Les Misérables, une comédie musicale qui enchante

Victor Hugo est à l’honneur cette année. Après l’adaptation de « L’homme qui rit » c’est Tom Hooper qui porte sur grand écran le chef d’oeuvre littéraire des Misérables.

Loin du roman d’origine, l’adaptation ne ravira pas les adeptes du classique de Victor Hugo. Pour les autres, amateurs de salles sombres et de grand spectacle, le film vous laissera sans voix. A bannir aussi, si vous ne supportez pas les comédies musicales, puisque tous les dialogues, réflexions et autres jeux des comédiens sont chantés.
Deux heures et demi de lyrisme et d’émotions grandioses : Hugh Jackman (Jean Valjean) et Russel Crowe (Javert) s’illustrent à merveille dans un registre loin de leur répertoire habituel pour le plaisir des yeux et des oreilles. Le grand public sera séduit aussi par la prestation brillante d’Anne Hathaway (Fantine) récompensée pour l’occasion de l’Oscar du meilleur second rôle féminin, ainsi que sa reprise du titre « I have a dream » . La puissance de la voix et la violence de l’interprétation renverse et bouleverse le spectateur.
Enfin, le casting révèle aussi une nouvelle génération prometteuse avec la charmante Amanda Seyfried (Cosette), le touchant Eddy Redmayne (Marius) ainsi que le petit Gavroche interprétée par Daniel Huttlestone.

« Here’s the thing about equality, everyone’s equal when they’re dead » [[Citation du film]]

Si la mise en scène du roman peut surprendre et révolter les partisans de la tradition Hugolienne, les thèmes chers à l’écrivain engagé restent partie prenante du film. Les questions sociales et idéologiques traversent le scénario du début à la fin. La problématique de la réhabilitation après l’enfermement, de la prégnance de la religion et du pardon divin ou encore de l’égalité entre hommes et classes sociales restent au centre du jeu.
C’est une société misérabiliste qui s’agite, se met en branle.
La jeunesse est vivace et révolutionnaire, quand les hommes sont passionnés et prêt à mourir pour leurs revendications. Javert dans sa rage insensé de justice, Jean Valjan luttant pour sa réintégration et le couple Cosette/Marius amoureux transis, animés de sentiments d’un autre temps. Des idéaux et une rage de vaincre magnifiés qui ne laissent pas indifférents à une époque où ils ont tendance à disparaître lentement.

Charles Dantzig : « Les lecteurs sont minoritaires »

Charles Dantzig, écrivain aux multiples casquettes est l’auteur d’un nouvel essai : « Pourquoi lire? ». Rencontre avec un amoureux de la littérature et de la lecture.

Comment vous est venu l’idée de ce septième essai « Pourquoi lire? », consacré à la lecture?

Charles Dantzig : « Parce que j’aime beaucoup ça! Il y a quelques années j’ai écrit un livre : le « Dictionnaire égoïste de la littérature française ». Ayant écrit sur la littérature, j’ai voulu réfléchir sur ses conséquences. Évidemment, la première c’est la lecture. De plus, il y a peu de livres sur le sujet, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Ce qui est étonnant, c’est que la bibliographie est très récente. On a commencé de façon très étrange à s’intéresser à la lecture dans les années 1960. Il est très curieux que l’on ait vraiment réfléchi sur cet acte, que l’on commet depuis longtemps, que depuis très peu de temps.»

Pour qui avez vous écrit ce livre?

« Pour personne. Tous mes livres sont comme cela, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient réussis d’ailleurs. Les livres que l’on écrit pour quelqu’un sont moins bien.»

Qu’est ce qui explique qu’une majorité de gens ne lise pas ?

« Parce que la grande majorité des gens a des passions basses,vulgaires et inintéressantes! C’est aussi simple que cela. Ils préfèrent s’intéresser à des choses qui ne sont pas les choses de l’esprit. Il y a un discours sur la lecture aujourd’hui qui scande que c’est sympa de lire, tout le monde aime les écrivains. Ce n’est pas vrai. Il suffit de voir ce qu’est un bestseller. Mon livre marche bien, mais à la fin quand il y aura eu 50000 ou 100000 personnes qui l’auront acheté, il restera 63900000 français qui ne l’auront pas lu. Je le regrette beaucoup pour mes droits d’auteur, mais ça veut surtout dire que les lecteurs sont minoritaires. »

Vous même vous lisez beaucoup?

« C’est difficile à dire. Je lis tout le temps. A une époque je lisais même en conduisant… j’ai arrêté de conduire. Pour parodier un slogan de l’époque : « lire ou conduire, il faut choisir » et pour moi évidemment c’était lire. Je suis très angoissé quand je n’ai pas de livre. J’en ai six, ou sept en cours à la fois. »

Vous l’évoquez dans l’un des derniers chapitres : le livre numérique, qu’en pensez vous?

« C’est une chose qui pour l’instant n’a pas beaucoup d’importance. D’abord en quantité. On a vendu 30000 exemplaires de « Pourquoi lire? », pour le moment et 25 versions Ipad. C’est aussi vrai pour d’autres livres. Ça donne une idée des proportions.
Et puis, il y a comme toujours chez Apple une espèce de truc à la fois maladroit, stupide et scandaleux : des censures. Par exemple certains titres qui comportent des gros mots sont expurgés par Apple. Steve Jobs est un des grands ennemi de la liberté de la pensée depuis quelques mois. Notamment lorsqu’il tente de faire interdire certaines applications Iphone.
Je pense que si demain le livre papier disparaissait, la littérature existerait encore. Si elle dépend de son support, la littérature est une pauvre chose. D’ailleurs le livre tel que nous le connaissons maintenant n’a pas toujours existé de cette façon là. Dans la Rome ou la Grèce antique ils étaient diffusés sous forme de rouleau.
Mais il y a un grand avantage à l’Ipad : ça permettra de conserver plus d’ouvrages. »

Une grande absente du livre : la presse. Pourquoi la lire?

« J’ai écrit pour cela deux pages dans le Point il y a quelques semaines. C’est une lecture différente, mais j’aime beaucoup la presse. Pour l’instant, il y a une chose bizarre qui se passe avec la presse écrite. Les marchands de journaux disparaissent. Les gens lisent de moins en moins de journaux. C’est une lecture très utile et plaisante. J’aime bien le papier, son odeur, l’encre que ça laisse sur les doigts. J’aime bien déchirer une page du magazine en me disant que ça pourra m’être utile pour un roman par exemple. Et puis il y a le côté brouillon de la presse qui est très sympathique. Un journal ça se roule, c’est plus familier qu’un livre qu’on ne peut pas maltraiter autant. C’est indispensable de lire la presse.»

Propos recueillis par Claire Peyrard

« La réalité colombienne m’a rattrapé »

L’un, William Ospina, est essayiste, journaliste, poète. Il traite dans « Le pays de la Cannelle », son dernier opus, de la découverte puis de la conquête de la Colombie par les colons espagnols.
L’autre, Evelio Rosero, est romancier, nouvelliste. C’est son roman « Les Armées » qui le fit connaître en Europe. Il a d’ailleurs reçu le prix The Independant pour ce livre qui met en scène une violence plus contemporaine : celle de la Colombie actuelle, autour d’un village imaginaire.
Invités en France par le Centre national du livre à l’occasion des Belles Étrangères, ils ont acceptés de revenir sur ce qui les rapproche inévitablement : La Colombie et leur engagement littéraire. Rencontres.

Vos romans l’un historique, l’autre plus contemporain, font référence à la Colombie et sa situation actuelle.

William Ospina : C’est le poids énorme de l’Histoire qui a construit notre pays, l’arrivée des colons espagnols, les massacres des populations indigènes, la traite des noirs… Tous ses événements l’affectent encore. D’ailleurs la mixité de notre population s’explique par l’Histoire.

Evelio Rosero : La réalité colombienne m’affecte en tant que citoyen mais aussi en tant qu’écrivain, je ne pouvais pas ne pas rendre compte de celle-ci. Et la réalité c’est aussi la présence des quatre forces armées : narco trafiquants, paramilitaires, guérillas et militaires face à des civils démunis.

Quelle place occupe les quatre forces armées auxquelles vous faites références ?

E. R : Il n’y a pas une entité plus saine qu’une autre, chaque force tue. Les informations colombiennes relataient il y a peu l’histoire d’une mère de famille se lamentant de voir ses deux fils engagés l’un dans la guérilla, l’autre dans la formation paramilitaire. La mort est la réponse dans tous les cas.

La Colombie ne serait-elle que guerre et souffrance ?

E.R : Tout n’est pas obscur. Il y a une réponse de l’esprit, de l’humour, de la musique. Je l’exprime au début de mon roman. Néanmoins la réalité qui frappe le village imaginaire dont je parle est malheureusement très réelle, la violence est réelle. J’aurais aimé écrire seulement sur le bonheur.

Juan Manuel Santos est arrivé au pouvoir en juin dernier, pensez-vous que cela puisse faire changer les choses ?

E. R : Il y a des différences entre Santos et son prédécesseur Uribe. Cependant Santos s’inscrit dans la continuité du premier. Il est le dauphin d’Uribe et s’emploie d’ailleurs à couvrir les méfaits de son prédécesseur tels que les liens du gouvernement avec les narcotrafiquants et les paramilitaires.

W.O : La différence entre les deux est qu’Uribe appartient à la nouvelle classe de dirigeant alors que Santos vient de la vieille élite colombienne. Leurs intérêts sont différents. Alors qu’Uribe était très attaché à maintenir le régime de grands propriétaires, Santos veut changer cela. On ne peut pas savoir jusqu’où va aller cette différence et si cela va déclencher un autre genre de conflit.

En tant que journalistes, quelle place est donnée à la liberté de la presse en Colombie?

W.O : Je n’ai jamais senti de contraintes, vécu de censure vis-à-vis de mon travail journalistique. Mais je sais malgré tout qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire. La censure se fait par mon autocensure.

Etre écrivain permet-il une plus grande liberté d’expression ?

E.R :La littérature est vitale, elle nous touche et a ce pouvoir de partager la réalité. Le mot écrit reste à la différence des informations télévisées. En tant qu’écrivain je me sens engagé, j’ai le devoir d’écrire de mieux en mieux sans m’affilier à un parti politique quel qu’il soit.

W.O : Je crois à la capacité de la littérature pour modifier l’histoire, les êtres humains, les consciences. La réalité colombienne exige un gros travail sur le plan littéraire et culturel. Si la littérature nous aide à voir, à entretenir la mémoire alors il sera plus facile de changer les choses. L’important n’est pas qu’un pays ait une guérilla, mais qu’il soit capable de la stopper.

Propos recueillis par Clémence Olivier

Quand la fiction rencontre la réalité

Un an après le succès de Que serais-je sans toi ?, Guillaume Musso nous offre La Fille de papier, son huitième roman. Il y met en scène la rencontre explosive entre Tom Boyd, jeune écrivain à succès, et son héroïne, Billie Donelly.

On pourrait croire à un poisson d’avril. Et pourtant non, ce sont bien les exemplaires du dernier Musso que l’on peut trouver sur les étals des librairies ce 1er avril. Pour le plus grand plaisir de ses nombreux lecteurs.

Guillaume Musso est l’un de ces jeunes auteurs à succès qui se sont révélés ces dernières années. Professeur d’économie, le romancier est taraudé depuis l’enfance par un désir d’écriture. En 2004, il se lance réellement avec Et après qui le fait connaître. Une histoire d’amour, de suspense et de mystère. Voilà. La formule magique est trouvée et Guillaume Musso va l’utiliser pour chacun de ses romans.

Comme chaque auteur qui rencontre un « trop » grand succès tels les Meyer, Lévy, Gavalda ou Pancol, Guillaume Musso est critiqué : « trop » de bons sentiments pour un style d’écriture « trop » simpliste. On aime les étiquetages : « auteur à succès », « auteur commercial », « auteur populaire », « auteur à midinettes ».

Pourtant, comme souvent, la critique est en décalage avec la popularité que rencontre une œuvre. Le public aime Musso. Pour la pointe de fantaisie, de science-fiction, de suspens, chez les uns. Pour l’optimiste, l’histoire d’amour ou des intrigues bien ficelées, chez les autres. Musso, c’est un style simple, assumé et apprécié. Aynoah, membre du forum Fluctuat-Livre, lit aussi bien des grands romans classiques que Guillaume Musso, et assume : « je trouve que les ficelles de l’histoire ont beau ne pas être très originales, la mise en œuvre m’a agréablement surprise et j’ai trouvé malgré tout le livre assez prenant et agréable. Ça n’est pas de la grande littérature, mais un bon livre de détente, et pourquoi pas, un minimum de réflexion sur le sens de la vie en général ». « Je pense qu’aimer lire signifie aimer lire de bons livres. S’ils sont best-sellers ce n’est pas pour rien non plus…», conclut Oriane sur le même forum.Une simplicité qui est donc loin de rimer avec médiocrité pour ces lecteurs.

Et, avec La Fille de papier, les amateurs ne seront pas déçus. Le synopsis ? Tom Boyd, un romancier californien sombre dans une dépression après une rupture et est incapable d’écrire le troisième volet de la Trilogie des anges. Une nuit, il découvre, avec stupeur, une jeune femme entièrement nue dans son salon. « C’est moi : Billie ! » lui lance-t-elle alors prétendant être un de ses personnages, tombée de la page 266 de son dernier tome ayant rencontré des problèmes d’impression. Voilà ainsi l’histoire surprenante d’une héroïne de fiction qui s’invite dans la réalité de son créateur, pour lui sauver la vie.

Guillaume Musso utilise savamment ses ingrédients favoris : l’humour, l’amour, l’amitié, l’aventure et le surnaturel. Le romancier entraîne ses lecteurs du Mexique à Paris, en passant par Rome, pour des péripéties aussi drôles que touchantes. La fille de papier, c’est non seulement une histoire d’amour aussi inattendue qu’improbable, mais c’est surtout et comme toujours avec Musso, une amitié qui survit à la vie faite de ses malheurs et de ses souffrances, et des amis qui tentent le tout pour le tout et vont même jusqu’à tuer. Au final, l’intrigue est très bien ficelée, et la chute surprenante. Comme toujours. Ce n’est pas Elliott Cooper qui dira le contraire !


Abd Al Malik : « Allumons les bougies de l’espoir ».

En amoureux des mots et poète humaniste des temps modernes, Abd Al Malik est venu déclamer quelques extraits de son nouveau livre « La guerre des banlieues n’aura pas lieu » et partager sa vision de la vie, de la France, de l’avenir. La librairie Sauramps Odyssée a accueilli le rappeur, slammeur et auteur-compositeur, ce mercredi 24 mars, pour le plus grand plaisir des Montpelliérains. Après la rencontre, c’est avec le sourire qu’il se livre à HautCourant. Un petit instant d’éternité.

« Nous sommes tous issus de la même lumière ». Une dédicace. Des mots qui touchent au cœur. Abd Al Malik, c’est ça. « Avec le cœur », une générosité, une émotion, un amour des mots. Un artiste qui garde le sourire et ne fait pas semblant. De Sénèque à Akhénaton en passant par Aimé Césaire et Jean Ferrat, son univers éclectique se dessine autour de philosophes, de rappeurs, de grands noms de la littérature et de chanteurs d’une autre décennie. « Un mélange de tradition et de modernité ». Pour lui, l’art a l’ambition d’universel.

Défaire les clichés et déconstruire les préjugés, voilà son maître mot. A ceux qui le voient tantôt comme un rappeur, tantôt comme un slammeur, tantôt comme un interprète de « chanson française de cité », il répond : « je suis un rappeur qui amène une singularité à mon art ». A ceux qui ne voient l’Islam que par le prisme de l’extrémisme, de la violence et de la burqa, il répond que lorsque l’on est dans une vraie démarche spirituelle, « on est dans le respect des lois du pays, dans le respect de tout être – homme et femme –, dans le respect de soi-même, on est dans l’écoute, dans le non-jugement, dans le dialogue… ». A ceux qui ne voient dans les banlieues qu’une bombe à retardement, il offre La guerre des banlieues n’aura pas lieu.

Une lettre ouverte à Éric Besson

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Sorte de conte initiatique moderne qui présente un cheminement de vie et offre un état des lieux sur la France d’aujourd’hui, La guerre des banlieues n’aura pas lieu, c’est un peu le Mentir-vrai d’Aragon. Se servant d’un matériel autobiographique provenant de sa propre histoire, Abd Al Malik raconte des faits réels gardés dans sa mémoire pour une composition fictionnelle qui, bien que produit d’un mensonge et donc « menteuse », transporte une vérité qui s’approche plus de la réalité. Son objectif ? « Dire que nos élites politiques, culturelles et intellectuelles, sont de plus en plus déphasées avec la réalité, avec ce que l’on peut vivre, nous, dans la vraie vie. Il faut résorber le fossé entre les élites et nous le peuple. Il faut que l’on travaille à ce que la France soit à la hauteur d’elle-même. En termes d’idées et de principes philosophiques et fondateurs, la France est un pays merveilleux. Mais, les valeurs n’ont de sens qu’illustrées. Liberté, égalité, fraternité, richesse de la diversité, ces beaux principes n’ont de sens que s’ils sont actés. Sinon, c’est cruel, gravissime, presque criminel ». Un politique, comme un artiste, c’est quelqu’un qui devrait avoir « mal aux autres », dit-il en citant Jacques Brel.

Le poète réalise au fur et à mesure de son écriture que son livre est une véritable lettre ouverte à Éric Besson, une réponse au débat sur l’identité nationale. Qu’est-ce que l’identité française, et non nationale, pour lui ? « L’identité française, ce n’est pas une religion, une couleur de peau, c’est une communauté d’idées, une vision, un être au monde. C’est le rapport à l’universel, à la langue, à la singularité, à la culture. C’est ça que d’être français, et je suis fier et heureux d’être français. Il faut que l’on montre la richesse et la beauté de cette identité-là. Ce débat aurait pu créer du lien mais, maladroit et agressif, il a été mal mené. Conséquence : la montée du Front National et une désunion dans le pays. »

Et, face à un monde « incohérent » où les êtres sont « éclatés », il faut « travailler à être un, de l’intérieur ». Pour le poète, s’il est une chose fondamentale dans cette construction, c’est la cohérence : « ma cohérence est éthique, déontologique et morale, avec des valeurs. Sans être toutefois ni dans une démarche moralisatrice, ni une démarche dans le jugement d’autrui ».

Des mots qui dansent, une émotion passe. Questions à un poète.

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« Les mots mènent aux actes […] Ils préparent l’âme, la mettent en condition, la poussent à la tendresse ». Sainte Thérèse d’Avila (citée par Abd Al Malik dans la préface de La guerre des banlieues n’aura pas lieu)

Pensez-vous que seuls les mots peuvent guérir les maux de la société ?

Bien sûr. Tout part de là, tout commence par les mots. « Au commencement était le Verbe » (nldr, Évangile selon Saint Jean). Autant, l’Histoire nous a montré que des horreurs ont trouvé leur origine dans les mots, autant les changements positifs trouvent aussi leur origine dans les mots. Alors, le verbe est soit porteur de vie, soit mortifère. C’est à nous de choisir.

D’où vient cet amour des mots ?

Gamin, j’étais dyslexique. Quand j’ai pu lire et écrire correctement, ça a été une bouée de sauvetage, puis un merveilleux véhicule pour voyager. C’est un monde qui s’est ouvert à moi. J’ai dévoré tous les bouquins, même si je ne comprenais pas tout ce que je lisais. Très tôt j’ai été introduit à de grands auteurs. Et, petit à petit, ces auteurs sont devenus des amis. Des amis qui, peu à peu, m’ont poussé à l’écriture.

J’ai une vie livresque très riche. Mais, s’il y a une chose que tous ces auteurs m’apprennent, c’est que le plus important n’est pas dans les livres. Le plus important est dans la vie. Les livres ne sont qu’un prétexte pour faire du lien, pour comprendre que l’on doit partager avec les gens, que l’on doit vivre les choses. L’essentiel se vit. Lisez, puis fermez les livres et vivez.

Que pensez-vous de l’adage « le poids des mots, le choc des photos » ?

J’aimerai que l’on aille plus loin. Un être, ce n’est pas qu’une photographie. Les gens sont faits de chair et de sang, ils ont des espoirs, des craintes, des peurs, des joies. Les mots aident à décrypter, à décrire un monde intérieur, à communiquer, à échanger avec les autres. Par contre, il faut se méfier des images. C’est une réalité figée dans le temps et dans l’espace. Or, il y a des choses qui se passent en annexe, avant et après.

Pensez-vous qu’un mot peut tuer ?

Bien sûr. Parfois, on dit des choses abruptes, comme ça, sans se rendre compte et ça peut tuer. Les mots peuvent empêcher l’espoir, la possibilité de transcender une condition et peuvent être porteurs d’enfermement. C’est pour cela qu’il faut faire très attention aux mots que l’on emploie.

Vous vous dites patriote. C’est dans une démarche patriote que vous avez écrit ce livre ?

Ma démarche artistique, musicale ou littéraire, est souvent faite dans une démarche patriotique. Un patriotisme au sens de Sartre, de Camus : dire qu’il y a des valeurs avec lesquelles on ne doit pas transiger. Des valeurs que l’on doit porter, défendre, envers et contre tout.

Quelles sont les valeurs les plus importantes pour vous ?

D’abord, les valeurs fondatrices de ce pays : la liberté, l’égalité, la fraternité, l’universel. Puis, le respect de l’autre dans la différence, la solidarité, le fait de pouvoir transcender sa condition par le savoir et devenir quelqu’un alors que l’on vient de nulle part. Ce sont des valeurs ancrées à l’Histoire de ce pays. Des gens se sont battus, sont morts pour ça.

Dans C’est du lourd, vous dites « quand tu insultes ton pays, tu t’insultes toi-même », à qui est adressé ce message ?

A nous tous. Beaucoup ont pensé que je m’adressais uniquement aux jeunes des cités. Bien sûr, cela les concerne. Mais, cela concerne aussi les politiques et les élites en général. Dont des intellectuels qui ne voient que des choses négatives, qui refusent de voir que la diversité est une chance ou d’admettre que l’immigration a toujours été source de richesses. C’est aussi insulter son pays. Il est facile de dire : « regardez rien ne fonctionne ». Tout le monde peut le faire. Mais se dire « c’est vrai que c’est difficile, mais soyons ceux qui allumons les bougies de l’espoir, au lieu de constater et de rester dans l’obscurité » est autrement plus enrichissant.

Pourquoi cette référence à La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux ?

D’abord pour m’inscrire dans un acte littéraire. Puis, je trouvais ça fort, le fait que personne ne veut la guerre mais que des fois on agit de manière inéluctable vers elle. La possibilité de ne pas faire la guerre est dans nos mains à tous, pour peu que l’on s’en donne les moyens, que l’on évoque et que l’on invoque la paix. Dire que la guerre des banlieues n’aura pas lieu, c’est une ligne de mire, c’est dire : « on va faire en sorte qu’elle n’ait pas lieu ».

Vous parlez souvent de spiritualité, comment la vivez-vous quotidiennement ?

Je la vis au travers de l’Islam. Je suis musulman pratiquant. Mais, la spiritualité embrasse toute chose. On peut ne pas croire en Dieu et être profondément spirituel. La spiritualité est un être au monde. C’est une capacité à partager avec les autres, à comprendre que notre destin à tous est lié.

Êtes-vous un optimiste ou un idéaliste ?

Les deux. Optimiste, c’est voir le verre à moitié plein. Idéaliste, c’est avoir un idéal. Le fait de rêver, d’avoir des utopies, de voir les choses de façon positive, permet de travailler à rendre nos rêves réels. Je ne suis pas « cuicui les petits oiseaux », je ne nie pas les problèmes que l’on traverse. Mais, ma démarche est authentiquement positive. Mon idée est de donner de l’espoir.

Pour finir, pensez-vous que tout ne passe que dans l’émotion que suscite les mots ?

Dans l’émotion, il n’y a ni couleur, ni sexe, ni âge, ni milieu socioculturel. Il y a juste des hommes et des femmes avec un même cœur qui bat.

Julie DERACHE

Citoyen de seconde zone, une oeuvre de Buchi Emecheta

Buchi Emecheta est sans doute l’une des romancières africaines les plus traduites en français. Née à Lagos en 1944, elle vit en Grande-Bretagne depuis l’âge de 22 ans où elle a, peu à peu, par ses œuvres, conquis le public. Adah, l’héroïne de « Citoyen de seconde zone », le premier de ses romans, publié en 1975, emprunte les traces de sa créatrice et offre une intéressante observation sur l’exil nigérian en Grande Bretagne.

C’est une démarche militante posant un regard féminin sur l’émigration africaine, la condition féminine et le partage entre deux cultures, qui rythme ce roman, véritable invitation au voyage. En lisant Citoyen de seconde zone, je me suis mis dans la peau de l’auteur, je me suis identifié à elle et j’ai vécu toutes sortes de sensations depuis son Nigeria natal jusqu’à son pays d’accueil.

L’oeuvre place Adah, personnage principal et, vraisemblablement, double de l’auteur, comme le porte parole des femmes et des immigrés. L’auteur adopte son point de vue par une focalisation interne et donne un ton personnel même si la narratrice parle d’elle à la troisième personne.
Grâce à ces techniques, j’ai vécu le combat de cette héroïne, orpheline de père à neuf ans, dans une culture machiste où la femme n’est réservée qu’aux tâches ménagères. Ce livre est porteur de messages essentiels, dans un contexte hostile où l’auteur nous montre comment cette femme battante, va renverser son destin grâce à sa motivation, son désir d’aller à l’école et d’apprendre. Son parcours est intéressant et mérite d’être un cas d’étude dans un monde où beaucoup de jeunes n’ont pas envie d’aller à l’école et ce, malgré leurs conditions sociales favorables. L’œuvre est instructive. Elle offre aux lecteurs la découverte de deux mondes différents (africain et européen) et transporte ainsi le lecteur dans un voyage de découvertes culturelles sans précédent.

Ce qui frappe surtout, c’est le récit d’une libération, d’une autonomisation : la conquête de la légitimité de la femme dans les années soixante, au sein d’une Afrique traditionnelle. Son regard est remarquable mais véhicule plusieurs stéréotypes qui ne sont pas toujours positifs. Par exemple, l’image de son mari Francis, paresseux, fainéant, jaloux, machiste. Elle dénonce cette société patriarcale. Ce point de vue me déplait car il a tendance à caricaturer l’homme africain.

Pourtant, j’ai aimé voir cette femme qui se libère en prenant la parole, en souhaitant écrire un livre dans une culture africaine de tradition orale. Elle nous offre un portrait de la femme africaine comme un modèle, un pilier fondamental de la société. Une femme à la fois mère, agent économique, éducatrice. Ce qui n’est pas négligeable. Le titre du livre Second class citizen renvoie à une personne considérée comme inférieure en statut et en droit comparé aux autres. Dans cette vision, l’auteur joue sur le sens de cette expression en l’attribuant à Adah en tant que femme mais aussi en tant que personne de couleur.

Même trente ans après la parution de cette œuvre, derrière une dimension historique intéressante, transparait une immédiate actualité. Ce livre présente de manière intemporelle la problématique de l’immigration à notre époque où ce sujet fait encore débat. L’héroïne, à travers ses mésaventures à Londres en tant qu’immigrée, est confrontée aux problèmes de logements, de discrimination, de racisme, de chômage. Le choc des cultures montre des visages qui pourraient faire comprendre à beaucoup de jeunes africains candidats à l’immigration vers l’Europe, que l’Occident est loin d’être un paradis.

En somme, ce livre est bénéfique aux Occidentaux : il permet de voir d’une part la condition féminine de l’auteur, les croyances machistes, les difficultés économiques de sa société et sa bravoure exemplaire pour dompter ses contraintes. D’autre part, elle est porteuse d’espoir pour certaines personnes en leur permettant de relativiser leur situation et de se rendre compte de toutes les chances qu’elles ont par rapport à la vie d’Adah, orpheline et pauvre, reléguée au second rang de la société.

Personnellement, la lecture de Citoyen de seconde classe m’a permis de voyager, de m’instruire encore plus sur la culture de l’auteur, sur les conditions féminines, sur les combats des femmes… Choses que je ne pourrais partager entièrement avec vous, car rien ne vaut une réelle expérience par soi-même en se plongeant au cœur du livre. A vous donc de vivre l’aventure.

Marc Lévy : « Ecrire, c’est un territoire de liberté ».

A l’occasion de la sortie de son dixième roman  » La première nuit « , la librairie Sauramps Odyssée a accueilli hier soir, jeudi 10 décembre, Marc Lévy. Romancier français qui a vendu le plus de livres en France et dans le monde, ses neuf derniers romans ont été publiés, à ce jour, à 19 millions d’exemplaires. Second volet d’un diptyque,  » La première nuit  » raconte l’histoire d’Adrian, astrophysicien, qui part à la recherche de Keira, archéologue, disparue après un attentat. Dans un périple qui nous entraîne des hauts plateaux éthiopiens jusque dans les étendues glacées du nord de l’Oural, Marc Lévy conclut avec  » La Première nuit « , l’aventure fantastique commencée avec  » Le Premier jour « . Rencontre.

D’où vient votre goût pour l’écriture ?

Je ne sais pas. Je crois du plaisir de raconter des histoires. Mais je ne sais pas d’où il vient. Je pourrai vous faire une réponse toute convenue mais je ne le souhaite pas. Vous savez, si je vous demandai d’où est venu l’amour que vous portez à votre conjoint, vous n’en sauriez rien. Il est venu, c’est tout. Il y a des choses qui sont là et nous ne pouvons pas trouver d’explications.

Vous parlez toujours d’amour. C’est votre priorité dans la vie ?

Non ce n’est pas une priorité, c’est une question d’humilité. Je pense que l’amour est ce qui motive tout un chacun. De la chose la plus simple dans votre quotidien, à la chose la plus complexe. Quoi que vous cultiviez, quoi que vous fassiez, vous le faites par amour. Après, vous pouvez avoir une espèce de prétention, de fierté qui font que vous dites que ce n’est pas vrai. Mais tout se fait par amour. Nous élevons nos enfants par amour, nous vivons avec quelqu’un par amour, nous cultivons notre jardin par amour, nous construisons une maison par amour, … Tout se fait par amour. Même si cela dérange les cyniques. C’est une réalité. En tout cas, c’est la mienne. Je ne vois pas comment faire autrement.


Pensez-vous que par amour, comme c’est le cas avec Adrian, un homme est capable de tout ?

Il faut demander cela à ma femme ! (rires) Si je répondais oui, cela serait très prétentieux.

Est-ce que l’on peut dire « Marc Lévy, l’auteur séducteur » ?

Non. Je suis quelqu’un de très timide et de très pudique. Je ne suis pas du tout un séducteur. J’étais le plus mauvais dragueur de tout le lycée et ils s’en souviennent encore ! J’aimerai bien que la légende s’entretienne mais j’aurai, de suite, quelques copains pour dénoncer la forfaiture.

C’est la première fois que vous publiez un diptyque, pourquoi ?

J’ai écrit cette histoire dans une continuité. Je ne me rendais pas compte que je m’embarquais dans une intrigue aussi longue. C’est mon éditeur qui m’a fait remarquer qu’il était difficile de publier un livre de 950 pages. Donc, nous l’avons scindé en deux tomes. L’endroit où ils ont coupé l’histoire, c’est quand même un peu vache.

Vous l’auriez coupé où ?

Si c’était à refaire, j’aurai fait trois tomes de 350 pages chacun, au lieu de deux. Je crois que je me serais fait encore plus d’ennemis ! (rires) L’idéal aurait été de publier un seul livre. Mais les lecteurs trouvent très désagréable de lire un ouvrage de 950 pages. Dans le métro, par exemple, ce n’est pas très pratique.

Il y a une unité de temps entre les deux romans qui correspond à la réalité. J’ai vécu l’été comme Adrian.

A quel personnage vous identifiez-vous ?

Si je vous dis Keira, cela va vous paraître ridicule. C’est un mélange. Il n’y a pas un endroit où je me mets, moi, dans le roman. Je suis trop pudique pour me mettre dans un personnage. Cependant, je m’identifie pas mal à Walter (ndlr : Walter est le meilleur ami du héros). Je pourrai vous dire que je suis Adrian, le héros. Mais, j’ai déjà le vertige sur un tabouret et il escalade les montagnes à 2 000 mètres !


Pourquoi le thème de la destinée est présent dans tous vos romans ?

Parce que je crois que c’est ce qui me fait le plus peur.


Vous croyez en la destinée ?

Ce n’est pas ce que je vous ai dit. Je n’en sais rien. Qu’est ce que c’est que la destinée ? J’ai toujours voulu croire, et cela n’engage que moi, que la destinée est une succession de choix que la vie nous présente. Je déteste l’idée que tout est écrit. Sinon pourquoi se lever le matin, pourquoi aller à l’école, … Si tout est écrit, il n’y a qu’à se poser sur le tapis roulant et attendre qu’il arrive au bout. Je pense que la destinée, c’est une succession de choix. Et le destin, c’est ce que l’on va décider de prendre comme choix. Je trouve que c’est ce qu’il y a de plus intrigant. Pourquoi le piano qui se décroche tombe à deux centimètres de vous ou vous tombe sur la figure ?

Trois de vos ouvrages font référence à des évènements historiques : Les enfants de la liberté à la Résistance, Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites à la Chute du Mur de Berlin, et Où es-tu ? à l’ouragan de 1974. Quel est votre rapport à l’Histoire ?

Je trouve assez intéressant, pour certains romans, que les personnages évoluent dans l’Histoire qui les englobe. Je ne peux pas faire une réponse courte à la question que vous me posez. Chacun des trois romans que vous me citez à sa raison, divergente des deux autres. L’histoire des Enfants de la liberté est très particulière. Celle de Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites a d’autres motifs.

Mon rapport à l’Histoire ? Je pense que l’Histoire imprime l’histoire personnelle que nous vivons. Nous ne pouvons pas nous extraire du contexte historique dans lequel nous vivons, des évènements historiques dans lesquels nous vivons. Quand on est romancier et que l’on raconte l’histoire de personnages, on ne peut pas prendre deux personnages qui vivent en 1960 et les faire avoir les mêmes réactions que des personnages des années 2010. Ne serait-ce que les sentiments qu’ils ont. Ils ne sont pas impactés par la même morale publique, par la même conjoncture, par les mêmes problématiques. Je ne sais pas quel âge vous avez. 20 ans ? 22 ans ? Avoir 20 ans, il y a trente ans, n’est pas du tout la même chose qu’avoir 20 ans aujourd’hui. Ne serait-ce que parce qu’il y a trente ans, nous n’avions pas de téléphone portable. Nous ne savions pas ce que c’était que d’envoyer un sms. Vous ne savez sans doute pas ce que c’était de faire passer un petit papier en cours quand j’avais 16 ans. Il fallait avoir une technique pour faire passer une boulette de papier du dernier rang au premier, et dire à une copine « on se voit à 16h30 » sans que les copains ne le sachent et sans se faire chopper par la maîtresse. C’était un exploit ! Aujourd’hui, un petit texto, et hop hop hop, l’affaire est dans le sac ! Le débarquement du sms a changé les modes de communication. Sans vouloir me vieillir, à mon époque, nous n’avions qu’une chaîne de télévision et à 20h30 nous étions au paddock. Nous vivions dans une autre planète que celle dans laquelle vous vivez. J’ai un fils de 20 ans, je suis donc témoin de ce monde là.

Vous évoquez votre jeunesse, quels étaient vos livres préférés à l’époque du lycée ?

Je dirai La nuit des temps de Barjavel. D’ailleurs mon livre est une façon de rendre hommage à Barjavel. Le petit prince de Saint-Exupéry, Huis clos de Sartre, Paroles de Prévert, La condition humaine de Malraux, et E=mc2 mon amour de Patrick Cauvin. Et à la sortie du lycée, Romain Gary.

Plusieurs de vos romans ont été adaptés au cinéma, que pensez-vous de ces adaptations ?

C’est très complexe. L’adaptation d’un roman répond à des règles incontournables. Il y a toujours deux points de vue. Celui du lecteur et celui de l’auteur. Je considère que lorsqu’un réalisateur vous fait l’honneur d’adapter votre roman, il faut lui laisser la liberté de raconter l’histoire à sa façon. C’est un auteur à part entière. On ne peut pas contraindre l’intelligence d’un auteur à filmer les pages d’un livre. Même si la tentation de l’auteur du livre est de filmer exactement l’histoire qu’il a écrite. C’est un pari qui est impossible. Ne serait-ce que parce qu’un roman raconte une histoire en huit-neuf heures et qu’un film doit la raconter en une heure et demie. A partir du moment où c’est bien filmé, où les acteurs sont justes, la mise en vie de ses propres personnages est extrêmement jouissive.

J’ai vécu trois expériences différentes. Dans Et Si c’était vrai, le film est très éloigné du roman. Le réalisateur a prit le parti de changer la nature des personnages. Il les a débaptisés. Le « Arthur » et la « Lorraine » du film ne sont pas le « Arthur » et la « Lorraine » de mon roman. Alors que dans Mes amis, mes amours, même si la réalisatrice a enlevé une quantité de scènes importantes du roman et qu’elle en a rajouté d’autres, le « Matthias » et le « Antoine » du film sont vraiment le « Matthias » et le « Antoine » du roman. C’est une adaptation plus fidèle. Où es-tu ? a été produit en format télévision. Les quatre heures du téléfilm permettent de coller à la rythmique du roman. Donc, c’est encore plus fidèle. Cela a été trois très belles aventures.


En parlant de télévision, quelle est votre émission télévisée préférée ?

L’émission où ils vont dans des pays au bout du monde… En Terre Inconnue !


Et si nous faisions un petit portrait chinois… Si vous étiez…

Une saison ?

Le printemps.

Une femme ?

Joker !

Une musique ?

Une chanson des Beatles.

Un roman ?

Clair de femme de Romain Gary.


Un pays ?

La France.


Un personnage historique ?

Pasteur.

Vous dites que vous aimez la France, pourquoi vivre à New York ?

J’ai toujours vécu à l’étranger. J’aime vivre à l’étranger et j’aime vivre en étranger. Ce n’est pas parce que l’on vit à l’étranger que l’on n’aime pas son pays. De la même façon qu’à vingt ans, ne plus habiter chez ses parents ne vous empêche pas de les aimer. Nous sommes trois millions de Français à vivre à l’étranger. Heureusement d’ailleurs. Si aucun Français ne vivait pas à l’étranger, on ne saurait pas ce qu’est la France.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune écrivain qui veut se lancer ?

Si je pouvais en donner un seul : n’en écouter aucun. Écrire, c’est un territoire de liberté. Vous pouvez écrire un roman sans ponctuation si cela vous amuse. Il ne faut pas laisser l’écriture et la littérature s’enfermer dans des règles grammaticales. Certes, elles sont très importantes pour le maintien de la langue. Mais, il ne doit pas y avoir tout le temps des règles. Le seul gardien de la liberté d’écriture, c’est vous-même. Il faut écrire avec beaucoup d’humilité. L’écriture c’est un long tunnel de solitude. Avec un papier et un crayon, on peut tout écrire. Et si on peut tout écrire, on peut rentrer dans un domaine imaginaire qui vous transpose bien au-delà des murs qui vous enferment. C’est la seule conscience à garder quand on écrit. On peut faire ce métier très sérieusement sans jamais se prendre au sérieux. Il y a autant de façon d’écrire qu’il y a de gens qui écrivent. Il y a autant de façon d’aimer que de gens qui aiment. Il n’y a pas plus de recettes d’écriture, qu’il y a de recettes amoureuses.

L’écriture est-elle un besoin pour vous ? Avez-vous besoin d’écrire tous les jours ?

Je vous dirais que c’est un bonheur. Je ne veux pas donner de gravité à la chose. Dans ma vie, j’ai vu trop de gens dans le besoin pour avoir l’espèce de prétention de dire : « j’ai besoin d’écrire ». Si je ne peux plus écrire, je survivrai. Je touche du bois, mais s’il arrive quelque chose à mon fils, je ne sais pas si je survivrai. C’est un bonheur, un vrai bonheur que d’écrire. Je recommence un nouveau roman dans quelques semaines et je suis heureux de cela.

Pour finir, quel est votre rêve ?

De vivre très, très vieux. Cela englobe tous les autres rêves. Il y en a beaucoup. Tant que vous êtes vivant tous les rêves sont possibles.

Littérature antillaise et postcolonialisme

Le 27 novembre 2009 à Montpellier, la littérature antillaise fait l’objet d’un éclairage théorique. Dans le cadre d’un colloque sur les « mondes postcoloniaux », des universitaires se penchent sur les « scènes antillaises et politiques du  » Tout-Monde  » ».

La littérature martiniquaise s’inscrit dans l’espace de la production littéraire francophone mais participe également à la culture des Caraïbes. Surtout, les écrivains antillais ne cessent de dénoncer la situation coloniale tout en créant une prose originale, avec ses inventions linguistiques. De la « négritude » à la « créolité », Florian Alix, de l’Université de Strasbourg, explore le repositionnement de « l’essai postcolonial martiniquais ».

Une littérature anticoloniale

Florian Alix, évoque l’histoire des écrivains anticolonialistes. Les essayistes antillais entremêlent littérature et politique à travers la revendication d’une spécificité culturelle des noirs. La revue Légitime Défense, proche des surréalistes, développe une analyse marxiste de la société martiniquaise. Les écrivains regardent les Antilles par le prisme du monde.
Aimé Césaire (1913-2008), écrivain et homme politique, associe littérature et engagement à l’image des élites occidentales. Son discours sur la négritude s’inscrit dans un cadre d’analyse marxiste. Pour Frantz Fanon (1925-1961), psychiatre et homme de lettres martiniquais,
l’oeuvre littéraire doit être politique et sa pratique doit s’inspirer des luttes. Dans Peau noire, masques blancs, il critique le mimétisme des élites de couleurs sur les classes dominantes occidentales. La culture et les relations politiques sont deux champs d’études reliés chez Frantz Fanon. La négritude de Césaire est définit en termes politiques: la situation des noirs dans le monde découle du colonialisme.
Le local est lié au global sur le plan idéologique et institutionnel. Les écrivains antillais sont liés à des mouvements anticolonialistes, et se tournent vers le reste du monde. Cependant, la négritude constitue un mouvement littéraire qui concerne peu le prolétariat noir. Toutefois, les auteurs de l’archipel de Caraïbes, se positionnent comme les porte-parole des opprimés.

La littérature postcoloniale

Florian Alix évoque ensuite l’évolution des essayistes antillais. Édouard Glissant, écrivain contemporain, reproche à Aimé Césaire et Frantz Fanon de se détacher de la situation locale. Ces personnalités de la plume évoquent la domination dans les Antilles mais à travers une analyse anticolonialiste plus large. Édouard Glissant amorce un repositionnement. Les intellectuels contemporains s’écartent du champ politique avec la fin de l’impérialisme qui permet un recentrement sur la Martinique. Édouard Glissant demeure anticolonialiste et s’inscrit dans la perspective d’une émancipation culturelle et politique. Cependant, il reste à l’écart des partis et intervient dans l’actualité en tant qu’écrivain. L’Institut martiniquais d’études (IME) insiste sur la légitimité scientifique, avec une séparation de la sphère du politique. L’éloge de la créolité permet de créer un regroupement politique mais ne débouche sur aucun programme pratique. Le projet culturel prédomine en s’appuyant sur la langue créole. Le contexte international évolue avec la fin des réseaux de luttes anticolonialistes. Le nationalisme est alors limité au culturel.
Aimé Césaire et Frantz Fanon tentent de comprendre le monde pour observer les Antilles. En revanche, Édouard Glissant s’intéresse aux Caraïbes pour analyser le monde. L’essai se recentre donc sur la réalité martiniquaise.

Dans la littérature francophone

Selon Florian Alix, le travail littéraire de Fort de France intègre progressivement la culture française. Toutefois, les Antillais préservent leur autonomie par rapport au champ littéraire français. Édouard Glissant critique la normalisation de la langue créole. Il entretient un rapport ambigu, de révérence et de distance, avec ses prédécesseurs. Il s’inscrit dans la filiation des intellectuels anticolonialistes à travers la construction progressive d’une culture nationale. Cependant, ce projet n’est plus révolutionnaire et se rapproche du nationalisme respectable, intégré aux lettres française.
Ces écrivains postcoloniaux adoptent une relation critique au politique qui les amène à redéfinir leur rôle. Raphaël Confiant, essayiste et militant de la cause créole, reproche à Aimé Césaire de ne pas avoir entendu les voix subalternes, comme celle des indiens, et la diversité des situations.
La politique et le monde sont pensés depuis la culture et les Antilles.

Études postcoloniales et littérature

Marie-Christine Rochmann, de l’Université Paul Valéry Montpellier III, prolonge la contextualisation historique de l’oeuvre d’Édouard Glissant en le situant par rapport aux études postcoloniales. Édouard Glissant se réfère à la théorie postcoloniale qui s’attache à la subversion littéraire et poétique. Cependant, les études postcoloniales s’intéressent rarement à Édouard Glissant qui est peu traduit en anglais. En revanche, ce champ d’étude a institutionnalisé l’œuvre de Frantz Fanon. Cependant les concepts utilisés par Glissant existent déjà dans le monde anglo-saxon. Ensuite, son analyse semble davantage culturelle et poétique par rapport à Fanon qui demeure plus politique.
Sartorius. Le roman des Batoutos se situe en Afrique, et non en Martinique. Cet ouvrage reprend le récit du mythe fondateur de la tribu. Glissant se réfère à Gilles Deleuze, qui estime que « la fonction fabulatrice doit inventer un peuple ». Il emprunte au philosophe la théorie des identités racines et des rhizomes. L’écrivain se réfère à l’anthropologie comme lieu d’analyse des discours coloniaux. Il reprend la théorie afro-centriste selon laquelle la culture égyptienne fondatrice se diffuse au cours de l’histoire. Le peuple noir doit renouer avec cette origine. Cependant, les Batoutos refusent l’identité essentialiste de la race.
Édouard Glissant, l’essayiste martiniquais dialogue avec les études postcoloniales tout en conservant son identité de poète et sa liberté de créateur.

De nouveaux concepts

Kathleen Gyssels, de l’Université d’Anvers, présente l’historique des « concepts glissantiens » de la créolité à la postcréolité.
Édouard Glissant appelle à « débalkaniser les Caraïbes ». Il développe une conception transcommunautaire de la littérature. Selon l’écrivain, « il est des communautés littéraires qui dépassent les communautés linguistiques ». La notion de créolisation se réfère au rhizome avec « un métissage sans limites aux résultats démultipliés ». Cependant, l’éloge de la créolité se recentre sur les Antilles francophones. Toutefois, la créolisation ne fige pas et s’apparente à un mouvement linguistique.
La littérature antillaise privilégie la création et l’invention linguistique à l’héritage figé. A l’image de Patrick Chamoiseau, romancier et théoricien de la créaolité, qui refuse d’être considéré comme « le fils spirituel d’Édouard Glissant ».

Les écrivains antillais participent à la rénovation de la langue française et alimentent un décentrement de la littérature par rapport à l’hexagone. Les luttes politiques des Antilles sont accompagnées par un souffle poétique et une innovation créatrice. Toutefois, la culture prime désormais sur la politique. La poésie doit ainsi permettre de dépasser la civilisation marchande.

Des textes d’intervention sur le monde contemporain:

http://tout-monde.com/pdf/Manifeste.pdf

http://tout-monde.com/2009-intraitable.html

http://www.galaade.com/oeuvre/quand-les-murs-tombent

La première rentrée littéraire 2009

Chaque année, une nouvelle vague de livres arrivent sur le marché en janvier-février. Un phénomène souvent méconnu qui est pourtant considéré comme le troisième événement littéraire annuel après les sorties de septembre et la déferlante des prix, en automne. Qualitatif, discret, libre et libéré, cet évènement gagne à être connu comme nous le confirme Alain Monge, premier libraire chez Sauramps à Montpellier.

Une affaire de choix. S’il est impossible de passer à côté de la rentrée littéraire d’automne a moins d’être sourd, aveugle et illettré, les évènements de janvier ne s’organisent pas de la même façon. De la discrétion comme gage de qualité. Alain Monge, premier libraire chez Sauramps, nous explique ce qui caractérise ce phénomène méconnu.Sauramps.jpg

Chaque année, les médias se focalisent sur les remises de prix: Goncourt, Nobel et Médicis font couler beaucoup d’encre. Ces événements majeurs conditionnent la rentrée d’automne et libèrent celle d’hiver. Un auteur susceptible de remporter un prix paraitra en septembre. Celui qui, par sa notoriété se vendra doucement et seul, sortira en janvier, voire dans le courant de l’année. A l’instar des « petits nouveaux ».

Des contraintes qui permettent une rentrée « moins formatée, plus libre et plus originale« . Ce vent de liberté accorde, traditionnellement, une grande place à la littérature étrangère et apportent chaque année, son lot de douces surprises. Numériquement, « près de 700 livres sont sortis en septembre, 600 en janvier« . Ce n’est pas la quantité qui fait la différence mais bien un choix d’ouvrages, tour à tour stratégique, beau et mesuré.

Marketing du livre. Des mots qui font trembler dans ce monde où on voudrait nous faire croire que rien n’est chiffré. Les rentrées littéraires résultent du travail et des choix faits par les éditeurs. « Il faut qu’ils occupent l’espace« , découvrir, aimer puis vendre. Tel est leur métier.

milena-2.gif Certains livres se suffisent à eux-mêmes. Le dernier opus d’Olivier Adam fait déjà parler de lui dans tous les médias. Paru aux éditions de L’olivier, « Des vents contraires » permet à l’auteur de « Je vais bien, ne t’en fait pas » de revenir sur les côtes bretonnes qu’il affectionne tant. On y suit le parcours d’un écrivain qui perd l’inspiration après le départ inexpliqué de sa femme. Ou encore cette petite nouvelle, mise en évidence sur les tables de la librairie Sauramps: « Mon voisin » de Milena Agus, poids plume de quelques millimètres vendu 3 euros. Une petite douceur qui a coup sûr, fera recette. Une femme, sarde comme l’auteur, songe pendant ses chaudes après-midi, à la meilleure manière de se suicider. Et ce jusqu’à ce qu’elle découvre dans les yeux de son voisin, des raisons de mourir un peu moins vite…

Olivier Adam, « Des vents contraires », Ed. de l’olivier.

Milena Agus, « Mon voisin », Ed. Liana Levy.

« Twilight » : le film qui fascine les adolescents

Le film « Twilight : fascination », réalisé par l’américaine Catherine Hardwicke, est né de l’adaptation d’un best-seller de Stephenie Meyer. Il raconte la rencontre amoureuse d’une adolescente et d’un vampire. Véritable succès outre-atlantique, le long-métrage est sorti en France le 7 janvier.

Une adolescente qui tombe amoureuse d’un vampire, rien de très original direz-vous… Et pourtant, le film « Twilight : fascination » fait fureur aux Etats-Unis. Et le phénomène gagne peu à peu l’hexagone. La raison d’un tel succès ? Le livre dont il découle est un best-seller, son adaptation était donc très attendue des fans. S’interroger sur la popularité du long-métrage ne reviendrait-il pas à essayer d’expliquer le succès du livre ? Pas tout à fait, car la réalisation du film met l’histoire en valeur de manière originale.

Bella Swan, 17 ans, est contrainte d’emménager chez son père à Forks, une petite ville du nord-ouest des USA, où le temps est toujours gris. Originaire de l’Arizona, sa nostalgie du soleil et de la grande ville se dissipe lorsqu’elle fait la connaissance d’Edward Cullen, dans son nouveau lycée. Les deux jeunes gens s’éprennent l’un de l’autre. Mais l’adolescent mystérieux au charme irrésistible cache un lourd secret… Bella ne va pas tarder à découvrir qu’il est un vampire… et qu’elle est une victime potentielle, malgré l’amour que le jeune homme lui porte.

Par bonheur, le film limite les clichés sur l’adolescence américaine : pas de « pom-pom girls » anorexiques en vue, ni de sportifs sexy, ni même de fêtes où drogues et alcool coulent à flot… Le long-métrage n’a pas cherché à reproduire les archétypes de la jeunesse au lycée. Il ne s’agit pas non plus d’une réalisation sur les « suceurs de sang ». Le film nous épargne les clichés sur les vampires, récurrents dans la littérature et le cinéma. Pas de canines pointues donc, ni de crypte, ni même de désintégration à la vue du soleil… Dans le long-métrage, le fantastique tient une place importante, mais il s’agit avant tout d’une histoire d’amour impossible entre deux jeunes êtres, viscéralement épris l’un de l’autre.

En fait, l’originalité du film ne tient pas dans son scénario mais dans sa réalisation. Les protagonistes et les décors sont plutôt sombres, et pourtant l’histoire est tournée vers la vie. Les paysages naturels, les forêts et les collines sont omniprésents et magnifient l’intrigue. La réalisatrice a mis la beauté froide des personnages au service du romantisme. Le jeu des acteurs est juste. Mon seul regret est de ne plus avoir quinze ans ! Car si le film limite les clichés sur l’adolescence, l’amour que se portent les deux jeunes gens peut sembler parfois excessif pour un public adulte.

« Twilight : fascination » est le premier volet des aventures de Bella et Edward. L’auteur du livre éponyme a en effet écrit trois autres ouvrages. La prochaine adaptation cinématographique, intitulée « Twilight : tentation », devrait sortir en novembre 2009 aux Etats-Unis, et peu de temps après en France.