HautCourant : Pouvez-vous définir en quelques mots ce que sont les Improspectus ?
Yannick Sirjean : C’est une bande d’amis montpelliérains qui ont décidé un jour de faire de l’improvisation théâtrale ensemble. Pour amuser et pour s’amuser. L’aventure dure maintenant depuis plus de 4 ans et réunit aujourd’hui une quinzaine de personnes. En ce qui concerne les spectacles, nous avons nos habitudes montpelliéraines. Les gens peuvent nous voir fréquemment au Shakespeare, à la Laiterie des Beaux-Arts et à la Maison pour Tous Voltaire.
HC : Est-ce qu’improviser en théâtre signifie faire tout ce que l’on veut ?
Y.S. : Contrairement aux idées reçues, tout est très mis en scène dans l’improvisation. Au-delà de ce que nous faisons et qui est totalement libre, il y a un arbitre, un maître de cérémonie et tout un ensemble de règles qui sont faites pour cadrer l’improvisation. Le public, d’une certaine façon, participe aussi au spectacle puisque c’est lui qui nous propose les sujets et les thématiques sur lesquels nous allons improviser.
HC : Ces règles, quelles sont-elles ?
Damien Dejoie : Il y en a tellement qu’on ne peut pas les dire. D’ailleurs, si je les expliquais toutes, je serai obligé de te tuer (Rires…) En plus, ça risque de casser la magie de l’improvisation. Mais grâce à ces règles de jeu que nous avons et qui sont partagées par la plupart des troupes nationales, nous essayons de construire une création théâtrale originale qui a sa propre logique narrative.
HC : Question de néophyte. Quand on passe la plupart de son temps libre à improviser, est-ce qu’il n’y a pas la tentation, à certains moments, de faire de même dans son milieu professionnel ?
D.D. : Non ! Car nous sommes tous des improvisateurs. La vie elle-même est une lente improvisation. Dans une banale conversation, est-ce que vous anticipez vos réponses ? Il est évident que non. Pourquoi ? Parce que vous improvisez. Et tout le monde improvise tout le temps.
Y.S. : Il y a cette drôle idée qui consiste à croire que le défaut de l’improvisateur serait de continuer à improviser tout le temps. Pourtant, on a tous des métiers dans lesquels on ne peut pas se permettre d’être déconneurs en permanence. C’est d’ailleurs pour se débrider qu’on fait du théâtre d’improvisation. C’est une sorte de thérapie faite pour délier les langues et briser des carcans. C’est une sorte de ‘plus’ dans la vie pour pouvoir se débrouiller.
«La vie elle-même est une lente improvisation»
H.C. : Quelle doit être la première qualité d’un improvisateur ?
Y.S. : C’est l’envie. L’envie de jouer, envie de s’amuser. L’impro’, c’est avant tout un état d’esprit. Il faut être ouvert. La règle fondamentale, c’est de toujours dire ‘oui’. Quand tu fais de l’impro’, il faut bannir le ‘non’.
D.D. : Non, non, non je ne suis pas d’accord !
H.C. : Dans vos spectacles, le public vous propose des thèmes sur lesquels vous devez improviser. Or, ces thèmes sont quelquefois loufoques, abstraits ou abscons. Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de ne pas pouvoir relever le défi proposé ? Est-ce qu’il y a pour vous de l’« inimprovisable » ?
D.D. : Non ! Tout ce qui est proposé doit être improvisé. Ou alors, tu n’es pas un improvisateur. Comme je le disais, pour improviser, il faut bannir la négation. L’improvisateur est là pour construire. Et pour construire, il faut se confronter à des choses nouvelles et inconnues.
H.C. : Comment sait-on, en tant qu’acteurs, qu’on a réussi une improvisation ?
Y.S. : Le leitmotiv de l’improvisation, c’est le sentiment, l’émotion, le feeling. La bonne improvisation, c’est celle dans laquelle l’acteur et le public ont eu des sentiments qui n’ont pas été ‘douloureux’. Nous, ce qu’on aime bien, c’est quand le public nous demande si nous n’avons pas écrit certaines scènes à l’avance. Et non, elles n’ont pas été écrites à l’avance.
D.D. : C’est une belle définition. Et je tiens à dire aussi que, l’un des indicateurs qui nous permet de savoir si le public s’est laissé prendre par ce que nous lui proposons, c’est quand il n’y a pas un seul bruit pendant toute la durée du sketch et que, à la fin, les applaudissements retentissent d’un commun accord. Quand il y a stupéfaction, il y a, pour les acteurs, réussite. Je veux dire que le rire n’est pas, et ne doit pas être, le seul indicateur qui permet de jauger la qualité de notre jeu. Parce que, contrairement aux idées reçues, une impro’ peut être triste.
H.C. : Concernant vos costumes, pourquoi avoir fait le choix d’un costume noir et d’une cravate de couleur ?
Y.S. : C’est le code des Improspectus depuis le début. Le choix a été fait par simple envie de se démarquer. C’est vrai que nous allons à l’encontre de ce qui se fait dans les matchs d’impro’ où les acteurs portent généralement des maillots de hockey. Par contre, je n’ai pas le ‘pourquoi’ de la cravate…
H.C. : … Pour dire que vous êtes les gentlemen de l’improvisation ?
Y.S. : Personnellement, je pense qu’on peut dire cela mais ça serait un peu vantard. Pour nous, c’est être sobre. Et puis la cravate, c’est quelque chose qui passe toujours bien. D’ailleurs, le « costume » porte plutôt bien son nom puisque grâce à lui, on peut faire croire au public que nous sommes habillés complètement différemment. La magie de l’impro’, c’est d’avoir un dress-code, un visuel, sans pour autant devoir s’y arrêter.
D.D. : Quand je suis arrivé et qu’on m’a dit qu’il fallait porter une chemise noire, un costume noir, des chaussures noires et une cravate de couleur, c’était me faire adhérer à l’identité d’un groupe.
«Jouer, c’est sortir de notre quotidien et faire sortir les gens du leur.»
H.C. : Sans compter, vos « répétitions », vous jouez environ une fois par semaine ? Est-ce que ce n’est pas lourd de gérer un agenda aussi chargé ?
Y.S. : Dans la mesure où nous n’avons pas de texte à apprendre, c’est beaucoup plus simple parce qu’il n’y a que l’envie de jouer. Il faut de l’implication mais, comme déjà dit tout à l’heure, c’est avant tout un état d’esprit. Qu’est-ce que les gens ordinaires sont en règle générale le soir ? Ils regardent la télévision ? Eh bien, au lieu de regarder le spectacle qui se passe dans la ‘boîte-à-con’, nous leur proposons de venir voir du spectacle vivant. Pour nous, jouer, c’est sortir de notre quotidien et faire sortir les gens du leur. C’est pour ça que je n’éprouve pas de difficultés à jouer régulièrement.
D.D. : Ca dépend des gens et des choix qui les poussent à venir faire de l’improvisation. Certains y vont dans le but d’avoir une activité extra-professionnelle et ne pas penser au quotidien. D’autres se lancent parce qu’ils sont timides. Il y en a même qui viennent parce qu’ils se sentent l’âme d’artiste. Et dans une troupe, tous les membres ne sont pas obligés de venir à tous les spectacles. Du coup, une sorte d’équilibre se crée suivant les besoins et nécessités de chacun. Même si nous sommes 15, nous ne jouons jamais tous ensemble. Tout au plus, 4 voire 5 sur scène.
Y.S. : C’est une passion. Et comme nous avons tous le virus de l’improvisation, l’implication vient naturellement. Déjà parce que nous n’avons pas l’impression de travailler mais surtout parce que nous sommes là pour nous régaler et nous éclater. C’est un exutoire.
H.C. : Vous avez joué récemment à la Laiterie et vous y avez proposé une comédie musicale improvisée. Pour le commun des mortels, une comédie musicale demande beaucoup de travail de préparation et de répétition (chorégraphies, chansons, etc..) Du coup, comment est-ce qu’on improvise une comédie musicale ?
Y.S. : Ça se prépare avec beaucoup d’échauffements en amont. Dans une comédie musicale, formellement, il faut des danses, du chant et des textes. Pour le reste, il n’y a que ce que nous improvisons. Et le public ne doit pas voir la différence – ou presque – avec une comédie musicale non-improvisée. Nous essayons d’aller vers de nouveaux concepts, de nouvelles formes d’improvisation dans le but de dépasser le cabaret et le match d’improvisation. Tout art – et la comédie musicale est un art – peut être improvisé. Peut-être que demain ce sera la danse ou autre chose.
Propos recueillis par Yoann Hervey à Montpellier.
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