée à Paris », elle ne rêve que d’une chose : repartir.
« J’ai envie de Grand Nord, de Blanc. »